Présidentielle 2022 : à J-30, la gauche aux portes du 2nd tour
Bilan de la campagne et analyse des enjeux de la présidentielle à un mois du scrutin. Originalement publié sur ma newsletter substack « Old Fashioned »
Initialement publié via Substack (le format est plus lisible sur cette platforme).
Ils sont donc douze qualifiés pour le sprint final. De gauche à droite : Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Jean Lassalle, Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et Éric Zemmour.
Mais malgré de nombreux événements politiques marquants (ralliement de Marion-Maréchal Le Pen derrière Éric Zemmour, officialisation de la candidature d’Emmanuel Macron, Sandrine Rousseaux écartée de la campagne de Yannick Jadot, ralliements divers derrière Jean-Luc Mélenchon, échec de la candidature de Taubira…) et en dépit des immenses enjeux de cette élection (avenir de la sécurité sociale, du pouvoir d’achat, dernier rapport du GIEC, extrême droite aux portes du pouvoir…), on ne parle quasiment pas de la campagne. Et pour cause : Vladimir Poutine vient de commettre un crime de guerre majeur en attaquant l’Ukraine, une décision “comparable à l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 et l’invasion de la Pologne par l’Allemagne Nazie en 1939”, selon Noam Chomsky.
Cette tragédie provoque déjà des catastrophes de grandes ampleurs en Ukraine et au-delà. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans une prochaine newsletter. En attendant, faire le point sur la campagne présidentielle parait plus que jamais nécessaire.
Un second très ouvert, y compris pour la gauche
Deux tendances assez évidentes se détachent de l’analyse des intentions de vote et des dynamiques politiques (indépendamment des sondages) : Macron est archifavori pour sa réélection, et le second tour reste très ouvert. Avec une vraie possibilité d’y voir figurer un candidat de gauche.
Bien entendu, les sondages ne sont qu’une photographie des intentions de vote à l’instant t. Mais ils permettent de tirer certains enseignements. Aux lecteurs qui émettent une réticence bien compréhensible face aux analyses basées sur ces données, je recommande le second épisode de mon Podcast, en particulier les interviews de Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’IPSOS, et Fabien Escalona, politologue et journaliste à Médiapart. Cela devrait éclairer à la fois les forces et limites des enquêtes d’opinion, et permettre de mieux comprendre les dynamiques politiques (via une analyse indépendante des sondages).
Pour l’instant, Macron apparaît clairement au-dessus de la mêlée, ce qui est compréhensible pour un candidat sortant bénéficiant d’un large soutien de l’appareil médiatique institué. En temps de crise (Covid, guerre en Ukraine), on a tendance à reconduire les dirigeants, même lorsque leur bilan est aussi calamiteux et violent que celui d’Emmanuel Macron.
Le président sortant bénéficie également du manque d’alternatives fortes et de la division de ses opposants.
D’un autre côté, cette division abaisse mécaniquement le seuil d’accès au second tour, qui pourrait n’être que de 14 à 15 % à en croire la dernière grande enquête de l’IPSOS (sur 4000 électeurs inscrits, de loin le plus large échantillon).
Bien que Marine Le Pen domine la mêlée, avec un Jean-Luc Mélenchon à 12%, on est déjà dans la marge d’erreur pour un accès au second tour si le vote avait lieu aujourd’hui. Or, la campagne de JLM connait une certaine dynamique entretenue par les multiples ralliements et soutiens issus de la société civile.
De l’autre côté, Macron adsorbe de plus en plus d’électeurs issus du bloc bourgeois, ceux qui avaient pu un temps se laisser tenter par Pécresse/Zemmour à droite ou Hidalgo/Jadot à gauche avant de revenir vers Macron.
La situation reste fluide, les événements extérieurs très volatiles et la vraie campagne (temps de parole contrôlé et débats télévisés) ne fait que commencer.
Les droites plus que jamais divisées
L’extrême droite a élargi son socle électoral grâce à la candidature ultra-médiatisée d’Éric Zemmour, au prix de la division. Or, les électorats de Marine Le Pen et Zemmour ne sont pas aussi compatibles que le suggèrent leurs positionnements. Zemmour est un petit bourgeois parisien et pseudo-intellectuel qui propose un programme économique ultralibéral au service des plus riches, ce qui explique ses bons scores auprès des hauts revenus, des cadres et des retraités aisés. Marine Le Pen conserve, elle, un socle solide auprès des employés, ouvriers et petits commerçants. La marque “Le Pen” représente un certain capital politique et son discours plus orienté vers les classes populaires lui assure un socle auprès de cet électorat.
Le ralliement de l’un pour l’autre est pratiquement impossible. D’abord pour des questions de logique de partis. Il y a les frais de campagne engagés, l’importance des législatives en vue, la nécessité d’être en mesure d’offrir des circonscriptions et mandats aux cadres et soutiens du parti, synonymes de financement public ensuite… Bref ,il en va des intérêts “boutiquiers” difficilement dépassables à 30 jours de l’échéance électorale.
Ensuite, il y a les querelles d’égo. On voit mal Zemmour jeter l’éponge, mais on n’imagine guère davantage Marine Le Pen céder la place à sa nièce. Le RN joue sa survie politique face à “l’union des droites” voulue par la presse réactionnaire et les soutiens de Marion-Maréchal Le Pen et Éric Zemmour. Toutes ces considérations vont à l’encontre d’un regroupement avant le premier tour.
De même, Pécresse ne pourrait (politiquement) se rallier qu’à Emmanuel Macron. Mais là aussi, les logiques d’appareil nécessitent que LR présente un candidat jusqu’au bout.
Il est donc quasiment impossible que l’une de ses candidatures s’efface. Des transferts de voix partiels peuvent néanmoins avoir lieu. Zemmour semblait le mieux placer pour en bénéficier. Mais la radicalisation de son discours et sa position vis-à-vis de Poutine l’affaiblissent considérablement.
L’interrogation vient de Valérie Pécresse, qui fait une campagne désastreuse sur la forme et compliquée sur le fond. Son programme cherche à tenir une ligne entre Zemmour et Macron. Mais l’espace est si étroit qu’elle peine à exister.
La gauche “plutôt Macron que Mélenchon” vs “le vote utile Mélenchon”
À gauche, on constate l’échec des candidatures cherchant à construire un espace entre Macron et Mélenchon.
Taubira et Montebourg ont dû jeter l’éponge. Hidalgo et Jadot sont à la peine et risquent de finir tous les deux sous la barre fatidique des 5% (donnant le droit au remboursement des frais de campagne plafonné à 10 millions d’euros environ).
Le propre de ces candidatures est de refuser une rupture avec le système économique néolibéral et de faire la course derrière Zemmour sur le régalien (on se souvient de la participation de Jadot et du soutien d’Hidalgo à la manifestation factieuse des policiers, aux côtés de Zemmour et contre la Justice).
Cependant, Yannick Jadot porte un vrai programme écologique et représente une formation politique plus à gauche que lui. Mais la problématique écologique peine à percer dans la campagne, tandis que l’éviction de Sandrine Rousseaux génère une mauvaise couverture médiatique et le coupe encore un peu plus de la base activiste du parti. Pire, de nombreux leaders de mouvements écologistes ont rejoint le “Parlement populaire” de Mélenchon, affaiblissant la crédibilité de Jadot sur cette problématique.
Des faits qu’il ne faudrait pas surestimer pour autant, l’électeur moyen restant très détaché des turpitudes de la vie politique française.
L’effondrement de la gauche social-libéral, au profit de Macron, reste un fait important de ces 5 dernières années. Si on compare à 2017, on voit que Jadot et Hidalgo cumulent le même poids électoral que le score de Benoit Hamon. Rien de stupéfiant dans ce rapport de force, donc.
Mais contrairement à 2017, la gauche de rupture est également divisée. Le PCF a décidé de présenter un candidat coûte que coûte. Dans les logiques de la Ve république, les partis doivent participer à cette échéance électorale pour ensuite espérer obtenir des députés aux législatives, condition à l’obtention des financements publics. En d’autres termes, le PCF présente un candidat pour assurer sa propre survie.
Mais plutôt que de faire campagne contre Macron ou l’extrême droite, Roussel vise la gauche et Mélenchon. Il s’attaque quasi exclusivement à l’écologie (en reprenant à son compte des arguments réactionnaires) et à LFI. La stratégie paye, dans le sens où elle permet au PCF de s’attirer la sympathie presque comique des éditorialistes de droite ayant pignon sur rue dans les médias, mais elle joue contre le camp de la gauche et complique toute perspective d’union ou de transferts d’électorats.
On observe donc deux dynamiques parallèles. De plus en plus d’acteurs de la société civile se rallient à Mélenchon par logique de vote utile et pour priver l’extrême droite d’un second tour. Les soutiens de la Primaire populaire et de Ségolène Royale, qui ne sont pas prisonniers des logiques politiciennes, s’inscrivent dans cette dynamique.
En même temps, les autres candidats de gauche concentrent leurs attaques sur LFI, avec un angle tout trouvé : sa position anti-OTAN qui équivaudrait à un soutien de Vladimir Poutine. L’expression pure et simple des logiques de partis. Pour l’instant, ces attaques semblent affaiblir leurs auteurs plus qu’elles ne freinent la dynamique LFI, mais elles pourraient rendre Mélenchon trop “infréquentable” pour certains intellectuels, leader d’opinion et électeurs. Ce qui casserait sa dynamique et empêcherait la France Insoumise de bouter l’extrême droite hors du second tour de la présidentielle.
Une élection aux enjeux historiques
À quoi bon se mobiliser pour cette élection si elle est déjà pliée ?
D’abord, les enjeux sont colossaux : le réchauffement climatique doit absolument être contenu (chaque tonne de CO2 compte !) et la conjoncture économique se dégrade à toute vitesse sous l’effet du Covid puis de la guerre en Ukraine. La situation géopolitique prend un tournant inquiétant, tant sur le plan militaire (risque d’escalade du conflit) que du point de vue humanitaire. Et la crise sanitaire n’est pas encore derrière nous, les contaminations repartant à la hausse suite à la relaxe des mesures.
Face à cela, Emmanuel Macron, dans sa lettre au français, a été on ne peut plus clair. Il faudra travailler plus (sans gagner plus) et continuer de baisser les impôts des grandes entreprises et des premiers de cordée. Une politique pourtant enterrée et conspuée par Joe Biden aux États-Unis. Malgré le Covid, l’explosion des inégalités et l’évolution de la situation climatique, Emmanuel Macron ne remet pas en cause sa vision néolibérale de plus en plus anachronique : il “double down”. Ni la destruction de l’hôpital public (17500 lits supprimés en 5 ans dont plus de 5600 en pleine pandémie), ni de l’éducation publique (abandon de l’enseignement des mathématiques au lycée dans le socle commun…) ni la logique néolibérale de sa politique de “ruissellement” (cadeaux fiscaux aux plus riches), compétitivité (baisse des salaires et de la protection sociale) et restrictions des libertés publiques ne sont remis en cause. Au contraire, une fuite en avant est promise aux électeurs.
La survie du modèle social français risque d’être déterminée par le quinquennat qui approche, ce qui dépend non seulement du vainqueur de la présidentielle, mais également des conditions de sa victoire et de la nature de son opposition au Parlement.
En clair, avoir un candidat de gauche au second tour replacerait les enjeux sociaux et écologiques au cœur du débat tout en établissant un rapport de force sur les questions économiques et la préservation du modèle français. Cela ouvrirait la voie à une opposition forte au parlement.
Inversement, la présence d’un candidat d’extrême droite au second tour garantirait l’invisibilité de ces thèmes et risquerait de provoquer l’absence des forces politiques de gauche au Parlement pour les cinq années à venir. Ce scénario encouragerait Macron à gouverner toujours plus à droite et de manière toujours plus autoritaire.
Pourquoi la France est de gauche, mais vote à droite ?
C’est un paradoxe qu’il convient d’expliquer. Les enquêtes d’opinion montrent que :
- Les préoccupations principales des Français restent le pouvoir d’achat, la santé, l’accès aux services publics, l’écologie… devant la sécurité, l’immigration et la laïcité
- Les propositions de gauche type hausse du SMIC, renforcement des services publics, abaissement de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, investissements pour la transition écologique, renforcement du rôle de l’État… sont largement majoritaires dans les enquêtes d’opinion
- La réforme des retraites de Macron est très impopulaire, alors que les mouvements types gilets jaunes et grèves des enseignants (en janvier 2022) étaient largement soutenus par l’opinion publique.
Et pourtant, les quatre candidats de droite et d’extrême droite qui s’opposent à l’écrasante majorité des Français sur ces questions, sont crédités de 70-75% d’intentions de vote pour la présidentielle. Un bloc libéral et autoritaire qui n’a pas réellement bougé depuis 2017 en termes de poids électoral.
Comment expliquer ce paradoxe ? Principalement par les éléments suivants :
- Les candidats de droite/ extrême droite ne font pas campagne sur ces thèmes, qui sont relativement absents du débat public (comparé à l’immigration, la sécurité …)
- Les solutions portées par la gauche sont jugées peu crédibles du fait de l’hégémonie culturelle du néolibéralisme (on entend 24h/24h dans les médias qu’il faut travailler plus, réduire les dépenses publiques, baisser les impôts de production, faciliter les licenciements pour créer de l’emploi, baisser les salaires et la protection sociale pour augmenter la croissance … autant de non-sens depuis longtemps discrédités par les économistes) et les trahisons multiples du PS.
- La gauche est aussi structurellement affaiblie par ses multiples trahisons (en particulier suite au quinquennat Hollande)
- La droite, malgré 40 ans d’échecs, est jugée plus crédible sur les problématiques qu’elle met en avant (sécurité, immigration)
- Les médias œuvrent à cette “hégémonie culturelle” pour des raisons structurelles : 90% des grands médias sont détenus par des milliardaires, le service public est dirigé par des cadres indirectement nommés par le pouvoir politique et issus de la grande bourgeoisie, souvent plus réactionnaires que les médias privés.
- Les électeurs votent en fonction de leurs priorités et des thèmes mis en avant lors de la campagne. Si l’écrasante majorité des Français veut plus de lits d’hôpitaux et une retraite à 60 ans, une part importante de la population préfère une politique musclée et autoritaire en matière d’immigration/sécurité/laïcité/éducation à des politiques sociales favorables.
- Les retraités, cadres et les hauts revenus votent dans des proportions bien plus importantes que les jeunes, les ouvriers et employés. Et ont moins besoin de politiques sociales redistributives et de services publics performants.
Il n’y a pas de fatalité. La présidentielle est typiquement une période de débat qui permet de remettre en cause les tendances longues (ou de les confirmer). Rien n’est inscrit dans le marbre. Il ne tient qu’aux citoyens de s’emparer de cette campagne pour faire bouger les lignes.
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