Présidentielle 2022 : résumé des épisodes précédents

Présidentielle 2022 : résumé des épisodes précédents

À moins d’avoir suivi la politique française de très près ces cinq dernières années, la campagne présidentielle qui débute revêt probablement un caractère déconcertant pour l’électeur normalement constitué. Entre les multiples primaires, les avalanches de sondages, les appels à l’Union des différents camps, les programmes encore flous, les candidatures multiples, les candidats de gauche qui tiennent des discours d’extrême droite, ceux d’extrême droite qui sont repeints en « marxistes »… difficile de s’y retrouver. Et puisqu’on ne peut pas compter sur Léa Salamé ou BFMTV pour y voir plus clair, voici un « résumé des épisodes précédents » pour vous permettre d’aborder la campagne sereinement.

Les origines du mal

Pour comprendre l’état de la Politique française, il faut remonter à 1981. François Mitterrand, élu sur le fameux « programme commun », devait renouer avec les grandes conquêtes sociales arrachées par le Front populaire en 1936 (congés payés, hausses des salaires, création de services publics, droit syndical…) puis par la CGT et le PCF à la sortie de la Seconde Guerre mondiale (sécurité sociale, allocation familiale, nationalisation des banques…). Mais Mitterrand arrive au pouvoir au mauvais moment. Le vent tourne en Angleterre et aux États-Unis, où Thatcher et Reagan enclenchent la révolution néolibérale. Elle rompt avec les politiques keynésiennes qui gouvernent ces pays depuis 1945. En clair, difficile de mener une politique de rupture partielle avec le capitalisme en France quand les autres grandes nations décident de tout miser sur le capitalisme financiarisé. Mitterrand aurait pu choisir de rester fidèle à son programme, mais dès 1983, il décide d’entamer ce fameux « tournant de la rigueur » qui signe le renoncement au modèle social français hérité du Conseil National de la Résistance. Après lui, Lionel Jospin parlera de « parenthèse libérale » et François Hollande de « politique de l’offre » pour qualifier leurs propres renoncements.

En quoi cela nous concerne-t-il aujourd’hui ?

Entre 1983 et 2017, deux partis se partagent successivement le pouvoir : la droite (RPR puis UMP rebaptisé LR pour « Les républicains ») et le Parti socialiste (PS). Quel que soit le nom du président de la République, ces deux partis ont mené la même politique sociale et économique, avec des ajustements à la marge. Elle suit la logique du modèle « néolibéral » selon lequel, pour faire simple, la croissance vient des forces économiques qu’il convient de libérer des contraintes sociales. Concrètement, cela consiste à défaire petit à petit les acquis sociaux, privatiser les services publics et baisser les prestations sociales (santé, éducation, logement…) pour financer des baisses d’impôts sur les hauts revenus et le capital. Le but affiché est de maintenir l’attractivité et la compétitivité du pays, tout en ouvrant au maximum les frontières au commerce international (la fameuse mondialisation). Dans les faits, cette politique avantage surtout les grandes entreprises, les détenteurs de capitaux et les très hauts revenus au détriment des salariés, PME et classes moyennes.

Pourtant, la population française continue d’être hostile à ces politiques et reste profondément attachée à sa sécurité sociale et ses services publics. Cette opposition et les différents mouvements sociaux qui l’accompagnent, ont empêché les gouvernements successifs de parachever la révolution néolibérale, qui demeure incomplète.

Ceci étant, la droite et le PS ont réussi, pendant 40 ans, à maintenir l’illusion d’une alternance. D’abord à l’aide d’un vrai clivage sur les questions sociétales (sécurité, immigration, justice, droits des minorités, libertés publiques, éducation…). Ensuite, en faisant des traités européens néolibéraux et de la mondialisation des boucs émissaires pratiques pour justifier les politiques menées. Enfin, si le Parti socialiste a souvent été plus loin que la droite dans les réformes libérales, il avait pendant très longtemps pris soin de ne pas toucher au cœur de son système de valeur : le rapport au travail.

François Hollande et Emmanuel Macron ont fait voler cette illusion en éclat. D’abord, Hollande a poursuivi la rhétorique anti-immigration et sécuritaire de Sarkozy en nommant Manuel Valls au ministère de l’Intérieur puis au poste de Premier ministre. Exit le fameux clivage sociétal (si on excepte la loi édulcorée sur le Mariage pour tous) et bonjour à la loi piquée au programme de Marine Le Pen sur la déchéance de nationalité. Mais surtout, Hollande fut le premier président socialiste depuis Mitterrand à rompre ouvertement avec ses promesses de campagne en menant une politique économique approuvée par le MEDEF (le principal syndicat patronal) tout en s’attaquant de front au Code du travail pour rendre les licenciements plus faciles et affaiblir les protections salariales (santé et sécurité au travail, pouvoir de négociation des syndicats, etc.).

La trahison de Hollande fut si profonde, spectaculaire et politiquement stupide qu’il reste à ce jour le seul président sortant à ne pas avoir été en mesure de se représenter. C’est un cas rarissime, y compris à l’étranger.

Emmanuel Macron, qui était l’architecte de sa politique en tant que conseiller puis ministre de l’Économie, a profité de ce vide pour se présenter hors partis. Il a été élu par défaut et dans un contexte très particulier. La défaite d’Alain Juppé à la primaire de la droite lui a ouvert un boulevard, que les affaires Fillion (rends l’argent !) ont élargi. À gauche, la défaite de Manuel Valls à la primaire socialiste lui a également offert un immense espace, Benoit Hamon étant jugé trop à gauche par le Parti socialiste qui sabordera sa campagne. Le ralliement du centriste Bayrou a achevé de lui assurer un nombre de voix nécessaire pour atteindre le second tour face à Marine Le Pen.

Pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale et former son gouvernement, Emmanuel Macron a bénéficié du ralliement d’anciens élus de droite (LR) et de gauche (PS) ainsi que du soutien d’une part importante des électeurs historiques de ces deux camps.

Il a ainsi opéré une grande clarification en démontrant que le vieux clivage gauche (PS) et droite (UMP/LR) n’était qu’une illusion. Ce qui a eu pour conséquence de rebattre les cartes pour 2022.

Droitisation d’Emmanuel Macron, dédiabolisation de Marine Le Pen.

Macron a été élu sur un programme très à droite (néolibéral) sur les questions économiques et sociales, mais plutôt à gauche (progressiste) sur le sociétal. On le voit dans la composition initiale de son gouvernement : pour les questions économiques, ses ministres viennent surtout de LR (le Premier ministre Édouard Philippe, le ministre des Finances Bruno Le Maire, du budget Gérald Darmanin) ou des cadres supérieurs de grandes entreprises (Muriel Pénicaud au Travail, Agnès Buzyn à la Santé) alors que ses soutiens issus du PS obtiennent des postes surtout sociétaux (la Justice, l’Environnement, l’Intérieur…).

Mais rapidement, l’intérêt de donner des gages à son électorat issu du PS disparait. Car à gauche, l’élection de Macron a laissé un champ de ruine. Le PS s’est effondré (6.5%  et 31 députés avec Hamon contre 28,6% et 295 députés avec Hollande), EELV (Europe Écologie Les Verts) n’a pas présenté de candidat ni obtenu de députés, le PCF est au plus mal… seule la France Insoumise de Mélenchon fait un très gros score à la présidentielle (19,6 % avec le soutien du PCF), mais ne parvient pas à le concrétiser aux législatives (17 députés, 32 si on compte le PCF). La gauche se trouve divisée, affaiblie et sans leader clairement identifiable (nous y reviendrons).

En clair, Emmanuel Macron n’a pas grand-chose à craindre de sa gauche. L’électorat bobo/urbain/diplômé qui votait PS et les principaux médias « mainstream » lui sont largement favorables.

Mais à droite, l’hypothèse d’une candidature forte menace ses chances de réélection. Emmanuel Macron va donc droitiser sa politique afin de priver LR de tout espace . Il nomme le protégé de Sarkozy Gérald Darmanin à l’Intérieur, réprime les Gilets jaunes dans le sang, multiplie les lois sécuritaires inspirées du programme de Marine Le Pen (qui approuve des deux mains), la traite indirectement de « trop molle », rend un hommage à Pétain… bref, gouverne à droite toute, y compris sur le sociétal. Ce virage s’inscrit dans une droitisation bien documentée du débat public et de la presse française.

En même temps, l’Élysée vise à faire monter Marine Le Pen tout en la dédiabolisant. Le RN dispose d’un temps d’antenne invraisemblable, la cheffe du service politique du service public Nathalie Saint-Cricq se félicite que Le Pen soit « totalement dédiabolisé » en guise d’analyse après une émission politique conciliante organisée par France 2. Et Marine Le Pen elle-même poursuit cette stratégie de dédiabolisation : elle renonce à ses positions économiques les plus favorables aux classes populaires et promet de ne plus envisager la sortie de l’euro. Elle continue également de faire le ménage dans ses rangs, excluant du parti son propre père et les individus trop proches des mouvances néo-nazies. Elle acquiert ainsi une forme de « respectabilité » encouragée par la banalisation des discours d’extrême droite par les ministres d’Emmanuel Macron, qui reprennent à leur compte les termes « ensauvagement » « islamo-gauchisme » « wokisme » et votent des lois inspirées du programme du RN (sur le séparatisme islamique, la sécurité…). Macron lui-même apparait de plus en plus comme un homme de droite, bien loin de son image de progressiste construite à peu de frais face à Trump. On citera ses interviews à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs Actuelles, le fait qu’il prenne conseil auprès d’Éric Zemmour au sujet de l’immigration, ses propos contre #Metoo et les mouvements féministes comparés à l’inquisition, son rapprochement avec Philippe de Villiers, sa réhabilitation partielle de Pétain, sa proximité avec des journalistes de Cnews, etc.

La stratégie politique de droitisation d’Emmanuel Macron et de banalisation de l’extrême droite doit empêcher l’émergence d’une candidature forte chez LR, tout en s’assurant que Marine Le Pen se qualifie au second tour.

Cerise sur le gâteau, cette droitisation du champ politique rend la gauche de plus en plus inaudible. L’épisode des Gilets jaunes, la mobilisation victorieuse contre la réforme des retraites et l’arrivée du Covid perturbent un peu cette stratégie, mais globalement, c’est une réussite incontestable. Jusqu’à l’arrivée de Zemmour, tous les sondages donnaient Macron et Marine Le Pen largement devant au premier tour, et Macron encore confortablement élu au second (55-45).

Zemmour rebat les cartes

Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur la candidature d’Éric Zemmour. Politiquement, elle apparait presque inévitable. Marine Le Pen ayant été officiellement « dédiabolisé » par France Télévision et concurrencé sur ses thèmes par Emmanuel Macron, elle laisse un gigantesque espace politique. Puisqu’elle a renoncé à expulser les Français d’origine arabe hors de France et refuse de dire que la religion musulmane est incompatible avec la République, quelqu’un d’autre le fera. Ce sera Éric Zemmour, dont la candidature a été propulsée par les médias, en particulier ceux détenus par le milliardaire Vincent Bolloré.

En revendiquant une stratégie inspirée de Donald Trump, le polémiste d’extrême droite assume une multiplication de provocations destinées à faire parler de lui et « saturer l’espace médiatique de merde » (pour reprendre l’expression de Steve Banon, ancien directeur de campagne de Trump en 2017). D’où l’idée d’interdire certains prénoms, de pointer un fusil d’assaut sur les journalistes, de les désigner comme « des ennemis qui me détestent, comme ils vous détestent » dans son premier grand meeting, de mettre en scène le dévoilement en direct d’une musulmane (a priori employée de Bolloré), d’orchestrer une provocation devant le Bataclan lors de l’hommage aux victimes des attentats…

Pour Macron, qui n’a eu de cesse d’exprimer sa sympathie pour le polémiste et de prendre conseil  auprès de lui pour sa politique migratoire, Zemmour présente l’avantage d’être un plus grand repoussoir que le RN.

En clair, si un nombre croissant d’électeurs de gauche affirmait qu’ils ne feraient plus barrage à Le Pen en votant Macron, ils le feront assurément face à Zemmour.

Mais l’inconvénient d’une candidature Z, du point de vue de Macron, est qu’elle divise la droite et rend la présence au second tour plus facilement atteignable par un candidat LR ou même une personnalité issue de la gauche…

À gauche, la désunion fait la farce

En théorie, la gauche aurait dû se structurer derrière La France Insoumise de Mélenchon suite à la présidentielle de 2017.

Mais cette restructuration n’a pas eu lieu pour plusieurs raisons.

D’abord, la gauche PS-EELV n’était pas prête à abandonner le modèle néolibéral et, surtout, à en tirer certaines conclusions logiques (remise en cause des traités européens, de la mondialisation : des positions désormais évidentes après le Covid, comme on peut le voir en Allemagne, Grande-Bretagne et aux USA).

Ensuite, les cadres du PS ne pouvaient pas aussi rapidement et facilement abandonner une hégémonie qui dure depuis 50 ans. Leurs résultats corrects aux élections locales (municipales, régionales) les ont encouragés à s’accrocher. De même, le bon résultat d’EELV aux Européennes (et les scores abyssaux du PS, du PCF et de LFI) a conforté les verts dans leur quête d’affirmation.

Enfin, Mélenchon a commis de nombreuses erreurs qui l’ont empêché de rassembler autour de lui. Il y a eu le discours désastreux le soir du premier tour, le refus d’appeler à voter Macron contre Le Pen (cohérent, mais électoralement dommageable), les appels à la mobilisation risqués (et parfois sans les syndicats) contre la loi travail et la privatisation de la SNCF. Plus le refus de démocratiser son propre mouvement. Tout cela pouvait encore se surmonter, les sondages étaient favorables à l’abord des Européennes. Cette élection devait lui permettre d’installer LFI comme leader à gauche en vue de la présidentielle, avant que la désastreuse séquence des perquisitions ne provoque un premier effondrement.

Bien sûr, la Macronie et les médias se sont mobilisés contre LFI dès l’élection d’Emmanuel Macron. Il fallait tuer dans l’œuf cette force politique qui menaçait de taxer les plus riches, d’augmenter les salaires, de réduire le libre échange et de nationaliser certains secteurs de l’économie (la santé, essentiellement). On a tendance à oublier qu’avant les élections européennes, les Gilets jaunes et le Covid, Mélenchon restait l’homme à abattre. Celui dont la percée dans les sondages avait fait vaciller les marchés financiers. Même à gauche, des médias comme Médiapart et Radio France se sont employés à détruire son image pendant qu’Emmanuel Macron réformait le pays au pas de course.

Mais de la même manière qu’on ne se débarrasse pas du Parti socialiste en deux élections, on ne se débarrasse pas de Mélenchon et du courant qu’il représente (la gauche de rupture) en un quinquennat.

Tout cela a débouché sur un paysage politique éclaté ou chaque parti s’est senti légitime pour présenter un candidat. Passons-les rapidement en revue.

À la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré très tôt et sans passer par le moindre processus de délibération publique.  En conditionnant sa candidature à l’obtention de 150 000 signatures par internet, il cherchait à obtenir une certaine légitimité. Plus de 250 000 personnes ont signé à ce jour (moins que les 650 00 obtenus à l’issue du premier tour de 2017, mais plus que la participation aux primaires d’EELV).

Chez le PCF, deux lignes se sont affrontées. L’une voulait faire candidature commune derrière Mélenchon, comme en 2012 et 2017. L’autre, inquiète des pertes d’élus subies par le PCF depuis 2012, voulait présenter un candidat pour exister médiatiquement et négocier des circonscriptions en vue des législatives de 2022, comme le concède un cadre du parti. Les adhérents à jour de leurs cotisations ont tranché à 60% en faveur d’une candidature, ce sera Fabien Roussel.

Ce dernier a fait une entrée en campagne remarquée en reprenant à son compte des propositions issues de l’extrême droite en matière de sécurité. Une stratégie qui lui a ouvert tous les plateaux télévisés et offert un temps de parole inédit, qu’il a principalement utilisée pour dire tout le mal qu’il pensait de Jean-Luc Mélenchon et dérouler ses thèmes sécuritaires. Au point de défiler aux côtés d’Éric Zemmour avec la Police contre la Justice, dans ce qui restera comme un évènement politique majeur.

Au NPA, une scission a eu lieu entre l’aile traditionnelle qui souhaitait une candidature de Philippe Poutou, et l’aille minoritaire qui soutenait avec la formation « Révolution Permanente » la candidature d’Anasse Kazib, délégué syndical à la SNCF, ouvrier issu de l’immigration et un temps contributeur à l’émission « les grandes gueules » de BFMTV. Poutou assume une candidature de témoignage, fort utile à la gauche pour normaliser les autres formations. Kazib, lui, aura du mal à obtenir les 500 signatures, mais espère faire porter la voix des ouvriers et des racisés dans cette campagne.

Anne Hidalgo a imposé sa candidature au Parti socialiste, refusant l’organisation d’une primaire. Selon ses conseillers, sa candidature doit permettre de préparer 2027 en perdant honorablement 2022. Tout un programme. 

EELV reste divisé sur sa ligne politique. Écologie macron-compatible avec Yannick Jadot, ou de rupture et socialiste avec une autre personnalité, plus en phase avec la base militante ? Les primaires ouvertes ont vu la participation de 120 000 français, et permis à Yannick Jadot de s’imposer d’un cheveu face à Sandrine Rousseau après être passé près de l’élimination au premier tour. Difficile de savoir où classer Jadot ni comment juger du sérieux d’EELV. Selon nos informations, les cadres ne souhaitent pas gagner la présidentielle, mais espère obtenir de nombreux sièges de députés. Jadot, lui, y croit et joue la gagne. Il espère récupérer une partie des électeurs de Macron déçus par son virage à droite, et le ralliement du PS le temps venu, après la négociation des circonscriptions électorales. 

On se retrouve ainsi avec une gauche dispersée et confuse. Lorsqu’on défile aux côtés de Zemmour et des syndicats de Police contre la Justice, comme l’ont fait Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Yannick Jadot, peut-on encore se réclamer de gauche ? Lorsqu’on défend Bernard Arnaud face à l’ONG Attac comme l’a fait Anne Hidalgo, peut-on encore se prétendre de gauche ? C’est une question qui méritera réflexion, quoi que l’on pense des alternatives. Tiens, en parlant de ça…

Arnaud Montebourg, la remontada qui ne décolle pas

Arnaud Montebourg jouit d’une image d’Homme d’État et d’un positionnement à gauche du PS. Il avait protesté face aux politiques d’Hollande avant de démissionner du gouvernement.  Retiré de la politique depuis 2017 et sa troisième place à la primaire socialiste, il se consacrait à ses entreprises spécialisées dans le « made in France » et ses abeilles, avant de revenir dans l’espace médiatique avec un livre coup de poing sur ses années Hollande.  Rien ne justifie sa candidature, à part la vanité personnelle. Mais tant qu’à se lancer, le minimum aurait été d’être utile à sa famille politique. Par exemple en élargissant la base électorale de la gauche. Or, Montebourg est sur le point de parfaire l’exemple de la candidature ratée, par manque de discernement politique.

C’est presque comique. Il semble s’être convaincu de l’existence d’un bloc politique constitué de personnes étant réactionnaires sur les questions sociétales (immigration, sécurité…) et souverainistes/socialistes sur les questions économiques (pour le protectionnisme solidaire, contre les traités européens, pour une politique économique redistributive). Cette lecture de l’espace politique et de l’électorat repose sur le préjugé bourgeois selon lequel les classes populaires seraient plus intolérantes et xénophobes que les classes moyennes et supérieures. Et que pour renouer avec elles, il faudrait tenir un discours proche de Marine Le Pen en matière d’immigration, de laïcité et de sécurité. Il a ainsi lancé sa campagne en se plaçant à la droite de Mélenchon sur les questions économiques (pour séduire les cadres) et à la droite du PS sur les questions sociétales (pour les ouvriers), accumulant les sorties désastreuses. On citera sa défense de l’extrême droite polonaise, ses propos conciliants envers la théorie raciste du grand remplacement portée par Éric Zemmour, son erreur sur Zinedine Zidane (qui n’est pas un immigré, mais bien un Français de naissance) énoncée pour défendre une proposition qu’il avait reprise à Marine Le Pen : bloquer les transferts d’argent privé d’immigrés – via Western Union – vers les pays « qui refusent de reprendre » leurs ressortissants, « immigrés clandestins et illégaux sur notre territoire » et « qui sont souvent des délinquants ».

Ses propres militants se sont désolidarisés de ses propos. Ils découlent du choix de s’entourer d’anciens conseillers de Nicolas Sarkozy et de communicant douteux, qui l’ont encouragé à adopter un slogan curieux (la remontada) et des positions destinées à occuper l’espace médiatique. Elles ont provoqué un bad buzz et une déconvenue dans les sondages. Lui qui espérait s’imposer devant Hidalgo (il était un temps donné à 4 et elle a 5) se retrouve à 1%, derrière Philippe Poutou. Comme quoi, faire du Zemmour à gauche ne réussit ni au communiste Fabien Roussel (qui plafonne à 2% dans les sondages) ni au candidat de la Remontada.

Montebourg et Anne Hidalgo, conscient de l’échec de leurs candidatures, ont tenté de sauver la face en proposant une primaire de la gauche à la mi-décembre. Proposition rejetée par Jadot, qualifiant cela de « pas sérieux à quatre mois de l’élection », puis par le PCF et LFI. Mais avec l’entrée probable de Christine Taubira et l’activisme des militants de la Primaire Populaire, nous ne sommes peut être pas au bout de l’absurde.

À droite : Valérie Pécresse pour sauver LR

La droite se trouvait dans une position délicate depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Idéalement, elle aurait pu adopter une position « gaullienne » et conservatrice, en défendant la France des territoires, les petits commerçants et retraités, et une certaine vision « républicaine » inspirée du courant chrétien-démocrate. Au lieu de cela, elle joue dans la surenchère pour survivre à Macron : plus néolibérale et plus réactionnaire, au point de remettre en cause certains aspects du droit européen et de la Constitution au nom de la sécurité et de l’identité nationale. Cela a donné une primaire lunaire, où cinq candidats se sont battus pour apparaitre comme le plus « Zemmour compatible » au cours de 4 longs débats télévisés. Michel Barnier, le haut fonctionnaire chiraquien qui s’est fait remarquer pour avoir piloté les négociations sur le Brexit au nom de l’Union européenne, a dû s’abaisser à dire tout le bien qu’il pensait de la pensée Zemmourienne. Éric Ciotti a promis un « Guantanamo à la française » et repris à son compte la thèse raciste du grand remplacement. Xavier Bertrand voulait permettre aux policiers de jeter en prison les suspects sans passer par un tribunal (au diable la Justice) et Valérie Pécresse souhaite mettre en place des tests osseux systématiques sur les jeunes migrants afin de vérifier leur âge et ainsi faciliter leur expulsion.

Le but, bien sûr, était de séduire les 150 000 adhérents autorisés à voter pour la primaire. Les quatre principaux candidats ont fini dans un mouchoir de poche au premier tour. Xavier Bertrand et Michel Barnier ont appelé à voter Valérie Pécresse contre le plus pro-Zemmour d’entre eux, Éric Ciotti, qui a été battu au second tour (61-39).

Valérie Pécresse, qui a mené une campagne intelligente et recruté en masse des adhérents (y compris étrangers !) avant la date butoir, s’affirme donc comme la « dame de fer » susceptible de faire trembler Macron.

Elle a toutes ses chances. La candidature de Zemmour affaiblit Le Pen et la place (pour l’instant) aux portes du second tour. Il ne reste plus qu’à ramener un maximum d’électeurs dans la grande maison LR pour faire de Macron le troisième président de suite éjecté de l’Élysée au bout d’un seul mandat.

Rien n’est joué, tout est possible.

Le temps où le duel Macron / Le Pen semblait inévitable est donc bien révolu. Avec la fin des différentes primaires, le paysage commence également à se clarifier. Si Macron n’est pas encore officiellement candidat, toute son action politique est tournée vers sa réélection.

Il dispose d’un socle électoral solide, autour de 25 %, qui lui garantit pour l’instant d’atteindre le second tour. S’il affronte un candidat d’extrême droite, Zemmour ou Le Pen, il devrait logiquement l’emporter. Mais comme Fillon en 2017, il n’est pas à l’abri d’un accident – que ce soit par un scandale, ou par les conséquences de son action à la tête de l’État dans les prochains mois (Covid ou autre crise politique).

Pour le reste, l’élection reste très ouverte. Au moins trois candidats semblent capables d’atteindre le second tour (Le Pen, Pécresse et Zemmour), mais pourraient se faire doubler par un candidat de la gauche bénéficiant d’une mécanique de « vote utile » (Mélenchon ou Jadot semblent les mieux positionnés pour l’instant).

Et qui sait. Une candidature tardive (Taubira, ira, ira pas ?) pourrait venir rebattre à nouveau les cartes. La gauche bourgeoise et libérale semble prise de panique face aux sondages désastreux, mais refuse de se rallier à Mélenchon. Elle préfèrera peut-être se ranger derrière Christine Taubira, ancienne ministre très droitière de François Hollande qui, à quatre mois de l’élection, n’a ni programme ni projet ni équipe pour faire campagne…

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4 réactions au sujet de « Présidentielle 2022 : résumé des épisodes précédents »

  1. Dire que les Français sont de grands défenseurs du service public, c’est aller un peu vite en besogne… Oui ils ont râlé au moment de la privatisation de la poste, maintenant ils se fichent bien de voir des compagnies ferroviaires italiennes ou allemandes rouler en France !
    Ils adoraient taper sur leurs fonctionnaires (je suis fonctionnaire…) mais à part ça…
    Quant à Mélanchon, pas besoin de l’enfoncer : il reste son pire ennemi. Ses coups de sang et ses outrances verbales régulières ouvrent des boulevards à ses opposants. Ses tentatives pour draguer les antivax sont ridicules, alors qu’il aurait eu beau jeu de juste pointer la gestion erratique du gouvernement, les décisions de dernière minute mal ficelées et les mesures changeant tous les trois jours. Et je ne parle pas de son incompétence crasse en géopolitique. Ni de sa sympathie, partagé avec Marine Le Pen, pour le beau Vladimir, ce grand démocrate…

  2. wouhaou !!!
    Cette revue des marionnettes est époustouflante de clarté, de cruauté et de lucidité
    Corrélativement elle pousse à la déprime grave car entre les proto fascistes, les neo-conservateurs embourgeoisés et les greenwasher il n’y a guère de place pour une République plus humaine, plus solidaire et plus libre.
    Tous d’ailleurs, sauf Mélenchon je crois, appellent à une réduction, des libertés publiques (c’est classique) mais maintenant aussi civiles (tests osseux sur les gamins, répression des prénoms et rejets des non gaulois…)
    la description de la trahison sanglante et mutilante du PS pour garder et accroitre ses plats de lentilles et ses places dans les conseils d’administration est d’une cruauté factuelle sans pareil. L Blum doit encore en hoqueter dans sa tombe.
    Enfin la dérive de Roussel à la remorque des syndicats de policiers plus ou moins nostalgique de la milice montre que lui il n’a pas les deux pieds dans la résistance ( c’est encore plus dur pour les communistes et « le parti des fusillés » que pour les autres militants politiques.

    Bref vous devriez fournir le prosac en conclusion mais merci pour la mise en perspective

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