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Les 5 articles les plus consultés de 2018

Les 5 articles les plus consultés de 2018

L’année 2018 fut riche en évènements politiques majeurs, comme le montre cette sélection de nos cinq articles les plus consultés. Leur relecture nous parait toujours d’actualité pour éclairer et appréhender l’année qui s’ouvre. Gilets Jaunes, réforme SNCF, écologie, dérive du pouvoir macroniste, élections de mi-mandats américaines… voici un bref retour sur les thèmes plébiscités par nos lecteurs en 2018 à travers cinq articles phares.

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Debrief: premier tour de la primaire de la droite et du centre

Debrief: premier tour de la primaire de la droite et du centre

Ouf ! Les élections continuent de nous amener des surprises. Petite analyse de l’entre deux tours de ce qui pourrait bien constituer le scrutin le plus important des cinq prochaines années.

 

1)  Les enseignements  du premier tour
 
La défaite de Nicolas Sarkozy
 
 
Avant de parler de la large victoire de François Fillon, revenons un instant sur la défaite de Nicolas Sarkozy.
 
Depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en 2002, Mr Sarkozy n’a eu de cesse de diviser la population française à coup de politiques réactionnaires, de phrases clivantes et populistes et de mesures xénophobes. Signant la fin de la police de proximité dans les banlieues afin de les « nettoyer au karcher » pour en supprimer « la racaille ». Mettant en place une politique de déportation souvent inhumaine tout en fustigeant de manière populiste les Roms, les musulmans et les immigrés.  Au fil des années, ses appels du pied aux électeurs du front national ont fini par brouiller les pistes et banaliser les thèmes de ce dernier, au point de permettre à Marine Le Pen de juger sa proposition d’incarcérer préventivement dans des camps de dé-radicalisation les individus listés sur fichier S comme « anti-républicaine ».
 
Lors des débat,  ses propos visant à attiser les peurs (des centaines de millions d’Africains, six enfants par femme, prêts à profiter du regroupement familial pour venir en France égorger des curés (1)) ne lui auront pas permis de se qualifier pour le second tour.
 
Un président battu à sa propre réélection, revenant en politique avec comme seule proposition un surplus de populisme et de xénophobie, n’aura finalement pas réussit son pari. Sans même mentionner les affaires dans lesquels il est mis en cause, nous pouvons nous féliciter de le voir forcé de tirer sa révérence.
 
Pourquoi a-t-il perdu ? Il semblerait que sa stratégie anti-centriste, visant à déstabiliser Juppé, ait profité à François Fillon. Mon optimiste me pousse également à penser que les électeurs se sont attachés à démontrer qu’il ne faut pas trop prendre les Français pour des cons (2).
 
L’absence notoire de sondages d’opinion en sortie des urnes (pourtant si riches en enseignements dans le cas des Etats-Unis et de l’Angleterre) ne permet pas de savoir quel a été le rôle des électeurs du Front National et de la gauche, qui représenteraient entre 10 et 25% de la participation (3). Ont-ils votés par calcul pour Sarkozy, par conviction pour Juppé ? Une chose est sûre, ils n’ont pas voté pour Copé, dont les 0.3% sont une seconde bonne nouvelle pour toute personne se disant « républicaine ».
 
 
La participation
 
Plus de quatre millions de Français sont allés voter, soit dix pour cent du corps électoral.
 
Cette forte participation est-elle le signe d’un engouement pour les valeurs de la droite et du centre ?   A en croire le fameux sondage (3), non. Néanmoins, la première place de François Fillon, arrivé largement en tête, remet sur le devant de la scène une partie de l’électorat que l’on aurait tendance à sous-estimer facilement. Non pas l’électorat populaire type Trump/Brexit, mais, semblerait-il, l’électorat catholique,  de droite dure, attaché aux valeurs traditionnelles et de ce fait à la posture conservatrice de Mr Fillon. Ce sont bien eux, devant les potentiels électeurs de gauche, qui ont bouté Sarkozy hors de cette primaire en reportant leurs voix sur Fillon.
 
 
Les sondages
 
Une fois de plus, les sondages avaient complètement faux. Mais avec autant d’inconnues (la participation, en quantité comme en qualité) et un dernier débat à deux jours du scrutin, saisir une tendance ne semblait pas chose facile.
 
On retiendra que les calculs politiques semblent remis en question, puisqu’ils s’appuient tous sur les fameux sondages d’opinions. Fillon avait clos le troisième débat par une phrase efficace qui résonnera chez beaucoup de personnes, quelle que soit leur opinion politique :
 
 « Nous les Français, nous sommes un peuple fier. Et nous n’aimons pas qu’on nous dicte nos choix. Dimanche prochain, je dis aux français qui nous regardent, n’ayez pas peur, n’ayez pas peur de contredire les sondages et les médias qui avaient déjà tout arrangé à votre place. Ne faites pas de calcul. Ne choisissez pas de voter pour un candidat pour en éliminer un autre, choisissez de voter pour vos convictions, c’est le seul choix qui est digne de vous, et c’est le seul choix qui est digne de la France. »
 
Les experts ne l’avait pas vu venir, il suffisait pourtant de regarder les débats.
 
 
Juppé vs Fillon
 
Le maire de Bordeaux sort incontestablement affaibli de ce premier tour. Le positionnement  « centriste et rassembleur » n’a pas payé. En ces temps de « révolte populaire » le candidat poussé par les sondages et les grands médias accuse désormais plus de six cent mille voix de retard. Un handicap qui peut paraitre insurmontable quand on sait que Sarkozy a explicitement apporté son soutien à François Fillon, choix politiquement logique. Depuis l’annonce des résultats, les autres soutiens se précipitent aux pieds du nouveau faiseur de roi, pour la simple raison que personne ne veut parier sur le cheval perdant. Cet élan politique devrait permettre à François Fillon de remporter facilement le second tour. Devrait, car il serait bien présomptueux de conclure trop vite à la défaite d’Alain Juppé.
Pourquoi est-il en si mauvaise posture ? A mon sens, en plus d’être apparu comme le candidat du système médiatique, c’est du côté de sa performance aux débats qu’il faut regarder. A ne vouloir froisser personne, on finit par ne pas séduire grand monde non plus.
 
A l’inverse, Fillon a adopté une posture complètement assumée, sans s’excuser de ses opinions parfois extrêmes. L’authenticité paye. Lorsque Hillary Clinton avait accusé Trump de ne pas payer d’impôt, il avait répondu « ça fait de moi quelqu’un d’intelligent ».  Reste à savoir si ces électeurs fraichement acquis ne feront pas demi-tour lors du second tour !
 

2) Le second tour : analyse rapide

 
Le duel Fillon-Juppé
 
Alain Juppé l’a annoncé d’entrée, ça sera un duel programme contre programme. Les médias l’ont pris au pied de la lettre et nous vendent un match entre l’ultra libéral et conservateur Fillon contre le social-libéral et modéré Juppé.
 
Les différents sites internet comparent les programmes (4). Pour les résumer, rien de tel qu’un petit  graphique dit de « référentiel Pol Fiction ».
 
1) Fillon et Jupé sur le référentiel Pol Fiction, tel qu’on nous le présente dans les principaux médias :
 
 
 
 
 
2) La réalité :
 
 
 
Comme vous pouvez le constater, j’ai du « zoomer » sur le graphe pour différencier de façon intelligible les deux candidats. En réalité, leurs programmes sont si proches qu’il est presque comique de lire les fameux articles traitant des « différence de programme ».
 
Mis à part les variables d’ajustement technocratique (combien de fonctionnaires en moins, de places de prison en plus, de baisse d’impôts, de points de hausse de la TVA…) il n’y a en réalité que deux différences fondamentales.
 
La première concerne un petit groupe de personne, la seconde l’Europe tout entière.
 
Ainsi, Fillon veut « restreindre » l’adoption des couples homosexuels, tandis que Juppé y est « favorable » (5). Si on ajoute sa position clairement contre le Burkini, cela fait de Fillon le champion de la droite catholique et lui permet de gagner le soutient non négligeable des héritiers de la manif pour tous. Plus sérieusement, on peut parler de différence de valeur, Fillon étant un catholique affirmé tandis que Juppé se veut plus « progressiste ».
 
Le second concerne la politique étrangère de la France, en particulier vis-à-vis de la Russie. C’est un point essentiel sur lequel nous allons revenir par la suite.
 
Compte tenu de ces faibles différences objectives, le duel va se faire à priori plus sur les personnes que sur les programmes, n’en déplaise à Juppé. Bien sûr, Fillon adopte une posture médiatique plus « libérale » dans le but de se différencier (cf. premier tour) et de rassembler le noyau dur de la droite. Mais ses mesures emblématiques (comme la suppression surréelle des 600.000 fonctionnaires tout en augmentant de 50.000 le nombre des policiers, ou la suppression de la durée légale du travail) ne sont là que pour assurer un positionnement politique.
 
A la lumière des précédents débats, il parait douteux qu’Alain Juppé parvienne à inverser la tendance. Les électeurs de droite vont choisir un candidat pour gagner, et compte tenu du succès de Fillon au premier tour, le choix semble s’imposer de lui-même.
 
 
La politique étrangère.
 
Fillon a un avantage considérable : dans un domaine extrêmement complexe, son message est extrêmement simple : on se rapproche de la Russie.
 
Après avoir réussi à faire élire Trump, Poutine doit jubiler dans son bureau du Kremlin.
 
Honnêtement, je pense que les questions de politique étrangère sont les plus complexes à trancher. Je vais donc faire de mon mieux pour résumer la question, dans la limite de mes compétences.
 
La Russie mène une politique d’expansion dans une logique de guerre froide (6). Après avoir envahi la Crimée et poussé l’Ukraine à la guerre civile, déclenchant à l’initiative des Etats-Unis et de l’Allemagne des sanctions économiques (la France ayant dû annuler la livraison de deux frégates à la Russie et lui rembourser 1.2 milliards d’euro (7)), l’ex URSS a poursuivi un réarmement qui a conduit les Etats-Unis à augmenter les forces en présence aux frontières dans une escalade dénoncée par le monde diplomatique (6) comme dangereuse, et plutôt à l’initiative des occidentaux.
 
La Russie a ensuite pris pied avec une redoutable efficacité au proche orient en assurant le maintien de Bachar Al Asad au pouvoir au prix d’un véritable tapis de bombes, la chose la plus éloignée possible des frappes chirurgicales d’Obama. Sans surprise, ces bombardements massifs ont été efficaces, écrasant tout ce qui se dressait contre Bachar (les rebelles armés par les Américains et la France bien plus que les Djihadiste de l’EI) avec comme conséquence des millions de migrants déplacés (1 million en Allemagne, deux ou trois en Turquie).
 
Les Européens sont coincés car l’action russe porte ses fruits (avec des dégâts collatéraux difficilement acceptables) et le jeu des alliances internationales ne leur laisse quasiment aucune marge de manœuvre.
 
S’allier avec la Russie pose problème dans de nombreux cas. Non seulement on cautionne un drame humanitaire, mais en plus on s’expose à de profonds dilemmes si Poutine se fâche avec la Turquie (qui menace de pousser deux millions de migrants vers l’Europe) et si Poutine se décide à répéter l’expérience Ukrainienne dans un autre pays de l’Europe de l’Est (l’Estonie, membre de la zone Euro,  vient d’élire un président pro-russe). En clair, on se met à sa merci.
 
Poutine a intérêt, semble-t-il, à continuer sa logique de guerre froide pour des raisons de politique intérieure. L’économie Russe fait la taille de l’économie espagnole et est mise à mal par l’effondrement du prix du pétrole et les sanctions économiques. Pourtant, les Russes admirent Poutine. La raison est simple : la mentalité russe est très différente de la mentalité européenne et les questions de prestige international et de nostalgie de grande puissance sont plus importantes à leurs yeux que les aspects économiques (8). De plus, Poutine contrôle l’ensemble des médias russes et s’en sert pour rendre l’occident coupable de tous les maux (pas entièrement à tort puisque les USA et l’Allemagne ont imposé des sanctions et que les USA ont causé l’effondrement du cours du pétrole). Les chaines russes manipulent les faits avec une force qui ferait passer FoxNews pour Mediapart en comparaison.
 
Dernier élément, Poutine s’érige en nouveau gardien de la foi Chrétienne. La nouvelle cathédrale construite à Paris a été financée par son gouvernement et le dictateur devait se rendre à Paris le mois dernier pour l’inaugurer. François Hollande lui a refusé ce privilège, jugeant assez inopportun de s’afficher avec Monsieur Poutine pendant que ce dernier violait le cessez le feu d’Alep.
 
Dans ce contexte, la russophilie de Fillon inquiète les experts. Mais les va-t’en guerre américains inquiétaient tout autant les même experts (9), d’où une certaine difficulté à se faire une idée de la meilleure position à adopter (si tant est que la France ait réellement le choix). Une chose est sûre, avec Donald Trump à la maison blanche et Poutine qui réarme la Russie à toute vitesse et vient de rouvrir le KGB, l’avenir est incertain.
 
 
Pour qui voter ?
 
Les électeurs de droite doivent choisir leur champion, et s’ils peuvent s’accommoder des connivences russes de ce dernier, Fillon semble l’homme de la situation. Je dis cela en me basant entièrement sur les prestations télévisuelles et le fait que pas loin de 2 millions de français aient voté pour lui au premier tour de la primaire.
 
Le débat de ce jeudi devrait permettre de trancher, pour les indécis du moins.
 
Comme Fillon l’a très bien dit lui-même, voter par calcul semble particulièrement contreproductif. Combien d’électeurs du FN seraient séduits par le vote Fillon ? Que fera Bayrou ? Quel candidat sera le plus à même de passer au premier tour, et de battre Marine Le Pen au second (si tant est que les sondages aient raison sur ce point…) ? Fillon mobilisera probablement d’avantage la gauche contre lui et le vote blanc au second tour s’il affronte Le Pen. Mais il permettra peut-être à Hollande de se présenter, à Macron de décoller….  Juppé à plus de chance de l’emporter au second tour, quel que soit son adversaire, s’il y parvient…Bref, les calculs sont voués à l’échec.
 
Si vous êtes de gauche, la première question qui se pose est pourquoi diable aller voter ? Je vous ramène au graphique de la première partie…
 
Seulement, un vote à la primaire comptant dix fois plus qu’un vote à la présidentiel (du fait de la participation), donner son avis peut être tentant. Voter par calcul n’étant pas acceptable, il ne vous resterait plus qu’à voter Juppé, si vous êtes particulièrement inquiet par le virage pro-russe que promet Fillon, ou son conservatisme qui risque de mettre à mal les droits des couples homosexuels.  Ce sont là des raisons acceptables, mais n’oubliez pas que chaque vote à cette primaire donne de la force et légitimise le futur vainqueur, quel qu’il soit.
 
L’utilisation des thèmes du FN, le débat sur le burkini et toutes ces choses pas très jolies s’inviteront dans la campagne, d’une façon ou d’une autre. Mais réjouissez-vous, ça ne sera plus à l’initiative de Nicolas Sarkozy. ..
 
Prochain article après les résultats, je ne serai effectivement pas en mesure de débriefer le débat de Jeudi soir pour cause de vacances 🙂
 
 
(1) Paraphrase de Nicolas Sarkozy, à partir de deux interventions mis bout à bout lors du premier débat, citation « de mémoire ».
(2) Si je peux me permettre ce langage
(3) Sondage réalisé pour BFMTV le jour du vote sur un échantillon de 675 électeurs montrant que 63% des électeurs sont « de droite ou du centre », 15% de gauche, 14% sans préférence et 8% du FN. Cela revient à dire que les électeurs directement concernés se sont déplacés en même nombre que les électeurs de la primaire à gauche (2.8 millions).
(4) Voir lemonde.fr, lci.fr, lefigaro.fr, Marianne…
(5) Lci.fr
(6) https://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/HALIMI/50753
(7) http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/06/la-france-n-aura-a-verser-aucune-penalite-pour-la-non-livraison-des-mistral-a-la-russie_4714762_3210.html
(8) Après avoir travaillé avec de nombreux ingénieurs russes « occidentalisés », je peux en témoigner.
(9) Idem (6), plus l’émission « l’Esprit public » du 16/10/2016
 

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Le combat des chefs : premier tour de la primaire de la droite et du centre

Le combat des chefs : premier tour de la primaire de la droite et du centre

Les élections américaines ne m’ont pas permit de suivre d’aussi près que je l’aurais souhaité la campagne de la primaire de la droite et du centre (que je vais simplement noter PDC).  Je voulais tout de même partager mon analyse après avoir visionné les trois débats, parcouru succinctement quelques gros titres de la presse internet et écouté les émissions de France inter « l’Esprit public ».
Mon point de vue sera donc celui d’un observateur extérieur.
Dans cet article, je vais revenir rapidement sur les enjeux avant de résumer mon impression générale des derniers débats, classer les candidats et me livrer à quelques opinions et prédictions concernant les résultats !


1)    Les enjeux

Si je devais retenir deux enseignements principaux de la victoire de Donald Trump, cela serait que la demande populaire de changement est forte, et que les primaires comptent énormément.
Elles comptent car elles vont décider d’une partie non négligeable de l’équation qui déterminera les élections Françaises. Le vainqueur de la PDC sera probablement un des deux choix sur lesquels devront se porter les électeurs lors du second tour. Les thèmes abordés peuvent influencer la campagne présidentielle et définir les thèmes qui ressortiront, par opposition, des primaires de la gauche.
Avec un président à 16% d’opinion favorable, une gauche extrêmement divisée qui devrait présenter aux moins quatre candidats au premier tour, auquel il faut ajouter le cas Macron, il semble clair que les chances de la droite de se retrouver au second tour son particulièrement élevés. Du moins intuitivement.
Or, l’élection de 2017 semble plus que jamais déterminante pour l’avenir du pays. Les défis qui se posent sont de nature historique, et la récente élection de Donald Trump ne fait que renforcer ce constat. Outre un taux de chômage élevé et un endettement qui laisse peu de marge de manœuvre, c’est sur la scène internationale que se pose les principaux enjeux. La menace de la Russie, du terrorisme, les millions de réfugiés qui se bousculent aux portes de l’Europe, une Union Européenne au bord de l’implosion, la lutte contre le réchauffement climatique remise en question par l’élection américaine et un Etat d’Urgence qui semble se prolonger indéfiniment, sans oublier les nouvelles technologies qui posent un défi considérable sur l’emploi, la cohésion sociale et les libertés individuelles… les sujets graves ne manquent pas.
Devant cette liste non exhaustive, qu’est-ce  les différents candidats ont à offrir ? Quelles sont leurs différences principales ?

2)    Principaux enseignements à retenir des débats

Les médias semblent avoir rapidement résumé les débats à des exercices ennuyeux et se sont arrêtés sur les querelles de personnes plus que sur le fond des discours.
Je trouve cela déplorable, car en réalité de nombreuses choses capitales ont été dites ou débattues durant les quelques sept heures d’antenne.
Voici, débat par débat, ce que je retiens :
Le premier débat, très technocratique, a renforcé l’idée de départ : un grand virage à droite sur le plan économique et social, et des différences dans les détails et les styles plus que dans les grandes orientations.
Tous les candidats sont d’accord pour :
Supprimer les 35 heures, supprimer l’ISF, baisser les impôts sur le revenu, baisser les impôts sur les sociétés, baisser les cotisations patronales, rendre les allocations chômages dégressives et les minima sociaux sujets à contrepartie, réduire drastiquement le nombre de fonctionnaire, mettre en cause ou marginaliser le rôle des syndicats, augmenter l’âge de départ à la retraite et de manière générale pratiquer une politique de l’offre en abaissant massivement les charges des entreprises (y comprit des très grandes).
Les plus « honnêtes » comme Fillion veulent financer ces baisses drastiques d’impôts par les suppressions de fonctionnaires tout aussi drastiques et une hausse de TVA ; les moins rigoureux admettent ne pas chercher à respecter les règles de Maastricht des 3% de déficit.
Un programme social et économique que l’on peut considérer comme « ultra libéral » (1).
Les différences seraient difficiles à lister ici, mais je voudrais tout de même signaler les principaux points qui semblent départager les candidats.
1)    L’immigration et la sécurité
Nous avons deux camps. D’un côté Sarkozy et Copé qui se livrent à ce qu’il faut bien appeler du populisme en proposant des mesures choc mais aux effets forcément insignifiants car ne concernant que des cas particuliers, et derrière tout cela beaucoup de bruit et de propos que le front national se permet de juger extrémiste (sic).
De l’autre, Alain Jupé et NKM, qui se retrouvent obligé de constater que les lois en places et les outils actuels sont parfaitement adaptés à la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale, tout en remettant en cause le manque de moyen.
Au delà des propositions des uns et des autres, ce sont les mots et les discours tenus qui différent énormément. Jupé incarne le camp du dialogue, du rassemblement et du vivre ensemble. Sarkozy celui du populisme, de la surenchère et de la peur (comme si la gauche n’avait pas suffisamment fait dans ce domaine).
A la lumière de la campagne de Donald Trump, je ne peux m’empêcher de voir de grandes similitudes dans les moyens et les mots déployés par Sarkozy pour arriver à ses fins. C’est clairement ce principal clivage avec Jupé que nous ont vendu les médias lors des dernières semaines.
Deux autres candidats sortent du pack :
Fillion, via un programme très libéral, veux supprimer entre 500 et 600 mille postes de fonctionnaire et abaisser dans des proportions sans précédent les charges sur les entreprises. Il affiche une russophilie que les experts qualifient d’inquiétante (2). Bien entendu, vouloir faire de Poutine un allié est un vœux louable, par pur intérêt géostratégique et pour éviter une escalade guerrière d’autant plus dangereuse que Donald Trump va accéder à la maison blanche. Mais croire que Poutine va se contenter d’une poignée de main lorsqu’on sait qu’il a tout intérêt (pour se maintenir au pouvoir) à entretenir un rapport de force conflictuel avec l’occident relève au mieux de la naïveté, au pire de l’aveuglement.
On notera également que Nathalie Kosciusko Morisset (NKM) cherche à séduire la jeunesse. Elle est la principale candidate à s’inquiéter du réchauffement climatique (ne lâchant pas ses mots depuis que Sarkozy à tenu des propos climato sceptique digne de Donald Trump) et semble la seule candidate à avoir pris la mesure de la réalité des nouvelles technologies.
Ce premier débat n’avait pas mentionné les principaux défis qui encadrent pourtant tout le reste : la politique étrangère en Afrique et Moyen-Orient, l’Union Européenne et le réchauffement climatique.
Le second débat fut de loin le moins regardable. Autant la modératrice du premier avaient été particulièrement efficace, autant les deux femmes conduisant le second furent en tout point catastrophiques. Interrompant sans arrêt les candidats, tentant de les monter les uns contre les autres et affichant un sourire déplacé, comme s’ils s’agissait d’une émission de télé réalité.
Leur choix de traiter les thèmes polémiques, souvent amené par Sarkozy, comme la place du centre dans la primaire n’a pas laissé de place aux sujets majeurs évoqués plus haut. Il en ressort que l’homme fort est décidément Fillion, et que l’exercice ne favorise pas Sarkozy qui s’est trouvé attaqué de toute part.
J’en vien donc directement au troisième débat, décisif.
Une fois de plus les médias parlent d’un débat ennuyeux (3). Au contraire, ce dernier rendez-vous m’a pour ma part passionné.
Commençons par mentionner une fois pour toute l’incroyable amateurisme des modérateurs. Interrompant sans cesse les différents candidats, tentant de les monter les uns contre les autres sans succès, balayant les sujets majeurs comme l’avenir de l’Europe pour ramener des polémiques sur le tapis,  rappelant le temps de parole constamment pour les laisser finir avec des disparités conséquentes… leur manque de professionnalisme a exaspéré les candidats à tel point que le débat à faillit tourner à un affrontement modérateur/candidat. La palme revient à Jean Pierre Elkabbach, ignorant son sujet, posant des questions basés sur des idées fausses et se permettant de railler les candidats avec un mépris incroyable.
Malgré le niveau lamentable des journalistes, les deux heures trente de débats furent riches en enseignement.
1)    L’élection de Donald Tump
Certains candidats se livrèrent à des commentaires déplorables, utilisant la victoire du milliardaire pour conclure que la fin justifiait les moyens (sic). Personne ne juge opportun de condamner le personnage et ses penchants racistes, sexistes, homophobes et xénophobes. Jupé et Fillion prennent tout de même de la hauteur en analysant les conséquences en matière de politique européenne et étrangère dans le nouveau monde qui s’annonce.
2)    L’attitude face au FN.
N’en déplaise à NKM, la droite n’appellera pas à voter contre le FN en cas de second tour PS-FN aux présidentielles, ou lors des législatives. Certains ont botté en touche (Jupé) d’autres sont allés jusqu’à mettre le front de gauche et le FN sur un pied d’égalité pour justifier leur position de ni-ni (Copé). Une belle leçon de défense des valeurs républicaines…
3)    La politique étrangère
Autre sujet capital qui a vu certains candidats (Copé en tête) se livrer à des simplifications monstrueuses, tandis que d’autres ont fait preuve de leur total incompréhension de la nature des relations diplomatiques en critiquant par exemple les concessions symboliques accordés à la Turquie (pour éviter qu’ils nous envoient trois millions d’immigrés syrien pour l’instant pris en charge dans des camps de réfugiés turques). L’amateurisme affiché, pour des raisons populistes je l’espère, par la plupart des candidats, n’est guère rassurante. Sans surprise, Jupé, Sarkozy et Fillion semblent (dans l’ordre) les candidats qui maitrisent le mieux ces sujets.
4)    L’Europe
Enfin, on en parle, malgré les tentatives de Pujadas d’éluder le sujet. Impossible de résumer en quelques lignes les sujets abordés, mais la volonté de mettre en place un nouveau leadership et le simple fait de reconnaître l’importance de l’enjeu sont bienvenus. Les candidats restent tout de même très évasifs et ne semblent pas capables de diagnostiquer la cause sociale qui explique le sentiment anti européen qui habite les peuples d’Europe et explique le Brexit. On a discuté de la nécessité ou non d’un nouveau traité sans pour autant remettre en question les politiques d’austérité, de libre-échange et l’absence de vision commune aux pays membres. L’Europe pour faire face au États-Unis plutôt qu’à la Russie, et pour défendre les intérêts commerciaux plus que les peuples, voilà ce que je retiens à titre personnel.
La lutte contre le dumping fiscal pratiqué par l’Allemagne, l’Irlande et les pays de l’est est également critiquée. Comme quoi, quand on pose les bonnes questions on commence à toucher à des choses intéressantes.
5)    Le réchauffement climatique
Sarkozy n’aura pas osé le contester de nouveau. L’affirmation de devoir tenir une ligne ferme face aux États-Unis est rassurante. Le salut de la planète pourrait venir des européens (et des chinois) si Trump essaye de remettre en cause la COP21. Une position unanime et ferme qui est bienvenue compte tenu du danger majeur que représente le réchauffement climatique, et le risque sans précédant que fait peser la présidence de Trump sur le climat.
6)    Les nouvelles technologies
Sujet capital et enfin (brièvement) évoqué.  Les candidats ne se distinguent pas réellement mais le simple fait de voir pointer le revenu universel comme solution à la disparition inévitable de nombreux emplois, remplacé par des algorithmes et des machines (dans l’industrie mais également dans des professions comme le journalisme !) est bienvenu.
7)    Le commerce international
On ressent l’effet Trump. Le libre échange à tout va sans compromis semble avoir fait son temps. Alors que les USA viennent d’offrir un contrat à Alstom de plusieurs milliards de dollars en exigeant que les trains soit fabriqués aux USA (ce qui à conduit à la proposition de fermeture de l’usine d’Alsace) et que des fleurons de l’industrie française comme Technip sont rachetés par des intérêts américains pourtant bien plus petit financièrement, entendre des hommes politiques contester cette désindustrialisation continue est réconfortant.
8)    L’éducation
Un débat passionnant sur l’éducation. L’égalité à tout prix est remise en cause afin de lutter contre l’échec scolaire. Certains (Le Maire) cèdent à des extrêmes, au risque de tomber dans l’élitisme. D’autres proposent des classes de niveau et de libéraliser le marché de l’éducation. Si chanter la marseillaise (Copé) semble peu utile, le retour à l’uniforme est un vrai sujet de débat. Un segment particulièrement intéressant qui me conduira a dédié un article entier au sujet !
9)    Le social
Je termine en notant que, pour de nombreuses personnes, les échanges risquent de siffler aux oreilles. Fillion explique sans ciller que les enseignants vont devoir passer de trente deux à trente neuf heures et les fonctionnaires travailler plus pour permettre de supprimer cinq cent milles postes. Le Maire propose des emplois d’insertion payés cinq euros de l’heure, et d’autres promettent le service militaire obligatoire aux élèves en échec scolaire, le passage en force sans consulter la CGT ni le parlement de l’abolition du code du travail au profit des accords de branche… la liste est longues et les discours tenus constituent autant de pain bénit pour la gauche, à condition qu’elle se trouve un candidat capable de répondre à ce florilège de propositions particulièrement explosives !

3) Le combat des chefs : vainqueurs et vaincus !

Par ordre décroissant, voici, à mon sens, le classement final des prétendants :
7. Jean François Copé 1/10
Son talent oratoire aura surtout servi à déverser un torrent de radicalisation qui ne devrait profiter ni aux autres candidats ni à la droite en général. Difficile de l’imaginer rejoindre l’équipe de campagne du vainqueur, à moins qu’il s’agisse de Sarkozy. Mais les nombreux missiles qu’il lui a envoyé risque de le priver de cet honneur. Un candidat qui semble avoir participé à cette élection plus pour régler des comptes personnels qu’autre chose. A en croire les sondages, son message n’aura pas convaincu grand monde.
6. Bruno Le Maire 2/10
Il ne suffit pas d’être jeune pour incarner le renouveau. Un amateurisme et une simplification des grands dossiers, des propositions et valeurs très « vieilles » et réactionnaires lui ont fait perdre son électorat de prétendu troisième homme au profit de François Fillion.
5.  Jean Frédéric Poisson 3/10
L’inconnu de cette primaire avait l’opportunité de porter un message différent. Il s’est contenté d’essayer de paraître présidentiable et de présenter une ligne confuse, au lieu, par exemple, de mettre le paquet sur les valeurs chrétiennes. Quelques interventions concernant la critique de l’Etat d’Urgence ou le danger de la déshumanisation des nouvelles technologies lui permettent d’éviter la queue du classement.
4. NKM 5/10
Décidément une très mauvaise oratrice, NKM a eu le mérite d’amener certains sujets sur la table. Le financement des mosquées, les nouvelles technologies, une défense de la lutte contre le réchauffement climatique et l’affirmation des valeurs républicaines face au front national. Dommage que ses autres positions ne suivent pas cette ligne plus progressiste, et que sa prestation oratoire nuise à son discours.
3. Alain Jupé 6/10
En tant que favori des sondages, Alain Jupé avait le plus à perdre. Le recul et la distance qu’il a su prendre dans les premiers débats ont fini par le couper du peuple lors du dernier round où ses interventions sont souvent apparues comme molles. Je ne peu m’empêcher de faire le parallèle avec Hillary Clinton. Un homme d’Etat maitrisant les sujets et ne s’abaissant pas à la simplification et les formules choc. Son refus de verser dans le populisme est à son honneur, mais cela lui permettra-t-il de séduire les électeurs ?
2. Nicolas Sarkozy 6.5/10
L’homme à abattre, cible des principales critiques, s’est sorti plutôt bien d’un exercice clairement en sa défaveur. S’appuyant sur son expérience et sa posture d’homme fort, ses interventions étaient plus tranchantes et résonneront probablement mieux avec l’électorat populaire que l’intellectualité de Jupé. Reste que son style et sa campagne honteusement populiste risque de faire fuir l’électorat centriste. Pour lui, le taux de participation à la primaire sera déterminent.


1.     François Fillion 9/10
Pointé quatrième à 11% d’intention de vote avant le premier débat, l’ancien premier ministre de Sarkozy est apparut comme l’homme fort de cette campagne. Présidentiable, droit dans ses bottes, clair dans son message, Fillion est désormais au coude à coude avec ses deux principaux adversaires (le dernier sondage publié le donne à 29% !) et pourrait très bien créer la surprise. Le système médiatique a cherché à nous vendre un duel Jupé – Sarkozy. Il se pourrait bien que le troisième homme s’invite au second tour. Reste que sa position ultra-libéral est difficilement défendable.
Pour qui voter ?
Les élections américaines m’ont convaincu de deux choses. Il faut voter aux primaires, et il faut voter pour le candidat qui vous inspire, pas pour celui qui rentre dans le cadre de vos calculs.
Si vous vous retrouvez dans les valeurs de la droite et du centre, Fillion est votre homme. Son choc ultra libéral est là pour choquer, le discours s’adoucira probablement lors de la campagne présidentielle. Il semble clairement le mieux à même de gagner la présidentielle, de par son aisance  affiché lors des débats et son absence de casseroles notoires. Sa position vis à vis de la Russie demeure particulièrement inquiétante, mais ne semble inquiéter que les experts et les diplomates.
Si vous êtes plutôt centriste voir de gauche, vous envisagez de voter pour d’autre raisons que la victoire finale : en clair, mettre un terme au populisme et à la xénophobie affiché par Sarkozy. Dans ce cas, votre choix ne peut se porter que sur Alain Jupé, le seul défenseur du vivre ensemble et seul candidat à avoir refusé de jouer sur les peurs et le racisme pour se faire élire. Voter pour lui revient à dire : non, la France n’est pas l’Amérique, et le populisme n’a rien à faire dans une formation politique voué à exercer le pouvoir.
Quelques prédictions ?
L’inconnue principale concerne la participation, et de ce fait les sondages présentent une marge d’erreur qui les rend pratiquement inutiles.
Si je devais m’hasarder à une prédiction, je donnerais Sarkozy et Fillion au second tour. Le premier dispose d’une base de fidèles et d’un sens populaire qui lui fera probablement gagner des votes chez les populations rurales et âgées.
Le second possède incontestablement un momentum et  devrait bénéficier du fait d’être le candidat hors système (troisième homme).
C’est peu être un peu tiré par les cheveux quand on parle d’un ancien premier ministre, et une forte participation d’électeurs de gauche devrait permettre à Jupé de se qualifier malgré tout.
Réponse ce soir, d’ici là, pas d’excuses, allez voter !
Notes:
(1) L’esprit public, émission du dimanche 13 Novembre
(2) L’esprit public, émission du dimanche 13 Novembre
(3) Le monde.fr et lefigaro.fr

Victoire de Trump: les causes

Victoire de Trump: les causes

Le choc initial provoqué par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis m’a conduit à analyser en premier lieu les conséquences de ce « coup de tonner  politique » avant de traiter des causes.
Maintenant que les données électorales sont disponibles et pratiquement finalisées, il est temps de revenir aux raisons qui expliquent ce résultat.  
Mon premier post sur les élections américaines, publié à la vieille du premier débat présidentiel, contient l’essentiel des explications. Je me permets de vous en recommander la lecture, en particulier pour mieux saisir le contexte et le déroulement de la campagne.
Je  voudrais néanmoins, à la lumière des résultats, revenir sur certains points et étendre l’analyse en dehors du cadre des Etats-Unis.
Avant de discuter des causes,  profondes et complexes, rappelons les faits :
Donald Trump l’emporte sur Hillary Clinton avec 306 grands électeurs contre 232 (un minimum de 270 étant nécessaire pour être élu). Il a obtenu 60,834  millions de voix, contre 61,782 millions pour Clinton,  4,281 millions pour Gary Johnson (parti libertaire), et 1,310 millions pour Jill Stein (parti écologique). (1)
Le taux de participation s’élève à 56.9%. Contre 57.5% en 2012, 62.3 % en 2008, 60.4% en 2004 et 54.2% en 2000 (2)
Conclusion : Hillary Clinton gagne le vote populaire avec près d’un million de voix supplémentaires, mais perd le collège électoral de façon assez significative (Trump ayant deux à trois états d’avance).
Pour comprendre d’où provient cette disparité, observons la fameuse carte électorale :
Source : politico.com
Première chose qui saute aux yeux, les états les plus prospères (Nord de la côte Est et côte Ouest) ont voté Clinton, les états du sud et du midwest ont voté Trump. La différence avec les élections précédentes concerne les états de la « rust belt » (ceinture de rouille) situés au centre nord des Etats-Unis et correspondant aux états industriels.
La nature rurale du vote Trump saute aux yeux, mais cela devient encore plus évident lorsque on zoom sur des états remportés par Clinton :
L’état de New York (29 grands électeurs), remporté par Clinton avec 58.8% des voix. Le découpage représente les county(comté), avec en rouge les county gagné par Trump et en bleu ceux gagnés par Clinton. Les county vert sont gagnés par Clinton avec plus de 80% des voix. Le cercle rouge représente la ville de New York.
L’Illinois (20 GE), gagné par Clinton avec 55.4% des suffrages. Le cercle rouge représente la ville de Chicago…
La Louisiane (8 GE), que Trump emporte avec 58% des voix. Les deux cercles représentent les deux principales villes, la Nouvelle Orléans et Bâton Rouge…
 
On comprend facilement que c’est bien le vote rural qui a porté Trump à la maison blanche.
Seconde remarque : l’élection est plus serrée que le résultat final porte à croire. Ce n’est que la deuxième fois en 150 ans que le vainqueur du vote populaire perd la présidence (après Al Gore en 2000).
Clinton perd la Floride (29 GE) de 1.3%, le Michigan (16) de 0.3 % (13 000 votes), la Pennsylvanie (20)  de 1.2% et le Wisconsin (10)  de 1.0%. Elle gagne le New Hampshire (3) de 0.3 % et le Minnesota (10) de 1.5%. Trump possède un avantage de 36 grand électeurs, confortable mais à mettre en perspective des victoires d’Obama (62 et 65), Georges W Bush (16 et 1) et Bill Clinton (109 et 100).
La véritable conclusion qui ressort des résultats se résume en une phrase : Trump est parvenu à conserver tous les états « acquis » aux républicains, remporte les cinq swing states clés, et, fait complètement inattendu, arrache les états du Michigan et du Wisconsin, deux bastions démocrates ayant votés « bleu » lors des six dernières élections.
Le côté « serré » de l’élection ne doit cependant pas faire oublier qu’il y a un an, n’importe quel expert aurait prédit une victoire de Clinton avec une marge historique (de 10 à 20 % et une carte électorale essentiellement bleu).
Que s’est-il passé ? Pour comprendre la victoire de Trump, il faut regarder en particulier les 7 états clés.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais finalement noté que 42% des femmes ont voté pour Trump, malgré ses attaques particulièrement sexistes, et que plus de 60% des électeurs ont jugé Trump « non qualifié » et « ne possédant pas le tempérament » pour être président. (4)
 

1)  Les électeurs de Trump

Il ressort des chiffres officiels un fait indiscutable : la classe ouvrière et classe moyenne blanche, en particulier celle dépourvue de diplôme universitaire et de genre masculin a voté majoritairement pour Donald Trump. Ce groupe démographique est essentiellement rural et se retrouve en proportion dominante dans les états traditionnellement républicains du midwest, et dans les fameux états de la Rust Belt.
Cela explique clairement la défaite surprise de Clinton dans le Michigan et le Wisconsin (où elle n’avait pas jugé utile de faire campagne), ainsi que la victoire relativement confortable de Trump dans les Swing States de l’Ohio et, dans une moindre mesure,  de la Pennsylvanie.
A la lumière de ces faits, il serait tentant et facile de réagir négativement en taxant ces électeurs de racistes, xénophobes et  imbéciles non-éduqués.
L’intuition semble justifiée : Clinton promettait une politique de redistribution des richesses, le maintien des programmes sociaux, la hausse massive du salaire minimum et le maintien de l’assurance santé (qui profite en priorité à ces électeurs). Ils doivent à Obama le sauvetage de l’industrie automobile qui, directement ou indirectement, fourni la plupart de leurs emplois.
Trump, lui, promet d’annuler Obama Care, de baisser massivement les impôts sur les riches, de déréguler la finance de wall street et d’augmenter les dépenses militaires. Pourquoi ces gens ont-ils voté contre leurs intérêts apparents ? Est-ce leur racisme et leur manque d’éducation qui est en cause ?
La vérité est plus complexe. Ce sont ces mêmes électeurs qui avaient porté  le premier président noir au pouvoir en votant massivement pour Obama.
Le monde diplomatique dresse un portrait très instructif de cette classe ouvrière blanche. Pour résumer, ce sont les oubliés et les victimes de la mondialisation. Leur salaire stagne depuis des années, leurs conditions d’emplois sont menacées par l’automatisation et le libre-échange. La révolution technologique de la Sillicon Valley ne les concerne pas plus que les valeurs progressistes portées par les habitants des grandes villes dont le style de vie et l’expérience quotidienne est très différente. Ils avaient soutenu Obama,  une fois de plus, ils ont choisi le candidat du changement.
Ce revirement de la classe ouvrière, choisissant le candidat anti système plutôt que le candidat de gauche peut s’expliquer par leur expérience du fameux système.
Des milliards de dollars pour renflouer les banques, des nouveaux traités de libre échange en préparation (le transatlantique et le transpacifique) et un congrès bloqué (par les républicains, ironiquement) depuis six ans constituent autant de raison de ressentir une profonde colère.
Trump a vite compris que la clé de cette élection résidait dans ces électeurs. Il a axé sa campagne sur ces états, et son discours sur cette frange de la population. Fustigeant l’immigration, le libre-échange, la mondialisation et les élites. En particulier les médias et les politiciens qui ont trompés les américains  en leur vendant la guerre en Iraq et le sauvetage de Wall Street. Se basant sur une vision extrêmement négative de l’Amérique, attisant la colère et les peurs, son discours a eu un écho sans précédent sur cette population de laissé pour compte.
Leur expérience quotidienne de la vie rurale est bien éloignée des préoccupations des intellectuels citadins. Non exposé au multiculturalisme inhérent aux grandes métropoles, les sujets tels que les droits des homosexuel, le respect des minorités, le droit à l’avortement et le prestige international des  Etats-Unis sont loin de leur préoccupation. Sans oublier cette peur toute compréhensible d’un monde qui change toujours plus vite et se complexifie avec des conflits internationaux plus difficiles à appréhender, une diminution de leur représentation dans la population américaine de plus en plus multiculturelle, et une mondialisation et automatisation des moyens de productions qui s’accélère.
Or cette population se rend aux urnes. Elle est globalement plus âgée et culturellement encline à aller voter. Trump a su captiver cet électorat avec brio. Bernie Sanders avait également perçu et séduit cette frange de la population.
Clinton, elle, représentait une dynastie, une carriériste politique et une élite intellectuelle qui avait essentiellement tourné le dos à la classe ouvrière. 

2)    Les électeurs de Clinton

Obama termine son mandat avec un taux de popularité historique  de 55%. Clinton se présentait comme la candidate de la continuité, promettant de poursuivre les efforts entrepris. Pourtant, l’électorat n’a pas suivi. Les noirs et les jeunes, en particulier, se sont déplacés en bien moins grand nombre que lors des élections précédentes. Les hispaniques ont globalement répondu présent et voté démocrate (cela se voit en particulier dans les états et comtés  limitrophes du Mexique) mais ont fait défaut en Floride et sont présent en trop faible nombre pour peser sur les résultats de la Rust Belt.
Le bilan est limpide : Trump a mobilisé son électorat dans les états clés (alors qu’il est en recul impressionnant au Texas), et Clinton n’est pas parvenu à mobiliser le sien.

3)    Le cas Clinton

Clinton aurait probablement fait un excellent président, mais elle constituait incontestablement une mauvaise candidate.
Symbole d’une dynastie, du système, de la classe politique, ancienne championne de la mondialisation, du libre-échange et de la guerre en Iraq, sont handicap semblait considérable. Les discours auprès des banques de wall street, rémunérés des dizaines de milliers de dollars, diffusés par Wikileaks (grâce aux hackeurs russes) et sa volonté de se présenter malgré sa défaite lors des primaires des 2008 face à Obama formait un portrait peu élogieux d’une femme par ailleurs dotée de grandes qualités (5)
Son faible charisme l’a amené à éviter les meetings politiques et à se focaliser sur les diners dans les milieux d’affaires afin de lever des fonds qui furent ensuite utilisés pour inonder les chaines de télévisions et les réseaux sociaux de publicités aux effets assez faibles comparés à la publicité gratuite que recevait constamment Donald Trump (nous y reviendrons) dans tous les grands médias.
A ces handicaps, il faut rajouter quatre « scandales » qui ont empoisonné sa campagne et généré une publicité négative complètement disproportionnée (6).
1. L’audition devant le congrès suite à l’attaque de l’ambassade américaine de Benghazi du temps où elle était Secrétaire d’Etat. Une séance de dix-huit heures qui a complètement blanchi Clinton mais qui fut souvent cité par les républicains,  allant jusqu’à l’accuser de meurtrière (sic).
2. L’utilisation d’un serveur d’email privé et la suppression de milliers d’emails avant que le FBI ne se saisisse de l’enquête. Le FBI (dont le directeur est républicain) a conclu qu’elle n’avait commis aucune faute répréhensible, mais a jugé bon de ressortir le dossier à dix jours de l’élection (avant de conclure de nouveau au non-lieu).
3. Des conflits d’intérêts potentiels entre la fondation Clinton (œuvre caritative à but non lucratif) et sa candidature, du fait de la provenance de certaines donations. Rien d’illégal cependant.
4. Finalement, les fuites via les piratages russes des emails du parti Démocrate qui démontrent que ce dernier  a favorisé de façon injustifiable la campagne de Clinton au détriment de celle de Bernie Sanders lors des primaires.
Hillary a également commis une maladresse en qualifiant lors d’un meeting privé les électeurs de Trump de former un « panier de déplorables », citation maintes fois reprises par les médias et les journalistes lors des débats télévisés.
Si on compare objectivement ces faits avec les nombreux scandales de Donald Trump que je me sens obligé, par soucis d’équité, de rappeler une énième fois ici  (procès contre son université jugé frauduleuse, corruption d’élus, détournement de donation pour profit personnel, condamnation pour discrimination à l’embauche, recours à l’immigration clandestine dans ses entreprises, multiples accusations de harcèlement sexuel, vidéo ou il se vante de se livrer à du harcèlement sexuel et refus de publier ses déclarations d’impôts) on ne peut qu’y voir une certaine disparité.
Si on ajoute aux « scandales » les déclarations toutes aussi scandaleuses du candidat républicain (proposition de légaliser la torture, de construire un mur pour empêcher les mexicains, «  violeurs et trafiquants », d’envahir le pays, d’affirmer déporter 13 millions d’immigrés sans papier, y compris les enfants, ses multiples insultes envers les femmes (« truies », « dépravés »), les moqueries envers les handicapés, les vétérans de guerre, les propos racistes envers les noirs et les hispaniques, le refus de condamner le soutient d’ancien membre de l’organisation illégale  KuKluxKlan, l’incitation au meurtre de Clinton, le refus de reconnaitre les élections en cas de défaite, la perpétration du mensonge raciste concernant les origines d’Obama, l’accusation de trahison d’Obama et Clinton qui aurait créé l’Etat Islamique, la proposition de bannir l’accès au sol américain aux Musulmans… ) on est en droit de se demander pourquoi les études du New York times concluent que, jusqu’à tard dans la campagne, Clinton a bénéficié d’un couverture deux fois plus négatives que Trump. Ce qui nous amène au point suivant.

4)    La fin d’un monde : le rôle des nouveaux médias.

La campagne de Trump s’est articulée autour de trois axes principaux : le rejet de l’immigration, le rejet de la mondialisation et le rejet des élites. Le tout appuyé par un slogan percutant « make america great again”.
La campagne de Clinton, elle, s’est rapidement transformée en rejet de Trump et de ses valeurs racistes, sexistes, homophobes et xénophobes tout en essayant de réfuter l’idée selon laquelle l’Amérique serait en déclin.
L’élection c’est essentiellement jouée sur un choix « contre Trump et ses valeurs» ou « contre Clinton et le système ».
Le fait que le rejet du système l’ait emporté sur le rejet des valeurs du candidat républicain s’explique en partie par la démographie des électeurs, comme nous l’avons vu, mais également par le rôle des médias qui ont permis à deux effets pervers de faire basculer l’élection.
Le premier est d’avoir validé la vision alarmiste de la société américaine dépeinte par Trump, le second est d’avoir minimisé les différences morales entre les deux candidats en les mettant de fait sur un pied d’égalité.
Sur le premier point, la couverture médiatique dont a bénéficié Donald Trump lui a permis de marteler des idées fausses concernant un peu près tout ce qu’il voulait. Non contesté lors des 12 débats républicains (ses adversaires partageant en grande partie son point de vue…), sa vision a profité d’une tribune sans précédent via les chaines d’informations continues qui sont allées jusqu’à diffuser ses meetings dans leur quasi intégralité sans aucun filtre (le directeur de CNN vient de s’en excuser publiquement). Lors d’un épisode symbolique, les chaines d’informations ont interrompu la couverture du meeting de Clinton pour diffuser les images du podium d’un meeting de Trump pendant les dix minutes qui ont précédé son arrivé. Le podium de Trump sans Trump plutôt que celui d’Hillary avec Hillary !
Pourtant, les faits ne manquaient pas pour invalider les thèses républicaines : un taux de chômage proche du plein emplois (4.8%), une croissance particulièrement vigoureuse comparée au reste du monde (3.5%), une criminalité en baisse constante, un pétrole incroyablement bon marché dans un contexte d’indépendance énergétique, des accords sur le climat historique, une détente avec l’Iran et Cuba, vingt millions d’américains supplémentaire bénéficiant d’une couverture santé, le taux de pauvreté en baisse…
La perception de cette fameuse classe ouvrière blanche différait drastiquement avec ce constat. Parce que les salaires stagnent, que le futur est menaçant (terrorisme, automatisation et mondialisation), mais surtout parce que le matraquage médiatique, en particulier via les « nouveaux médias » ne retient que les mauvaises nouvelles.
Un exemple : tout le monde sait que les voitures Tesla prennent feu. Pourquoi ? Parce que DEUX Tesla ont pris feu lors de collisions survenues à plus de 120 km/h. Pourtant, personne ne sait que dans la même année plus de milles voitures conventionnelles ont pris feu avec le conducteur à bord, et que les chances d’incendies dans une Tesla sont statistiquement 1000 fois inférieures à celles d’une voiture essence (par Km parcouru).
Seulement, tout le monde a partagé les articles, tweet et « meme (7) » montrant les Tesla en flammes, ignorant l’autre aspect de l’histoire.
C’est ce flux constant d’information partielle jouant sur l’émotionnel qui est en partie responsable d’une perception erronée de la réalité. A tel point que le chef du parti républicain avait affirmé à des journalistes de Fox News abasourdis que ce n’était pas les faits qui comptaient, mais la perception des gens (en clair, le réel n’a aucune valeur, seule la perception des électeurs de ce réel est digne d’intérêt).
La fin d’un monde donc, la fin du monde rationnel.
Sur le second point : il aura fallu attendre le premier débat présidentiel (soit un an de campagne) pour que les grands médias américains (en particulier les chaines d’informations continues, Fox News, CNN et MBC) cessent de vendre un match serré et arrêtent de mettre les candidats sur un pied d’égalité. Ce qui était bon pour leur audience (couverture disproportionné de Trump, mise en parallèle de ses propos avec les emails de Clinton servis à toutes les sauces)  a nui au débat démocratique. Les taux d’audiences historiques de ces chaines s’opposent au taux d’abstention lui aussi relativement historique (nous y reviendrons). Cela s’est retrouvé jusqu’aux questions des journalistes lors des débats qui auront évité des sujets majeurs comme le climat ou le social et alimenté la perception selon laquelle les américains avaient à choisir entre deux démon (« two evils ») ou bien « un psychopathe et une criminelle ».  Cela explique en partie le taux d’abstention élevé et le vote important pour les candidats alternatif qui brillaient pourtant par des aspects loufoques et une inaptitude chronique à répondre aux questions des journalistes, ou à maintenir un discours cohérant (8)
Le virage trop tardif entrepris par ces même chaines après la démonstration magistrale d’Hillary Clinton lors du premier débat n’a, en réalité  que renforcé l’impression de l’existence d’un système poussant à faire élire Clinton (un comble). Le mal était fait, et le candidat Trump et ses idées depuis trop longtemps légitimées.
Cela m’amène au dernier point : le rôle des nouveaux médias et réseaux sociaux. Aux Etats-Unis,  plus de 50% de la population s’informe désormais exclusivement via les réseaux sociaux. Or, ces derniers ont un triple effet particulièrement négatif.
1)    Nous avons  tendance à nous entourer de gens partageant nos opinions et nos valeurs. Cela conduit forcément à évoluer dans une sorte de bulle qui nous protège des opinions contraires. Les lecteurs du Point et du Figaro ne lisent généralement pas Libération et Charlie Hebdo, et vice-versa. Mais au moins, ils sont au courant de la nature partisane de ces sources d’informations. Avec les réseaux sociaux, l’effet s’aggrave car les chances que vos amis partagent avec vous des points de vue contradictoires sont faibles. Si ces réseaux sociaux deviennent votre principale source d’information, ils opèrent alors un premier filtre par le simple fait que vos relations, en grande partie, partagent des valeurs similaires aux vôtres.
 
2)    Second filtre : les algorithmes de Google, Facebook et autres réseaux sociaux vous présentent en priorité du contenu susceptible de vous intéresser. Ces nouveaux médias filtrent ainsi l’information pour vous et transforme votre « feed » en bulle isolée de la réalité.
 
3)    Avec des amis biaisés et un news feed construit pour aggraver ce biais, il ne reste plus qu’à ajouter le principal problème d’internet : la véracité des informations.
Le résultat est explosif. Une preuve parmi d’autre : j’allais inclure dans cet article une citation de Donald Trmp datant de 1998 : « Si je devais me présenter à la présidentielle, je le ferais en tant que candidat républicain. Les électeurs républicains sont stupides, ils croient tout ce que Fox News raconte. Je pourrais raconter n’importe quel mensonge et monter dans les sondages ».Problème, en cherchant la citation exacte, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une intox qui avait perduré pendant six mois sur la toile et imprégné mon subconscient !
Les sites de désintox comme buzzfeed ont récemment livré des statistiques effarantes : 38% des informations divulguées par des pages facebook conservatrices étaient fausses, 20% pour le camp démocrate. Une sur cinq, dans le meilleur des cas !
Cet effet se retrouve également dans les moteurs de recherche comme Google qui vont pousser les résultats en fonction de votre sensibilité. Ainsi, si je tape les mots  « Obama » et « Kenya » google me renvoi  sur les pages Wikipédia et à de nombreux articles concernant les voyages d’Obama au Kenya.  Un supporter de Trump risque, lui, d’être renvoyé en premier vers les sites conspirationnistes qui vont alimenter l’idée selon laquelle Obama n’est pas américain.
L’hebdomadaire de centre droit  « Time magazine » a récemment publié un article concernant un phénomène rencontré lors des meetings de Donald Trump : une proportion alarmante des gens interrogés vivent dans un cocon et croient dur comme fer à de nombreuses fantaisies perpétués par des sites d’informations douteux. La journaliste témoigne avoir vu un homme qui répondait à ses questions se faire interrompre par son ami montrant son téléphone et s’indignant: « Obama vient d’annoncer qu’il allait se représenter »(11).
Cette bulle médiatique affecte les démocrates comme les républicains. Donald Trump s’est lui-même livré à la divulgation via son compte Tweeter de nombreux hoax et a répondu aux critiques des journalistes « c’est sur Internet, je ne vais pas commencer à questionner tout ce que je lis sur internet ! ». Et bien si, ce serait plutôt bienvenu.

5) La faillite des élites

 La victoire de Trump constitue un rejet sans précédent des Elites, et met en lumière leur échec cuisant.
Par élites, j’entends la classe politique, les médias et commentateurs ainsi que les intellectuels et milieux d’affaires.
Du côté républicain, les ténors du parti et les intellectuels ont laissé le mouvement glisser vers des extrêmes depuis des années, flirtant avec les thèses racistes concernant Obama, attisant les peurs et les haines diverses et se livrant à un véritable blocage institutionnel depuis l’élection de 2008. Ils ont soutenu la négation du réchauffement climatique (70% de leurs électeurs sont toujours convaincu qu’il s’agit d’une conspiration, au service de qui, je vous laisse le plaisir de le découvrir) et bloqué les moindres réformes visant à améliorer le niveau de vie de l’américain moyen. Trump n’est que la conséquence logique de leur glissement intellectuel et moral.
Les démocrates ne sont pas en reste. En plus d’avoir déserté la classe ouvrière au profit des intérêts financiers, ils ont choisi le pire candidat possible. Le très populaire et charismatique vice-président Joe Biden fut jugé trop vieux (73 ans, contre 70 pour Trump), la sénatrice Elizabeth Warren trop inexpérimenté… il ne restait plus que Bernie Sanders, le vieux sénateur du Vermont.
Ce derniers a fait une campagne des primaires en tout point exemplaire. Son programme révolutionnaire à bien des égards voulait mettre fin au système de financement des partis, démanteler les grandes banques de Wall Street, augmenter les impôts sur les riches pour financer l’éducation gratuite et l’accès au soin, mettre en place un smic et arrêter la course au libre-échange. Il partait de loin ! Voix rauque, cravates usagées, costard mal taillé, accent qui passe mal et refus d’accepter les financements classiques.
Le résultat ? Un engouement sans précédent des jeunes et d’une part de cette fameuse classe populaire. Des meetings devant cinquante mille personnes là où Clinton avait du mal à remplir une salle de cinq mille sièges. Des millions de dollars de fonds levés grâce aux dons individuels de 20 dollars en moyenne et des victoires aux primaires dans les états de la Rust Belt ! Les fameux états qui comptent.
Décrié par l’ensemble de la presse (y compris le New York Times), il aura fallu recourir à une certaine triche (révélé par wikileaks) et une complaisance des élus démocrates pour le battre. Une partie de ses électeurs déçus ne sont pas allé voter, ont voté pour les petits candidats ou carrément pour Trump (10% d’entre eux!). A vouloir choisir le candidat le plus présentable, les démocrates se sont coupés du peuple. Je ne reviendrais pas de nouveau sur l’échec des médias et des experts, si ce n’est pour mentionner leur incapacité à élever le débat au-delà des fameux scandales et pointer du doigt les sondages, qui en donnant systématiquement Clinton vainqueur avec une marge très importante, ont peut-être décourager certains électeurs de se rendre aux urnes.
Plus généralement,  la classe dirigeante dans son ensemble, qui depuis des années pousse à toujours plus de capitalisme et de mondialisation au profit de la finance et aux détriments des classes moyennes subit un retour de bâton sans précédent. Cette vague populaire a préféré fermer les yeux sur le racisme du milliardaire plutôt que sur la corruption et tout ce que représente madame Clinton.
De nombreux « progressistes » balayent cette protestation un peu vite, en taxant les électeurs du Brexit ou de Trump de racistes, d’imbéciles et d’égoïstes. C’est ignorer l’existence d’un sentiment plus profond, celui d’un ras le bol qui peut paraitre curieux aux Etats Unis compte tenu du succès des politiques d’Obama, mais qui devrait s’exprimer encore plus violement en Europe où les problèmes sont bien réels.  La crise des migrants, la menace terroriste et les ravages causés par six années  de politique d’austérité sont des facteurs incomparablement plus graves que la stagnation du revenu médian aux Etats-Unis.

6) L’abstention et le vote républicain

L’analyse ne serait être complète sans mentionner deux derniers groupes d’électeurs : ceux qui n’ont pas voté, et ceux qui ont voté quand même.
Le taux d’abstention de plus de 40%, en hausse comparé aux années Obama et largement supérieur aux taux observés en France pour les scrutins nationaux peut surprendre l’observateur extérieur.
Trois facteurs essentiels expliquent ce chiffre.
Le premier, et le principal à mon avis, tient au format du scrutin. Parce que seul les résultats par état comptes, et que de nombreux états sont virtuellement imprenables pour un camp ou l’autre, voter dans ces Etats devient ironiquement peu important. Un électeur du Texas, de la Californie ou de l’Etat de New York (les trois principaux états démographiques) n’ont que peu de chance d’avoir un impact sur une élection.
L’organisation de la vie politique américaine en deux partis avec un système de contrepouvoir freinant l’exécutif alimente la perception que les deux partis conduisent la même politique, et de façon inefficace. Etant donné la nature clivante de cette élection, cet argument du « tous les mêmes »  ne tient pas réellement, cependant cette perception est très ancré dans la conscience des américains et possède une certaine inertie.
A cela vient s’ajouter la difficulté objective de voter aux Etats-Unis. Pour des raisons historiques, on vote un mardi. Ce qui, pour la plupart des américains, signifie s’absenter du travail, conduire pendant des dizaines de kilomètres pour faire la queue pendant plusieurs heures.
Ce sujet mériterait un article à lui seul tant il est capital. En effet, l’inégalité face au vote aux Etats-Unis est dramatique. Un citadin relativement aisé n’a aucun problème pour aller voter : il peut se permettre de s’absenter de son travail, possède une voiture, peu payer le cout de transport du déplacement et possède les papiers d’identités requis pour se rendre aux urnes. Il vit probablement dans un état permettant de voter avant le jour J et dans un comté mettant en place un maillage efficace et dense de bureaux de votes réduisant la distance et la longueur de la file d’attente qui le sépare de l’isoloir.
Inversement, un électeur pauvre ne possédant ni moyen de transport, ni moyen financier, payé à l’heure et vivant loin des bureaux de votes qui seront bondés risque de réfléchir à deux fois avant de se déplacer.
Cette réalité est sujet de nombreux débats, en particulier dans les états républicains ou le pouvoir en place à souvent pris un grand nombre de mesure incroyablement discriminatoires envers les pauvres et les noirs en particuliers pour s’assurer qu’ils ne se rendraient pas aux urnes. Martin Luther King, pas si loin de nous que vous l’imaginez.
Enfin, le choix entre Clinton et Trump n’a enthousiasmé que très peu de gens.
 Le vote républicain :
Un autre facteur d’abstention pourrait s’expliquer par le vote blanc ou nul des Démocrates et partisans de Sanders d’un côté, et des Républicains traditionnels de l’autre. Il semblerait néanmoins que ce dernier groupe ait bel et bien voté Trump. Et une des raisons principales s’explique par la question de la Cour Suprême.
Comme je l’ai déjà mentionné, le remplacement des juges de la Cour Suprême incombe au président (avec le soutien du Sénat). Et pour les américains ce dernier rempart est particulièrement important. Les républicains ne voyant pas d’un très bon œil la remise en cause (très partielle !) du port d’arme et la généralisation du droit à l’avortement et des droits des homosexuels et transsexuels, ils ont préféré élire un raciste défendant leurs valeurs traditionnelles qu’une progressiste les remettants en cause. L’Amérique reste plus conservatrice que on pourrait le penser.

7) Le rôle des primaires et conclusions

Je voudrais terminer par un dernier élément de réponse : le rôle des primaires.
J’ai eu l’opportunité d’assister à une conférence d’un docteur en science politique de l’Université de Houston quelques semaines avant l’élection. Il constatait, chiffres à l’appui, que l’impopularité des deux candidats constituait un fait sans précédent.
Comment en est-on arrivé là ?
Sa réponse : le taux de participations aux primaires est extrêmement bas (10% des électeurs affiliés à un parti) et les électeurs qui se déplacent sont généralement les plus activistes.
Cela explique, dans le camp démocrate, la difficulté de Sanders à renverser la machine Clinton. Et dans le cas républicain, le succès de Trump.
Je voudrais conclure en rappelant ceci : Trump n’a gagné aucune des élections primaires par majorité absolue (il y avait toujours au moins deux candidats en face de lui qui rassemblait au total plus de suffrages) et n’a été investi que par une fraction des 10% d’électeurs ayant ensuite voté pour lui.
La France a adopté le même système des primaires. En conséquence, le principal enseignement que je retire de l’élection de Trump est le suivant :
Votez aux primaires, et votez pour le candidat qui vous inspire, pas pour celui que « les experts» vous impose.
Conclusion :
L’élection de Trump influence déjà notre propre vie politique, et aura indéniablement un impact important sur les élections françaises. Dans les mots, les discours, les récupérations, les choix de candidats et de programme, les idées et  plus simplement le résultat des suffrages.
A ce titre, il est essentiel de bien saisir les causes de cette victoire surprise de Donald Trump. Elles sont complexes, et en majeur partie particulières aux Etats-Unis. Mais certaines grandes lignes ne peuvent être ignorées.
Le rejet des élites, vu aux Philippines, en Pologne, en Hongrie, en Finlande , avec le Brexit (pour ne citer que les cas des victoires populistes) et désormais aux Etats-Unis est bien réel.
Clinton incarnait l’expérience, elle a perdu. Sanders et Trump, dans des styles diamétralement opposés (il est capital de le rappeler) incarnent le changement : ils ont gagnés.
La façon de faire campagne a changé, le rôle des médias (nouveaux comme anciens) est déterminant, et la nécessité d’opposer aux candidats racistes des alternatives de qualité parait évident.
J’espère que ce long article vous aura permis de mieux saisir la complexité des causes de cette victoire et fourni quelques clés pour ne pas vous laisser aveugler par les conclusions simplistes que nos politiciens se plaisent déjà à tirer.
Sources  et annotations: 
(1)  : Les chiffres de clinton et Trump sont basés sur les derniers chiffres officiels datés du 15 novembre (NYT.com et CNN.com), ceux des candidats secondaires sont  basé sur des estimations datant du 9 novembre (uselectionatlas.com). Il est très difficile de trouver les chiffres  des candidats secondaires, les médias se contentant de rendre compte du face à face principal, ce qui tend à invalider l’intérêt du vote pour les petits candidats.
(2)  Wikipedia, citant the bipartisan policy center and the center fr the study of the american electorate
(3)  New York time
(4)  CNN.com « exit poll » (sondages en sortie des urnes)
(6)  Plusieurs études ont démontré la couverture médiatique négative en la chiffrant en termes de milliard de dollars (en comparant ce que ce temps d’antenne aurait couté à ses adversaires  pour générer ce même effet), voir en particulier les archives du Washington post.
(7)  Voir la vidéo de John Oliver: https://www.youtube.com/watch?v=k3O01EfM5fU
(8)  Un « meme » désigne un contenu médiatique partagé sur les résaux sociaux. Typiquement, des photos avec phrase incrusté, des montages vidéos, des plaisanteries graphiques…

(11)                 Article lu dans une salle d’attente, la citation est potentiellement imprécise. Pour plus d’information sur le sujet https://www.buzzfeed.com/craigsilverman/partisan-fb-pages-analysis?utm_term=.wyROgX62Z#.lkVKwOAlP
Debrief: Victoire de Trump, les conséquences

Debrief: Victoire de Trump, les conséquences

Donald J Trump vient d’être élu 45ème président des Etats-Unis.

Au fil de la soirée électorale, les prédictions d’abord favorable à Clinton ont peu à peu basculé vers Trump, la Floride étant la première surprise d’une série de nouvelles désastreuses pour le camp démocrate, tandis que les données confirmaient implacablement la percée de Trump dans l’électorat rural, renversant les Etats et les prédictions les uns après les autres. Il aura fallu attendre 1h30 du matin pour que les médias se décident à reconnaitre l’évidence. De mon côté, cela faisait deux heures que je m’efforçais sans succès de trouver le sommeil, tiraillé par la stupeur et les interrogations concernant les conséquences de ce choc politique sans précédent.


La nuit fut longue, la désillusion brutale…

J’avais exprimé mon sentiment concernant les chances élevées d’une victoire de Trump lors de nos premiers échanges, mais les sondages unanimement optimistes pour les démocrates reflétant des performances avantageant largement Clinton lors des trois débats m’avaient persuadé de la victoire d’Hillary.

Hier j’écrivais, encore confiant : « si les sondages se trompent (et certains Etats bleu clairs n’ont que 2.5% d’avance dans les sondages (…)), nous pourrions assister à une victoire surprise de Trump, par une marge faible. (…) Trump a fait le pari de mobiliser l’électorat blanc, non diplômé et masculin. Il s’agit d’un électorat encore nombreux, surtout dans les Etats clés de l’Ohio (OH), Pennsylvania (PA), North Carolina (NC), New Hampshire (NH) et Michigan (MI)… et qui, d’habitude, ne se déplace pas pour aller voter. Il s’agit du même type d’électorat qui avait surpris les sondeurs britanniques en faisant gagner le Brexit en juin »

C’est exactement ce qui s’est passé : le vote blanc/ouvrier des états industriels du mid west s’est reporté massivement sur Donald Trump, tandis que l’électorat jeune en général et noir en particulier s’est déplacé en moins grand nombre. Cela a suffi à faire basculer la carte électorale et l’élection à Donald Trump (il remporte les cinq états cités plus haut, avec une marge parfois très faible, ne dépassant pas les 0.5% en North Carolina). Notez qu’à l’échelle nationale, Clinton l’emporte d’environ 0.5% en nombre de voix.

Je reviendrais dans un prochain message sur les causes profondes de la victoire de Trump, mais pour l’instant on peut retenir que ce sont bien les électeurs blancs, masculins, ouvriers et ruraux qui ont permis au milliardaire de l’emporter. L’aspect géographique est impressionnant, même dans les Etats démocrates, seules les grandes villes ont voté majoritairement pour Clinton. Dans l’Etat de New York, la ville a voté à environ 80% démocrate mais le reste de l’état a voté républicain !

Trump a su capter ses votes en axant sa campagne sur trois boucs émissaires : le libre-échange, l’immigration et les élites.

Les commentateurs dans leur grande majorité, sont particulièrement alarmés par cette victoire surprise, allant jusqu’à parler de la fin de la civilisation humaniste, tandis que certains  de mes lecteurs s’en amusent ou ne peuvent s’empêcher d’y voir un signe d’espoir, de renouveau ou au moins de changement qui devrait faire bouger les choses.  Je voudrais donc dans cet article me focaliser sur les conséquences de l’élection de Donald Trump, autant que l’on peut les prédire pour l’instant.


Les conséquences négatives


Premier constat : les commentateurs s’attendaient à une large victoire de Clinton, qui aurait eu pour effet de porter les candidats démocrates au Sénat, avec comme conséquence une majorité démocrate dans cette chambre du congrès. Cette idée était si solidement ancrée dans les deux camps que les sénateurs républicains avaient commencé à désavouer Trump pour conserver leurs chances tandis que la campagne de Clinton avait commencé à dépenser des ressources pour les élections sénatoriales ! 

L’intervention impromptue du FBI dans l’affaire des emails a fait basculer la dynamique et le résultat est connu : les républicains conservent une majorité dans les deux chambres du congrès.

Trump va donc pouvoir gouverner efficacement. Mais pour faire quoi, et avec qui ?

Son discours de victoire qui comporte deux parties distinctes, est particulièrement intéressant à analyser. Dans la première, il parle de rassemblement, d’unité et produit de profonds éloges envers Hillary Clinton, sur un ton qu’on ne lui connaissait pas. Comme si le personnage qu’il a joué pendant la campagne faisait place à un homme d’Etat. Ces propos auraient presque pu venir de la bouche de Bernie Sanders. Il parle d’améliorer la vie des américains, de  s’occuper des laissés pour compte et d’investir massivement dans l’économie via des grands travaux d’infrastructure (le congrès Républicain avait refusé par deux fois un pareil projet à Obama). Honnêtement, en écoutant cette partie de son discours, je ne pus refréner un certain enthousiasme.


Seconde partie, Trump remercie chaleureusement sa famille et ses amis. Et c’est là que les choses coincent. Parce qu’il a conduit une campagne particulièrement raciste, xénophobe et populiste, les rares personnalités ayant accepté de le rejoindre sont, pour simplifier, ce que le parti républicain compte de membres les plus extrêmistes. Des conservateurs purs et durs, des xénophobes et négationnistes avérés (le directeur de campagne) et dont l’agenda diverge parfois grandement de celui de Donald Trump.

Pourra-t-il et voudra-t-il tenir ses promesses de campagne ? En particulier ce qui touche à l’amélioration du niveau de vie des gens ?

Une analyse rationnelle permet de dégager les principales conséquences de la victoire surprise de Trump (classées par ordre de gravité et de chance d’occurrence) :

1) La cour suprême sera dominée par les républicains. Pour les américains, cela signifie que pour les 10 à 30 prochaines années, les questions majeures comme la lutte contre le réchauffement climatique, le port d’armes, l’avortement, les droits des femmes et des homosexuels… seront tranchés par une cour suprême majoritairement républicaine. (c’est d’ailleurs une des raisons principales qui a poussé certains républicains à voter pour Trump plutôt que Clinton). Pour le monde, c’est la fin des espoirs de lutte contre le réchauffement climatique (soumis au vote dans les mois à venir).

2) L’accord sur le climat de la COP21 devrait être abandonné. Non seulement Trump l’a promis, mais le parti républicain et ses électeurs continuent de considérer le réchauffement climatique comme un complot. Donc coup d’arrêt majeur à la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi que toutes les politiques engagés par Obama pour sortir les Etats-Unis de l’âge des centrales à charbon et de limitation d’exploitation des gaz de schistes. Ici, les réalités économiques et industrielles (non-rentabilité) pourront potentiellement limiter l’effet négatif de l’arrêt de toute politique fédérale de protection du climat.

3) La sortie de l’OTAN. Trump l’a évoquée mais plus réalistement parlant, le risque concerne surtout une posture moins déterminée à tenir les engagements de l’OTAN (en particulier la défense des états membres).  Cela équivaudrait à donner carte blanche à la Russie. De là à imaginer qu’il pleuvra bientôt des bombes nucléaires russes sur l’Europe, c’est un peu excessif. Mais le fait est que la Russie a clairement cherché (et réussi) à influencer les élections américaines en piratant puis offrant à Wikileaks les emails de la campagne démocrate, ainsi que des correspondances privées de Clinton et ses discours prononcés devant les banques de Wall Street. La question est donc, pourquoi Poutine tient-il à voir Trump se faire élire ? La réponse est probablement qu’il espère avoir les mains libres pour continuer sa politique d’expansion, au Moyen Orient et peut-être en Europe de l’Est. Sur le sujet de la Russie, notons quelques faits alarmants qui portent à croire que Poutine se place dans une logique de nouvelle guerre froide : la re-ouverture du KGB, l’augmentation massive des budgets militaires, l’arrêt du programme de démantèlement des ogives nucléaires et la mise en service du missile intercontinental Satan-2 dont la puissance suffit à effacer une région de la taille du Texas de la carte et dont la portée permet d’atteindre les principales capitales Européennes. De son côté, Trump a plusieurs fois exprimé son admiration pour le dictateur russe, et, selon certaines rumeurs, détiendrait même des avoirs financiers en Russie…

4) L’annulation de l’accord Iranien : décrié par Trump et les Républicains, salué par tous les diplomates ; cet accord mettant un terme à la misère du peuple iranien sous embargo, introduisant une contre puissance locale en face de l’Arabie Saoudite et permettant d’arrêter le programme de recherche nucléaire militaire sera remis en question. Ici encore, pour des raisons de réalisme politique, il n’est pas sûr que Trump pourra faire purement et simplement annuler cet accord.


7) L’implosion de l’Europe : Ce risque est délicat à évaluer car selon votre propre point de vue sur l’Europe vous pouvez y voir ou non un point positif.

L’idée est que Donald Trump a ouvert la voie du succès à deux types de personnes : les politiciens populistes xénophobes et protectionnistes d’une part, et leur électorat d’autre part. Ces deux types de personnes peuvent légitimement penser que les même recettes produirons chez nous  les même fruits.
En clair, l’Europe est déjà au bord de l’implosion suite au Brexit, à la crise des migrants et l’arrivée en Pologne et Hongrie de dirigeants d’extrême droite. Dans de nombreux pays, l’extrême droite est au pouvoir par coalition (la Finlande, les Pays-Bas…). Dans ces conditions, si Trump fait des émules lors des prochaines élections (France, Allemagne entre autres) on peut légitimement s’inquiéter du sort de l’UE. Certes, on pourrait aussi envisager une sortie de la France ou d’autres pays de l’Europe, ou simplement une refonte de l’Union dans un ensemble plus cohérent, mais alors ce serait sur la base d’une analyse rationnelle impliquant une sortie s’effectuant «par le haut». Or, dans le cas de figure du mouvement populiste « trumpiste », fondé sur l’émotionnel et l’irrationnel, il en découlera une sortie « par le bas ».

8.) Le risque de dérapage : Une crainte majeure des pessimistes concerne la nature de Donald Trump.

A travers la campagne et les débats, Donald a démontré une certaine incapacité à produire un argumentation claire voir des phrases intelligibles lorsqu’il est attaqué personnellement. Il a perdu son self-control à plusieurs reprises. Le fait qu’il ait passé deux heures à insulter une femme sur Twitter en pleine nuit ou réagi fortement à une provocation sur cette même plateforme, tend à prouver une nature instable et émotive, ce qui n’est pas pas des plus rassurant quand l’individu en question possède les codes nucléaires et est aux commandes de la première armée du monde… Au-delà de ses réactions émotives et de sa faible capacité à écouter ses conseillers (il marche à l’instinct, selon ses « gut feelings »), on peut craindre une nature « manipulable » par des personnalités comme Poutine, ou les dirigeants Iraniens/Israéliens etc.  La double inquiétude concerne donc son manque de self control et ses difficultés à écouter et à prendre des conseils d’autrui, deux traits de caractère illustrés à maintes reprises pendant la campagne…

9) La lutte contre les inégalités ?

Les principaux problèmes sociaux américains peuvent se résumer à deux causes: la race, et l’inégalité des richesses. Sur le problème du racisme, la campagne de Trump a déjà fait des dégâts considérables.

Sur l’inégalité des richesses, les deux leviers principaux pour la combattre sont l’accès à l’éducation et la redistribution des richesses par l’impôt (les deux principaux thème de campagne de Clinton). Sur ces deux aspects, Trump ne propose rien. Pire, il propose une baisse inégale des impôts (peu significatives pour les gens gagnant moins de 250,000 dollars par an et très significative pour les autres). En clair, à moins que ses mesures protectionnistes prennent effet et rapatrient des millions d’emplois délocalisés ou effectués désormais par des machines, les inégalités vont continuer de se creuser aux USA, et avec elles tous les problèmes qui en découlent.

En plus des neuf risques ainsi identifiés, je voudrais aussi attirer l’attention sur des dangers plus subjectifs et subtils mais pourtant bien réels à mes yeux, qui découlent de la victoire de Donald Trump. Ils ont trait à l’exportation vers toutes les démocraties de la planète  de certains aspects de cette campagne électorale américaine :

1) Le populisme :

La victoire de Donald Trump s’inscrit dans une dynamique mondiale qui voit les mouvements populistes triompher dans de nombreuses démocraties. On citera l’élection du violent Dutertre aux Philippines, la victoire du Brexit en G.B et  l’accession au pouvoir du parti fasciste en Pologne.

2) La nouvelle façon de faire de la politique : 

Le cas de Trump risque de faire école et de servir de précédant. Il a démontré que le fait de tenir des propos à la limite de la légalité, de menacer la démocratie (refus de reconnaitre la défaite, proposition anticonstitutionnelle contre les musulmans et Hillary Clinton) et plus généralement de débiter en public (lors des débats) mensonges et amalgames ou aller jusqu’à mentir platement ou refuser directement de répondre à des questions précises, n’empêchait pas de gagner une élection.
En clair, c’est le triomphe de l’émotion sur la raison. Avec comme corollaire le fait que l’on puisse dire n’importe quoi et gagner une élection.

3)  La victoire du « bully » : En anglais un « bully » désigne une brute dans le sens de quelqu’un qui persécute les plus faibles (au départ dans le contexte scolaire). Trump en est un exemple parfait, tout droit sorti des bancs du collège. Pendant les débats des primaires, il s’est ouvertement moqué de ses adversaires, les a affublés de surnoms (« Ted le menteur », « Rubio le petit », « Bush le faible ») par lesquels il s’adressait à eux en toute impunité. Il leur coupait systématiquement la parole et a menacé de poursuites judiciaires journalistes, détracteurs et Hillary Clinton elle-même. Au cours des débats contre cette dernière, ses tactiques habituelles n’ont pas fonctionné (cela en dit beaucoup sur les qualités de Clinton dans cet exercice). Lors du second débat, il n’a pas hésité à se placer dans une attitude physique très menaçante (dans l’article que j’avais consacré, j’avais même exprimé ma crainte réelle de le voir en venir aux mains) et a directement insulté Hillary Clinton (« such a nasty woman »). Hors des débats, il a agité le spectre des émeutes en promettant des risques d’affrontements en cas de défaite, incité ses supporters à aller observer chaque bureau de vote (posture d’intimidation envers les électeurs de couleur en particulier), a incité implicitement les pro-armes à tuer Hillary Clinton… et finalement, en martelant que les élections étaient truquées et que le système était contre lui, il a poussé le directeur du FBI à remettre les emails de Clinton sur la table. Cette attitude qui lui a permis de remporter les élections,  va donc cautionner et encourager pareille posture dans le futur…


4) L’image déterioré du pouvoir

L’Amérique vient de porter au pouvoir un individu ayant normalisé les propos racistes, les insultes (en particuliers envers les femmes et les immigrants) et au langage parfois vulgaire et grossier. Les répercussions sur la société américaine sont incertaines. Les enfants  qui vont grandir avec ce modèle risquent de sentir qu’une attitude de brute épaisse et vulgaire, irrespectueuse d’autrui, est la clé du succès dans la vie.

5) Le cautionnement du pire

Sous cette rubrique, je veux toucher à deux choses.

Premièrement,  en choisissant comme directeur de campagne l’ancien directeur du site internet ultra conservateur et réactionnaire Breitbar (qui pratique la désinformation, supporte de nombreuses théories du complot et combat à peu près tout ce qui existe comme valeurs progressistes, du droit à l’avortement à la lutte contre le racisme) et en invitant des anciens membre du KuKluxKlan et des membres de groupes d’extrême droite dure dans sa campagne, Trump a cautionné explicitement l’existence de tels mouvements et leur a donné une tribune sans précédent. Les membres de ces groupes, à la limite de la légalité, sont désormais interviewés par les grands médias et leurs opinions s’en trouvent forcément banalisées…

Le second « cautionnement du pire » tient à la posture même de Trump, qui, avec cette victoire, prouve aux yeux de tous que « la fin justifie tous les moyens » puisqu’il a finalement bel et bien remporté cette élection, allant jusqu’à recevoir désormais les louanges d’élus républicains l’ayant auparavant désavoués.


Je souhaite terminer sur une note positive en évoquant certaines répercussions encourageantes.


Les Conséquences positives



1) L’Amérique réconciliée ?

Force est de constater qu’il existe plus que jamais un clivage majeur aux Etats-Unis. D’un côté les libéraux/progressistes, de l’autre les conservateurs réactionnaires. Au sein de ces groupes, on retrouve des extrêmes. Dans le cas des républicains, il s’agit essentiellement de ces « white, non-educated male » qui, pour une certaine proportion, se nourrissent des thèses conspirationnistes, de l’idée d’un système politique complètement corrompu et qui, notons-le au passage, possèdent de nombreuses armes à feux. La victoire de Clinton aurait pu mettre le feu aux poudres, ou dans le meilleur des cas aurait laissé cette frange de la population frustrée et plus que jamais convaincue de l’existence d’un complot du système. Puisque le candidat anti-système a gagné, ces excités potentiels devraient à la fois revenir à la raison et constater d’eux même, au fil du mandat de Trump, que la réalité est plus complexe que Donald Trump a bien voulu leur faire croire.

Un mal pour un bien, peut-être ?

2) 50% des électeurs américains sont heureux :

Ils voulaient du changement, faire basculer le système, faire bouger les lignes. Ils auront normalement le droit à la remise en cause de la mondialisation, du libre-échange, du lobbysme, de la toute-puissance des marchés financiers… tout cela est peut être très idéalisé (Bernie Sanders semblait plus authentique dans son combat pour la justice sociale que Donald Trump!) mais tout de même, ces électeurs voient en Trump un espoir, comme d’autres lors de l’élection précédente d’Obama. Seront-ils déçus ? Forcément en partie. Mais pas nécessairement dans la totalité. Le système peut changer en bien, et pousser les élites européennes et financières à se préoccuper enfin du bien être des fameux « laissés pour compte ».

A voir les suites du vote du Brexit, cela ressemble un vœu pieu. Mais laissons à Trump et à ses électeurs le bénéfice du doute…


3) Le risque de guerre avec la Russie : 

Une autre façon d’appréhender ce problème est de se rappeler que Clinton défendait une posture  très « interventionniste » et que sa tendance à recourir à la force aurait pu déboucher sur une escalade dangereuse avec Poutine et sa volonté de rétablir la guerre froide. Trump sera peut-être plus habile et moins réceptif aux sirènes des « va-t’en guerre » du Pentagone qui, selon le Monde Diplomatique, ont poussé Obama à une escalade avec la Russie. Tout est question de point de vue, et personne ne peut prétendre avoir entièrement raison.

4) Une présidence qui fonctionne : 

La réforme de la santé d’Obama lui avait couté la majorité au Congrès lors des élections de mi-mandat. Depuis 2010, Obama n’a pu passer quasiment aucune lois, du fait du blocage systématique (et sans précédent) du parti républicain. Le pari de ce dernier était que si Obama ne pouvait faire passer aucune réforme, il perdrait les élections de 2012. Le résultat est connu : les américains méprisent le Congrès (et ont voté pour Bernie Sanders et élu Donald Trump) mais ce Congrès est désormais totalement aux mains des républicains, ce qui va rendre la pays à nouveau gouvernable.
Une victoire de Clinton aurait débouché sur un nouveau blocage. Ses tentatives de sauvetage de la loi « Obama care », de contrôle des armes à feux, de hausse du salaire minimum, son projet de hausse d’impôts sur les plus riches, de lutte contre les inégalités par redistribution fiscale, d’aide à la contraception, d’investissement dans les énergies renouvelables… aucune de ces mesures ne seraient passées au Congrès.

Avec Trump, les mesures des républicains devraient pouvoir passer sans problème. A priori, difficile d’être enthousiasmé par la baisse massive des impôts des plus riches, la fin de l’Obama care, du mariage gay, des programmes sociaux telle l’aide à la contraception, du droit à l’avortement, de l’investissement dans les énergies renouvelable… mais Trump semble bien plus à gauche que le congrès républicain et certaines mesures, comme son plan de relance via les investissement dans les infrastructures ou le frein mis à la mondialisation pourraient au final produire des effets intéressants.


5) La mise en cause du système

Dans toutes les démocraties, le statu quo et les élites sont menacés. Peut-être que ce coup de tonner politique sera entièrement récupéré, mais peut-être qu’il débouchera, par anticipation, sur plus de justice sociale et moins de politique d’austérité en Europe. Le programme de Trump et le profile de ses proches conseillers me fait craindre le pire pour les USA. Il en sera peut être autrement pour le reste du « monde libre »

Vivre aux Etats-Unis pendant cette période électorale m’a permis de réaliser la sagesse et les qualités humaines d’Obama, la compétence et le sérieux de Clinton et le dévouement de centaines de Texans aux causes libertaires/ progressives. Il m’est pénible de voir l’héritage du premier et la candidature du second jetée aux oubliettes, mais qui peut prétendre prédire ce que l’avenir nous réserve ?