Compte rendu: premier débat présidentiel américain
Analyse du premier débat présidentiel américain:
La démocratie, grande perdante ?
Avec plus de 80 millions de téléspectateurs et des sondages qui donnaient les deux candidats dans un mouchoir de poche, l’enjeu semblait de taille. Le sort du monde décidé en 90 minutes ? Une chose est certaine, exposer autant de gens à un candidat (Trump) aussi populiste, raciste et xénophobe et le placer sur un pied d’égalité avec une ancienne sénatrice et ministre des affaires étrangères constituait une première défaite pour la démocratie.
Trump ayant bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent, son message et sa personnalité n’avait plus de secret pour les américains. La grande question concernait sa présidentiabilité, sa capacité à garder son calme et ainsi apaiser les inquiétudes que sa personnalité génère.
Clinton, en perte de vitesse, avait plus à perdre mais également beaucoup à gagner. Pour elle, le débat présentait une occasion sans précédent de toucher les américains en se montrant plus humaine, tout en exposant son programme de façon clair. Les médias ayant couvert essentiellement ses prétendu « scandales » et sa personnalité, ses propositions politiques demeuraient méconnues de l’américain moyen.
Je suis resté pendant 120 minutes tendu comme lors d’une finale NBA, principalement debout devant ma télévision à essuyer les gouttes de sueur qui perlaient de mon front. Au coup de sifflet final, je restais perplexe quant à la performance de Clinton, loin d’être catastrophique, mais probablement pas suffisamment convaincante. Et puis ce matin, surprise, la presse la donne unanimement vainqueur. Seuls les sondages des prochains jours et le recul permettra de réellement trancher. En attendant, voici ma propre analyse et récit du débat.
1) Deux visions de l’Amérique
Le modérateur a ouvert le débat en rappelant les faits suivants : taux de chômage historiquement bas et en constante diminution, nombre de pauvres en baisse (3 millions d’américains étant sortis du seuil de pauvreté en 2015) et taux de croissance au beau fixe. Mais explosion des inégalités et emplois qualifiés ayant tendance à stagner.
Du pain bénit pour Clinton qui ouvre en détaillant son programme économique (taxe sur les riches pour redistribuer les richesses, augmentation du salaire minimum, introduction de congés maternité payés, aide au financement des études universitaires, investissement dans les infrastructures et les technologies d’avenir…).
Trump a répondu avec clame, indiquant clairement qu’il allait tenter d’aborder le débat avec une posture plus posée et réfléchie. Il s’est efforcé de peindre une situation apocalyptique ou les emplois industriels sont volés par la Chine et le Mexique et propose des réductions d’impôts massives (le taux d’imposition passant de 42% pour les plus riches et 15% pour les plus pauvres à 30% et 10% respectivement). Le débat a ensuite tourné autour de la fameuse opposition « taxer les riches » vs « baisser les taxes », Clinton pointant les rapports d’experts sur le cout astronomique des baisses d’impôts de Trump. Ce dernier s’est efforcé d’éluder toutes les questions ou challenges lui étant posé, profitant de son temps de parole pour continuer de dépeindre une vision extrêmement négative de l’Amérique perdant ses emplois.
Au lieu de combattre cette idée (relativement fausse à en croire les chiffres du chômage), Clinton a lancé la première salve d’attaque personnelle en s’en prenant à l’héritage de Trump et sa fortune personnelle, hérité plutôt que bâtie. Il est alors apparu clairement que le débat allait quitter la sphère des idées pour devenir un exercice de style, Clinton ayant choisi, plutôt que de séduire ses électeurs en proposant sa vision de l’Amérique, de tenter de déstabiliser Trump.
A mon sens, c’est dommage pour plusieurs raisons. Pour l’intérêt du débat démocratique, mais également parce que les points faibles de Trump sont, au-delà de sa personnalité impulsive, son manque de connaissance des dossiers et son programme peu défendable et inconsistant (du fait de ses contradictions et revirements permanents). Cela dit, le manque de substance du débat s’explique également par le format (temps de parole de deux minutes) qui ne permet pas à quelqu’un comme Hillary de détailler les raisons qui font de l’accord nucléaire avec l’Iran un bon accord (par exemple) alors que Trump peu sans problème critiquer tout et n’importe quoi en produisant des charges répétées.
2) Apparences vs substance
Trump maitrise à la perfection les techniques d’influences (cf l’article précédemment partagé) et il est parvenu efficacement à dépeindre Hillary Clinton comme « un candidat sortant » responsable de tous les maux (ce qui a conduit Clinton à ironiser « vous allez me tenir responsable de tous les problèmes du monde » « pourquoi pas, pourquoi pas ? » « Oui en effet pourquoi pas…») et inefficace (« comme tous les politiciens vous parlez beaucoup, des mots toujours des mots et aucune action »).
Cependant, il est apparu souvent exaspéré, soufflant dans le micro (des soupirs qui auraient couté la présidentielle de 2004 à Al Gore selon les experts) et à plusieurs reprises sur le point de perdre son calme. Clinton essayait clairement de le faire sortir de ses gonds. Il a réussi à se maitriser un peu près, mais au cout de nombreuses interventions peu productives, passant de nombreuses minutes à se défendre ou à défendre ses compagnies, au lieu d’attaquer Clinton sur ses propres faiblesses. C’est la raison principale qui pousse les commentateurs à déclarer Clinton vainqueur. Se sentant attaqué dans son identité de business man, Trump est apparu souvent sur la défensive et dans la justification.
Cela ne l’a pas empêché de délivrer certains punch impressionnant, que Clinton a pu habillement contrer, bien qu’à plusieurs reprise elle est dû adopter une posture de mépris pouvant la rendre antipathique.
« j’étais en meeting à Charlotte pendant que vous aviez choisi de rester chez vous » « je crois que Donald me reproche de m’être préparé pour ce débat. Et bien oui, je me suis préparé. Et vous savez à quoi d’autre je me préapre, à être présidente » (position qui n’est pas sans rappeler la tirade « moi président » de Hollande face à Sarkozy).
3) La puissance des mots clés
Il est évident que Hillary est apparue plus présidentiable que Trump, mais c’était le problème du milliardaire, pas le sien. Si ce dernier a pu apparaitre mal préparé ou imbus de lui-même, il a pu asséner à de très nombreuses reprises les mots clés de sa campagne : perte d’emplois à cause des traités commerciaux, augmentation des violences, incapacité des politiciens à résoudre les problèmes, Amérique au bord du gouffre. Et de placer Clinton comme partie du problème, non de la solution.
Sur le sujet des violences raciales, Clinton a parlé de coopération entre la police et les communautés, de formation supplémentaire et d’accompagnement des policiers, de contrôle des armes à feux. Trump a répondu par un énorme coup de poing « Hillary a omis deux mots « LAW and ORDER » » (la Loi et l’ordre, formule qui avait permis à Nixon de mettre fin à trois mandats démocrate en battant Lyndon Johnson). Si ces mots rappellerons peut être à la communauté Afro-américaine les violences policières et la répression de la fin des années 60, les électeurs ont la mémoire courte et des mots aussi forts que « law and order » résonnerons surement chez les gens qui acceptent la vision apocalyptique dépeinte par DonaldTrump.
Conclusion :
Si les intellectuels s’accordent presque tous à donner Hillary Clinton vainqueur, deux choses manquent à l’analyse. Premièrement, les choix politiques sont encore une fois omis des débats. Personne ne s’inquiète de la baisse massive des taxes promises par Trump ni de l’augmentation significative de la redistribution sociale promise par Clinton (deux visions particulièrement clivantes) ou ne s’émeuvent de ses mesures particulièrement progressistes (comme les congés maternités). Le débat a tourné à la question de qui était le plus apte à assurer le rôle de président, et sans surprise Hillary s’en est mieux sortie. Cependant, le martellement incessant de mots clés effectué par Donald Trump auront probablement un plus large effet sur le subconscient des gens que l’intellectualité et le détachement d’Hillary.
Une bonne nouvelle cependant, l’écart de niveau apparent entre les deux candidats risque de servir de réveil aux journalistes, et il semblerait que leur narration soit sur le point de basculer de « Hillary et Trump, deux candidats du pire » (le fameux traitement médiatique visant à rabaisser Clinton au niveau de Trump dont je parlais précédemment) pour embrasser l’idée que finalement, l’écart de niveau saute aux yeux. D’un côté un impulsif narcissique sûr de lui, fonctionnant à l’instinct et arrivant au débat complètement non préparé. De l’autre une femme politique qui connait ses dossiers.
Morceau choisit, dans les toutes dernières minutes du débat :
Modérateur : Mr Trump, vous avez dit par le passé que Mdme Clinton n’avait pas le « look » d’une présidente, pouvez-vous élaborez ?
« Elle n’a pas le look, elle n’a pas la Stamina (stamina = vigueur ou endurance), j’ai dit qu’elle n’avait pas assez de Stamina et je ne crois pas qu’elle ait assez de STAMINA. Pour être président il faut énormément de STAMINA (prononcé avec force),
Clairement ici Trump cherche à discriminer Hillary Clinton pour son manque d’énergie, de punch dans sa personnalité tout en communicant implicitement à travers sa posture physique et le ton de sa voix que, lui, ne manque pas de Stamina.
« Lorsque vous aurez parcourus 112 pays pour négocier pendant des semaines des traités de paix, des accords pour libérer des otages ou simplement passer 11 heures de suite debout face au parlement à témoigner, vous pourrez me donner des leçons d’Endurance (Stamina).
« Ecoutez, Hillary a de l’expérience, mais c’est de la mauvaise expérience(bad expérience)…. (il répète le termes bad experience 3 fois dans les trente secondes qui suivent).
Qui gagne cet échange ? Hillary Clinton qui dévie les insultes en faisant preuve de répartie ? Ou Trump qui parle à votre subconscient en disant 4 fois que Hillary manque de Stamina et quatre fois qu’elle de la « bad experience » ? Votre logique vous fait choisir Hillary, mais que retiendra votre subconscient ?
BONUS: video youtube de 5min sur la puissance du language de Trump :