Le seigneur des anneaux : films vs livres, une adaptation ratée ?
Je republie ici un article initialement inclut dans ma newsletter substack, expliquant pourquoi les films de Peter Jackson « le seigneur des anneaux » sont globalement mauvais.
Un anneau pour les gouverner tous
Je ne suis pas un fan inconditionnel de Tolkien. J’ai lu les livres deux fois (en français avant la sortie des films, puis en anglais peu après) et vu les films deux fois (au cinéma puis en DVD). Mais je n’ai jamais pu aller au bout du Hobbit (en livre, comme en film). C’est pour situer d’où je parle avant de me lancer dans cette critique qui tentera d’expliquer en quoi les films sont ratés et les livres gagnent à être (re)lus. Tout en faisant quelques ponts avec la “politique” (on ne se change pas).
Ce qui m’a particulièrement frappé en relisant les livres, c’est le talent de compteur de Tolkien, qui déroule son histoire méticuleusement avec une logique et un enchainement aussi fluides qu’implacables. Il y a un côté poétique dans le déploiement de la trame comme dans la diversité des protagonistes, des concepts, lieux et cultures. La principale critique, à mon sens, tient dans le fait que le registre épique utilisé rend les personnages quelque peu unidimensionnels. L’espace occupé par la description des lieux parcourus rend les informations sur les protagonistes, leurs ressentis, conflits, motivations et émotions quelque peu limités. Ce qui nous conduit à être moins affectés par les épreuves qu’ils traversent, moins impliqués dans leur parcours et les conséquences des multiples rebondissements de l’intrigue sur leurs propres destins. À l’exception notable de la créature Gollum, traversée par ses conflits internes, qui est également le personnage le mieux réussi des films selon moi.
Les films, justement, massacrent allègrement les différents éléments qui font la force du récit de Tolkien : la complexité de l’intrigue, la richesse des personnages et le pouvoir de l’anneau.
Sans me lancer dans une dissertation ni faire insulte aux experts, du point de vue politique, une première lecture du récit le critique pour sa dimension réactionnaire apparente. Le monde de Tolkien est rempli de royaumes dirigés par des monarques tirant leur pouvoir de leur hérédité. Ces derniers apparaissent souvent autant motivés par l’honneur personnel et la gloire obtenue au combat que par le bien-être de leurs sujets. Les concepts de race et de pureté du sang, y compris au sein des humains, sont généralement le seul élément invoqué pour expliquer la sagesse et la noblesse de certains protagonistes, comparés à d’autres, issus de lignées moins « nobles ». Des deux fils du régent du Gondor Demethor, Boromir l’impétueux finit par tomber sous l’emprise de l’anneau et tente de l’arracher à Frodo. À l’inverse, Faramir ne considère pas une seule seconde cette option lorsqu’elle s’offre à lui. La principale raison donnée pour expliquer cette divergence de caractère est la différence d’héritage génétique entre les deux frères.
“[Denethor] is not as other men of this time…by some chance the blood of Westernesse runs nearly true in him, as it does in his other son, Faramir, and yet did not in Boromir.”
De même, le déclin du royaume du Gondor est symbolisé par l’arbre de Minas Tirith qui « se fana [lorsque] le sang d’hommes de moindre lignée se mêla à celui des Numenoréens”.
Le féodalisme n’est jamais remis en question et le “peuple” n’occupe pas de place particulière dans le récit. Ce qui donne du poids à une seconde lecture quelque peu provocatrice : et si les Orques étaient les gentils de l’Histoire ? Ou plus simplement, des rebelles se soulevant contre l’ordre injuste et inégalitaire régissant le monde des Hommes. Relire le Seigneur des anneaux avec cette perspective (développé ici) est assez intéressant. En effet, la “déshumanisation” systématique des “Orques infâmes” par le narrateur et ses héros rappelle furieusement le traitement sémantique réservé aux gilets jaunes, palestiniens et plus généralement à tout peuple ou collectif contestataire qualifié de “barbares” par les puissances dominantes. Que ce soit dans les adjectifs choisis pour les décrire (“leur abominable langue”, “horrible langage à eux” ces “créatures infâmes”) ou le nombre d’éléments qui ne sont pas donnés à leur sujet (comment se reproduisent-ils ?). Car le livre nous apprend aussi qu’il existe différentes races d’orques parlant différentes langues, qu’ils rient, mangent, se soignent, se reproduisent, ressentent diverses émotions, poursuivent des buts parfois différents, bref qu’ils sont dotés de leur propre culture.
Si cette lecture ne va pas dans le sens de l’auteur, on peut, au contraire, choisir de voir dans son œuvre une ode à l’anarchisme (au sens noble) et à l’autogestion. Les héros de l’histoire ne sont pas des descendants de grands rois, mais des hobbits, les gens les plus communs qu’ils soient, qui vivent en harmonie et paix relative dans la Comté, cette carte postale de l’Angleterre agraire. Le Pouvoir, incarné par l’anneau, corrompt. Il mène les hommes à leur perte et doit être détruit. Pas question de le confier à une personne au grand cœur animé de bonnes intentions, telle que la reine Elfe Galadriel ou le magicien Gandalf le Gris, qui refusent l’anneau, ayant conscience du caractère démoniaque de son pouvoir. Si Frodo finit par détruire l’anneau, c’est grâce au concours de “petites gens” : son serviteur et jardinier Sam Gamegie, le fermier Maggot qui avait retenu suffisamment longtemps les cavaliers noirs au début de l’aventure, ou encore la créature Gollum, dont l’acte involontaire est rendu possible par la pitié et la merci dont font preuve tour à tour Bilbo, Frodo et Sam à son encontre. Gollum est détruit par son allégeance aux puissances du mal, alors que les individus qui ne sont pas principalement motivés par le pouvoir, tel Aragorn ou Faramir, sont élevés par le récit.
Il s’agit certainement plus qu’une simple lutte entre le bien et le mal, ce que les films parviennent pratiquement à gommer par leur choix scénaristique improbable.
Les films de Peter Jackson : une adaptation ratée au niveau du scénario
Adapter un roman n’est jamais facile. Les contraintes de production, les pressions commerciales et la différence de médium nécessitent de faire des choix. À la décharge de Peter Jackson, les films sont esthétiquement réussis, entre les décors grandioses, les costumes impressionnants et les plans éblouissants. À partir des descriptions de Tolkien, le réalisateur a réussi un petit bijou visuel, sublimé par une bande-son efficace et des séquences percutantes (les charges héroïques, le combat de Gandalf contre le Balrog, Frodo blessé par surprise par l’araignée géante…) .
C’est du côté du scénario que la trilogie déçoit. Les personnages apparaissent dépassés par des évènements qui s’enchainent de manière parfois incohérente ou inexplicable. Ceci n’est pas lié à la longueur de l’intrigue : les versions longues ajoutent pratiquement un film, mais aggravent le problème. Et différentes péripéties sont inventées de toutes pièces, allongeant considérablement le récit. Je citerais Aragorn présumé mort, Faramir qui tente de s’emparer de l’Anneau et Frodo qui abandonne Sam après avoir été manipulé par Gollum.
Ces choix scénaristiques découlent en grande partie de la réécriture des personnages. Gandalf n’est plus le maitre stratège qui joue une forme de partie d’échecs avec Sauron, mais un magicien malmené par les évènements. Surpris par le refus de Denethor de faire appel au Rohan, il s’en remet aux talents d’acrobate de Pipin pour forcer l’alliance des humains, déjà actée avant son départ du Rohan dans l’œuvre originale. Il apprend d’autres personnages et trop tard les intentions de son ennemi (au lieu de deviner les principaux mouvements de ce dernier), tout comme il est inexplicablement défait par le Roi sorcier, avant d’être miraculeusement sauvé par l’arrivée des cavaliers du Rohan qui provoquent le départ du chef des Nazguls.
Et il s’agit du personnage le moins “réécrit” de l’Histoire. Les autres sont systématiquement emplis de doutes et de peurs. Le roi Theoden refuse la bataille, envoie son armée se réfugier dans le Gouffre de Helm où il s’apprête à abandonner le combat avant qu’Aragorn l’inspire à une dernière sortie héroïque. Il rechigne à venir au secours du Gondor (avant de changer inexplicablement d’avis) et s’oppose parfois aux conseils de Gandalf, comme si le fait d’avoir été libéré de l’emprise de Sarouman n’avait eu qu’un impact mitigé. Dans le livre, son armée part à la rencontre des orques de Sarouman avant de prendre position dans le Gouffre de Helm, place forte qu’il compte défendre jusqu’au retour de Gandalf avec des renforts. Mais dans le film, il s’agit d’une fuite désespérée, qui rend le choix d’Aragorn de prendre part à cette mission suicide quelque peu surprenant.
Aragorn est le personnage le plus modifié. Chez Tolkien, cet héritier du trône du Gondor a accepté sa destinée, en partie pour gagner la main de la princesse Arwen, et en partie du fait qu’il est un homme conscient de sa responsabilité face à l’Histoire. C’est lui qui provoque Sauron dès la victoire sur Saruman en le défiant à l’aide du Palentir, qu’il maitrise parfaitement, déclenchant un assaut prématuré contre le Gondor. C’est également lui qui décide de passer par le chemin des morts pour prendre Sauron à revers.
Dans le film, Aragorn n’a quasiment aucun charisme, doute sans cesse, refuse son destin, subit les évènements et flirte avec Eowyn entre deux flashbacks interminables dans les bras d’Arwen. Il faudra l’intervention télescopée d’Elrond pour qu’il accepte de prendre ses responsabilités.
De même, Frodo est un personnage incroyablement transparent, qui passe tout le récit à subir les évènements, pleurnicher et lancer des regards désespérés à Sam. Le casting d’Elija Wood explique en partie ce choix, puisque cela fait de Frodo le plus jeune des hobbits, alors qu’il est de plus de dix ans l’ainé de la troupe en réalité. Dans la version originale, Frodo est courageux, se bat contre ses ennemis, fait preuve d’une forme de sagesse et de maturité et utilise le pouvoir de l’anneau pour soumettre Gollum à sa volonté. Dans le film, la facilité avec laquelle il abandonne son fidèle Sam interpelle autant que son choix courageux de se lancer dans cette quête insensée. Dans le livre, bien que doutant sans cesse, Frodo fait preuve de qualités qui rendent son exploit plus crédible.
Je pourrais m’étaler encore longtemps sur les autres points qui m’ont fait sortir de mes gonds : que ce soit le refus de filmer des scènes au potentiel cinématographique incroyable contenues dans le livre, le pauvre Gimili réduit à un élément comique ridicule, Boromir dont la trahison future semble évidente dès sa première scène… Tous les personnages du récit sortent diminués par l’adaptation au grand écran, y compris des personnages féminins aussi centraux qu’Eowyn.
Mais l’autre problème tient dans l’adaptation de l’anneau. Dans l’œuvre originale, il ne se contente pas d’être un fardeau au potentiel corrupteur évident. Il décuple aussi les forces du porteur. Lorsqu’il l’utilise, Sam entend de très loin les conversations des orques, ce qui lui permet de sauver Frodo. Ce dernier utilise son pouvoir à plusieurs reprises pour soumettre Gollum à sa volonté. Et lorsqu’il le passe au doigt, l’expérience n’est pas aussi terrifiante que celle dépeinte par les films. Tout cela permet de comprendre pourquoi l’anneau attire les convoitises.
Parce que les films ne rendent pas compte de la grandeur des personnages qui s’avèrent capables de refuser l’anneau, il se trouve obligé de faire un détour bancal ou Faramir tente de le prendre pour lui.
La morale s’en trouve quelque peu modifiée. Tolkien nous explique que le pouvoir corrompt, que ceux qui le détiennent ne sont pas aptes à l’exercer et que ceux qui le poursuivent finissent par être détruit par leur quête. La merci, l’espoir et la vertu permettent de triompher des forces du mal, à condition de poser les actions nécessaires en se montrant à la hauteur des évènements.
Des films, on retiendra qu’une bonne dose de chance permet à des personnages très largement dépassés par les évènements de sauver le monde, essentiellement grâce aux incohérences du scénario et à la dévotion de Sam Gamegie.