Donald Trump : premier bilan

Donald Trump : premier bilan

Cerise sur le gâteau d’anniversaire de Donald Trump, sa première année d’exercice du pouvoir s’achève par un « shut down » de son gouvernement. Résultat d’une impasse parlementaire provoquée par l’incompétence et l’intransigeance de la Maison-Blanche, les dépenses non essentielles sont bloquées jusqu’à nouvel ordre, et les fonctionnaires placés en chômage technique.

Après avoir vécu 365 jours sous la présidence de Donald Trump, au contact de son électorat texan, un premier bilan s’impose.

Que retenir de cette première année ? Trois enseignements.

1) Donald Trump, le produit d’un système

Les causes de sa victoire sont essentiellement résumées dans le premier article de ce blog, publié cinq semaines avant son élection. Elles tiennent à la convergence inattendue des intérêts financiers d’une certaine élite avec le ressentiment d’une couche de la population désabusée par un système ploutocratique. Trump n’est pas un « accident », mais l’aboutissement logique d’un système.

Son entrée fracassante dans la course aux primaires du parti républicain débute par un discours remarqué, dans lequel il fustige les immigrants mexicains, assimilés à « des violeurs et des voleurs », qu’il propose de contenir à l’aide d’un gigantesque mur de trois mille kilomètres.

Par la suite, il promettra de mettre fin au libre-échange, de « nettoyer le marais » de Washington où pourrissent les « politiciens corrompus », d’arrêter les guerres au Moyen-Orient, d’apaiser les relations avec la Russie, de retirer les USA de l’OTAN (cette « organisation obsolète ») et de revenir sur les accords phares de l’ère Obama sur le climat et l’Iran. Il va rendre sa grandeur à l’Amérique, tout en promettant de ne pas toucher à la protection sociale. Il s’engage à interdire aux musulmans l’accès au sol américain, à remplacer Obamacare par « quelque chose de génial », à baisser drastiquement les impôts et à expulser les 11 millions de sans-papiers vivant aux États-Unis.

Photo CNN.com

Les seize autres candidats républicains partagent peu ou prou le même avis en matière de sécurité et d’immigration (à l’exception du mur), d’environnement et de politique fiscale. De fait, le parti républicain ne lui refusera pas l’investiture, malgré ses déclarations toutes plus racistes, xénophobes et sexistes les unes que les autres.

À Nixon, il emprunte son « law and order » (la loi et l’ordre) comme principe en matière de sécurité. Sur Georges Bush père, il copie la stratégie d’attisement des ressentiments racistes. À Bush fils, le déni de réalité. « Ce qui compte, ce ne sont pas les faits, mais la perception des Américains », expliquera l’ancien leader du parti Newt Gingrich, en marge de la cérémonie d’investiture. Si Trump s’aliène chacune des minorités et groupes sociaux qui retiennent l’attention des stratèges politiques, à l’exception notable des « hommes blancs », il flatte ainsi l’ensemble des colères et sensibilités réactionnaires.

Spot publicitaire de la campagne de Georges Bush père.

Le terreau raciste existait bien avant Donald Trump, entretenu de main de maitre par un parti républicain de plus en plus radicalisé.

Mais les démocrates et Barack Obama ont aussi contribué aux conditions d’élection du milliardaire. En aggravant les inégalités, en promouvant le libre-échange et en effaçant l’ardoise post-crise financière de Wall Street.

Le message de Donald Trump résonnait chez une partie de la population. Il est vrai que la classe politique américaine est corrompue, que Wall Street est sortie renforcée d’une crise financière qu’elle avait elle-même provoquée, que la mondialisation a détruit de nombreux emplois, et que les aventures guerrières aux Moyen-Orient furent un gigantesque fiasco.

Les médias conservateurs se sont peu à peu rangés derrière lui. Le parti républicain lui a offert son soutien et le minimum de crédibilité qui en découle. Le vote par intérêt de classe ou simple fidélité des électeurs conservateurs a fait le reste.

En face, Hillary Clinton ne parvint pas à mobiliser son électorat, elle qui incarnait la candidate de Wall Street et de l’interventionnisme militaire.

Plus que les ingérences présumées de la Russie, les différentes lois visant à réduire le nombre de votants chez les minorités (voter exclusion) ont offert à Donald Trump une victoire sur le fil, dans une poignée d’états où Hillary Clinton n’avait pas jugé nécessaire de faire campagne.

L’état déplorable de la démocratie américaine explique la victoire de Donald Trump. Néanmoins, elle a pris tout le monde de court, lui le premier.

2) Donald Trump : brute incompétente ou génie politique ?

Il a triomphé du parti républicain, vaincu Hillary Clinton, déjoué les pronostics et plié à sa volonté les milieux conservateurs, Fox News en tête. Sa campagne minimaliste lui aura rapporté plus d’argent qu’elle ne lui en aura couté, son habileté à se jouer des médias l’ayant propulsé à la Maison-Blanche en dépit d’une absence criante de compétence politique.

L’art du tweet, le sens de la répartie lors des débats télévisés et sa capacité à énergiser les foules forment un faisceau d’indices qui pointent vers la même direction : Trump serait un génie politique.

Alors qu’il remplissait ses ministères de milliardaires corrompus nageant dans les conflits d’intérêts et qu’il confiait l’économie à un cadre de Goldman Sach, le chaos qui suivit ses premiers pas à la Maison-Blanche peut de ce point de vue être considéré comme une habile manœuvre de diversion.

Pendant des mois, les observateurs tentèrent de discerner une ligne politique entre deux tweets rageurs, de définir le « Trumpisme » et de trancher entre deux visions : celle d’un génie médiatique apprenant rapidement le « job » de chef d’État, ou celle d’une brute incompétente uniquement mue par les instincts et sentiments les plus primaires. Autour de moi, ces deux versions s’affrontaient au sein même de son électorat, tantôt désabusé par ses sorties, tantôt fasciné par sa capacité « à faire de la politique ». C’est-à-dire, à imposer des changements.

Après douze mois d’observation, nous n’avons plus aucun doute : Trump est une bête médiatique fonctionnant à l’instinct, une brute incompétente et égocentrique au comportement digne d’un enfant de cinq ans.

Fire and Fury, le livre de Michael Wolff que la maison blanche a cherché à interdire, contient de nombreuses exagérations et contrevérités. Mais ses principales révélations n’ont pas été démenties par les proches du président.

On y apprend que ni Donald Trump ni ses équipes n’imaginaient un seul instant gagner l’élection. Pour le clan Trump, il s’agissait d’une gigantesque campagne de publicité destinée à valoriser la marque. Et pour ses soutiens politiques, une opportunité de s’imposer à la tête de l’aile droite du parti républicain. Cette thèse a le mérite d’expliquer l’amateurisme de l’équipe gouvernementale, et la lutte de pouvoir interne qui a miné les débuts de l’administration.

Les témoignages recueillis par Michael Wolff dressent le portrait d’un président incompétent, dépourvu de la moindre volonté d’apprendre et du moindre intérêt pour la politique. Le livre ne fait que confirmer ce que de nombreux indices laissaient penser. À propos de la réforme de la santé, Trump déclarait « personne ne pensait que s’était si compliqué ». Ses interviews non préparés, en particulier celui accordé en décembre au New York Times, révèlent, au-delà du manque de cohérence générale des propos, une méconnaissance dramatique du fonctionnement des institutions et du contenu des réformes que son administration défend au Congrès.

Image : Yahoo

Aussi effrayant que cela puisse paraitre, ses tweets sont généralement liés au dernier segment diffusé par Fox News auquel il réagit en direct. À tel point que les sénateurs républicains sont parfois obligés de contacter la Maison-Blanche en panique, lorsque certains tweets contredisent la position officielle de l’exécutif sur un texte de loi en cours de vote. Selon Michael Wolff, le président regarde plus de cinq heures de télévision par jour, une information déjà sortie par le New York Times dans un dossier effarant.

Trump lit peu et regarde beaucoup Fox and Friends, le talkshow le plus halluciné de la réactionnaire Fox News.

Pour tenter de contrecarrer les rumeurs sur son incompétence, le président laisse CNN filmer une réunion où il négocie la réforme sur l’immigration avec les sénateurs démocrates et républicains. Au cours de cette comédie, il parvient à oublier la position de son propre parti et accepte de se ranger aux propositions de l’opposition, avant d’être discrètement repris par le sénateur républicain. Devant le tollé provoqué, il se fendra d’un tweet pour rassurer ses partisans quant à la fermeté de sa position en matière d’immigration.

Si le parti républicain « encadre » tant bien que mal le président à la maison, en matière de diplomatie, les choses sont plus compliquées. Les efforts de son secrétaire d’État Rex Tillerson sont régulièrement sabordés par des tweets inopinés. Fou de rage, ce dernier aurait qualifié Donald Trump « d’abruti » avant de s’en excuser publiquement à la télévision.

La gestion catastrophique du « russiagate » a mis en place les conditions d’une destitution hypothétique de Donald Trump pour cause d’obstruction à la justice. Si elle reste peu probable tant que le parti républicain lui accorde son soutien, cette possibilité démontre tout de même la maladresse du chef d’état, son côté émotif et brouillon, et son incapacité à planifier une stratégie de sortie de crise.

Pour obtenir les faveurs du président, le plus efficace reste la flatterie. Ainsi, l’opération séduction menée par l’Arabie Saoudite a permis à son chef d’État d’obtenir carte blanche pour mettre à bas le Qatar et tenter de déstabiliser le Liban. Emmanuel Macron a usé de la même stratégie en le recevant en grande pompe le 14 juillet. Quant à la Chine, c’est après avoir ouvert les portes de la cité interdite au milliardaire qu’elle a obtenu des concessions surprenantes de la part de celui qui, durant sa campagne, fustigeait Pékin comme la source de tous les maux économiques américains.

Ezra Klein, fondateur et rédacteur en chef de Vox, résume ainsi le personnage : « un enfant en mal de reconnaissance, désireux de plaire, manipulable, émotif et incapable de s’intéresser aux bases de la politique et de la diplomatie, conditions nécessaires à la conduite de n’importe quel mandat politique ».

Cela n’enlève rien à sa capacité instinctive à jouer sur les émotions pour entrainer des foules et provoquer toutes sortes de réactions politiques. Mais le milliardaire n’est pas à proprement parler un être logique doté d’une capacité intellectuelle réfléchie. Son « intelligence » serait avant tout émotionnelle, ce qui expliquerait ses succès électoraux, et le soutien de 38 % de la population.

3) Quel bilan après un an de Donald Trump ?

En arrivant dans le bureau ovale, Donald Trump brillait par l’absence de ligne directrice. D’où une intense lutte de pouvoir et d’influence entre l’establishment républicain, les populistes d’extrême droite (via son directeur de campagne Steven Bannon) et une frange plus modérée incarnée par son gendre et sa fille (Jared Kushner et Ivanka Trump).

Débuts chaotiques à la Maison-Blanche

Ainsi, les postes ministériels sont rapidement attribués par Bannon à deux types de profils. Les fonctionnaires et hommes politiques ultraréactionnaires issus de la droite du parti républicain et dont la tâche sera de « déconstruire l’état », et les hommes d’affaires et milliardaires dont la principale qualité semble être les gigantesques conflits d’intérêts qui les lient à leurs ministères respectifs. Les compétences sont surtout situées chez les généraux et anciens PDG responsables de la diplomatie dont les « valeurs » sont compatibles avec celles affichées par Donald Trump au cours de la campagne.

Les premières grandes décisions (immigration, environnement, remise en cause des traités de libre-échange) sont clairement dictées par le désir de tenir les promesses électorales compatibles avec la vision xénophobe de l’extrême droite. Mais elles se heurtent à une intense résistance militante et institutionnelle. À la suite des évènements de Charlottesville et du soutien affiché par Donald Trump aux néonazis responsables de la mort d’une militante antiraciste, Steven Bannon est écarté de la Maison-Blanche.

Depuis, Trump délègue les principales tâches gouvernementales. La politique étrangère revient à l’armée américaine et au renseignement, dont les trois généraux membres de son administration et les dirigeants officiels vont se voir confier les pleins pouvoirs. La politique intérieure, elle, sera largement laissée aux soins de la majorité républicaine au Congrès.

La volonté de rupture en matière de libre échange et de politique étrangère, en particulier vis-à-vis de la Russie, est rapidement étouffée par la bureaucratie américaine, avec l’aide du fameux scandale sur la supposée ingérence russe.

Ivanka Trump et Jared Kushner se contentent de gérer les affaires du clan Trump, s’efforçant de tirer le maximum d’avantages financiers de la présidence. Ce festival de conflits d’intérêts n’est rendu possible que par la complaisance du parti républicain.

Le parti républicain ne gouverne pas grâce à Trump, mais malgré Donald.

Le parti conservateur avait trois priorités : faire adopter des baisses d’impôts massives sur les hauts revenus, regagner le pouvoir à la Cour suprême à travers la nomination d’un juge conservateur, et abroger l’Obamacare. Si le dernier point reste un échec partiel, grâce à la formidable résistance militante et l’incompétence du président, le reste fut réalisé dès la première année.

Au rang des succès, la droite peut ajouter l’ouverture des zones protégées à l’exploration pétrolière, l’augmentation drastique des dépenses militaires, l’abaissement des normes environnementales et le retrait de l’accord climatique. Mais de l’avis de nombreux observateurs, la droite américaine aurait pu faire beaucoup plus de dégâts si elle n’avait pas été bridée par l’incompétence de l’exécutif.

Soutenir ce président malléable en dépit de ses nombreux outrages serait un mal pour un bien, tant que cela permet d’imposer les réformes souhaitées par le parti républicain et ses donateurs. L’abrogation de la neutralité du net, la suppression des aides sociales, la privatisation de l’éducation publique et la destruction des agences de régulation environnementale justifieraient cette alliance de circonstance.

Paul Ryan (à gauche) célèbre le passage de la réforme de l’impôt- image/MSNBC

Mais le parti républicain risque de payer cher ce pacte faustien. Car ces réformes sont particulièrement impopulaires, y compris auprès de son propre électorat. La défaite surprise à l’élection sénatoriale de l’Alabama laisse présager un raz-de-marée démocrate aux élections législatives de mi-mandat. Pour David Frum, éditorialiste conservateur, le parti républicain s’est engagé dans une voie antidémocratique. Compte tenu de l’impossibilité objective de mener ses réformes avec le soutien de son électorat, il compte sur le ressentiment raciste, la suppression du vote et le recul démocratique pour imposer sa politique de lutte de classe. Au risque de déclencher une crise démocratique.

Diplomatie contre-productive

En matière de politique étrangère enfin, Donald Trump brille par son amateurisme. Son approche se résume à une technique de « bullying » (intimidation) et de chantage pour faire fléchir ses partenaires. Dans tous les dossiers sans exception, cette méthode a produit l’inverse des résultats escomptés. La Chine et la Russie apparaissent plus fortes que jamais, la Corée du Nord a obtenu l’arme nucléaire et va défiler avec la Corée du Sud aux JO d’hiver, la révolte iranienne s’est essoufflée en partie à cause du soutien grossier de Donald Trump aux manifestants, Maduro a pu tenir son pays pour les mêmes raisons, et Israël et les États-Unis sont plus que jamais isolés aux Nations-Unis.

Bien sûr, cette approche simpliste qui se heurte sans cesse à la complexité de la réalité génère de graves tensions. Mais cela paraissait inévitable compte tenu du caractère de Mr Trump.

Conclusion

Donald Trump ne constitue que le sommet de l’iceberg. Président incompétent, son action repose sur un nombre d’acteurs intermédiaires qui acceptent de jouer le jeu. Certains par crainte de ce qui pourrait arriver si d’autres individus moins compétents prenaient leurs places, d’autres dans le but de tirer avantage de l’amateurisme d’un président préférant twitter devant Fox and Friends qu’apprendre les rudiments du fonctionnement des institutions.

La rupture politique qu’il promettait s’est effacée au profit du projet défendu depuis une décennie par le parti républicain. De ses promesses de campagnes, il ne reste qu’une fermeté particulièrement radicale en matière d’immigration. Trump semble avoir intégré le fait que ces positions ouvertement racistes lui ont permis d’accéder au pouvoir, et de conserver le soutien de sa base militante. D’où le « shut down » du gouvernement, provoqué par son refus de compromission en matière de politique migratoire.

Vous avez apprécié cet article ? Soutenez-nous en le partageant et suivez nous sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter.

 

Les sources sont inclues dans le texte sous forme de lien hypertexte ou directement cités.


Une réaction au sujet de « Donald Trump : premier bilan »

  1. « Après douze mois d’observation, nous n’avons plus aucun doute : Trump est une brute incompétente, au comportement digne d’un enfant de cinq ans. »

    Ça, c’est ce qui s’appelle « donner le bénéfice du doute… » !

    HI-LA-RANT !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *