Ce qu’il faut retenir du témoignage de R. Mueller devant le Congrès (#Trump #Russiagate)

Ce qu’il faut retenir du témoignage de R. Mueller devant le Congrès (#Trump #Russiagate)

Le procureur spécial Robert S Mueller a dirigé pendant 22 mois la fameuse enquête chargée de faire la lumière sur l’ingérence russe dans les élections de 2016, de statuer sur une potentielle collusion entre Donald Trump et le Kremlin, et de déterminer si le président américain avait commis une « obstruction à la justice ».  

Rendues publiques en avril dernier, ses conclusions ont douché les principaux espoirs démocrates, concluant à l’absence de collusion entre Trump et la Russie, et refusant de délibérer sur une possible obstruction, malgré une pléthore de faits accablants. 

En auditionnant Robert Mueller sous serment, le parti démocrate espérait capitaliser sur le contenu du rapport et relancer le débat sur une potentielle destitution. Voici ce qu’on en retiendra.

1) L’enjeu : la destitution de Donald Trump et l’élection de 2020

Depuis leur reconquête de la Chambre des Représentants aux élections de mi-mandat, les démocrates ont le pouvoir d’engager une procédure de destitution du président. Si cette initiative n’a aucune chance d’aboutir, puisqu’elle doit être validée par un vote au ⅔ du Sénat (que le parti républicain contrôle), elle pourrait considérablement affaiblir Donald Trump politiquement. Non seulement les multiples auditions télévisées et le récit médiatique qu’elle produirait pourraient éroder la cote de popularité du président, mais ce dernier a montré de nombreux signes de son incapacité à gérer ce problème rationnellement. En clair, avec cette procédure, les démocrates pourraient pousser Trump à la faute. [1]

Les républicains ont systématiquement abusé de tactiques similaires par le passé. Ils ont enclenché une procédure de destitution contre Bill Clinton pour un simple mensonge sous serment proféré pour couvrir une relation extra-conjugale, et ont multiplié les commissions d’enquêtes et auditions pour détruire la crédibilité d’Hillary Clinton avant l’élection de 2016. À chaque fois, la combativité du parti républicain a payé. [2]

Pourtant, en dépit d’innombrables motifs potentiels, le parti démocrate s’est interdit d’accabler le président Trump avec la même ténacité.  

Plutôt que de s’appuyer sur les faits de corruption, de violation des règles de financement de campagne, d’attaques de la presse et autres comportements pouvant justifier une procédure de destitution, le parti démocrate a attendu la parution du fameux rapport du procureur Mueller, espérant qu’il contienne des éléments suffisamment graves pour justifier une telle procédure. 

Rendues publiques en mars, les conclusions de Mueller ont déçu. Nous avons publié un long article pour revenir sur ce rapport, mais pour résumer, il démontre l’absence de collusion de Trump avec la Russie, et laisse la question de l’obstruction de justice ouverte, bien qu’il détaille dix occurrences où le président a clairement tenté d’entraver l’enquête.

En effet, pour qu’il y ait « obstruction », il faut qu’il y ait un mobile délictueux (« corrupt intent »), or Trump semble avoir cherché à torpiller l’enquête non pour masquer un crime de collusion, mais parce qu’il estimait cette investigation basée sur des théories complotistes fumeuses. 

L’américain moyen n’a pas lu le fameux rapport Mueller et n’est pas familier avec les innombrables faits accablants (pour Donald Trump) qu’il contient. L’opinion publique a surtout retenu que, contrairement à ce que la presse lui promettait depuis plus de deux ans, Trump n’a pas commis d’actes criminels. 

Or la procédure de destitution est purement politique, et non pas juridique. Une fois votée par la chambre des représentants, elle donne lieu à de multiples auditions avant de se conclure par un vote au Sénat. Il s’agit donc d’une arme à double tranchant, qui peut aussi bien faire tomber le président que le renforcer. Pour être utile au parti démocrate, elle doit être invoquée sur des motifs suffisamment sérieux pour gagner la bataille de l’opinion publique. 

Copy d’écran CNN pendant le témoignage de Mueller. 

Suite à la publication du rapport, la direction du parti démocrate se trouvait face à deux options stratégiques : déclencher directement la procédure de destitution sur la base des nombreux faits accablants qu’il contient, ou bien chercher à exploiter le rapport pour affaiblir petit à petit le président, à coup d’auditions devant le Congrès et de commissions parlementaires, quitte à déclencher la procédure ultérieurement. L’idée étant, en parallèle, de se focaliser sur le vote de nombreuses propositions de loi populaires et progressistes pour déplacer le débat public vers des questions plus importantes aux yeux des Américains (la santé, l’emploi, les salaires…). [3]

C’est la seconde option qui fut retenue, malgré de nombreuses protestations de l’aile gauche du parti, qui estime que la destitution est un devoir moral avant d’être un calcul politique, et qu’elle n’empêche pas de poursuivre le travail législatif par ailleurs. 

Mais la Maison-Blanche a refusé de céder le moindre pouce de terrain au parti démocrate, s’opposant à toute convocation de ses collaborateurs, ou les acceptants uniquement à huis clos. Sans l’effet théâtral de ces auditions et du fait de la lenteur des procédures, le parti démocrate a rapidement perdu la bataille médiatique. Il paye également les conséquences de la déception provoquée par les conclusions du rapport Mueller dans l’opinion, après que la presse ait monté cette enquête en épingle (lire notre article pour comprendre le contexte). Surtout, du fait de ses divisions internes et du manque de sens politique de sa direction, le parti démocrate a échoué à occuper l’espace médiatique à l’aide de ses propositions de loi. La hausse du salaire minimum et une réforme audacieuse de l’accès au vote et des règles de financement de campagne ont été votées par la chambre des représentants sans que cela ne fasse le moindre bruit dans les médias, quand aux autres propositions ambitieuses (assurance santé, green new deal…), la direction du parti s’y oppose.   

En clair, le manque de combativité du parti démocrate et ses dissensions internes ont produit l’exact opposé de ce que la stratégie retenue prévoyait. Loin de s’éroder, la cote de popularité de Trump a lentement progressé, passant d’un point bas atteint en février (37 %, lorsque les démocrates l’avaient forcé à capituler sur le vote du budget) à son plus haut niveau depuis sa prise de fonction (43 %). [3]

L’opposition catégorique de Nancy Pelosi (principale dirigeante du parti démocrate du fait de son rôle de présidente de la chambre des représentants) à toute procédure de destitution plaçait les démocrates chargés de conduire l’audition de Mueller dans une position ambiguë : ils devaient démontrer les fautes commises par Trump, sans pour autant en tirer la conclusion logique.

L’audition de Mueller devant le congrès devait permettre de remettre son fameux rapport au cœur du récit médiatique et influer sur l’opinion publique. « Si les Américains n’ont pas lu le livre, ils regarderont certainement le film ». Certains espéraient que cet événement produise les circonstances favorables au déclenchement d’une procédure de destitution. Mais c’était sans compter sur la personnalité de Robert Mueller, et les zones d’ombre entourant son enquête.

2) Robert Mueller, du statut de super justicier à celui de vieil homme dépassé

Pour fonctionner, l’audition de Robert Mueller nécessitait la coopération tacite de ce dernier. Or, comme il l’avait indiqué à la presse auparavant et conformément aux demandes du ministère de la Justice, le procureur a refusé de commenter au-delà de ce qui est contenu dans son rapport. Pire, sa prestation télévisuelle a violemment détruit l’image de super justicier construite par les médias. [4] 

Robert Mueller/Copyright COLIN ANDERSON/ALEX WONG/GETTY/PAUL SPELLA/ THE ATLANTIC

Il est apparu vieux, fatigué, bafouillant, hésitant, parfois dépassé par les questions ou confus, incapable de se rappeler de points clés de son rapport, demandant aux parlementaires de répéter leurs propos, et livrant des réponses minimalistes. La plupart du temps, il s’est contenté de « renvoyer à ce qui est écrit dans le rapport ». Il a refusé de répondre à plus de deux cents questions, expliquant qu’il n’était pas autorisé à commenter des enquêtes en cours, à détailler le mode opératoire du FBI ou à interpréter des faits. Du point de vue télévisuel, sa prestation contraste violemment avec l’image que lui avait fabriquée les médias. Loin d’être combatif et incisif, il est apparu comme un vieux bureaucrate s’en tenant strictement aux prérogatives de son mandat. Son silence médiatique avait été interprété comme une marque de génie, la signature d’un fin limier et tacticien hors pair. Après sa prestation, on est en droit de se demander si Mueller n’était pas tout simplement trop vieux ou physiquement diminué pour tenir une conférence de presse, voir si c’était réellement lui qui a conduit l’investigation. 

Si le style de Robert Mueller a pris tout le monde de court, les démocrates avaient anticipé son refus de développer son propos au-delà des prérogatives de son mandat. Ils ont opté pour une stratégie consistant à reprendre pas à pas les éléments contenus dans le rapport en le citant extensivement, avant de demander à Mueller de confirmer leurs assertions. Ce faisant, ils espéraient que les téléspectateurs américains entendraient le contenu accablant du rapport. Mais cela a produit une audition assez indigeste du point de vue télévisuel. Pire, à chaque fois que les démocrates ont voulu pousser Mueller à tirer les conclusions qui s’imposent, il s’est refusé à le faire, arguant qu’il s’en tenait à ce qui était écrit dans le rapport. 

À l’inverse, les républicains ont cherché à mettre en doute la crédibilité de l’enquête et le sérieux du travail de Mueller, cherchant à remettre en cause les circonstances ayant conduit à cette investigation, évoquant les zones d’ombres produites par les théories diffusées par la presse, et mettant en doute la probité des enquêteurs. À de rares exceptions près, Mueller a refusé tout commentaire, citant les limitations de son mandat. Cela a largement aidé l’entreprise de démolition des républicains, et renforcé l’image désastreuse de Mueller.

En mars, la publication du rapport avait fait voler en éclat la thèse d’une collusion entre Trump et le Kremlin et affaibli les révélations de l’enquête. L’audition publique de Mueller vient de dégonfler un second mythe, celui du statut de l’enquêteur lui-même.  

Les démocrates sont néanmoins parvenus à extraire des affirmations précieuses et confirmer de nombreux points qui justifieraient en théorie une procédure de destitution. Sur le fond, les éléments mis en lumière par l’audition restent accablants pour Donald Trump, mais sur la forme, les six heures d’audience renvoient une image désastreuse pour Mueller, et peu flatteuse pour les stratèges démocrates qui avaient placé leurs espoirs dans ce personnage et son enquête. 

3) La procédure de destitution apparaît de plus en plus périlleuse pour les démocrates

Trois arguments plaident en faveur du déclenchement de la procédure. Le premier, d’ordre moral, revient à dire que les multiples agissements problématiques du président ne doivent pas rester impunis, au risque d’établir un dangereux précédant.

Le second, d’ordre politique, vise à provoquer Donald Trump. Son émotivité et sa propension à perdre ses nerfs pourraient lui coûter cher s’il réagissait de manière trop incontrôlée à la procédure de destitution. Et tout semble indiquer qu’il le ferait. 

Le troisième, et plus important point repose sur l’idée que la procédure elle-même affaiblira le président, à travers les audiences parlementaires qu’elle entraînera. 

Sur ce troisième point, la prestation de Mueller devant le Congrès et la façon peu convaincante et très bureaucratique avec laquelle des parlementaires démocrates  l’ont interrogé ont de quoi inquiéter. Si la procédure de destitution est conduite comme les auditions de Mueller, elle risque d’exploser à la figure des démocrates. À moins que ces derniers ne l’étendent à de nombreux autres motifs ayant trait à la corruption, les violations des règles de financement de campagne, et les propos antidémocratiques du président. 

Mais là encore, l’audition ne convainc guère de la justesse tactique de cette voie. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il semblerait que les démocrates aient perdu une occasion en or de battre Donald Trump. Il ne leur reste plus que les urnes, et là aussi, on est en droit de s’inquiéter.  

***

Notes et références :

  1. Pour voir les arguments en faveur d’une destitution de Trump, lire cet article et regarder cette vidéo
  2. Lire cette analyse politique détaillée: https://crooked.com/articles/fighting-democratic-party/
  3. Idem 2
  4. Idem 2.
  5. Pour une analyse du témoignage de Mueller dans le contexte médiatique : https://www.rollingstone.com/politics/politics-features/myth-robert-mueller-exploded-taibbi-863282/

5 réactions au sujet de « Ce qu’il faut retenir du témoignage de R. Mueller devant le Congrès (#Trump #Russiagate) »

  1. cher Monsieur,

    rapidement : attention au petit lapsus en debut d’article. …. aux EU il n’y a pas de Président. …
    de la République !

    Mille mercis par ailleurs
    thM

  2. Moralité:
    1- faut pas jouer fair play contre un type qui triche
    2- Donald est parti pour un deuxième manda et à moins qu’il ne fasse péter la planète entre temps, je le vois bien s’arranger pour s’en offrir un troisième sauce poutine (riche en sauce brune).

  3. pas une seule mention des « grand electeurs »?

    Trump n a pas besoin de gagner une majorite d electeurs- il a SEULEMENT besoin de gagner la majorite des grand electeurs…
    le vote n est PAS democratique a l echelle des electeurs. Un electeur dans un petit etat peut compter des dizaines de fois plus qu un electeur dans u ngrand etat.
    c est un important detail!!!
    Par exemple un president pourrait etre elu avec disons 33% d electeurs « pour » et 66% « contre » lui, tant que les electeurs qui votent pour lui se trouvent dans des zones ou les votes comptent plus.

    1. Bonjour et merci de votre commentaire ! Vous avez entièrement raison, mais l’objet de cet article était de parler du témoignage de Mueller au Congrès, pas des chances de réelection de Donald Trump. J’ai écrit un article sur ce sujet ici, qui explique la question des grands électeurs et du collège électoral. J’ai également publié ce long article qui détaille le fonctionnement de chaque élection (présidentielle, congrès…) et des institutions. Et lorsque j’ai couvert les midterms (ici) et les récentes décisions de la cour suprême ()j’ai également développé cette question du collège électoral.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *