Donald Trump siffla trois fois (3/3)
Cet article constitue la troisième et dernière partie de notre série consacrée à la première tournée internationale de Donald Trump. La première partie traitait du contexte général et du virage politique au Moyen-Orient, la seconde analysait le durcissement des relations avec la Russie.
Troisième partie : Trump en guerre contre le climat
Après avoir entretenu un faux suspens de quelques jours, c’est depuis le jardin de la Maison-Blanche que Donald Trump annonça théâtralement le retrait des États-Unis de l’accord sur le climat.
Cela nous amène naturellement à nous poser les questions suivantes : pourquoi une telle décision, quelles en sont les conséquences et que pouvons-nous faire face à cette situation ?
Avant de s’appliquer à y répondre, assurons-nous de quelques bases.
Le climat se réchauffe. Les températures moyennes augmentent, le niveau des eaux monte et la fonte des glaces s’accélère, le tout dans un rythme qui dépasse les pires prédictions scientifiques. (15) Il s’agit d’un phénomène d’emballement exponentiel. Plus la calotte glaciaire recule, moins elle agit comme un miroir réfléchissant et plus l’océan absorbe les rayons solaires, tandis que la fonte du permafrost libère du méthane, un gaz à effet de serre 85 fois plus puissant que le CO2. Les effets de ce réchauffement se font déjà ressentir : épidémies, famines, catastrophes naturelles, vagues de chaleur et leurs conséquences : immigration et guerres. Ainsi, la révolution syrienne aurait pris racine suite à une violente sécheresse qui avait affamé une partie de la population. (16)
Si la trajectoire actuelle se prolonge, nous nous dirigeons vers une augmentation moyenne des températures de quatre degrés, ce qui correspond à la disparition totale de la calotte glaciaire et une montée du niveau des océans de plus de dix mètres. Devant une pareille pression naturelle, il deviendra de plus en plus difficile de loger et nourrir la population mondiale, qui risque de recourir massivement à la violence. Or, des états aussi peu stables ou exposés que la Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan possèdent l’arme nucléaire.
La responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique n’est plus sérieusement remise en question. Les grandes compagnies pétrolières le reconnaissent, et investissent en conséquence (17). Même Exxon Mobil, après avoir longtemps financé des études destinées à semer le doute (sur le modèle de l’industrie du tabac dans les années 60), a fait directement pression sur Trump pour qu’il maintienne les USA dans l’accord de Paris.
Les climato-sceptiques doivent se poser une question simple : si le réchauffement climatique n’est pas causé par l’homme, qui aurait intérêt à perpétuer cette idée ? Surement pas les puissances financières (compagnies pétrolières, banques, industries manufacturières) dont la prospérité dépend de leur capacité à commercer et à polluer. En réalité, seules les industries vertes (qui représentent moins de 0.1% de la capitalisation boursière mondiale) tirent profit du consensus sur le climat. De même, les états (Chine, Russie et USA en tête) n’ont aucun intérêt économique à réduire leur impact carbone.
Donc oui, la nature anthropologique du réchauffement climatique est bien réelle, et l’urgence dans laquelle elle nous place également.
Pourquoi Donald Trump retire les USA de l’accord sur le climat
Outre le fait qu’il s’agissait d’une promesse de campagne, ce retrait figurait au programme du parti républicain. Sur les dix candidats à la primaire, seuls deux reconnaissaient la réalité du réchauffement climatique, tout en affirmant qu’on ne pouvait ni ne devait rien y faire.
En effet, le parti républicain s’est radicalisé sous l’impulsion de trois phénomènes : le rejet de Barack Obama, la radicalisation de son électorat (ces deux causes étant liées) et l’influence des groupes qui le finance.
En particulier, les Kock Brothers ont dépensé près d’un milliard de dollars au cours de la dernière campagne (présidentielle et législative). Ces deux milliardaires ayant fait fortune dans les hydrocarbures prônent une ligne politique ultra radicale. Leurs priorités sont le retrait complet de l’État de tous les secteurs d’activité (santé, éducation, services publics…) et la suppression de toute régulation (en particulier environnementale). Avec leurs alliés, ils exercent une influence considérable sur le parti républicain. Tout candidat s’écartant de leur plateforme idéologique, en particulier en ce qui concerne les règles environnementales, se voit retirer leur financement. Dans de nombreux cas, un candidat dissident financé par les Koch Brothers sera présenté contre le républicain modéré dans le seul but de le faire perdre. (18)
Ceci explique la radicalité actuelle du parti républicain, et le fait qu’il cherche à supprimer l’assurance maladie de 24 millions d’Américains malgré une opinion publique majoritairement opposée au projet de réforme.
Second point, « l’élite » américaine (le fameux état profond) a du mal à accepter qu’un accord international vienne contester l’indépendance Etats-Unienne. Cela explique surement pourquoi les USA n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto, veulent se retirer du traité de non-prolifération nucléaire et n’ont jamais signé l’accord sur la destruction des armes chimiques et le non-usage des mines anti-personnel. (19)
Troisième point, les Européens sont en partie responsables de cette décision. L’UE représente le plus grand marché mondial et le premier débouché pour les exportations américaines. Nos dirigeants pouvaient faire pression sur Donald Trump en menaçant d’une taxe carbone les produits américains. Au lieu de cela, il semblerait qu’ils aient réaffirmé leur attachement au libre-échange. Dit autrement, nos responsables sont dans une hypocrisie complète. Ils viennent de ratifier un accord désastreux pour le climat (le CETA, entre l’UE et le Canada) qui augmente considérablement les rejets de C02 par effet d’accroissement des échanges commerciaux tout en subventionnant l’agriculture intensive et la production d’hydrocarbures issus des sables bitumineux.(20) Macron peut faire le malin avec son hastag #makeourplanetgreatagain et son bras de fer musclé avec Trump, la réalité est qu’il préfère éviter la confrontation avec les USA et choisit de sacrifier le climat au profit du commerce international.
Trump avait parfaitement compris cette échelle de priorité. Elle constituait du pain bénit pour celui qui cherchait à consolider sa base électorale tout en poursuivant son œuvre de destruction de l’héritage d’Obama. Il justifie ainsi sa décision par un accord jugé défavorable, en oubliant que le déséquilibre vient du fait que les USA sont les principaux pollueurs (par habitant), dans des ratios variant de 2 à 8, et que leur passif en termes de rejet de C02 est sans égal. En réalité, l’accord leur était largement favorable, du point de vue des pays émergents.
Enfin, un dernier aspect est rarement mentionné dans les médias. Il concerne l’impact de certains cercles américains croyant dur comme fer à l’arrivée imminente de l’apocalypse (telle qu’elle est annoncée dans la Bible) et au retour du Christ. Dans ce contexte, cette frange minoritaire, mais financièrement influente considère qu’il est inutile de chercher à sauver la planète (le Christ le fera), voire souhaitable de précipiter l’apocalypse. (21) Bien qu’il ne soit pas chrétien, l’anarchiste Stephen Bannon (chef stratégique de Donald Trump) espère lui aussi provoquer un effondrement du système, dans un but idéologique et politique (22).
La décision de Donald Trump était donc largement prévisible et relève d’une certaine cohérence, ce qui ne lui confère pas moins le statut potentiel de crime contre l’humanité (selon les mots de Noam Chomsky).
Les conséquences du retrait américain de l’accord sur le climat
D’un point de vue théorique, le retrait de l’accord n’a quasiment aucune conséquence. D’abord cet accord n’est pas contraignant, et ensuite Donald Trump avait déjà annulé une douzaine de décrets présidentiels signés par Obama pour réduire les rejets de gaz à effet de serre et encourager le développement de solutions alternatives.
Accord ou pas, les USA de Trump allaient continuer de polluer. Le problème découle de l’effet domino de cette décision. Puisque l’accord repose sur la bonne volonté des participants à tenir leurs engagements, le retrait américain risque d’affaiblir le volontarisme des autres états signataires.
Cependant, cette décision peut, paradoxalement, aider la lutte contre le réchauffement climatique. Les Européens, la Chine et l’Inde ont réaffirmé leur volonté de tenir leurs engagements, tout comme de nombreuses villes et Etats américains (sous contrôle démocrate) qui se placent dans une posture de défiance du pouvoir central de Washington.
De même, les géants chinois et indiens voient dans ce retrait une formidable opportunité de prendre une avance technologique sur les Américains en matière d’énergie verte. En Inde, les projets de centrale à charbon sont désormais annulés aux profits de centrales solaires moins onéreuses, tandis que le gouvernement chinois investit massivement dans les renouvelables (plus de trois cents millions de dollars, six fois plus que ce que proposait de faire Jean-Luc Mélenchon en France). (22)
Depuis la fenêtre du nouveau train reliant Pékin et Shanghai en trois heures, le paysage complètement embrumé par un épais nuage de pollution fait défiler à 400 km/h un grand nombre d’éoliennes et de champs de panneaux solaires. Avec cette décision, les Américains risquent peu à peu de se couper des gigantesques marchés chinois et indiens, dans le secteur des transports et de l’énergie. Ceci explique surement pourquoi de nombreux acteurs prennent le contrepied de Donald Trump.
Que peut-on faire ?
À l’échelle nationale et européenne, nos dirigeants nagent dans une complète hypocrisie. Après la signature du CETA, un accord sans aucune close climatique et dont la Commission européenne elle-même reconnait les répercussions environnementales désastreuses, les projets de fermes-usines se multiplient, la régulation sur le diesel recule, et les pesticides sont en passe d’être autorisés dans l’agriculture bio (ce qui aura pour conséquence de détruire les productions locales au profit des productions industrielles). La priorité absolue du gouvernement Macron (conformément aux recommandations de la Commission européenne) se résume à l’austérité budgétaire et la réforme du Code du travail.
Puisque nos gouvernements ne font pratiquement rien pour le climat, c’est à nous d’agir. D’abord politiquement, en exerçant une pression sur nos dirigeants à tous les niveaux et par tous les moyens disponibles (pétitions, appels, courriers, manifestations de rue) tout en convainquant de plus en plus de nos concitoyens. Ensuite, à notre échelle, nous pouvons réduire drastiquement l’impact sur le climat en réduisant notre consommation de viande, en particulier de bœuf. La production d’un steak de 200g rejette autant de gaz à effet de serre qu’une voiture parcourant 25 km et nécessite 1600 litres d’eau (l’équivalent de deux mois de douches).
À l’échelle des Etats, les solutions sont connues : investissement dans les énergies renouvelables, dans les infrastructures (économie d’énergie) et changement de mode de production. À ce titre, l’essor d’une agriculture bio et locale reposant sur des circuits courts serait une première étape motrice. Avec à la clé des milliers d’emplois et des nouvelles recettes pour les caisses de l’Etat. La seule chose qui fait défaut est la volonté politique. À nous de l’imposer.
Conclusion
À travers les trois parties de ce long post, nous avons analysé les trois grandes décisions de politique internationale récemment prises par Donald Trump. Son virage stratégique au Moyen-Orient, qui consiste à s’appuyer sur l’Arabie Saoudite pour combattre le terrorisme tout en faisant de l’Iran l’ennemi absolu. Son renoncement à une politique de détente avec la Russie au profit du prolongement de la logique de guerre froide. Et son retrait de l’accord sur le climat.
Derrière chacune de ces décisions se cachent des intérêts financiers particuliers. Ceux de l’industrie de l’armement, du charbon et du pétrole (dans ce dernier cas, contre l’avis de la majorité de ses acteurs). Mais surtout, on y retrouve la marque d’une volonté de réaffirmation de puissance et une empreinte idéologique aussi prégnante qu’absurde.
L’Iran combat le terrorisme financé et encouragé théologiquement par l’Arabie Saoudite. La Russie n’interfère pas plus dans les élections américaines qu’inversement. Elle constitue un facteur de stabilité au Moyen-Orient, alors que les États-Unis y ont causé la mort de 1,3 million d’individus, envahi deux pays, transformé la Libye en zone de non-droit, menacent de faire de même avec la Syrie et soutiennent deux génocides en Palestine et au Yémen. Enfin, le réchauffement climatique est de loin le principal danger qui pèse sur l’humanité, au point que les principaux pollueurs (états et industries) cherchent désormais à le combattre.
Et pourtant, Donald Trump entraine l’Amérique dans la voie la plus dangereuse. Il ne faudrait pas commettre l’erreur de penser qu’il est à la source du problème et que sa destitution signerait le retour à la raison. Il n’est que le symptôme le plus criant d’une maladie plus profonde, qui atteint à des degrés divers les différentes couches du pouvoir, y compris médiatique, et y compris en France.
Prendre conscience du fait que l’Amérique n’est pas nécessairement un ami qui vous veut du bien, c’est une réalisation essentielle. Heureusement, il se pourrait que nos dirigeants viennent de faire, grâce aux coups de sifflet de Donald Trump, un premier bout du chemin.
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Notes et références:
(15) https://www.bastamag.net/Emballement-du-rechauffement-climatique-tous-les-indicateurs-au-rouge
(16) Lire cette synthèse de Chris Hedges sur l’état actuel et l’impact du réchauffement climatique:
(17) Shell fait du lobbying pour l’établissement d’une taxe carbone afin de pouvoir rendre économique son modèle de captage et stockage de C02. Total investit 2 milliards par an dans les énergies renouvelables, par exemple.
(18) Lire l’article de Wikipédia sur les Kock Brothers:
(19) Les courageux pourront écouter cette conférence passionnante de Frédécric Munier https://youtu.be/N0GUlWo95w4
(20) Lire cet article du monde: CETA, un accord désastreux pour le climat
(21) http://www.huffingtonpost.com/g-elijah-dann/christians-climate-change_b_3668179.html
(22) https://www.les-crises.fr/leffondrement-apocalyptique-de-steve-bannon-par-alastair-crooke/
(23) La chine a lancé un plan d’investissement de 360 milliards de dollars sur cinq ans : http://www.newsweek.com/china-invest-360-billion-green-energy-2020-reduce-pollution-538844 et en Inde l’énergie solaire est moins chère que le charbon : https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-06-01/cheaper-solar-in-india-prompts-rethink-for-more-coal-projects