Donald Trump et le RussiaGate : du fiasco médiatique à la destitution ?

Donald Trump et le RussiaGate : du fiasco médiatique à la destitution ?

Depuis sa prise de fonction, Donald Trump fait face à de multiples accusations de collusion ou de conspiration avec la Russie. Connues sous le nom de RussiaGate, ces thèses complotistes sont entretenues par une curieuse alliance d’acteurs allant des principaux médias américains « libéraux » aux néoconservateurs républicains, en passant par les démocrates proches d’Hillary Clinton et une pléthore d’anciens membres des services de renseignement.

Malgré la publication du rapport du procureur Mueller qui réfute complètement cette théorie, les mêmes acteurs demandent désormais la destitution de Donald Trump sur la base d’une obstruction à la justice qu’il aurait comis.

Nous avions publié un long article pour le site LVSL.fr.  Suite aux récents développements, voici une mise à jour complémentaire qui n’enlève rien à ce que l’on avait écrit auparavant.

Le rapport Mueller révèle l’ampleur d’un fiasco médiatique

Au cœur de cette théorie du complot, on retrouvait l’idée que Trump aurait conspiré avec la Russie pour remporter l’élection, serait un agent russe, ou serait manipulé par Vladimir Poutine (ce dernier possédant soit-disant des éléments compromettants pour le président américain).

Suite au licenciement du directeur du FBI James Comey, une enquête tentaculaire, placée sous la conduite du procureur spécial Robert Mueller, fut mandatée pour faire toute la lumière sur cette « affaire ».

L’investigation devait déterminer l’ampleur de l’ingérence russe, si la Russie avait conspiré avec Trump pour influencer les élections, et si Donald Trump avait commis une « obstruction à la justice » en renvoyant James Comey.

Pendant deux longues années, le #RussiaGate occupa le premier plan de l’actualité américaine, faisant miroiter aux opposants de Donald Trump des révélations fracassantes qui permettraient de justifier une procédure de destitution.

Robert Mueller vient de livrer son rapport, en deux temps. Un résumé fut d’abord rendu public par le ministre de la Justice (Attorney general), avant que la majorité du dossier ne soit publiée trois semaines plus tard.

Les conclusions initiales étaient accablantes pour les médias américains : aucune collusion ou conspiration avec la Russie, et un manque d’élément pour statuer de façon définitive sur l’obstruction de justice. On parlait alors d’un fiasco journalistique de l’ampleur de celui des armes de destructions massives inexistantes ayant justifié la guerre en Irak.

Lire notre article : Russiagate : le fiasco de l’opposition néolibérale via Lvsl.fr

Mais depuis la publication du rapport, les médias et le camp démocrate ont repris du poil de la bête. Si Mueller a méthodiquement démonté chaque élément des thèses complotistes, il n’en demeure pas moins que du simple point de vue de la « collusion », les faits détaillés dans le rapport montrent que l’équipe de campagne  de Donald Trump se réjouissait de l’interférence russe dans l’élection et avait activement cherché à obtenir plus d’informations (sans succès). De quoi ravir les humoristes et nourrir les fantasmes des conspirationistes.  

Sur ce point, les médias américains oublient un peu vite que l’équipe de campagne de Clinton avait fait pire, allant jusqu’à payer un citoyen britannique (Christopher Steel) ayant des contacts avec le pouvoir ukrainien pour obtenir des éléments susceptibles de compromettre Donald Trump, avec l’aide de sources… Russes.

Poutine et Trump en 2017, photo Kremlin.ru

Mais l’essentiel n’est pas là. En ce qui concerne l’obstruction, Robert Mueller a détaillé dix circonstances où Donald Trump a potentiellement commis un acte susceptible d’entraver le travail de la justice. Or, c’est ce délit qui avait justifié la destitution de Richard Nixon suite au Watergate. En plus de dresser un portrait accablant de l’administration Trump, où mensonges et manipulations se mèlent à l’incompétence et l’insubordination, le rapport Mueller peut se lire comme une invitation et un guide pour mener une procédure de destitution.

Cependant, Mueller s’est gardé de conclure à une obstruction de justice à cause de trois éléments :

  1. Pour qu’il y ait « obstruction », il faut qu’il y ait un mobile délictueux (« corrupt intent»), or Trump semble avoir cherché à torpiller l’enquête non pour masquer un crime de collusion, mais parce qu’il estimait (à raison) cette investigation basée sur des théories complotistes fumeuses. Il s’est régulièrement plaint de ne pas pouvoir mener à bien sa politique étrangère et son action gouvernementale, comme le rapporte clairement Mueller. On peut également supposer que Trump avait peur de tomber pour fraude fiscale ou crimes financiers, mais Mueller n’a fouillé dans ses affaires que partiellement, se concentrant sur ce qui avait un lien avec la Russie, sans rien trouver d’illégal.
  2. À de nombreuses reprises, Trump a ordonné à ses collaborateurs de commettre des actes qui lui auraient valu une mise en accusation pour obstruction. Ses collaborateurs ont systématiquement refusé de suivre ces ordres, ce qui lui aurait ironiquement sauvé la mise.
  3. Mueller estime que c’est au Congrès de trancher cette grave question d’obstruction.

Vers la destitution de Donald Trump ?

Fort des conclusions du rapport, les mêmes acteurs médiatiques qui ont entretenu la thèse de la collusion demandent désormais la destitution pour « obstruction ».

Une telle procédure exige un vote à la majorité simple par la Chambre des représentants (détenu par le parti démocrate), qui sera suivie d’un procès conduit par le Sénat. Au terme du procès, deux tiers des sénateurs doivent se prononcer en faveur de la destitution pour que celle si soit effective. Or le Sénat est à majorité républicaine (53 contre 47) : il faudrait que vingt sénateurs du parti de Donald Trump votent contre le président. À un an et demi de la prochaine présidentielle, ce scénario n’a aucune chance de se produire compte tenu de la faiblesse du dossier.

Pourtant, la question de la destitution divise le parti démocrate et les journalistes indépendants proches de la gauche radicale américaine.

Pour les cadres du parti démocrate, la destitution serait une erreur politique qui pourrait leur coûter l’élection, comme elle avait coûté l’élection au parti républicain lorsqu’il avait tenté de destituer Bill Clinton suite à l’affaire Lewinski. La majorité des candidats démocrates à la présidentielle de 2020, de Bernie Sanders à Kamala Harris, se sont gardés de réclamer la destitution, préférant argumenter en faveur d’une continuation du travail d’enquête parlementaire et d’auditions afin d’éclaircir les conclusions de Mueller. L’avantage de cette option est d’engluer Trump dans des procédures susceptibles d’éroder sa côte de popularité tout en évitant de lui offrir une « victoire » en cas d’échec de la procédure de destitution. Cela permet également de laisser de l’espace médiatique pour faire campagne sur les thèmes chers à l’opinion publique, en particulier la question de l’assurance maladie. 

Pour certains élus de l’aile gauche démocrate, notamment la socialiste Rachida Tlaib, la populaire Alexandria Ocasio Cortez ou la candidate à la présidentielle Elizabeth Warren, enclencher la procédure de destitution est un devoir moral dicté par la constitution qui ne saurait souffrir le moindre calcul politique. 

Dans la presse alternative, le JT progressiste « The Young Turks » et des journalistes aux podcasts influents (The Intercept, Pod Save America) militent pour la destitution.

À l’inverse, le rédacteur en chef de la revue socialiste Jacobin estime que la seule façon politiquement souhaitable de vaincre Donald Trump est par les urnes. Un point de vue partagé par le fondateur de The Intercept, le Pulitzer Glenn Greenwald, ou des penseurs influents tels que le prix pultizer Chris Hedges et le linguiste Noam Chomsky, qui estiment que le RussiaGate présente un cadeau pour Donald Trump. De même, le fondateur du très influent Vox.com, Ezra Klein, considère la destitution politiquement risquée.

Les sondages leur donnent raison : le RussiaGate fait partie des sujets politiques qui intéressent le moins les Américains (loin derrière la santé, l’immigration, l’éducation ou l’environnement). Bien que Trump plafonne à 40 % d’opinion favorable, seul un Américain sur trois approuve le déclenchement d’une procédure de destitution.

Mais face à la pression d’une partie des élus démocrates, des grands médias et des éditorialistes, pas certain que le parti démocrate résiste longtemps à la tentation…

Ce serait un cadeau pour Donald Trump, à condition qu’il sache l’instrumentaliser proprement.

***

Pour aller plus loin et tout comprendre du RussiaGate, ses origines et implications, lisez notre article de fond via Lvsl.fr :

Trump et le RussiaGate : l’énorme raté de l’opposition néolibérale

 


2 réactions au sujet de « Donald Trump et le RussiaGate : du fiasco médiatique à la destitution ? »

  1. J’imagine que vous avez étudié les plus de 400 pages du rapport. Pour ma part qui suis obligé de le traduire laborieusement dans la langue de Molière grâce à des outils en libre service sur internet, je n’en ai lu que quelques pages.
    Ce peu que j’ai lu confirme pleinement l’ingérence russe. C’est sidérant !

    1. Merci de votre commentaire qui va me permettre d’éclairer un point important.

      En effet, le rapport de Mueller démontre bien que la Russie a influencé les élections US de deux facon (qui ne semblent pas coordonnées cependant) : en piratant les emails démocrates (DNC, puis de Podesta), et en ayant recours à des techniques dites d’astroturfing via facebook. La publication des emails a peut être joué un rôle important, la ferme à troll et l’astroturfing, a priori beaucoup moins. Les individus incriminés ne sont qu’au nombre de 12 (c’est assez risible si on met cela face aux dizaines de milliers de militants républicains et démocrates) et leur dépenses ne furent que de 100 000 dollars (contre 1 milliards pour la seule campagne de Clinton, et un total de 6 milliards si on ajoute la campagne des démocrates et des républicains). De manière générale, il semble que « l’influence Russe » soit bien moins importante que l’influence d’autres nations, en particuluer Israel et les monarchies du golf. Le fameux accord sur le nucléaire Iranien, par exemple, fut dénoncé par Nethanyahou au Congrès américain en 2015, ce qui devint un des éléments clés de l’argumentaire de Trump contre Hillary dans les débats (en matière de politique étrangère). Le fait que des russes (bien que le lien avec Poutine ne soit pas établis par Mueller qui se contente de dire, sans preuves, « proche de Poutine » ou « proche du Kremlin) aient tenté de prendre contact avec l’équipe de campagne de Trump semble malgré tout assez banal, si on excepte le piratage des emails.

      Donc la Russie a interféré dans les élections, mais ce n’est pas le coeur de l’enquête de Mueller, qui devait déterminé la collusion et l’obstruction de justice.

      De nombreux médias américains avaient affirmé que Trump était un agent russe, coupable de hautre trahison. C’est une accusation gravissime, et c’était celà le coeur de la « théorie du complot ». Or, sur ce point, Mueller est on ne peut plus clair : il n’y a pas eut de collusion, ni d’efforts coordonnées entre la Russie et la campagne de Trump.

      Par contre l’obstruction de justice est clairement sujet à débat. Ce qui explique le regain de protestation du camp démocrate.

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