OTAN, UE, Russie: où va Donald Trump ?
Après avoir vilipendé ses alliés européens au sommet de l’OTAN, critiqué Theresa May pour sa position trop molle sur le Brexit et attaqué l’Union européenne sur la question du commerce, Donald Trump s’en est allé chanter les louanges de Vladimir Poutine à Helsinki. La folle tournée internationale du président des États-Unis a déclenché des vagues de protestations, y compris dans son propre camp. Les médias et principaux chefs d’États européens semblent se perdre en conjecture pour donner du sens à la stratégie de Donald Trump. Celui qui fit capoter le dernier G7 à l’aide d’un simple tweet est souvent décrit comme imprévisible et irrationnel, une manière pratique d’évacuer tout effort d’analyse.
La clé de compréhension de Donald Trump semble pourtant simple : il suffirait de le prendre au pied de la lettre. S’il n’est certainement pas ce « very stable genius » (génie mentalement équilibré) qu’il revendique sans cesse, il n’en demeure pas moins cohérent et prévisible.
1) OTAN, Poutine, Union européenne : Donald Trump aux frontières du réel
Pour sa dernière conférence de presse en tant que président des États-Unis, Barack Obama expliquait au sujet de son successeur que « le réel le forcera à ajuster sa politique ». Une façon de rassurer les Américains terrifiés par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, et de justifier a posteriori ses propres échecs et promesses non tenues.
Il y a le programme que l’on porte avec sincérité pendant la campagne, et le mur du réel qui empêche de faire bien des choses. Pour Obama, ce sera l’obstruction du parti républicain à partir de 2010, les réalités de la géopolitique et de l’économie globalisée. On oublie souvent que le lauréat du prix Nobel de la paix a présidé au plus gros redéploiement de troupes américaines depuis la guerre en Irak (vers l’Afghanistan), renversé Kadhafi en violation de la résolution N1973 de l’ONU, généralisé l’usage des drones militaires, illégalement mis en place un système de surveillance de masse de ses concitoyens, piraté le téléphone portable de Merkel et Hollande, et tenté d’emprisonner de nombreux lanceurs d’alertes, dont Edward Snowden et Julian Assange. (1) Obama détient le record absolu de déportations d’immigrés hors des USA (2,5 millions en huit ans). Il a poursuivi la « guerre contre la drogue » et sa politique d’incarcération de masse des Noirs et Hispaniques, et n’a pas tenu sa promesse de lutter contre les inégalités.
Au regard de ce bilan mitigé, le fameux mur du réel qui devait contraindre la politique de Donald Trump tarde à se manifester. Comme promis, le milliardaire a interdit d’accès au sol américain les ressortissants issus de sept pays musulmans. Il a mis en place la plus spectaculaire baisse d’impôts sur les riches et les multinationales de l’histoire américaine et fortement affaibli la réforme de la santé de Barack Obama. Il a déchiré l’accord de Paris sur le climat, l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien, l’accord commercial et diplomatique avec Cuba et le traité de libre-échange TPP avec les nations asiatiques (hors Chine). Le mur à la frontière mexicaine est plus que jamais à l’agenda, quitte à séparer des enfants de moins de quatre ans de leurs parents immigrants en attendant que le Congrès approuve son financement.
La réalité l’a sans doute rattrapé sur les questions d’interventionnisme militaire, le forçant à augmenter les ressources déployées en Afghanistan et au Moyen-Orient, ou en matière de politique étrangère vis-à-vis de la Russie. Contrairement à ce que les médias mainstream rapportent, l’administration Trump a franchi plusieurs lignes rouges qu’Obama s’était gardé de transgresser. Ainsi, des armes lourdes ont été livrées à l’extrême droite ukrainienne, des frappes aériennes ont été conduites contre Bachar el-Assad en Syrie et des centaines de diplomates russes ont été expulsés dans une purge d’une ampleur historique. Trump a déchiré l’accord iranien, un allié de poids du Kremlin, et imposé une nouvelle vague de sanctions financières contre des oligarques russes proches de Poutine. (2)
La question de l’influence de la Russie dans les élections américaines y est certainement pour beaucoup, et l’a empêché de procéder au rapprochement diplomatique qu’il cherchait à mettre en œuvre.
Mais lors de sa dernière tournée européenne, ses mots les plus durs seront prononcés contre Angela Merkel, Theresa May et l’Union européenne qualifiée « d’ennemi économique ». Pas contre la Russie de Poutine, pour lequel il semble éprouver une certaine admiration.
2) Trump : Marionnette russe ou idiot narcissique ?
Trois jours avant le sommet d’Helsinki, Robert Mueller (le procureur du FBI enquêtant sur le rôle joué par la Russie dans l’élection de 2016) inculpe douze employés du Kremlin. Le document décrivant les chefs d’accusation détaille l’opération qu’auraient menée ces agents du renseignement pour pirater les emails du parti démocrate et influencer les élections. Il précise également le rôle qu’auraient joué des membres du parti républicain ou de l’entourage de Donald Trump, sans les nommer. Mueller entretiendrait le suspense sur les révélations à venir afin de faire pression sur ceux qui se reconnaitront dans les descriptions anonymes afin d’obtenir leur coopération. (3) Quoi qu’il en soit, de nombreuses voix se sont élevées pour forcer Donald Trump à annuler la rencontre avec Poutine, en vain. Celui-ci décida, au contraire, de rencontrer le président russe à huis clos, uniquement accompagné de traducteurs.
Il n’en fallait pas davantage pour attiser tous les fantasmes. Les médias américains attendaient avec impatience la conférence de presse qui ferait suite au premier tête à tête entre le président milliardaire fonctionnant à l’instinct et l’ancien espion du KGB Vladimir Poutine.

Le résultat fut explosif. Non seulement Donald Trump se montra incapable de condamner l’ingérence présumée de Moscou, mais il mit en doute ses propres services de renseignements, donnant l’impression de faire davantage confiance à Vladimir Poutine qu’au FBI. Pire, il présenta la proposition poutinienne d’inviter les membres du FBI à Moscou pour qu’ils assistent à un interrogatoire des fonctionnaires mis en cause par Mueller (mais interrogés par la police russe…) comme une « idée intéressante », une « offre incroyable ». Le reste du temps, Trump appuya le point de vue de Poutine sur la Syrie, lorsqu’il n’esquivait pas les questions sur l’ingérence présumée en se lançant dans des diatribes hors sujet, se vantant de sa victoire à la présidentielle et reprenant les théories fumeuses de Fox News sur les fameux emails du serveur d’Hillary Clinton.

Pour les critiques de Donald Trump, les choses ne sauraient être plus limpides. Soit Poutine possède des informations compromettantes sur Donald Trump et le fait chanter, soit Trump est à ce point incompétent qu’il en arrive à commettre un acte de trahison sans s’en rendre compte. Dans les deux cas, il serait grand temps de le destituer.
Après tout, c’est Trump lui-même qui, pendant la campagne présidentielle, avait publiquement déclaré « la Russie, si vous écoutez, j’espère que vous allez mettre la main sur les 30 000 emails d’Hillary ». C’était le 26 juillet 2016. Deux jours plus tard, selon le FBI, les hackers russes pirataient les serveurs du parti démocrate.
Depuis l’élection, le feuilleton juridique a fourni de nombreux indices de collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et des citoyens russes, la plus accablante étant probablement la rencontre dans la Trump Tower entre le fils de Donald Trump, son gendre Jared Kushner, son directeur de campagne Paul Manafort et un avocat russe présenté comme proche du Kremlin. Dans une série d’emails que Donald Junior a publié sur Twitter (avant que la presse ne le fasse), il écrit « si c’est bien ce que vous dites, j’aime ça », en référence à des informations compromettantes pour Hillary Clinton que disait détenir une source russe.
Au lieu de chercher à faire toute la lumière sur ces suspicions, Donald Trump est allé jusqu’à limoger le directeur du FBI (James Comey), reconnaissant lui-même dans une interview que la motivation de ce licenciement brutal était la « chose russe ». Puis il a mis en cause de façon répétée le département de justice et le garde des Sceaux pour leur incapacité à le protéger de l’enquête du procureur Mueller.
À la lumière de ces faits, difficile de voir le comportement problématique de Donald Trump comme autre chose qu’une forme de trahison, ou du moins un grave manquement aux obligations du premier représentant du peuple américain qui justifierait une procédure de destitution.
Pourtant, on pourrait lire les choses d’une tout autre façon, et estimer que cette « affaire » se résume à une tentative désespérée par l’establishment de Washington de contraindre Donald Trump à rester dans les clous de la géopolitique américaine traditionnelle. Que la Russie ait interféré dans les élections américaines, comme elle le fait systématiquement depuis 70 ans, ne fait aucun doute. Mais l’ampleur de cette ingérence semble sans commune mesure avec ce que font systématiquement les USA de par le monde. Barack Obama s’était permis de menacer la Grande-Bretagne de représailles commerciales si elle votait en faveur du Brexit, pour ne citer que la pointe de l’iceberg.
Dans ce contexte, l’inculpation de 12 agents russes par Robert Mueller peut être perçue comme une vaste blague. Dans la forme d’abord, on n’avait encore jamais vu un État mettre en examen des agents de renseignements d’une puissance étrangère de la sorte. Imaginez l’effet qu’aurait une inculpation par le pouvoir iranien, chilien ou cubain des agents de la CIA identifiés comme responsables de coups d’État ou tentatives de coups d’État orchestrés par les USA, comme l’indiquent les documents déclassifiés par la Maison-Blanche. Sans parler des 80 interventions américaines dans des élections étrangères documentées par l’Université de Carnegie Mellon (USA), toujours sur la base de documents déclassifiés. Ensuite, on imagine mal Vladimir Poutine extrader ses hauts fonctionnaires aux États-Unis pour les soumettre à la justice américaine. Mais surtout, comme le rappellent certains experts, aucune preuve n’est versée au dossier d’accusation de Robert Mueller. (4) Si l’opération de hacking est minutieusement décrite, le lien entre le crime et les coupables présumés reste à démontrer. Et il ne le sera probablement jamais, car cela contraindrait les services secrets américains à révéler leurs moyens de défense contre les cyber attaques. Autrement dit, l’accusation du procureur Mueller ne tiendrait pas une journée face à une cour de justice. (5)
Enfin, en tant qu’ancien directeur du FBI sous Georges W. Bush, Robert Mueller fut à la tête des services impliqués dans les mensonges et manipulations sur la présence d’armes de destruction massive en Irak et de liens présumés de Saddam Hussein avec Al-Qaida. Comme par hasard, Mueller a choisi de rendre publique son inculpation des 12 Russes trois jours avant la date du sommet d’Helsinki.
Admettons cependant que le Kremlin ait piraté les emails du parti démocrate. Rien ni personne (et surtout pas le FBI qui a balayé cette idée) ne pourrait affirmer que les actions russes sont directement responsables de la défaite d’Hillary Clinton. Il est, à ce titre, utile de rappeler que les emails publiés par Wikileaks ne faisaient qu’exposer le parti démocrate et la campagne d’Hillary Clinton pour ce qu’ils étaient : une machine corrompue, ayant éliminé Bernie Sanders par un procédé antidémocratique, et contraire au propre règlement du parti.

À l’inverse, Donald Trump semble chercher de manière « honnête » à appliquer la politique étrangère pour laquelle il a été élu, c’est-à-dire mettre en place un processus de coopération avec la Russie afin de lutter contre la menace terroriste et réduire le risque d’escalade militaire et d’apocalypse nucléaire. Il fallait écouter les déclarations du président à son arrivée à Helsinki :
« Je l’ai toujours dit, depuis des années et pendant la campagne, et je pense que vous l’avez noté, que s’entendre avec la Russie est une bonne chose, pas une mauvaise chose. Et je crois sincèrement que le Monde veut qu’on s’entende. Nous sommes les deux plus grandes puissances nucléaires. Nous avons 90 % des bombes. Et ce n’est pas une bonne chose, c’est une mauvaise chose. Et j’espère que l’on pourra faire quelque chose à ce propos, parce que ce n’est pas une force positive, c’est une force négative. »
Reste à expliquer sa déplorable performance en conférence de presse. Une clé de lecture possible, qui n’a rien à voir avec les thèses complotistes de la marionnette russe, serait de considérer que Donald Trump veut sincèrement améliorer les relations avec la Russie, et que son égo démesuré ressent comme une blessure profonde les attaques délégitimant son élection. Non seulement l’enquête sur l’ingérence russe l’empêche de mettre en place sa vision géopolitique, mais elle serait perçue comme une remise en cause de sa propre légitimité. Ça, et la fascination qu’un « mâle alpha » comme Trump porte aux autres leaders autoritaires tels que Benyamin Netanyahou, Kim Jong un, Duterte et Vladimir Poutine.
Notons, à ce propos, qu’aucun homme politique américain ne s’offusque des relations que Donald Trump entretient avec des régimes autoritaires comme les monarchies du Golfe, ou pratiquant une forme d’apartheid et de nettoyage ethnique comme l’État d’Israël. Pourtant ces régimes financent de nombreux think tanks ayant pignon sur rue à Washington, et influencent les élections américaines avec bien plus de moyens et d’efficacité que le Kremlin, au point qu’il serait impensable qu’un candidat à la présidentielle fasse campagne en se déclarant hostile à ces régimes. (6)
3) Le monde selon Donald Trump
Jusqu’à présent, la politique de Donald Trump se résumait à trois axes : défaire tout ce qu’Obama avait fait, défendre les intérêts des milliardaires et multinationales américaines et maximiser les profits de la Trump company.
Trump gouvernerait selon « l’agenda » du parti républicain, y compris en matière d’immigration et de remise en cause du droit à l’avortement, malgré quelques positions extrêmes que n’auraient probablement pas prises les autres ténors de son parti.
La promesse de s’attaquer au libre-échange et à l’ordre mondial semblait destinée à demeurer une rhétorique de campagne, tant elle s’oppose aux intérêts financiers.
Pourtant, Donald Trump maintient un discours belliqueux vis-à-vis de ses partenaires commerciaux (Chine, Canada et Europe) et a bel et bien mis en place une première série de tarifs douaniers. Ce n’est pas par hasard que l’acier et l’aluminium furent les premières cibles de la Maison-Blanche. En tant que matières premières, elles forment à la fois la base de l’industrie lourde qui a été délocalisée hors des États de la Rust Belt (États qui lui ont permis de gagner la présidentielle grâce à son discours protectionniste) et présentent l’avantage d’être des produits bruts, donc facilement taxables. Imposer les voitures allemandes comportant des milliers de pièces d’origines diverses serait un plus grand défi, du simple point de vue administratif.
Inversement, les propos tenus contre l’Allemagne et les autres membres de l’OTAN lors du sommet de Bruxelles visent à renforcer la position commerciale américaine. D’abord en forçant les Européens à porter leur budget de défense à 2 % du PIB, ce qui permettra aux USA de vendre de l’armement pour plusieurs centaines de milliards de dollars en s’appuyant sur le fait que le matériel de l’OTAN doit faciliter un fonctionnement militaire intégré, c’est-à-dire reposer sur des logiciels et composants de fabrication américaine. Mais Trump a aussi fustigé le fameux North Stream 2, un gigantesque gazoduc reliant la Russie au marché allemand et européen, qui permettra de diminuer les achats de gaz ukrainien et américain. Washington avait déjà imposé des sanctions économiques précises pour ralentir sa construction. Donald Trump n’est pas fou, et cherche un débouché pour le gaz liquéfié américain. Mais surtout, il applique la vieille tactique du « diviser pour mieux régner ».
Il met ainsi le doigt où cela fait mal, en dénonçant l’hypocrisie allemande qui demande la protection militaire américaine dans le cadre de l’OTAN contre la Russie, tout en achetant 90 % de son gaz à Poutine. Ce genre de propos jadis tenus en privé sont désormais rendus publics par Donald Trump, lui qui considérait encore récemment l’OTAN comme obsolète. Il joue de la paranoïa des pays baltes et de la Pologne pour contraindre la France et l’Allemagne à renoncer à la sécurité d’approvisionnement du gaz russe tout en les forçant à acheter des armes aux Américains pour se protéger d’une Russie de plus en plus antagonisée par Washington.
À ce petit jeu, les USA gagneraient sur tous les tableaux, tandis que la sécurité des Européens se dégraderait fortement. Car s’il y a bien une chose qui rend toute agression russe improbable (mis à part les 500 ogives nucléaires françaises et britanniques pointées sur Moscou), c’est notre dépendance mutuelle (l’Europe ayant besoin des molécules de gaz pour faire tourner son économie, et la Russie des pétrodollars européens).
Un jeu à somme nulle
Donald Trump conçoit le commerce mondial comme un jeu à somme nulle. Cette vision absurde, qui voudrait qu’un déficit commercial soit nécessairement une mauvaise chose et qu’un accord gagnant-gagnant soit impossible, se retrouve dans ses premières interviews. Dès 1988, il fustigeait les accords défavorables aux USA et détaillait la politique qu’il mène aujourd’hui.
La guerre économique et le protectionnisme ne sont pas nouveaux, mais Donald Trump opère de façon plus brutale, agressive et visible. Son objectif de réindustrialisation des USA a du sens si on le replace dans la dynamique actuelle de dé-dollarisation de l’économie mondiale. Plus la production industrielle s’échappe des USA pour graviter autour de la Chine et de l’Allemagne, plus l’usage du dollar comme monnaie de réserve se trouve remis en question. Or l’économie américaine vit à crédit, et compte sur sa capacité à imprimer impunément des dollars pour alimenter cette dette croissante. Pour les USA, maintenir une production industrielle revêt un intérêt vital, afin d’éviter que le dollar se transforme peu à peu en monnaie de singe.
D’où l’importance de favoriser l’industrie de l’armement, de l’acier et de l’automobile. Et contrairement à ce que les médias impriment à tour de bras, la stratégie commerciale de Donald Trump pourrait fonctionner, comme l’explique à contrecœur Paul Krugman (prix Nobel d’économie pour ses travaux sur le commerce international). (7)
Là où Trump se trompe, c’est que le commerce n’est pas nécessairement un jeu à somme nulle, et qu’à trop vouloir chercher des accords favorables, il risque de provoquer des dynamiques « perdants-perdants ».
La remise en cause des institutions
Le dernier point à souligner dans « l’imprévisibilité » de Donald Trump, c’est sa propension à affaiblir les institutions internationales. Après avoir torpillé le G7 et l’OTAN, il s’en prend ouvertement à l’OMC (organisation mondiale du commerce) et s’oppose aux recommandations du FMI et de la Banque Mondiale.
Les éditorialistes fustigent l’attitude irresponsable du président américain. Mais ils oublient ainsi qu’ils s’acharnent à défendre des institutions qui figurent à la source des principaux malheurs des peuples mondiaux, ce que Trump a bien compris, lui.
L’OMC, le FMI et la banque mondiale sont responsables des politiques économiques qui ont provoqué l’effondrement de nombreux pays, de la Grèce aux économies africaines et sud-américaines, sans oublier la désindustrialisation de la Rust Belt américaine, des bassins industriels français, britannique et italien, et de combien d’autres récessions ? À ce titre, le communiqué final du G7, que Trump a fait voler en éclats d’un seul tweet, défendait de façon quasi pathologique l’OMC et le libre-échange. (8)
De même, il serait grand temps de remettre en cause l’existence de l’OTAN.
Cette alliance militaire, créée en 1952 pour répondre au Pacte de Varsovie du bloc de l’Est, aurait logiquement dû être démantelée après la chute de l’URSS. Mais contrairement aux promesses faites à Gorbatchev puis Boris Eltsine de « ne pas l’avancer d’un centimètre vers l’Est », l’OTAN s’est peu à peu rapprochée de la Russie, créant de toutes pièces une situation d’insécurité. Après avoir porté les troupes de l’OTAN à la frontière russe où de nombreuses manœuvres d’intimidation sont régulièrement organisées (voir la carte ci-dessous), les USA ont jugé bon de déployer un système antimissile dont chaque expert en tactique nucléaire vous expliquera qu’il ne fait qu’augmenter le risque de conflit atomique sur le sol européen. (9)

Comment ne pas voir dans les annonces de Poutine concernant ses nouvelles armes atomiques une volonté de rétablir la capacité de dissuasion russe ? De même, la politique de soutien aux révolutions de couleur et le renversement du gouvernement ukrainien par les Occidentaux sont directement responsables de la réponse de Moscou en Crimée et dans le Donbass, comme l’explique très bien l’ancien ministre de la Défense américaine de Clinton et Obama, Mr Robert Gates, ou le documentaire de France 2 sur Vladimir Poutine.
Non seulement l’OTAN aggrave le risque d’escalade militaire en Europe, mais dans le reste du monde ses deux seules interventions post-guerre froide ont viré au fiasco. La guerre contre le terrorisme en Afghanistan a transformé cet État en nouveau point de fixation de Daesh et des talibans les plus radicaux, tandis que l’intervention en Libye s’est soldée par un effondrement de la région. Tripoli est devenue une plaque tournante du trafic d’armes alimentant les groupes terroristes et jihadistes qui sévissent à travers toute l’Afrique, du Mali au Nigeria. Tout cela accélère l’immigration vers l’Europe, tout en profitant aux réseaux mafieux de passeurs et d’esclavagistes dont les profits pourraient financer le terrorisme. (10)
4) Dire non à Donald Trump
Emmanuel Macron et Angela Merkel semblent incapables de s’extirper de l’emprise de Donald Trump. Macron a beau assurer qu’il allait bel et bien allouer 2 % du PIB français à la Défense, et le concrétiser dans la loi de programmation militaire deux jours plus tard, Washington refuse toujours la moindre concession en matière de sanction économique, en particulier sur le dossier iranien. Les intérêts commerciaux de la France sont ainsi piétinés, en dépit de la bonne conduite d’Emmanuel Macron.

Le président américain ne comprend que la force, et les louanges chantées par le secrétaire européen remerciant Trump d’avoir forcé l’UE à dépenser plus en matière de défense passent pour une humiliation pure et simple, qui n’aura pas empêché le milliardaire d’exiger que l’objectif soit désormais placé à 4 % du PIB (sic).
L’Union européenne et ses dirigeants doivent comprendre que les USA ne sont pas un allié, mais un risque en matière de sécurité et un concurrent sur le plan commercial. Il serait temps de sortir de l’OTAN, de priver les USA de leurs bases militaires européennes et d’investir dans une défense indépendante dont le matériel sera fabriqué en Europe.
De même, répondre aux tarifs américains par une mutation de l’économie reposant sur la transition écologique, favorisée par un protectionnisme solidaire et des partenariats commerciaux intégrant des normes sociales et environnementales, aurait plus de sens que les tarifs douaniers appliqués aux Harley-Davidson (sic).
Donald Trump n’entend pas grand-chose aux détails des dossiers politiques ou des enjeux techniques du 21e siècle, mais il comprend et maîtrise les rapports de force. Ayant formidablement bien intégré la frustration engendrée par les ravages économiques subis par les perdants de la mondialisation, il offre aux classes populaires et à la classe moyenne américaine deux boucs émissaires : les immigrés et les nations exportatrices (en tête desquelles figurent la Chine et l’Allemagne).
Plutôt que de répondre à ses provocations par une surenchère en matière de guerre commerciale et de mesures anti-migrants, l’Union européenne serait avisée de devenir le champion de la transition écologique et du commerce « solidaire ». Autrement, nous courons tout droit à la catastrophe contre laquelle alertait récemment Dominique de Villepin : le triomphe de l’extrême droite et la guerre en Europe.
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Notes et références :
Pour les anglophones, ce débat organisé par la WebTV DemocracyNow est à lire (ou écouter) absolument.
- Obama ira jusqu’à ordonner le détournement de l’avion du président Bolivien Evo Morales, et à le forcer à atterrir, sur simple soupçon qu’Edward Snowden se trouvait dans l’avion. Edward Snowden a révélé l’existence d’un dispositif de surveillance de masse qui était allé jusqu’à pirater les téléphones portables des principaux dirigeants européens. Lire dans The Guardian.
- Comme le rapporte dans ce débat Glenn Greenwald, cofondateur du média « The Intercept » et lauréat du prix Pulitzer pour son travail sur l’affaire Snowden.
- À ce titre, l’hebdomadaire The Nation rapporte que le document qui décrit les chefs d’inculpation laisse entendre que Robert Mueller a des éléments bien plus graves à divulguer, susceptibles d’inculper un membre républicain du Congrès et Roger Stone, un proche de Donald Trump impliqué dans des affaires russes.
- Lire à ce propos l’analyse du document de Mueller par Scott Ritter, ancien agent de renseignements du corps des marines et contributeur régulier au New York Times.
- Glenn Greenwald, entre autres, rejoint les analyses de Scott Ritter.
- Ce point est également développé en détail dans le débat mentionné en 5.
- Dans une colonne du New York Time intitulé « Trump, tarifs, tofu and tax cuts »
- Lire Médiapart « D’un tweet Donald Trump plante le G7 »
- Par exemple, Daniel Ellsberg: The doomsday machine, confession of a nuclear war planner.
- Lire cette formidable critique de l’OTAN par Jacobinmag
4 réactions au sujet de « OTAN, UE, Russie: où va Donald Trump ? »
Merci pour cette analyse interessante. Avez vous deja consulte le blog the Craig Murray (lien)? Have a look. You two come up with very similar analyses. L
https://www.craigmurray.org.uk/archives/2018/07/no-trump-no-clinton-no-nato/
Pas encore, je vais regarder. Merci !
Incroyablement lucide… Et le truc vraiment flippant, c’est l’extrême droite et la guerre : les signes sont là.
Comme avec les problématiques écologiques, si nous ne prenons pas des décisions rapides et radicales, le point de non retour sera vite atteint…
Merci pour ces analyses/
Merci pour cet article, et l’occasion d’entendre Villepin, même si je ne me considère pas de son bord (droite libérale), mais j’avoue qu’il donne l’image d’un bon observateur et analyste, face à l’autisme et l’entre-soi des « élites » actuelles. Reprenant une précédente remarque, l’irruption de Trump (mais comme le dit Villepin, ce n’est pas lui en tant que tel, mais la crispation américaine dans son ensemble, probablement dûe pour moi à un déséquilibre structurel interne (avec un symptôme des inégalités abyssales par exemple et d’une forme de « corruption » démocratique concomitante), en même temps qu’un décalage géopolitique, entre les prétentions d’après guerre et les « circonstances » mondiales actuelles, qui les rendent de moins en moins tenables et acceptables), et le sentiment d’une bifurcation géopolitique en générale. Trump se débat dans « ce merdier », avec son background de milliardaire de l’immobilier et de « joueur de Monopoly » ou de poker, avec un comportement imprévisible qui aussi de ce fait attise l’hystérie de l’establishment. Pour reprendre l’expression de Villepin, la conduite USA devient de plus en plus en plus erratique, et la raison inciterait a développer d’are d’are un politique d’autonomisation et de désencastrement de l’Europe vis-à-vis des Etats-unis, qui soit dit au passage, s’ils venaient aujourd’hui vraiment à s’effondrer, nous entraîneraient (ou nous entrainent) immanquablement dans cette chute…..