Comprendre la portée de la réforme fiscale américaine

Comprendre la portée de la réforme fiscale américaine

Le parti républicain vient d’obtenir une victoire politique significative en faisant adopter un large plan de baisse d’impôts. Il serait tentant de résumer cette réforme par l’évidence qui en découle : l’oligarchie américaine vient de réaliser un formidable « hold up » en effectuant un gigantesque transfert de richesse depuis les classes moyennes et populaires vers les plus fortunés.

D’aucuns objecteront « et alors ? », convaincus que la politique intérieure américaine ne nous concerne pas. Ils auraient tort. L’ampleur de cette réforme est comparable au tournant économique effectué par Ronald Reagan au début des années 80, considéré comme le point de départ de l’ère « néolibérale » dans laquelle nous nous débattons depuis.

Plus que le fond, la forme de cette réforme en dit long sur la nouvelle période qu’elle annonce. Mais pour saisir toute la portée des évènements récents, il est nécessaire d’entrer dans les détails. Par chance, il s’agit d’un récit passionnant !

1. Les baisses d’impôts et de prestations sociales comme projet politique

Il fut un temps où les citoyens américains les plus fortunés faisaient face à un taux d’imposition de 82%. Les entreprises s’acquittaient d’un prélèvement de 50% sur leurs bénéfices, tandis que la libre circulation des marchandises et des capitaux était entravée par des droits de douane et des réglementations en tout genre. En cette époque pas si lointaine, que l’on connut en France sous le nom de « trente glorieuses », le chômage n’existait pas. (1)

Une suite d’évènements allait précipiter la fin de ces années fastes, en particulier le basculement des politiques monétaires, le renchérissement du crédit et les chocs pétroliers.

Reagan et Thatcher arrivent au pouvoir avec un projet novateur qu’ils résumaient par la volonté de « libérer les énergies ». Donc casser les syndicats, flexibiliser le travail, déréguler les marchés, baisser les impôts pour encourager l’investissement productif… Vous connaissez le refrain. C’est le début du néolibéralisme, celui-là même qui força Mitterrand à tourner le dos au programme commun pour effectuer le « tournant de la rigueur ».

Or, depuis Reagan, le parti républicain ne semble pas capable de faire autre chose. À peine arrivé au pouvoir, Georges W Bush fit voter des baisses d’impôts si spectaculaires et inégalitaires qu’il fut obligé de leur ajouter une date d’expiration.

Avec Donald Trump, la droite conservatrice américaine repart à l’assaut de l’état social en proposant de nouvelles baisses massives des prélèvements, dans des proportions record et quelqu’en soit le prix politique et moral. Poussés par les riches donateurs qui financent leurs campagnes électorales, les élus républicains se sont ralliés derrière la candidature xénophobe de Donald Trump et appuient depuis lors sa présidence. La fin justifie les moyens, même si cela passe par un soutien à la campagne d’un bigot homophobe, nostalgique de l’esclavage et présumé pédophile tel que Roy Moore, candidat officiel du parti républicain à l’élection sénatoriale de l’Alabama. Rien ne doit entraver la baisse des impôts et le démantèlement de l’État social.

Cette tendance lourde, qui s’exporte ensuite en France, ne montre aucun signe de faiblesse. La réforme fiscale de Donald Trump apparait donc comme une étape de plus dans cette inexorable fuite en avant.

2. Les États-Unis de la ploutocratie

Le code des impôts américain se caractérise par une complexité extrême. Les innombrables niches fiscales génèrent pour le Trésor des pertes importantes de recettes, compensées par des prélèvements plus élevés sur les classes moyennes.

Côté entreprises, les PME américaines supportent le gros de l’effort en payant le taux officiel (35%), tandis que les multinationales s’acquittent d’un taux moyen plus bas (15 à 20%) grâce aux montages financiers et à leurs accès aux paradis fiscaux.

Dit autrement, une réforme fiscale égalitaire visant à simplifier le code des impôts avait toutes les chances d’obtenir un large soutien de la population. Il semblait tout à fait possible de baisser les taxes de l’ensemble des classes sociales et entreprises par simple élargissement de l’assiette fiscale et suppression des principaux régimes d’exception, sur un modèle proche de ce que défend Thomas Piketty en France.

Mais cela ne pouvait satisfaire l’appétit des principaux donateurs du GOP (Great Old Party, surnom du parti républicain), qui ont déboursé plus de trois milliards de dollars sur la seule année 2016 dans le but d’imposer leurs candidats à tous les échelons du pouvoir. Le parti républicain, par la voix du président Trump, mais également de Paul Ryan (chef de la majorité à la chambre basse du Congrès) et de Mitch McConnel (chef de la majorité au Sénat) proposait d’inclure des baisses d’impôts significatives pour les 0.1% d’Américains les plus riches tout en conservant les niches fiscales et régimes d’exception.

3. Hypocrisie et cynisme comme stratégie politique

Paul Ryan et Mitch McConnel se sont illustrés au cours des années Obama comme les tenants de la rigueur budgétaire, bloquant toute réforme risquant d’aggraver le déficit.

Avec l’élection de Donald Trump, ils obtiennent la majorité nécessaire pour mener à bien le programme sur lequel ils font campagne depuis huit ans : abroger la réforme de l’assurance santé dite « Obamacare » et baisser massivement les impôts.

Premier obstacle avec l’Obamacare

Comme nous l’avions expliqué en détail, l’Obamacare repose sur un système de subventions publiques impliquant une stricte régulation des acteurs privés (obligation de souscrire une assurance pour les citoyens, interdiction de refuser un client pour les assureurs), et financées par une taxe visant essentiellement les hauts revenus. Régulation, impôts et subventions, trois concepts peu compatibles avec l’idéologie néolibérale.

Or, contrairement à ce qu’affirmait Donald Trump, il est impossible de remplacer l’Obamacare par « something great » sans conserver ces trois aspects. Le parti républicain aura beau prendre le problème par tous les bouts, l’abrogation d’Obamacare impliquerait la perte de couverture maladie de quinze à trente millions d’américains, et provoquerait jusqu’à dix mille décès supplémentaires par an faute d’accès aux soins. (2)

Photo: Democracynow.org

Après avoir échoué à abroger la réforme emblématique d’Obama à une voix parlementaire près (et du fait d’une formidable mobilisation citoyenne), le GOP se tourne logiquement vers la réforme des impôts. De nouveau, il va rapidement buter sur un problème a priori insoluble : baisser les impôts sans augmenter les déficits publics ni supprimer l’assurance maladie de millions d’électeurs.

Comment rendre une baisse d’impôt impopulaire.

Pour satisfaire des donateurs excédés par la débâcle de la réforme de la santé, les cadres républicains jettent les bases d’un projet ambitieux. Pour les individus, chaque tranche d’impôt sera réduite de plusieurs points, y compris la plus haute. Pour les entreprises, puisque le taux effectif moyen payé par les multinationales n’est pas de 35% mais 20%, le taux actuel sera abaissé à ce niveau. Et tout cela sans supprimer les niches fiscales et régimes d’exception.

Conséquence : la réforme, qui aurait pu avoir un impact budgétaire nul, va couter plus de 3 000 milliards de dollars sur dix ans (130% du PIB de la France).

Comment la financer ?

Le GOP commence par essayer de « compenser » cette réforme en affirmant que les baisses d’impôt seront autofinancées par la croissance supplémentaire. Mais les calculs montrent que cela nécessite un niveau de croissance à la chinoise, ce qui parait complètement irréaliste, d’autant plus que l’économie américaine progresse déjà à un rythme record.

Surtout, la théorie du ruissellement (selon laquelle les baisses d’impôts sur les riches stimulent l’économie) est sévèrement mise en doute par un nombre croissant d’économistes. Ainsi par exemple, en septembre dernier le FMI a publié un rapport qui exhorte les nations à augmenter l’impôt sur les classes aisées, sur la base du constat que « l’aggravation des inégalités nuit à la croissance ».

Un seul et unique économiste (payés par le parti républicain !) affirme que les baisses d’impôts vont générer de l’emploi. À l’inverse, une quarantaine de rapports démontrent le contraire. (3) Tim Cook, patron d’Apple, l’exprime de façon on ne peut plus claire : ces sommes (44 milliards dans le cas d’Apple) ne seront pas réinvesties dans l’économie, mais redistribuées aux actionnaires. (4)

Ces baisses d’impôts ne servent donc à rien du point de vue économique. 55% des électeurs républicains et 75% des Américains l’ont compris, selon les enquêtes d’opinions publiées par Pew Research.

Si la croissance miracle ne va pas financer la réforme, reste les coupes budgétaires ou la dette. Or, compte tenu de la levée de boucliers provoquée par le projet de suppression de l’Obamacare, des réductions drastiques des budgets consacrés aux aides sociales et à la santé semblaient politiquement risquées.

Paul Ryan et Mitch McConnel, les deux gardiens de la rigueur budgétaire, vont donc proposer un financement par… la dette. Ce qui n’est pas sans poser problème, car les règles du Congrès plafonnent le déficit budgétaire généré par une réforme à 1500 milliards sur dix ans. Au-delà, une majorité au deux tiers est requise pour voter la loi.

Le parti républicain va donc s’efforcer de respecter ce plafond, en combinant plusieurs initiatives :

  • 330 milliards sont retirés des subventions à l’Obamacare, ce qui va augmenter de 10% le cout de l’assurance des bénéficiaires et priver de couverture maladie 13 millions d’Américains, selon le CBO (Congress budget office, l’équivalent de notre Cour des comptes)
  • 350 milliards de revenus sont attendus grâce au rapatriement des profits des entreprises actuellement placés dans des paradis fiscaux (ils seront taxés entre 10% et 15% au lieu des 35% prévus par la loi).

Mais la plus formidable des trouvailles reste la décision de rendre les baisses d’impôts sur les classes moyennes et populaires temporaires. Non seulement les abattements fiscaux expireront au bout de huit ans, mais le niveau des différentes tranches n’est plus indexé sur l’inflation, ce qui conduit à une hausse annuelle du revenu imposable. Conséquence pour la moitié des Américains : une hausse d’impôt sur dix ans. (5)

L’argument utilisé par le parti républicain vaut son pesant d’or. Selon eux, les abattements seront reconduits avant qu’ils expirent, car s’opposer à leur reconduction ne sera pas possible politiquement (cela équivaudrait à instaurer une hausse d’impôts brutale). Autrement dit, le parti républicain fait le pari que sa réforme sera prolongée, ce qui revient à dire qu’elle coutera bien plus que les 1500 milliards anticipés. Difficile de faire plus cynique et hypocrite.

4. Une réforme fiscale qui fera date : les gagnants et les perdants

Sur dix ans, la réforme va générer près de 1500 milliards de dettes supplémentaires (et jusqu’à 2200 milliards selon les estimations tenant compte des effets d’aubaine). Les deux tiers des baisses profitent aux entreprises et le tiers restant aux individus.

83% des bénéfices se concentrent sur les 1% les plus riches, dont 45% à 0.1% de la population. (6) De nombreux Américains vont voir leurs taxes augmenter dès la première année, et la réforme produira une hausse nette d’impôt sur dix ans pour 92 millions de citoyens (un contribuable sur deux). À cela s’ajoutent les effets négatifs sur le pouvoir d’achat induits par la suppression de certaines aides sociales et la réduction des programmes sociaux du gouvernement.

La profonde inégalité de cette réforme s’explique en partie par la suppression de l’équivalent de l’ISF américain et de la surtaxe sur l’héritage des grandes fortunes. Mais surtout par le changement de régime fiscal des pass through business, ces sociétés privées dont l’impôt est acquitté à titre individuel par leur propriétaire, et qui vont voir leur taux passer de 40 à 21% (une sorte de mix entre la SARL et le statut d’auto entrepreneur français). Ainsi, n’importe quel citoyen peut mettre en place une société d’investissement qui récupère ses revenus du capital (financier ou immobilier) et diviser de la sorte par deux son taux d’imposition. Le principal bénéficiaire de ce mécanisme serait Donald Trump lui-même, heureux propriétaire de cinq cents sociétés pass through. (7)

Avec la réduction de l’impôt sur les sociétés, les grandes fortunes vont également profiter d’un accroissement des dividendes redistribués par les entreprises dont ils possèdent des parts.

Les multinationales arrachent une victoire supplémentaire : les profits qu’ils conservaient offshore pour éviter de devoir payer 35% d’impôts seront rapatriables rétroactivement et taxés seulement entre 10 et 15 %. (8)

Image: Yahoo

Ce cadeau va rapporter des milliards aux principales entreprises américaines (44 pour Apple, 25 pour Microsoft, des montants comparables au budget français de l’éducation). Or, comme on l’a déjà signalé, le patron d’Apple a déjà annoncé que cette manne ne servira pas à de nouveaux investissements mais ira directement aux actionnaires. 

À titre personnel et selon une première estimation, Donald Trump et sa famille devraient gagner environ 1 milliard de dollars grâce à cette nouvelle donne fiscale ! Les principaux donateurs tels que les frères Koch (8 et 9e fortune mondiale) économiseraient des sommes largement supérieures (38 milliards selon Mediapart). Un retour sur investissement appréciable pour tous ces caciques du Gop !

5. Une nouvelle ère économique ?

Cette réforme apparait comme un puissant moteur d’aggravation des inégalités, dont les seuils ont récemment dépassé les niveaux observés en 1920. Ces « années folles » avaient débouché sur la plus grave crise économique de l’ère industrielle, qui contribua ensuite au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

La logique de cette réforme a quelque chose d’anachronique compte tenu du contexte politique global. D’un côté, les révélations d’exactions à grande échelle genre panama papers et paradise papers se multiplient, de l’autre la recherche économique et les Institutions internationales (FMI, OCDE) n’ont de cesse d’alerter sur l’explosion des inégalités et leur impact négatif sur l’économie et la stabilité politique. (9) Et pourtant.

En plus d’aggraver les inégalités, la réforme encourage le recours aux montages financiers. Que ce soit au niveau des individus, avec les règles sur les sociétés privées « pass through », ou des multinationales qui sont incitées à délocaliser leurs activités à l’étranger et à parquer leurs profits futurs dans des paradis fiscaux (en attendant la prochaine amnistie fiscale sur les profits post 2018). 

Certains pourraient penser qu’on assiste simplement à un nivellement international par le bas. Mais à ce rythme, les taux d’imposition des sociétés et individus « mobiles » tendront bientôt vers zéro (c’est déjà le cas dans certains paradis fiscaux européens comme le Luxembourg et l’Irlande). L’étape suivante de cette logique de dumping fiscal sera l’apparition de taux d’impôts négatifs sous forme de subventions aux entreprises. Or cette course sans fin à l’abaissement de la collecte des finances publiques ne peut que mener à l’effondrement de nos sociétés.

6. La démocratie laisse place à la ploutocratie

Pour fonctionner correctement, une démocratie doit permettre le débat public, l’analyse des faits et la confrontation de représentants politiques dotés d’un minimum d’honnêteté, ou à défaut, du désir d’être réélu.

Rien de tout cela n’a eu cours lors de la séquence législative qui a permis l’adoption du texte. Les tentatives de réformer l’Obamacare avaient déjà poussé très loin la dérive, mais au moins ces excès furent sanctionnés par un échec. Ici, le parti républicain arrache une victoire particulièrement inquiétante.

Le fait que la loi fut votée dans l’urgence et en dépit de l’hostilité record de l’opinion publique (seulement 25% d’opinions favorables), de l’avis négatif de l’écrasante majorité des économistes (11) et des messages d’alertes de nombreux PDG, pourrait passer pour du courage politique, voire une fidélité à des convictions.

Mais dans ce cas, pourquoi avoir refusé le moindre débat parlementaire, le moindre travail de commission, la moindre audition bipartite, la moindre analyse chiffrée des instances indépendantes du Sénat ? Le département du Trésor s’est contenté d’une simple feuille A4 pour justifier au public une loi de cinq cents pages, et dont certains éléments ont été rajoutés au stylo bille le jour du vote

This chicken scratch is actually in the GOP tax bill.

No, I haven’t had time to read the 500-page #GOPTaxScam bill that we’re voting on tonight. I couldn’t read it if I tried – and I did.

Publié par U.S. Senator Elizabeth Warren sur vendredi 1 décembre 2017

On reconnait une imposture politique au fait que ses auteurs ne se donnent pas la peine de la défendre. Plutôt que de produire des arguments pour justifier l’orientation du texte, les républicains se sont contentés de marteler un mensonge : il s’agirait d’une baisse d’impôt pour les classes moyennes et les PME, qui ne bénéficierait pas aux riches. Trump est allé jusqu’à affirmer que cette loi lui couterait de l’argent, pendant que les sénateurs républicains qui venaient d’abaisser le taux d’imposition de la plus haute tranche de 39.6 à 37% affirmaient de leur côté « cette réforme ne profite pas aux riches ». (12)

Il y a une différence significative entre une classe politique qui ment pour promouvoir son projet politique, et une classe politique qui, une fois confrontée aux faits, continue de nier la réalité. Ici, plus rien ne semble revêtir la moindre importance, et surtout pas les faits.

Les sénateurs Mike Lee, Lindsey Graham et Chris Collins ont reconnu publiquement qu’ils soutenaient le texte pour apaiser leurs donateurs. Le sénateur Bob Corker, opposant vocal à Donald Trump, aurait voté pour la réforme après qu’il y soit ajouté une niche fiscale pour les propriétaires de golf (dont il fait partie). Interrogé sur ce curieux revirement, il nie l’influence de cet amendement dans son choix en expliquant « ne pas être au courant de son existence » car il « n’a pas lu le texte de loi » (sic.). (13)

Paul Ryan (à gauche) célèbre le passage de la loi à la chambre basse du congrès – image / MSNBC

Pour éviter d’avoir à défendre l’indéfendable, le parti républicain a précipité l’adoption du texte, votant sans lire son contenu et sans attendre le chiffrage officiel du Congress Budget Office. Certains pensaient que la défaite du sénateur Roy Moore en Alabama aurait fait office de rappel à l’ordre. Au contraire, elle a été utilisée comme prétexte pour accélérer l’adoption du texte avant que le sénateur démocrate prenne ses fonctions.

Quatre universitaires évoquent un niveau de précipitation historique, jamais observé en temps de paix. À tel point que le Congrès a dû voter une seconde fois le texte qui contenait une erreur juridique le rendant anticonstitutionnel.

Le résultat est une loi particulièrement complexe, fruit de tractations entre lobbyistes et différents élus républicains soucieux d’obtenir des faveurs en contrepartie de leur silence face à l’explosion de la dette et à la réduction des aides sociales.

Dans une ambiance de sauve-qui-peut général, une armée de cinq mille lobbyistes s’est démenée jour et nuit pour rajouter des régimes d’exception et des niches fiscales supplémentaires au texte final. Parmi ces ajouts de dernière minute,  signalons entre autre l’ouverture à l’exploitation pétrolière d’un vaste parc naturel en Arctique (Alaska), une niche fiscale pour inciter les familles à privilégier l’éducation privée religieuse au détriment de l’école publique et une disposition pour offrir des abattements fiscaux au bénéfice des managers de Hedge fund… Au total il semblerait que les failles dans la nouvelle loi soient si nombreuses que la presse s’inquiète déjà publiquement d’une pénurie d’avocats et de spécialistes de l’optimisation fiscale pour faire face à l’explosion de la demande des contribuables fortunés qui ne va pas manquer d’en résulter. (14)

 

Conclusion

L’aggravation des inégalités, l’encouragement au dumping fiscal et l’entrée de plain-pied dans une ère post-politique privée de tout système de valeur constituent autant de dérives qui pointent vers la même cause : l’accaparement du pouvoir politique par une classe d’ultra riches ayant perdu toute mesure et toute retenue.

Dans un article précédent, nous tentions de démontrer que, du point de vue des principes, les États-Unis ne pouvaient plus être considérés comme une démocratie. Les deux derniers mois viennent de nous en apporter la preuve empirique.

Après avoir tenté de priver vingt millions d’Américains de couverture santé, le GOP a tout dernièrement soutenu jusqu’au bout un candidat  aux élections sénatoriales dont le racisme avéré ferait presque passer Trump, en comparaison,  pour un militant des droits civiques.

Dans les jours qui suivirent, le parti républicain votait un texte qui mettait fin à la neutralité du net, et par voie de conséquence, à la liberté d’expression. Désormais, les intérêts financiers peuvent contrôler l’accès et le contenu du web (aux États-Unis).

Le niveau de corruption du système politique américain saute aux yeux. Les élus ne prennent même plus la peine de le cacher. Cette dérive ploutocratique s’appuie sur les ressentiments racistes qui traversent une part de la population, et bénéficie d’une extraordinaire complaisance des « élites médiatiques », trop occupées à entretenir des polémiques sans substance pour exercer leur rôle de contre-pouvoir.

Il serait tentant d’adopter un regard condescendant vis-à-vis de nos cousins d’Amérique. Mais c’est l’économiste Thomas Piketty lui-même qui signait dans le Monde une tribune intitulée « Trump et Macron, même combat » en comparant rigoureusement les baisses d’impôts de l’un au budget 2018 de l’autre. Tandis que Donald Trump fait la chasse aux sans-papiers et brise la vie de familles entières avec son « muslim ban », notre ministre de l’intérieur ordonne le harcèlement de certains camps de réfugiés, fait lacérer les tentes, gazer les familles et confisquer les sacs de couchage. Quant à l’attitude de nos médias, il suffit de regarder la dernière interview du président sur le service public pour se rendre compte de l’ampleur de la crise. Si le style est différent et les symptômes moins alarmants, la maladie est bien la même.

***

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Notes et références:

  1. Frederic Lordon, La malfaçon (page 133-142), les liens qui libèrent 2014, format poche
  2. Estimation du CBO (Congress Budget Office), Juillet 2017.
  3. Lire le Washington Post, 22 novembre 2017
  4. Vox : CEOs admit they won’t invest more in case of tax reform 
  5. Selon les estimations du Tax Policy Center (Think Tank non aligné, au financement privé) et le Joint Commitee on Taxation (comité faisant parti du Congrès). 
  6. Idem 5.
  7. Lire cet article en Français de Médiapart, qui reprend le détail de la réforme.
  8. Lire ce résumé de Vox qui explique ce que le mécanisme d’amnistie va couter au Trésor américain et comment il va encourager les délocalisations et l’optimisation fiscale des entreprises.
  9. https://www.courrierinternational.com/article/croissance-selon-le-fmi-il-faut-taxer-plus-fortement-les-riches
  10. Idem 8.
  11. https://www.nytimes.com/2017/11/29/business/republican-tax-cut.html
  12. Lire cette excellente colonne de Chris Hedges
  13. https://www.vox.com/2017/12/17/16787256/cornyn-corker-trump-tax-bill-pass-through
  14. Lire cet excellent résumé de la réforme, par le fondateur de Vox : An american Betrayal

 

 


8 réactions au sujet de « Comprendre la portée de la réforme fiscale américaine »

  1. Excellente analyse. On est tenté de dire comme d’habitude. Comme c’est dit en conclusion avec la citation de Picketty, il ne suffit pas de se dire « Alors toujours aussi cons ces Américains ? » car avec un style différent Macron et Trump mènent à peu de choses près les mêmes politiques fiscales au profit exclusif de la ploutocratie.

  2. Bonjour,
    J’ai lu votre article (comme les précédents ) avec beaucoup d’intérêt. J’apprécie votre style posé, distancié et lucide. De plus , la mise en page rend la lecture agréable et aisée.
    Steinbeck et Woody Guthrie auraient été des lecteurs enthousiaste, et le Boss, s’il était francophone, le deviendrait certainement.
    Toutefois, dans le contexte politique que vous nous décrivez, je m’interroge sur ce qui vous rend la vie supportable aux USA.
    Meilleurs voeux

    1. Merci pour vos encouragements ! Oui, c’est une question qu’on me pose souvent, comment supporter la vie aux USA dans ce contexte ? En réalité, il faut différencier le gouvernement américain et les médias qui entretiennent un climat exécrable, et les américains qui sont en majorités des gens chaleureux, ouverts et sympathiques. Comme partout, le problème provient moins des peuples que de ceux qui les gouvernent !

  3. > Comme partout, le problème provient moins des peuples que de ceux qui les gouvernent

    On peut au moins souligner la cohérence entre les divers articles, puisque votre dernier, consacré à Varoufakis, exprimait exactement cette idée !

    Merci pour vos analyses étayées et éclairantes. À force de consulter la presse quotidienne française, je ne peux que soupirer de soulagement à lire des analyses approfondies que j’ai de plus en plus de mal à trouver !

    1. Merci ! On pourrait aller plus loin et dire que le problème vient avant tout des structures et conditionnements qui poussent les peuples et ceux qui les gouvernent à agir d’une certaine facon plutôt qu’une autre. Et être de gauche, selon moi, c’est chercher à remettre en cause et faire évoluer ces structures, dans un sens qui étend le champ démocratique. Bonne journée à vous !

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