Trump en difficulté pour sa réélection en 2020
« Trump sera réélu ». Cette curieuse certitude, à 16 mois de l’élection présidentielle, semble omniprésente dans les consciences des journalistes et médias français, ce qui explique probablement pourquoi tous les compatriotes avec qui j’ai pu m’entretenir affirment l’inéluctabilité du second mandat du milliardaire.
Pourtant, les principaux indicateurs sont au rouge, et si l’élection devait avoir lieu demain, elle se traduirait par une défaite d’ampleur historique pour Donald Trump. Ce qui ne veut pas dire que la partie soit gagnée pour les démocrates. Explications.
1) Si l’élection avait lieu demain, Trump subirait une défaite historique
Avec un taux de chômage historiquement bas, une économie au beau fixe et l’absence de conflits militaires majeurs, la réélection de Donald Trump devrait être une simple formalité.
Depuis Jimmy Carter, un seul président américain n’a pas été réélu : Georges Bush père. Sa défaite faisait suite à une récession économique, douze ans de présidence conservatrice, et s’explique surtout par la candidature dissidente d’un second conservateur, qui a divisé la droite (William Clinton ne l’emportant qu’avec 43 % des suffrages).
En théorie, Trump devrait être réélu.
En pratique, l’économie ne profite pas à tout le monde. L’espérance de vie baisse, les salaires stagnent, le taux de suicide atteint des records absolus et près d’un Américain sur deux n’a pas de quoi faire face à une dépense surprise de plus de 350 euros. Surtout, le milliardaire reste largement impopulaire, avec un taux d’opinions favorables qui oscille entre 37 et 43 % et semble s’être stabilisé à 42 %. Soit entre 4 et 20 points de moins que ses trois prédécesseurs au même moment de leur premier mandat. Il vient également de subir une très large défaite aux élections de mi-mandat, reculant dans toutes les zones géographiques et catégories socioprofessionnelles.
En termes de sondages, Trump accuse un retard de dix points sur les deux principaux candidats démocrates (Joe Biden et Bernie Sanders, que tout oppose pourtant politiquement). Le parti républicain accuse également d’un retard sondagier conséquent à l’échelle nationale (entre 6 et 7 points).
Surtout, ce que de nombreux observateurs, en particulier dans les médias français, ne semblent pas comprendre, c’est que l’élection présidentielle ne se joue pas au niveau national, mais dans une poignée d’États clés.
En 2016, Trump est élu sur le fil grâce à 77 494 voix d’écart réparties sur trois États : le Wisconsin (0,7 % d’écart et 22 748 voix), le Michigan (0,2 % d’écart et 10 704 voix) et la Pennsylvanie (0,7 % et 44 292). [1]
Or sa popularité dans ces trois anciens bastions démocrates s’est effondrée. Lors des élections de mi-mandat, les candidats démocrates ont obtenu de larges victoires, par dix points d’écart sur leurs opposants soutenus par Donald Trump. Seul le Wisconsin fut gagné de justesse.
Confirmant cette logique, les récents sondages publiés par Fox News montrent un président en difficulté dans ces États, où il accuse 12 points de retard en moyenne, mais également dans des bastions républicains comme le Texas, où il serait au coude à coude avec les deux principaux candidats démocrates (Joe Biden et Bernie Sanders). En clair, si Trump conserve un socle électoral très solide à l’échelle du pays, sa base s’effondre dans plusieurs des États clés qu’il avait remportés en 2016.
2) Trump peut-il refaire son retard sondagier ?
Le principal argument contre les sondages tient dans le fait qu’en 2016 Trump avait déjoué les pronostics et refait son retard sur Hillary Clinton (de 20 points de déficit en 2015, il finira à 5 points d’elle la veille de l’élection, et 3 points et 3 millions d’électeurs derrière à l’issue du scrutin).
On peut donc s’attendre logiquement à ce que Trump gomme rapidement son retard sur le candidat qui émergera des primaires démocrates, surtout lorsque ce dernier sera désigné et donc pris pour cible par les médias conservateurs et la campagne de Donald Trump.
On objectera trois éléments à cette analyse :
- En 2018, en dépit d’une implication disproportionnée de Donald Trump dans les midterms, où il avait déployé l’armée à la frontière mexicaine, tenu des dizaines de meetings dans les États clés et monopolisé le récit médiatique, le parti républicain a subi un très sévère revers, d’ampleur inédite depuis 1976.
- Contrairement à 2016, les Américains savent exactement à quoi s’attendre avec Donald Trump. Leur opinion du président (négative à 57 %) est remarquablement stable en dépit des nombreux scandales qui jalonnent son mandat. Trump est en campagne depuis son élection, il a tenu plus de 70 meetings en deux ans et demi de mandat et sa marge de progression serait donc limitée, et dépendra probablement de son opposant.
- Les élections américaines ne se jouent pas d’abord en gagnant des électeurs à sa cause, mais en mobilisant son électorat. Et pour 2020, comme 2018, les taux de participations devraient fortement augmenter, surtout chez les démocrates. Cette dynamique pourrait cependant s’inverser et profiter au parti républicain, en fonction des types d’électeurs qui se mobiliseront en 2020. [2]
3) Trump dispose de plusieurs atouts importants
Le milliardaire pourra néanmoins compter sur le soutien indéfectible du parti républicain et du gigantesque appareil médiatique conservateur, FoxNews en tête, pour propulser sa campagne et attaquer son adversaire. De récentes études sociologiques ont montré que la chaine conservatrice, loin d’informer son audience, permettait de convertir de nombreux téléspectateurs au vote républicain, dans des proportions inquiétantes. Autrement dit, on ne regarde pas FoxNews parce qu’on vote Donald Trump, on vote Trump parce qu’on regarde FoxNews. [3]
L’occupant de la Maison-Blanche peut également compter sur la puissance financière de ses richissimes donateurs, alors que le parti démocrate divise ses ressources pécuniaires entre 24 candidats aux primaires.
Enfin, Trump dispose d’un parti unifié derrière sa candidature, pour le meilleur ou pour le pire. Le parti démocrate, à l’inverse, est profondément divisé entre l’aile néolibérale majoritaire (en particulier dans les médias et les élus) et la gauche radicale dont les idées, bien plus populaires auprès des électeurs, s’imposent peu à peu au parti.
4) Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici novembre 2020
Pour l’instant, Trump reste dans une situation idéale. Il est lavé de tout soupçon dans l’affaire du RussiaGate, l’économie est au beau fixe et la paix avec l’Iran tient tant bien que mal. Mais en 16 mois, de nombreux évènements peuvent se produire, plus ou moins favorables au président. Une guerre avec l’Iran devrait écorner son image, une crise financière lui serait probablement fatale, et une hypothétique procédure de destitution pourrait le renforcer où l’accabler. Si Trump obtient de nouveaux succès diplomatiques ou commerciaux, il disposera d’arguments de choix. L’identité du candidat démocrate et la façon dont il décidera de mener sa campagne pourraient également être déterminantes.
Autrement dit, toute prédiction serait hasardeuse à ce stade. Mais pour l’instant, en dépit de conditions socio-économiques particulièrement avantageuses, Trump est donné perdant dans les sondages, quel que soit son adversaire.
***
Pour aller plus loin, nous vous conseillons nos articles suivant :
- « House of cards »: Comprendre les institutions américaines
- La démocratie américaine en péril : comprendre les stratégies du parti républicain pour exclure du vote les électeurs démocrate (sic)
- Qui pour affronter Trump : comprendre le fonctionnement de la primaire démocrate, et les principaux candidats
Notes et références :
- Pour une perspective sur les états clés de 2016 : https://www.thenation.com/article/wisconsin-michigan-pennsylvania-ohio-midterms-trump-democrats/
- A propos de l’augmentation de la participation (et de ses enjeux pour chaque camps) :https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/06/2020-election-voter-turnout-could-be-record-breaking/591607/
- Sur l’influence de FoxNews : https://www.vox.com/2019/3/4/18249847/fox-news-effect-swing-elections