USA: inquiétant état de l’Union

USA: inquiétant état de l’Union

Conformément à la tradition, Donald Trump s’est adressé au Congrès américain pour prononcer le discours annuel sur l’état de l’Union.

Dans un pays profondément divisé et menacé d’un nouveau blocage gouvernemental sur fond de crise institutionnelle, l’intervention télévisée était particulièrement attendue.

Si la forme du discours a de quoi rassurer certains observateurs, le fond nous parait inquiétant, tant il souligne la dérive fascisante qui menace la démocratie américaine et l’avenir de la planète.

1) State of (des)union

Pour une fois, Donald Trump s’en est tenu à la lecture disciplinée du prompteur pour livrer un discours minutieusement préparé par ses conseillers.

Son allocution débute par le bilan de son action, en s’attribuant l’embellie de l’économie américaine. La bourse bat des records, le taux de chômage est au plus bas et les salaires progressent enfin, martèle-t-il non sans raison. Il cite des ouvertures d’usines comme preuve de la réussite de son action. Mais il omet soigneusement d’énumérer des faits que Bernie Sanders se fera une joie de passer en revue lors de son intervention post-discours.

Car si l’économie américaine se porte bien, le chiffre de création d’emplois est en net recul par rapport aux dernières années d’Obama. Le salaire moyen n’a progressé que de 4 centimes par heure, alors que les baisses d’impôts instaurés par Donald Trump vont rapporter 68 milliards de dollars aux trois plus riches foyers américains. 

Donald Trump vante ensuite sa réforme fiscale, en prenant l’exemple d’une famille issue de la classe moyenne pour illustrer les futurs gains de pouvoir d’achat. Le président omet soigneusement de préciser que 83 % des bénéfices de cette réforme sont captés par 1 % de la population, alors qu’elle creuse le déficit de 1800 milliards et augmente les impôts d’un américain sur deux.

De même, les cadeaux aux entreprises vont être redistribués à 2 % des salariés, sous forme de bonus divers, mais se matérialisent par de nombreuses suppressions d’emplois dans l’industrie et la distribution, secteurs qui en profitent pour « se moderniser ». Des milliers d’employés d’Amazon et Walmart survivent grâce aux « bons alimentaires » (food stamp) de la sécurité sociale, pendant que Trump se félicite d’avoir partiellement abrogé l’assurance maladie « Obamacare ». 

Image: CNN

Ainsi, en sélectionnant les détails et en travestissant les faits, Trump dépeint une Amérique surfant sur une vague de prospérité pour justifier les cadeaux concédés aux multinationales et milliardaires, sans prendre en compte la réalité des classes moyennes et populaires.

2) Travail Famille Patrie

Pour énergiser sa base électorale, Trump égrène les mots clés chers à l’Amérique conservatrice. Son attachement au droit du port d’arme, son soutien à la police et à l’armée. Mais surtout, l’importance du travail, de la famille, du drapeau, de la patrie et de l’hymne national qu’il convient de chanter la main sur le cœur (attaquant ici implicitement les athlètes noirs refusant d’entonner l’hymne en signe de protestation contre les violences policières).

« Notre devise c’est « in god we trust » (nous croyons en dieu). Et nous célébrons nos croyances, notre police, notre armée et nos vétérans comme des héros qui méritent notre support inébranlable.»

3) Diviser pour mieux régner

Après avoir affirmé vouloir tendre la main à l’opposition, Trump cite les victimes d’un gang d’immigrants (le MS-13) à quatre reprises pour associer les enfants de sans-papiers, dont 80 % de l’opinion publique approuve la régularisation, à de sauvages meurtriers. Un fait divers devient prétexte à la politique migratoire la plus xénophobe qu’il soit.

Alors que la criminalité baisse aux États-Unis, en particulier celle liée à l’immigration, Trump commet cet acte abject de stigmatisation. Les 17 000 Américains tués par balles cette année l’ont quasi exclusivement été par d’autres Américains, dont une forte proportion d’hommes blancs. Mais voilà qu’on fait porter la responsabilité d’un fait divers sanglant aux enfants de sans-papiers.

Une fois cette outrance commise, sous les applaudissements du parti républicain, Trump décline les quatre piliers de sa réforme de l’immigration.

  • Il propose de régulariser les fameux enfants de sans-papiers (Dreamers), en oubliant de mentionner qu’il a lui-même supprimé le programme dédié à leur régularisation (le DACA) en septembre dernier. En contrepartie de ce geste, il espère :
  • Débloquer 25 milliards de dollars pour construire son mur à la frontière mexicaine (qui ne sera plus payé par le Mexique).
  • Interdire le regroupement familial
  • Mettre en place des critères raciaux et économiques pour l’obtention des permis de séjour

Ceci serait justifié par les actes terroristes, pourtant majoritairement commis par des hommes blancs lors des tueries de masses, dont Trump ignore jusqu’à la réalité.

4) Militarisation et impérialisme

Si Trump a refusé de financer les programmes d’aide aux handicapés et coupé les budgets de santé, il souhaite gonfler le budget militaire, en particulier pour ce qui touche au développement d’armes nucléaires plus légères, dans le but de les rendre plus facilement utilisables.

Avec des accents guerriers, il s’attribue le mérite de la destruction de l’État islamique avant de justifier implicitement l’emploi de la torture en affirmant sa volonté de maintenir la prison de Guantanamo. Il décline ensuite ses intentions vis-à-vis des « ennemis » de l’Amérique.

 Image – Sean Smith for the Guardian

Aux Palestiniens et leurs alliés, les menaces financières pour avoir refusé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. À l’Iran, Cuba et au Vénézuéla, les sanctions économiques en vue de renverser les gouvernements en place. À la Corée du Nord, une séquence émotion de dix minutes pour préparer l’opinion publique américaine à une intervention musclée, peut être à l’aide des fameuses bombes nucléaires miniaturisée. Sa rhétorique est une copie conforme de celle utilisée par Georges W. Bush pour vendre l’invasion de l’Irak aux Américains.

Sous ces élans belliqueux, Trump conclut son discours par une exhortation au patriotisme et à l’optimisme.

5) Les grands absents du discours

Sans surprise, Donald Trump ne mentionne pas l’explosion inouïe des inégalités, l’augmentation du nombre d’Américains privés d’accès aux soins par ses tentatives d’abrogation d’Obamacare, ni les efforts incessants du parti républicain pour supprimer le droit de vote des minorités ethniques et des pauvres.

L’état inquiétant de la démocratie américaine ne sera pas plus discuté que celui, bien plus grave, de la planète. Si Trump évoque les catastrophes environnementales qui ont frappé l’Amérique, il évite soigneusement de mentionner le réchauffement climatique.

6) Donald Trump en place pour huit ans

Le plus effrayant ne vient pas de ce que dit et ne dit pas Donald Trump, mais du soutien affiché par les milieux d’affaires, la classe politique et la presse. Depuis qu’il a abandonné les aspects populistes de son programme (lire ici), Donald Trump jouit d’un appui infaillible de la classe politique conservatrice, auquel vient s’ajouter la complicité du parti démocrate et de la presse de centre gauche sur l’essentiel de sa politique étrangère. Quant aux milieux d’affaires, d’Apple à Wallmart en passant par Wall Street et la Silicon Valley, ils applaudissent à tout rompre et grand renfort de communiqué de presse l’action du gouvernement, en particulier depuis le vote des fameuses baisses d’impôts.

Image: Yahoo

Les deux tiers de la classe politique américaine et les milieux d’affaires les plus « progressistes » se sont donc rangés au côté d’un président raciste et xénophobe dont la principale caractéristique demeure l’incompétence, la brutalité et le mépris pour les institutions démocratiques.

Conclusion

Sous des airs de discours convenu et politicien, l’intervention de Donald Trump revêt un caractère particulièrement fascisant. 

Il y a l’exhortation au patriotisme et à la défense des valeurs conservatrices bien sûr, la justification de la torture et l’instrumentalisation du terrorisme aussi, et une vision profondément raciste et réductrice de la question migratoire. Mais plus que le fond, c’est la forme qui effraye.

Trump s’attribue les réussites de son prédécesseur, invente des crises imaginaires, jette les immigrés en pâture aux classes populaires pour masquer le problème des inégalités que sa politique contribue à aggraver, et finit par avoir recours à cette novlangue chère à Georges Orwell.

Après avoir défendu la suppression de l’assurance maladie pour 32 millions d’Américains, le voilà qui promet la baisse du prix des médicaments. Après avoir profondément divisé l’Amérique à coup de tweets et de polémique racistes, il appelle à l’union populaire derrière sa bannière. Après avoir offert des milliards de dollars de cadeaux aux entreprises, il vante le mythe du rêve américain fondé sur la méritocratie.

Sa réforme fiscale est une attaque en règle contre les classes moyennes et populaires, sa politique migratoire un formidable gâchis destiné à monter les Américains les uns contre les autres, ses déréglementations un crime contre l’environnement et la santé des Américains. Et pourtant, il présente chacun de ses aspects comme une avancée pour les travailleurs, dans un style fascisant auquel il ne manque que le salut militaire et les bruits de bottes, pour l’instant.

 

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4 réactions au sujet de « USA: inquiétant état de l’Union »

  1. Bonjour/soir,

    Merci pour cet article, passionnant comme toujours.

    J’avais hésité à publier ce commentaire un peu simpliste, mais, actualité oblige (nouveau « shut down »), plus votre dernier « lâcher » d’article….. je me jette !

    Vous nous indiquez redouter, anticiper huit ans de Trump-isme. Sans doute parlez-vous de « sa » politique, à savoir celle exercée par d’autres à sa place car je ne vois pas bien comment le personnage déso(pi)lant que vous nous aviez dépeint précédemment et corroboré par ailleurs, pourra tenir ne serait-ce que jusqu’à la fin de son premier mandat.

    Déjà, de son propre chef :

    Élu par inadvertance et en réalité contre son gré, dans ce carcan de la politique son ego boursouflé n’acceptera à mon sens pas longtemps d’être cantonné à jouer les marionnettes (n’est pas Hollande qui veut), de surcroît sans cesse réprimandé pour ses bêtises. Et il n’a pas non plus l’abnégation d’un Gandhi.

    Aussi, je serais bien étonnée qu’il se sacrifie des années durant pour « La Patrie » !

    De plus, à l’évidence, cet homme est d’une insuffisance qui confine à la folie dans ce cadre – comme bon nombre de nos gouvernants passés et contemporains, me direz-vous, mais eux, au mental d’acier trempé, et rompus à toutes les bassesses de la stratégie pour distraire leur vacuité existentielle. Or, Trump n’a rien d’un joueur d’échecs…

    Une « bonne grosse guerre » en revanche, initiée par ses soins de préférence pour assouvir ses instincts sanguinaires est selon moi son ultime fantasme de Président « de cinq ans » : peu importe l’ennemi, et s’il n’y en a pas, il n’y aura qu’à l’inventer !

    Encore faudrait-il ne pas se « trumper »…

    Aussi, Trump en personne est-il de mon point de vue totalement ingérable sur le long terme, même par ses soutiens les plus opportunistes, sauf à poursuivre le même dessein. (Oui, mais lequel ?…). En effet, si on suit bien sa cohérence personnelle, on a bien du mal de ce fait à percevoir sa cohérence « politique », si tant est qu’il en ait une…

    Qu’en pensez-vous ?

    1. Bonjour !

      Bon, huit ans de Trump cela reste très incertain, même s’il se représente rien ne garantit qu’il ne sera pas contesté au sein de son propre camp, sans parler du candidat démocrate qui lui donnera probablement du fil à retordre. Mais par contre, ce qui semble très probable, c’est qu’il termine ce mandat. Le camp républicain est résolument derrière lui.

      Sur les aspects psychologiques, on peut résumer en disant que le plus important pour Trump… c’est lui même. Il passe des heures devant la télé à regarder les gens parler de lui, et tweet dès qu’il n’occupe plus les gros titres des JT. Il ne supporte plus de ne pas être au centre de tout, et de ce fait, je pense qu’il aura du mal à lâcher la présidence de son plein gré. Bien sûr je peux me tromper, mais lorsqu’on voit à quel point il est « addicted » à l’attention qu’il reçoit, je le vois mal chercher de lui-même à quitter le centre de la scène médiatique.

      1. Oui, en effet, vu sous cet angle psychologique, ça se tient. Il est apparemment encore plus en deçà du (dis)crédit que je pouvais lui porter…

        A suivre, donc !

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