Quelles solutions face à l’inflation ?
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La hausse des prix menace l’économie et impacte durement le pouvoir d’achat. Deux options radicalement opposées sont proposées pour la combattre.
Cet article a été initialement publié sur ma newsletter « Old fashioned » hébergé chez « Substack » . Pour lire la version originale, au format plus lisse, c’est par ici => https://politicoboy.substack.com/p/legislatives-deux-options-face-a
L’inflation s’établit désormais à 5,8 % en France. ll faut remonter plus de trente ans en arrière pour trouver des niveaux comparables. Initialement limitée aux États-Unis sur certains produits, la hausse des prix gagne l’Europe et se répercute sur l’ensemble des biens et services, sans montrer le moindre signe de ralentissement. Le litre d’essence à plus de 2 euros, les factures de gaz et d’électricité qui s’envolent et la tonne de blé qui triple ne représentent que quelques exemples frappants d’un phénomène plus global, en forme d’effet domino. D’abord l’énergie et les matières premières, ensuite les biens de consommation courante et les services. Jusqu’aux secteurs plus structurels, logement et transports publics compris. Comme le rappelle Martine Orange, journaliste économique, les prix indexés sur l’inflation ne vont pas tarder à s’emballer. C’est le cas des loyers et des péages autoroutiers, par exemple. Lorsque l’inflation tournait autour de 2%, ces hausses annuelles étaient peu perceptibles. Mais on parle désormais d’augmentation à deux chiffres (12% aux Pays-Bas, 10 en Espagne, presque 9 aux États-Unis, 7,5 % en zone euro) et d’un phénomène durable. Or, les gouvernements et responsables économiques semblent pris de court, comme des lapins dans les phares d’une voiture.
L’inflation ne tombe pas du ciel
Le récit imposé par les principaux responsables politiques et élites économiques vise à installer l’idée que l’inflation tomberait du ciel. Ce serait la faute à pas de chance. D’abord le covid, qui a disloqué les chaines d’approvisionnement. Ensuite la guerre en Ukraine, qui provoque une nouvelle hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Les commentateurs les plus malveillants (ou incompétents) mettent également en cause les politiques de soutien à l’économie adoptées pendant le Covid. C’est-à-dire les politiques expansionnistes des Banques centrales, qui ont augmenté la masse monétaire en circulation; et le soutien direct à l’économie via les plans de relance étatiques.
Pourtant, l’avalanche de données disponibles montre bien que l’augmentation de la masse monétaire ne produit pas d’inflation. De même, la reprise de la consommation post-Covid a mis des mois à revenir au niveau d’avant Covid. Dire que ce sont les aides publiques (aux États-Unis et en Europe) qui provoquent l’inflation est donc faux, comme l’ont noté de nombreux économistes “mainstream”.
En réalité, comme le détaille Romaric Godin, l’inflation découle de choix politiques s’inscrivant dans un modèle précis : le néolibéralisme. Les principaux facteurs contribuant à la hausse des prix sont connus. Il s’agit des déséquilibres entre l’offre et la demande, liés aux perturbations des chaines de production et d’approvisionnement par le Covid ; de la spéculation sur les marchés des matières premières ; et de l’opportunisme des grandes entreprises, qui profitent de la situation pour augmenter leurs marges.1
Une fois qu’on a dit cela, il reste à se poser la question de la responsabilité de nos dirigeants. Elle est multiple et profonde.
Les chaines d’approvisionnement sont perturbées pour deux raisons principales. D’abord, le modèle d’organisation mondialisé de la production et la pratique des délocalisations à outrance produisent une interdépendance exacerbée des circuits de production, tout en forçant les acteurs à fonctionner en flux tendus (sur le principe du “juste à temps” qui vise à minimiser les stocks), du fait de la concurrence féroce imposée par le libre-échange. Ainsi, la moindre perturbation entraîne des conséquences tout au long de la chaîne, et durablement.
Ensuite, la perturbation occasionnée par le Covid aurait pu être largement minimisée, en gérant convenablement l’épidémie. Or, tous les gouvernements néolibéraux ont peu ou prou géré cette crise sanitaire uniquement par le prisme économique. Les pays qui ont emprunté une autre stratégie, dite “zéro covid”, dans le but d’empêcher le virus de se propager quoi qu’il en coûte, ont obtenu de bien meilleurs résultats : une baisse de l’activité économique plus faible et, paradoxalement, une privation de liberté et des confinements moins importants, comme le notait le Financial Times en 2021.
Malheureusement, ces “bons élèves” ont payé le prix de la mauvaise gestion des autres pays lorsque les nouvelles vagues de variants sont venus frapper à leurs portes, se propageant d’autant plus facilement que leurs populations n’avaient pas développé d’immunité collective. Lorsqu’une vague est “vaincue” aux États-Unis, elle repart en Chine, rebondie en Corée, etc. On peut donc considérer que la gestion néolibérale du Covid est directement responsable de l’inflation.
La spéculation joue également un rôle indéniable sur la hausse des prix. À travers la financiarisation de l’économie, mais pas uniquement. Sa répercussion sur les prix est amplifiée par différentes décisions politiques plus sectorielles.
« La flambée des prix actuels, ce n’est pas lié à un problème de production et de disponibilité sur les marchés internationaux, mais c’est lié à un emballement de ces marchés alimentaires sans précédent. Sur le marché du blé de Paris, le mois dernier, 72% des acheteurs étaient des spéculateurs. C’étaient des firmes ou des fonds d’investissement, c’étaient des financiers, ce n’était en rien des distributeurs ou des commerçants » expliquait un représentant de l’ONG CCFD-Terre solidaire à RFI le 1er juin.
En Union européenne, l’organisation du marché du gaz et de l’électricité constitue un exemple chimiquement pur de la culpabilité de nos dirigeants, et ça bien avant l’éclatement du conflit ukrainien.2
En dépit du bon sens et au mépris des conditions industrielles les plus élémentaires, l’Union a imposé sa vision dogmatique de la concurrence et de la privatisation, contre l’avis des industriels et experts. Au lieu d’organiser le réseau électrique (et gazier) en monopole public ou monopoles privés régulés par un prix encadré, comme cela se fait notamment aux États-Unis (hors Texas), la Commission européenne a imposé un marché dérégulé. Le prix n’est plus déterminé par le coût de production moyen, mais par le coût de production marginal, reflété sur le marché spot. En plus de forcer les prix à s’aligner sur la centrale électrique (ou le fournisseur de gaz) la plus chère et la plus polluante, ce mécanisme fait intervenir de nombreux courtiers et spéculateurs. S’il existe encore des règles permettant d’encadrer un minimum les tarifs appliqués au consommateur final, le projet de la Commission européenne prévoit d’en finir avec toutes ces protections pour exposer directement les ménages aux variations des cours sur le marché spot, comme cela se fait au Texas, où des ménages ont vu leurs factures multipliées par 100 lors de la dernière vague de froid. En attendant, la flambée des prix constatée au sein de l’Union européenne provient déjà au moins à 25 % de ces mécanismes de marchés imposés dogmatiquement par Bruxelles.
Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’exemple de l’Espagne et du Portugal. Comme nous l’explique le journal Les Échos, aux termes d’un bras de fer musclé avec l’UE, ces deux pays ont pu désobéir aux règles européennes en matière de tarification du gaz et de l’électricité. Le journal de Bernard Arnault évoque ainsi une baisse de 25 à 30% des prix.
En France, c’est à EDF, une entreprise privée dont l’État est actionnaire majoritaire, que revient la tache de supporter le plafonnement des prix. Une manière idéale d’affaiblir ce service public en vue de la poursuite de sa privatisation, que Macron cherche à mettre en place depuis 20173. En d’autres termes, c’est le contribuable qui va faire les frais de la politique tarifaire du gouvernement, pas les entreprises privées et leurs actionnaires. Pire, l’État a demandé à EDF de vendre au prix coutant de 48 euros Mw/ sa production nucléaire, non pas aux consommateurs, mais à ses concurrents (Total, Engie…). Ainsi, EDF subventionne Total et doit racheter de l’électricité au prix spot (jusqu’à 300 euros Mw/h), pour une perte qui était estimée à 8,9 milliards d’euros avant la crise ukrainienne. Un trou que les Français seront obligés de combler tôt ou tard, précise Martine Orange.
Les mécanismes de marchés ne sont pas les seuls en cause. Le conflit ukrainien démontre, une fois de plus, l’incapacité des dirigeants français et européens à organiser proprement les approvisionnements. Après avoir imposé à la hâte des embargos contre la Russie, la flambée des prix provoque une récession en France et contraint l’UE à se fournir hâtivement auprès de pays guère plus recommandables, en énergie plus chère et écologiquement désastreuse.4
Sur le pétrole, enfin, la hausse est clairement favorisée par les producteurs agissant en cartel, sans que les pays consommateurs ne réagissent. Aux États-Unis, les grands groupes pétroliers ont affirmé privilégier le rachat d’action et le versement de dividendes sur la hausse des investissements et l’augmentation de la production. Afin, selon eux, de maintenir des prix élevés. De même, l’Arabie Saoudite et l’OPEP refusaient d’augmenter les quotas de production pour affaiblir politiquement l’administration démocrate, moins conciliante que ne l’était Trump vis-à-vis des crimes de Riad. Résultat, Biden va visiter l’Arabie Saoudite pour absoudre un régime qu’il qualifiait de “paria” à sa prise de fonction, afin d’obtenir enfin une hausse de la production susceptible de compenser les embargos qu’il a lui-même imposés sur le pétrole russe. Riad a beau organiser des décapitations de masse d’opposants politiques, démembrer un journaliste du Washington Post à la scie sauteuse, bombarder des milliers de civils yéménites et affamer cette population, business is business. Contrairement à la Russie, les pays du golf achètent des milliards de dollars de contrats d’armements américains, ce qui fait que l’oncle Sam leur passe tout le reste.
Au-delà du secteur énergétique et de la crise ukrainienne, la responsabilité plus globale des grandes entreprises, quelque soit leur domaine d’activité, ne fait pas mystère.
Plus les secteurs sont dominés par quelques groupes en situation de quasi-monopole, plus ces derniers profitent de l’inflation pour monter leurs prix et faire grossir leurs marges. Là aussi, les décisions politiques sont en cause. Depuis sa privatisation et l’ouverture à la concurrence du ferroviaire, la SNCF a augmenté ses tarifs de 14% en un an, soit trois fois plus que l’inflation. Le résultat de la réforme imposée de force par Emmanuel Macron.
Pour combattre cette inflation galopante, deux stratégies sont proposées aux électeurs lors des prochaines législatives. Passons-les en revue.
Première option : vous faire payer l’inflation
Pour les décideurs co-responsables de la situation, les options considérées se limitent à recycler de vieilles recettes. D’abord, les aides ponctuelles au consommateur, sous forme de chèques, baisse de la TVA ou plafonnement temporaire des prix déjà régulés. C’est le fameux bouclier tarifaire d’Emmanuel Macron. La particularité de ces mesures est de ne pas traiter la cause du problème, mais uniquement ses conséquences. Et de manière particulièrement perverse, puisqu’il s’agit de mettre à contribution le trésor public pour subventionner les consommateurs, qui sont également les contribuables sollicités ensuite pour renflouer les caisses de l’État. En plus d’être une politique de la rustine, cette approche a comme particularité de préserver le Capital et les entreprises, qui peuvent continuer de se gaver sur le dos du citoyen.
Mais il y a pire. Les banques centrales, cédant aux pressions des marchés, commencent à remonter leurs taux directeurs. Cette méthode, mainte fois utilisée par le passé, vise à ralentir l’économie pour faire chuter la demande et provoquer la baisse des prix. À chaque fois, la conséquence est identique : récession, hausse du chômage et baisse relative des salaires.
Par le passé, ce type de politique monétaire permettait de ramener l’inflation à des niveaux très bas, de l’ordre de 1 ou 2%. Mais les causes de l’inflation étant différentes, rien ne permet d’indiquer que cette méthode sera efficace. Les chaines d’approvisionnement ne vont pas se réorganiser avec la hausse des taux d’intérêt. Pas plus que la spéculation ou l’augmentation des marges des producteurs. Et la baisse de l’activité économique ne va pas provoquer une chute notable des dépenses contraintes (on parle de demande non élastique) sur les produits de première nécessité (blé, pétrole, gaz, électricité…). On pourrait ainsi avoir le pire des deux mondes : une récession et le maintien de l’inflation. C’est, du reste, ce qu’on observe au premier trimestre 2022 en France : sous l’action d’Emmanuel Macron, le PIB a reculé de 0,2% et les prix ont augmenté de 5,8%.
L’Élysée semble incapable d’adapter sa politique à la réalité économique. Sa priorité reste la baisse des “impôts de productions” sur les entreprises, en partie financés par la retraite à 65 ans. Pour le pouvoir d’achat, comme Marine Le Pen, Éric Zemmour et Valérie Pécresse, Macron propose des incitations aux entreprises visant à augmenter les salaires nets ou les primes. Aucune obligation n’est à l’ordre du jour, sauf lorsque cela est compensé par une baisse des cotisations sociales. Dans ce second cas, la hausse du salaire net est financée par la Sécu, c’est-à-dire par la baisse des prestations sociales. Une fois de plus, on prend dans la poche gauche ce qu’on verse dans la droite, avec en bonus la possibilité de démanteler les services publics.
Ce refus absolu d’augmenter les salaires pose pourtant problème, même du point de vue des entreprises et des détenteurs de capitaux. Car à force de rogner sur le pouvoir d’achat des travailleurs, c’est la demande globale qui va s’effondrer. Donc le profit des entreprises.
L’autre impensé du gouvernement a trait aux profits des entreprises énergétiques (gaz, pétrole, électricité), en particulier Total et Engie. L’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne ont mis en place des impôts exceptionnels pour taxer les super profits de ces groupes, à hauteur de 25% au moins, afin de financer les aides aux ménages. Mais comme le note Médiapart, Emmanuel Macron se refuse à une telle option. Officiellement, par crainte que cela nuise aux investissements. En réalité, il s’agit surtout d’éviter de remettre en cause les différents arrangements financiers qui permettent à Total et Engie de ne payer aucun impôt en France, malgré une activité extrêmement lucrative.
Puisque les entreprises, y compris Total, ne seront pas mises à contribution, ce sera donc à vous – in fine – de supporter le cout de l’inflation. Et tant pis si cela plonge le pays en récession.
Seconde option face à l’inflation : faire payer les entreprises et détenteurs de capitaux
L’autre option est d’augmenter les salaires et de bloquer le prix de certains produits, en faisant payer la différence aux entreprises. C’est le projet porté par la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale).
Le blocage des prix a souvent été sollicité par le passé, y compris aux États-Unis. Dans de nombreux secteurs, cette solution est déjà mise en place par certains gouvernements. C’est le cas pour l’électricité en Espagne et au Portugal (avec une baisse de 30% à la clé) et au Royaume-Uni et en Italie (plus indirectement) pour le pétrole et le gaz. Bloquer les prix a déjà été fait en France en 2021 sur l’électricité. En clair, c’est possible.
De même, la hausse des salaires n’est pas un tabou. C’est la politique explicite de l’administration Biden, bien qu’elle bute en partie sur le Congrès pour sa mise en oeuvre. Aux Pays-Bas, le gouvernement libéral et conservateur vient d’annoncer une augmentation du SMIC de 7,5 %, comparable à ce que propose la NUPES. En Allemagne, le salaire minimum doit passer de 9,84 à 12 euros de l’heure, une augmentation de 20% qui le placera près de 10 % au-dessus du SMIC français.
Augmenter les salaires et bloquer les prix n’est pas un remède miracle pour autant. Lorsque le producteur fait face à des couts plus élevés (salariaux, énergétiques, transports, matières premières…), quelqu’un doit payer l’addition. Cela peut être le consommateur, si on laisse filer les prix. Mais puisque ceux des biens de première nécessité seront bloqués, les entreprises (et leurs actionnaires) devront supporter elles-mêmes l’inflation.
D’où la mise en place de politiques d’accompagnement des PME et de certains secteurs, dont l’agriculture, via des aides publiques financées par la hausse de la fiscalité sur les plus grosses entreprises et les hauts patrimoines.
En clair, ce n’est plus vous qui payez l’inflation, mais les profits des actionnaires et les grandes fortunes de ce pays. L’avantage d’une telle politique est de traiter le problème à la racine (en agissant directement sur les prix) tout en évitant de contracter l’économie. Car la hausse des salaires agit comme une politique de soutien à la demande : leurs marges diminuent mais leur chiffre d’affaires augmente. On évite ainsi la récession, tout en contrôlant l’inflation.
Cette politique nécessite une gestion plus précise et des actions plus ciblées. Par exemple, en ce qui concerne les matières premières, des accords commerciaux doivent être encouragés lorsque cela est possible. Du reste, Bruxelles évoque désormais l’idée d’une négociation en amont du prix du pétrole au niveau européen, comme le suggère depuis des semaines un certain… Jean-Luc Mélenchon.
Aux législatives, le choix est donc on ne peut plus clair. La Nupes veut faire payer l’inflation aux producteurs, distributeurs et spéculateurs qui abusent de leur situation, donc au Capital. Ce qui a pour avantage d’endiguer l’inflation. Emmanuel Macron et sa majorité veulent faire payer le consommateur et le contribuable, autrement dit les électeurs. Sans que cela n’agisse sur les causes du problème…