2016, une année exceptionnelle
Commençons 2017 par une bonne nouvelle : contrairement à ce que l’intuition suggère, 2016 fut une excellente année pour l’humanité, peut-être même la meilleure de son histoire. Les données sont sans appel et viennent contredire une perception pourtant très négative. Ce paradoxe mérite analyse et réflexion.
Les sondages d’opinion sont accablants, seuls 4 à 10 % des Américains, Allemands et Suédois considèrent que le monde va de mieux en mieux (1). Les publications vues sur les réseaux sociaux illustrent parfaitement un sentiment qui pourrait se résumer grossièrement par « 2016, année de m… ». Et pour cause, entre les attentats terroristes, le Brexit, l’élection de Donald Trump, le génocide d’Alep et le réchauffement climatique qui s’emballe… 2016 ressemble à une année catastrophique.
Le monde va de mieux en mieux
Pourtant, une rapide prise de recul permet de constater l’exact opposé, chiffres à l’appui. Tout d’abord, le niveau de vie global a de nouveau progressé pour atteindre un record historique. Que ce soit le recul fantastique de l’extrême pauvreté, la baisse du taux de mortalité infantile, l’accroissement historique de l’espérance de vie, du taux d’alphabétisation, l’amélioration de la condition de la femme ou le recul des principales épidémies, du travail des enfants… tous les indicateurs sont en nette progression. Jamais le monde n’avait été aussi sûr (2). La violence recule à peu près partout et jamais l’humanité n’avait connu aussi peu de guerres.
De plus en plus d’auteurs se font l’écho de ce constat. Plus qu’un long discours, quelques graphiques illustreront à merveille leur point de vue :
- La part d’extrême pauvreté (moins de 1.6 euro/jour) dans le monde est tombée de 94 à 10% depuis le XIXe siècle :
- La mortalité infantile est passée de 43 à 4%
- Le taux d’alphabétisation est passé de 10 à 85%
- La violence en France (hors homicide) est en net recul :
On pourrait étendre la liste des bonnes nouvelles à l’infini (comme le fait cet auteur) ou évoquer brièvement la hausse constante de la qualité de l’air (3), l’incroyable bonne santé de l’économie américaine et le recul du chômage en France sur trois trimestres consécutifs.
Les sources agrégeant les données sur des décennies et sur l’ensemble de la planète abondent, et dégagent toutes le même constat : 2016 s’inscrit dans la continuité d’un immense progrès qui contribue à l’amélioration de quasiment tous les aspects de la vie humaine : santé, richesse, éducation, libertés individuelles, respect de la femme, droit des minorités et sécurité.
Bien entendu, ce phénomène global peut cacher des aggravations ponctuelles et locales des conditions de vie. En France, les attentats terroristes, les pics de pollution de l’air, l’augmentation des inégalités et de la pauvreté font partie des nombreux évènements qui viennent ternir un tableau globalement positif. Sans parler du contexte mondial qui parait se noircir (élection de Donald Trump, Brexit…).
Pourtant, ces problèmes certes réels sont à mettre en rapport avec autant de bonnes nouvelles.
Citons quelques exemples : la fin de l’embargo américain sur Cuba, l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, la COP21, l’interdiction des gaz à effet de serre dans la fabrication des climatiseurs qui étaient responsables de 10% du réchauffement climatique (4) , l’avancé des droits des homosexuels, la multiplication des lanceurs d’alertes… autant de victoires historiques.
En ajoutant les bonnes nouvelles ponctuelles aux évolutions de long terme, le fatalisme ambiant semble complètement injustifié.
Pourquoi sommes-nous si pessimistes ?
Le monde va de mieux en mieux et la perception que l’on en a est de pire en pire. Ce paradoxe s’explique essentiellement par le rôle joué par les médias. On retiendra trois principaux mécanismes à l’œuvre.
- Les « mauvaises nouvelles » sont plus souvent rapportées que les bonnes. On ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, et pour faire vendre des journaux rien ne vaut une bonne catastrophe. Notez que ce ne sont pas plus les médias qui sont en cause que les gens qui les consomment. Tant que les journalistes seront jugés par les taux d’audience, le nombre de clics et les volumes de vente, ils seront forcés d’évoquer en priorité des sujets qui font vendre. Or toutes les études s’accordent sur ce point : le tragique, le sang et les émotions négatives fonctionnent mieux que les bonnes nouvelles.
- Les aspects négatifs de l’actualité se retrouvent plus souvent sous la forme d’évènements chocs et de faits divers spectaculaires tandis que les aspects positifs s’inscrivent généralement dans la durée. On peut toujours faire des unes avec des titres comme « le chômage recul en novembre », mais au bout de neuf mois consécutifs, cela lasse. Alors qu’une marée noire, un attentat terroriste sanglant ou une grand-mère écrouée pour viol sur mineur, ça tombe directement dans le sensationnel. Et le sensationnel fait vendre, on l’aura compris.
- Nous sommes bombardés d’information en permanence. À travers nos smartphones, les réseaux sociaux et les chaines d’information continues. Non seulement ces nouveaux médias nous inondent d’actualités dramatiques, mais le contenu devient de plus en plus spectaculaire ou choquant, du fait des vidéos et photos rapportées par les victimes et témoins de ces catastrophes. Le génocide du Rwanda, malgré l’ampleur de son horreur, n’avait pas autant marqué les esprits que la bataille d’Alep et les tweets des populations civiles envoyant des vidéos quelques minutes avant de se faire capturer, violer et torturer.
Pourquoi ce paradoxe est-il dangereux ?
Il tombe sous le sens qu’à force de croire que les choses vont mal, on agit en conséquence, au risque de compromettre les avancées réalisées et aggraver réellement la situation.
Donald Trump constitue le meilleur exemple. Il a su exploiter la peur des Américains (« make america safe again ») et doit en partie son élection à cette fausse perception. À force de céder à nos émotions, nous encourageons les comportements destructeurs. Et on se retrouve avec des gouvernements se livrant à des entreprises au mieux néfastes et au pire catastrophiques.
Le cas du terrorisme, qui ne fonctionne que parce que nous y réagissons de manière complètement disproportionnée (5), constitue un exemple particulièrement révélateur. Les attentats du 11 septembre ont tué quatorze fois moins d’Américains que les accidents liés à la sécurité routière la même année. Ils ont pourtant entrainé l’invasion de deux pays, la mort d’un demi-million de civils et la création de l’EI.
Notre perception faussée encourage également la domination des mauvaises problématiques dans l’actualité et le débat public. Pour reprendre le cas extrême du terrorisme, et au risque de choquer, on pourrait rappeler que les attentats en France n’ont fait « que » quelques centaines de morts. Alors que la pollution de l’air tue 50.000 personnes par an et que les conséquences sociales de l’explosion des inégalités font des ravages bien plus graves (par exemple, près de dix mille individus se suicident chaque année en France, et cinq mille meurent sur les routes, surtout des pauvres (6)).
Au lieu de débattre sur l’interdiction de certains modèles de maillot de bain, des thèmes comme la menace des nouvelles technologies sur l’emploi, le réchauffement climatique, le danger du développement de l’intelligence artificielle ou la résistance accrue des bactéries aux antibiotiques mériteraient surement plus d’attention (pour ne citer que les quatre sujets qui préoccupent le plus les scientifiques de nos jours).
Que pouvons-nous faire ?
Devant ce constat, la meilleure attitude à adopter consiste à stopper sa consommation de médias de masse. Refuser de regarder les JT, d’écouter les flashs infos radio de 5 minutes, de rafraichir et cliquer sur les liens des fils d’actualités de Facebook et twitter et s’abstenir de commenter avec ses amis et collègues les faits divers, constitue une première étape, une prise de distance indispensable.
Le temps et l’énergie dégagés pourront ensuite être déployés à regarder des documentaires de qualité, écouter des podcasts fouillés et lire des articles de fond issus de journaux sérieux (ou de ce blog ! ) écrits par des journalistes ayant fait l’effort d’analyser leur sujet dans sa globalité tout en vérifiant leurs sources.
Faut-il croire les bonnes nouvelles ?
Ce sujet ne saurait être complet sans porter un regard critique sur les fameux diffuseurs de bonnes nouvelles. Cette critique tient en deux points :
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Des bonnes nouvelles pour servir de sombres desseins
L’hebdomadaire «Le Point» publiait en novembre dernier une une audacieuse : «Non, ce n’était pas mieux avant». Les dix pages consacrées à la démonstration selon laquelle l’humanité ne s’est jamais aussi bien portée semblaient trancher avec les unes habituelles du tabloïd qui aime taper sur les fonctionnaires, dénoncer l’assistanat et encourager la fin du modèle social français (7).
Cependant, le sous-titre en dit long sur les intentions du journal : « la mondialisation fonctionne », alors laissez-nous continuer à faire de l’argent en paix.
De la même façon que les faits divers sanglants peuvent être récupérés par le pouvoir politique, les tendances positives peuvent servir à justifier tout et n’importe quoi. Comme la fin de la sécurité sociale…
2. L’amélioration globale peut cacher des effets particulièrement pervers
Pour illustrer cette idée, un article du New York Times s’avère particulièrement éclairant. Le journaliste commence par produire différents graphiques qui dépeignent la situation économique aux États-Unis à l’heure de l’entrée en fonction de Donald Trump. Le tableau est sans appel : Obama a réalisé un travail formidable.
Mais l’auteur ne s’arrête pas à cette pluie d’indicateurs positifs, il porte son analyse plus loin, dans le champ social, en zoomant sur les États clés de la « rust belt ». Or que voit-on ? Le taux de chômage a explosé et les salaires ouvriers ont baissé. Une conséquence directe de la désindustrialisation causée par la mondialisation, mais surtout par la robotisation (8).
Or les conséquences sont tragiques, comme le montre ce graphique où l’on voit l’espérance de vie des hommes blancs de 45-54 ans diminuer dramatiquement (du fait de l’alcoolisme, des overdoses et des suicides…).
On comprend mieux les facteurs de la victoire de Donald Trump lorsque, en guise de conclusion, l’auteur met en parallèle le score de ce dernier auprès de ces fameux ouvriers blancs.
Conclusion : le discours facile qui consisterait à dire « bandes d’imbéciles, le monde va de mieux en mieux, mais comme vous passez votre temps sur Facebook au lieu de lire Le Monde Diplomatique, Marine Le Pen risque d’être au second tour » permet de cacher les vraies causes du mécontentement du peuple, qui sont parfois toutes aussi objectives que les courbes de baisse du chômage…
Sur ce, meilleurs vœux pour 2017 !
Politicoboy
Notes et références :
(1) https://ourworldindata.org/a-history-of-global-living-conditions-in-5-charts/
(2) Lire cet excellent article : le paradoxe de la violence http://www.mercialfred.com/topos/paradoxe-violence-monde
(3) Le Point citant le livre « Progress », de Johan Norberg
(5) Mark Manson : how terrorism works: https://markmanson.net/terrorism
(6) Lire le monde diplomatique : Des accidents pas si accidentels, http://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/GROSSETETE/56078
(7) Les unes « le Point » http://www.acrimed.org/Monte
(8) Lire Paul Krugman « La mondialisation n’est pas coupable », ou pour éviter un livre de 300 pages, son dernier tweet : https://twitter.com/paulkrugman/status/816654538795061248
4 réactions au sujet de « 2016, une année exceptionnelle »
Excellent article qui va à contre courant du pessimisme ambiant!
En tant qu’adepte de René Guénon je ne peux cependant m’empêcher de relativiser l’importance accordée aux chiffres et indicateurs quantitatifs en tout genres. Le succès d’une société ne se mesure pas à coup de taux de chômage, d’indices de pauvreté ou de nombres de vols à main armée. Si ces indicateurs sont importants, ils doivent toujours être utilisés avec précaution . La première raison est qu’on peut faire dire aux chiffres tout et n’importe quoi (en choisissant une échelle différente, en changeant la définition d’un indicateur, en ne sélectionnant qu’une partie des données, etc). La deuxième raison est que la réalité ne peut être décrite par une accumulation de critères quantitatifs. On gagnerait à s’affranchir de la dictature de chiffres et à donner plus de crédit aux données qualitatives (en donnant la parole par example aux artistes, aux écrivains, aux philosophes ou plus généralement au peuple).
Sur le fond je ne pense pas que le monde aille mieux, malgré tous les indicateurs que tu as évoqués. En revanche je suis tout à fait d’accord sur le rôle nocif joué par les médias et en particulier sur la nécessité de se déconnecter.
Thomas
Merci du commentaire!
On peut voir dans ces chiffres « positifs » un élément de critique des thèses Guénoniennes (en gros, le temps est bel et bien facteur de progrès, et non pas d’usure et de dégénérescence), ou au contraire voir dans cette obsession de la quantification une preuve de plus de la généralisation de la quantité au détriment de la qualité.
Sans tomber dans ses considérations philosophiques, je pense pour ma part que l’usage qui est fait des « ressentiments » des gens par les politiques, qui créent des problèmes comme l’histoire du burkini là où il n’y a pas matière à dépenser de l’énergie, est particulièrement dangereux pour l’avenir de la société. Donald Trump a été élu sur la peur de l’immigré mexicain alors même que cette immigration diminue, et sur le slogan « make america safe again » alors que la criminalité est en baisse.
C’est pourquoi même si les chiffres sont parfois trompeurs, ils permettent dans ce cas précis de calmer un peu l’hystérie générale…
Un autre chiffre au passage: Sur mille réfugiés en 2016, seulement vingt sont allés immigrer vers l’Europe, et 1 seul en France. Et pourtant on ne parle que de ça…
Pour illustrer le problème avec les chiffres, prenons le dernier que tu as donné dans ta réponse :
« Sur mille réfugiés en 2016, seulement vingt sont allés immigrer vers l’Europe, et 1 seul en France »
Le premier problème est la définition des termes. Qu’est-ce qu’un réfugié ? Plus généralement quelle est la différence entre réfugié, demandeur d’asile, expulsés, immigrants, expatriés, etc ?
Selon la définition, les statistiques peuvent donner des résultats complètement différents.
Le deuxième problème est que ce chiffre ne reflète pas de tendance, il n’est qu’une photographie correspondant à l’année 2016, et il ne représente que le flux de réfugié, et pas le stock.
Le troisième problème est que ce chiffre n’indique que le nombre de réfugiés. Il serait plus parlant de considérer le nombre de réfugiés par habitant. En Suède par exemple le nombre total de réfugié est assez faible en absolu mais très grand si on le divise par le nombre d’habitants.
Enfin, quelle est la fiabilité de ce chiffre, est-il vraiment possible de quantifier le nombre de réfugiés ? Pour la Manif Pour Tous, les chiffres pouvaient varier de 1000% suivant les sources, pourtant les manifestants étaient localisés dans des endroits bien identifiés, et leur nombre était bien plus faible que pour les réfugiés, donc plus facilement quantifiable.
D’après Wikipedia, 32% des demandeurs d’asile en 2013 l’ont été dans l’union européenne, ce qui donne au lecteur une impression toute autre que le chiffre que tu as avancé.
Pour des chiffres plus précis, je recommande ce lien des Nations Unies :
http://www.unhcr.ch/fr/services/chiffres-et-statistiques.html
Je ne dis pas qu’il faut renoncer aux chiffres, mais plutôt les remettre à leur place, nécessairement relative et limitée. Au sujet des migrants, leur nombre n’est pour moi qu’une question secondaire. Une manière de reformuler le sujet serait de parler de l’ampleur du phénomène, qui englobe le critère quantitatif (nombre de migrants), mais qui reste dans le domaine qualitatif.
La tentation est grande de clouer le bec aux raisonnements irrationnels avec des chiffres précis, objectifs et incontestables. Malheureusement les chiffres possèdent rarement un tel pouvoir. D’ailleurs un candidat a rarement gagné une élection avec des chiffres (ton article sur Trump le montre bien).