Pour en finir avec la question de l’immigration

Pour en finir avec la question de l’immigration

La question de l’immigration embarrasse la gauche autant qu’elle fait le jeu de la droite, et surtout de l’extrême droite. L’espace qu’elle occupe dans les médias, que ce soit lors des débats télévisés ou des émissions de grande écoute, favorise nécessairement Marine Le Pen. Mérite-t-elle la place qui lui est attribuée, et quelles sont les solutions concrètes à y apporter ?

1. Les chiffres de l’immigration

« La France et l’Europe font face à une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Des milliers de réfugiés tentent, par la terre ou par la mer, d’entrer en Europe ». Cette phrase, prononcée devant onze millions de téléspectateurs le 20 mars 2017, n’est pas de Marine Le Pen, mais bien de la journaliste vedette de TF1, Anne-Claire Coudray. Elle véhicule l’idée de vagues d’immigrés menaçant d’envahir le territoire national.

Pourtant, il suffit de regarder les chiffres pour se rendre compte d’une réalité bien plus nuancée. (1)

Pour ce faire, nous devons distinguer les notions de flux (nombre d’entrants et de sortants) et de « stock », le nombre de personnes présentes en France à un instant « t ». Procédons dans l’ordre.

En matière de flux migratoire, l’INSEE nous apprend qu’en 2015, le solde net (entrée moins sortie) représentait 67 000 individus, soit 0,1 % de la population française. Si on décompose ce flux, on obtient 240 000 entrées et 175 000 sorties. Ces chiffres comptent aussi bien les Français que les étrangers. Pour aider la rhétorique de Marine Le Pen et de François Fillon, on concèdera que le total d’étrangers entrés sur le territoire en 2015 s’élevait à 140 000 (0,2 % de la population française, ou deux pour mille).

Ce flux doit lui aussi être décomposé en fonction des pays d’origine. On observe alors que l’Afrique et le Moyen-Orient représentent une part modeste (45 % en 2015).

Contrairement à ce qu’avançait Anne-Claire Coudray, cette tendance reste dans la moyenne des dix dernières années, en augmentation par rapport à 2012 (+12 %), mais inférieur à l’année 2013 et deux fois plus faible qu’en 2006.

Du point de vue qualitatif, on note que l’immigration légale, que cherchent à réduire le Front National (solde plafond de 10 000 entrée par an) et François Fillon (politique de quotas) se répartit de façon surprenante :

Les principales causes d’attribution de titres de séjour résultent du regroupement familial et des visas étudiants. L’immigration purement économique ne concerne que 10 à 20 % des flux migratoires. Or le regroupement familial, qui bénéficie autant aux immigrés ayant obtenu la nationalité française qu’aux Français rentrants d’une expatriation avec un conjoint issu d’un autre pays, découle de la convention de Genève de 1946. Revenir sur ce droit impliquerait des répercussions pour les Français désirant obtenir des titres de séjour dans la nation d’origine de leurs conjoint, enfants ou parents (par phénomène de réciprocité).  

Reste la question des demandeurs d’asile, les fameuses « vagues d’immigrants dans lesquelles se glissent des terroristes » selon Marine Le Pen. En 2015, au plus fort de la crise migratoire, 79 000 demandes ont été enregistrées (2). Ce chiffre, en progression de 20 %, n’a pourtant abouti qu’à 26 700 réponses positivesOn notera par ailleurs que les demandes d’asile s’effectuent souvent en amont, depuis le pays d’origine. Les reconduites à la frontière sur la même année dépassent les 17 000, un nombre également en hausse d’environ 20 %. Plus curieux, les pays d’où proviennent les plus fortes augmentations des demandes ne sont pas ceux qu’on imagine : la Syrie (+64,2 %) se trouve loin derrière le Soudan (+184 %), l’Irak (+254 %), l’Afghanistan (+349,2 %), et le Kosovo (+98 %). Tous ces pays ont récemment subi les bombardements de l’armée française ou de ses alliés.

Ces données restent critiquables puisqu’elles ne font qu’estimer la part de l’immigration clandestine (par définition difficile à chiffrer, bien que les travailleurs sans-papiers, réfugiés en attente de régularisation et bénéficiaires de l’AME sont pris en compte par l’INSEE).

Pour conclure sur la notion de flux, on observe que le solde migratoire de 2015 se situe en réalité dans la moyenne calculée depuis les années 1980.

La part des étrangers dans la population française

Nous venons de voir que les flux de migrants arrivant en France demeurent relativement faibles (0,2 % de la population) et dans la moyenne observée ces trente dernières années. Qu’en est-il du « stock », ou proportion d’étrangers résidents sur le territoire national ?

L’estimation basse, qui prend en compte le total d’étrangers en situation régulière et irrégulière, s’élève à 4,1 millions (6,2 % de la population). Si on ajoute les immigrés ayant obtenu la nationalité française, mais étant nés hors de France, cette proportion atteint les 8,9 %. Soit moins d’un Français sur dix.

Encore une fois, cette part d’immigration comporte de nombreux Européens, asiatiques, sud-américains… la contribution des immigrés qui semblent « déranger » le Front National (Afrique et Moyen-Orient) serait de moitié inférieure à ce total.

Cette répartition est relativement stable depuis 1930 (elle s’établissait alors à 7 %).

La France comparée à ses voisins

Les chiffres cités en première partie peuvent sembler dérisoires ou alarmants, selon les perceptions et préjugés de chacun. Il apparaît donc utile de les mettre en perspective avec ceux des autres pays développés. La comparaison s’avère pour le moins intéressante.

La France se classe ainsi au 17e rang en termes de proportion d’immigrés sur son sol, à 8,9 %, loin derrière l’Allemagne et les États-Unis (13 % environ). Au sein de l’Union européenne, nous sommes également en dessous de la moyenne. (3)

 

Les écarts deviennent plus spectaculaires lorsqu’on parle de flux. Avant la vague migratoire de 2015 qui a vu l’Allemagne accueillir plus de huit cent mille personnes (quarante fois plus que la France), le flux d’immigration vers la France était trois fois moins élevé que la moyenne européenne (0,2 % contre 0,6 %).

Autre chiffre révélateur, la part de l’immigration dans la croissance de la population (naissance moins décès plus immigration nette) se situait en dessous des 40 % en France en 2014, contre plus de 200 % en Allemagne. En clair plus d’un nouveau français sur deux n’est pas issu de l’immigration, alors qu’en Allemagne, elle permet de combler deux fois le déficit de natalité.

Dernière observation intéressante, la question migratoire ne se limite pas aux entrées. Les sorties de Français allant s’établir à l’étranger sont en effet en forte hausse, tandis qu’en Espagne, les politiques d’austérité ont provoqué le départ de plus d’un million de nationaux depuis la crise financière, soit autant que le nombre de migrants arrivés en Europe en 2015.

2. Faut-il lutter contre l’immigration ?

La question mérite d’être posée. Comme on vient de le voir, la part des immigrants dans la population française et les flux migratoires sont relativement stables dans le temps. Pourtant, Madame Le Pen et Monsieur Fillon veulent réduire cette immigration. Pourquoi ?

Le premier argument avancé est d’ordre économique, il constitue le cœur du programme du Front National. L’immigration représenterait un coût social du fait des aides versés aux étrangers, elle exercerait une pression sur l’emploi par des mécanismes de concurrence entre salariés et, comme le prétend Eric Zemmour, viendrait disputer les prestations (logements sociaux, places en crèche) aux Français.

Notez que cette rhétorique est partiellement accréditée par des personnalités de gauche, tel Jean-Luc Mélenchon qui explique que, compte tenu du niveau actuel de chômage, « Pour l’instant, il n’y a pas moyen d’occuper tout le monde ».

Qu’en est-il ?

Sur la question économique, les études convergent toutes vers la même conclusion, les immigrants sont des contributeurs nets au système économique, en particulier le système de protection sociale. La raison est simple, les migrants sont globalement plus jeunes et en meilleur santé que la moyenne des Français, et contribuent plus qu’ils ne coûtent, comme le rapporte une étude publiée par Les Échos (un journal pas vraiment communiste !). Cette tendance se retrouve dans le monde entier. Selon l’étude du cabinet Mc Kinsley reprise par les cahiers du Figaro, les immigrés ont un impact positif sur la richesse mondiale.

De la même façon, la critique sociale de concurrence déloyale est largement mise en doute. Non seulement le taux de chômage des immigrés est deux fois plus élevé que celui des nationaux, mais en plus ces populations ont tendance à occuper des emplois délaissés par les Français (agents de nettoyage, bâtiment…). Il en va de même pour la prétendue pression exercée par les étrangers, qui se font plus souvent concurrence entre eux, pour l’accès au logement notamment, du fait de la ségrégation urbaine qui tend à concentrer ces populations sur les mêmes territoires. (4)

L’immigration constitue ainsi un moteur économique plutôt qu’un frein. Reste le problème de la sécurité, thème cher au FN.

Comme chacun le sait, les attentats terroristes ne sont pas l’œuvre d’étrangers, mais bien de Français (ou belges) s’étant radicalisés sur le territoire national. Ce qui pose la question épineuse de l’intégration. Un sujet qui appelle à des réponses plus complexes et peu compatibles avec la logique de stigmatisation et de répression chère à la droite et l’extrême droite.

En conclusion, les fantasmes agités par Marine Le Pen et François Fillon conduisent à adopter des solutions qui vont à l’encontre des résultats recherchés en impactant négativement l’économie, la protection sociale et la sécurité des Français.

3. Comment réduire l’immigration ?

Nous avons établi que l’immigration ne représentait pas un réel problème de par sa proportion relativement constante et ses effets essentiellement positifs ou neutres sur l’économie. Mais admettons que notre démonstration ne soit pas convaincante, et posons-nous la question des leviers permettant de réduire l’immigration.

La première étape logique consiste à décourager les départs.

Marine Le Pen et François Fillon veulent stopper les « pompes aspirantes » qui inciteraient les immigrés à venir en France pour toucher les prestations sociales et l’aide médicale d’état. La première propose de les supprimer, le second d’en durcir l’accès. À gauche, Jean-Luc Mélenchon souhaite également agir sur les causes en cherchant à arrêter les guerres, à lutter contre le réchauffement climatique et à cesser les accords de libre-échange défavorables aux pays sous-développés.

Sur les « pompes aspirantes », la recherche économique et les études empiriques réalisées aux États-Unis ont démontré qu’il s’agissait d’un concept purement théorique. (5) Pour s’en convaincre, il suffit d’observer vers quels pays européens se dirigent en priorité les migrants. L’Allemagne et le Danemark figurent en tête de liste, loin devant la France, malgré une protection sociale plus faible, une facilité d’accès aux aides plus restreintes, la barrière de la langue et un climat moins clément… La Jungle de Calais, occupée par les migrants souhaitant se rendre au Royaume-Uni (pays peu généreux en matière de protection sociale) renforce ce constat : c’est l’attractivité du marché de l’emploi qui domine les facteurs « d’aspiration » de l’immigration. (6)

Seulement, on comprend bien qu’il serait contre-productif d’augmenter le chômage pour se protéger de l’immigration…

Puisqu’on parle d’incohérence, notons que le programme de Marine Le Pen ferait peser un risque sanitaire sur les populations françaises (de par son refus de soigner les migrants) ainsi qu’un danger de radicalisation de ces derniers (suppression de l’accès à l’éducation publique pour les étrangers).

Inversement, si la corrélation entre les guerres et le réchauffement climatique avec les mouvements migratoires n’est pas contestée, proposer d’agir sur ces causes comme le fait Mélenchon ne permet pas de résoudre le court terme. De la même façon, sa remise en cause des traités de libre-échange présente certains problèmes. En réalité, il existe un seuil de développement qui favorise l’immigration. Ce sont les populations les plus aisées et éduquées qui immigrent en premier, du fait de leur capacité financière et intellectuelle à tenter l’aventure, pour ainsi dire. Ainsi, favoriser le développement économique des pays pauvres peut avoir l’effet inverse escompté, à moyen terme. (7)

Emmanuel Macron se veut plus pragmatique et propose de développer la coopération avec les pays sources et de renforcer les moyens de l’agence Frontex. On ressent de nouveau le flou de cette solution. Comment convaincre la Syrie ou l’Afghanistan de contrôler le départ de ses populations ?

Une chose est certaine, en matière d’immigration, rien n’est simple.

Le durcissement des frontières pour contrôler l’immigration ?

Dernier écueil, le renforcement des frontières nationales prônées par Marine Le Pen et François Fillon se heurte une nouvelle fois à la réalité. Outre le coût économique significatif du rétablissement des contrôles à l’intérieur de l’UE (8), se pose la question de ce que l’on fait des immigrés arrêtés à la frontière. Par voie terrestre, on ne peut pas vraiment leur tirer dessus. Par voie maritime, les remettre sur les bateaux reviendrait à les condamner à la noyade. Quant à la reconduite, encore faut-il que les pays voisins acceptent de prendre en charge les individus.

Reste la solution de l’expulsion vers le pays d’origine, politique coûteuse (25 000 euros par tête de pipe) et, sans parler du drame humain, nécessitant l’accord du pays hôte.

On comprend qu’il n’est donc pas réellement possible de renforcer les contrôles aux frontières sans renier profondément les valeurs qui définissent notre civilisation. Mais poussons la logique jusqu’au bout et admettons que l’on commence à remettre les migrants sur les bateaux, voir à tirer à vue.

Mur à la frontière USA/Mexique, Photo: B Denton for The New York Times, 2016.

L’exemple de la politique américaine à la frontière du Mexique fait état d’un bilan mitigé. Si la construction de lignes de barbelés surveillés par des détecteurs de mouvement, des caméras infrarouges et patrouillées par des officiers ont causé le décès de plus de 5500 migrants (9), cette politique n’est pas parvenue à endiguer les flux, mais aurait au contraire favorisé le développement de réseaux criminels de passeurs. On observe le même type d’effet aux frontières de l’Union européenne ou l’augmentation des contrôles (souhaité par Macron) provoque la multiplication des organisations de trafic humain, dont le chiffre d’affaires dépassait les 40 milliards d’euros en 2013, selon le Figaro.

Ainsi, on se rend compte qu’il n’existe pas de solution miracle à l’immigration illégale. Quand est-il de sa forme légale ?

Peut-on réduire l’immigration légale ?

Jean-Luc Mélenchon et François Fillon sont d’accord sur un point, l’immigration économique pose problème. Hélas, cette dernière ne représente qu’une faible partie du flux (15 % environ). La politique des quotas, chère au candidat LR, ne pourra limiter l’immigration globale qu’à la marge.

Reste le regroupement familial, lié au droit du sol. Il est envisageable de revenir sur cette notion figurant dans la convention de Genève, bien qu’une telle décision sera probablement à double tranchant. Elle impactera aussi bien les Français issus de l’immigration désirant faire venir leurs proches sur le territoire que les Français de souche souhaitant rentrer en France avec leur famille fondée à l’étranger. A moins d’introduire un élément discriminatoire basé sur l’origine ethnique, ce qui s’opposerait à la déclaration européenne des Droits de l’Homme. Le pays des lumières a vécu…

Conclusion 

Le problème de l’immigration fait partie de ces questions relativement secondaires qui accaparent pourtant le champ médiatique de par la complaisance des grands médias envers les discours anxiogènes de la droite et de l’extrême droite. Non seulement les chiffres sont loin d’être alarmants, mais les conséquences restent globalement bénéfiques, du point de vue économique du moins. Les solutions simplistes et souvent contre-productives proposées par l’extrême droite et la droite se heurtent à une réalité complexe qui embarrasse la gauche, elle-même prisonnière de ses propres contradictions.

L’immigration cache en réalité un problème plus profond, celui de l’intégration. Pourtant, les discours actuels font tout pour la rendre plus difficile en stigmatisant les minorités, en divisant la population et en alimentant les peurs.

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Sources principales et références

  1. Les chiffres sont essentiellement tirés du rapport de l’INSEE de 2016
  2. Chiffres de l’OFRA (2015)
  3. Cf ce résumé efficace de la situation francaise par rapport à ces voisins européens publié dans La Tribune  
  4. Lire cet article synthétique publié dans le monde diplomatique d’avril 2017 
  5. Borjas G. (1999) « Immigration and Welfare Magnets », Journal of Labor Economics, 17/4.
  6. De Giorgi G., Pellizzari M. (2009) « Welfare migration in Europe », Labour Economics. n° 16.
  7. A partir de 600 dollars par an et jusqu’à 7 500, l’augmentation du revenu moyen favorise l’immigration: https://www.cgdev.org/
  8. http://lemonde.fr/economie/article/2016/02/22
  9. https://en.wikipedia.org/wiki/Mexico%E2%80%93United_States_barrier

Pour une critique du discours du FN, lire cette formidable note des économistes attérés et cet article efficace de bastamag.

 


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