Les comparateurs de programmes à la rescousse ?

Les comparateurs de programmes à la rescousse ?

Certains électeurs votent essentiellement en fonction des sondages, d’autres, plus lucidement, le font par « stratégie du vote utile », deux attitudes similaires dont nous avons démontré l’incohérence et le risque in fine.

À l’inverse, le vote par conviction doit se conjuguer avec une certaine cohérence politique. En clair, suis-je d’accord avec le programme de mon candidat, et celui-ci sera-t-il en mesure de l’appliquer ? Dans ce cadre, le recours aux comparateurs de programmes s’avère contre productif.

Par exemple, on doute que François Fillon, compte tenu de ses affaires et de la profonde fracture qu’il a créée avec les Français, puisse réaliser son programme économique. Et ce programme est-il sincère, ou bien est-ce une simple position politique pour répondre à la droitisation du parti LR ? Compte tenu de l’attitude de Fillon, on est en droit d’en douter.

À l’inverse, Macron semble profondément convaincu du bienfait des politiques néolibérales et de l’austérité qu’il a élevée au rang de stratégie européenne (1), et de la flexibilisation du travail qu’il promet d’instaurer par ordonnance dès cet été, lui qui jugeait la loi El-Khomri insuffisante : « un seul pas en avant quand je recommandais d’en faire cinq » (2). Or Macron pourra gouverner sans problème, sa candidature s’appuyant sur une coalition de centre droit avec le PS et LR modérés.

À travers cet exemple, on voit que les comparateurs de programmes ne constituent que le niveau zéro de la réflexion politique (ou un, si le niveau zéro est le choix uniquement basé sur les sondages).

Comme nous allons le voir, ils esquivent les vraies questions et contribuent plus à déconstruire la réflexion qu’à l’éclairer.

Les comparateurs ne sont pas objectifs.

Les comparateurs de programmes agrègent les différentes propositions des candidats sur des thèmes multiples dans le but de permettre aux citoyens de  les étudier. Outre la pauvreté de la démarche intellectuelle qui consisterait à faire son shopping électoral en se basant simplement sur des tableaux comparatifs, nous devons nous poser la question fondamentale suivante :

Qui réalise ces comparatifs ?

Lorsque l’outil provient de l’IFRAP (think tank libéral financé par les soutiens de Macron et de Fillon) ou de l’institut Montaigne (dont le président n’est autre que le soutien principal de Fillon, le fameux milliardaire qui a versé deux cent mille euros à madame Fillon pour deux notes de lecture à la revue des Deux Mondes), on est en droit de se poser la question de l’objectivité de ces comparateurs. On pourrait d’ailleurs faire la même critique au  think tank social libéral « terra nova » ou du journal L’Humanité, s’ils décidaient eux aussi de sortir un tel « outil ».

Les comparateurs sont truffés d’erreurs et soumis à de nombreux biais

Pour appuyer notre propos, nous allons étudier le comparateur du journal Le Monde. Comme vous allez le voir, le résultat est surprenant.

La page d’accueil débute par un sujet majeur, l’économie, et un premier thème surprenant : les fonctionnaires. La question centrale de la politique économique (politique de l’offre, ou de relance) et la problématique qui en découle sur la poursuite ou non de l’austérité budgétaire sont diluées sur trois thèmes figurant dans différents chapitres du comparateur. Donc déjà, le point le plus clivant qui sépare les principaux candidats est occulté de la discussion économique qui s’en trouve réduite à un agrégat de thèmes traités séparément, comme s’ils n’étaient pas liés, et à travers des simples « propositions ».

Parmi cette collection, un premier thème nous arrête : la fraude fiscale. Ce qui nous permet de constater le second problème de ce comparateur, il contient de nombreuses approximations. Ainsi, Mélenchon et Hamon, qui proposent tous deux de supprimer le verrou de Bercy, de renforcer les moyens humains et législatifs, d’obliger les entreprises à divulguer leurs comptes bancaires étrangers et d’encadrer le mouvement des capitaux, se retrouvent divisés en deux propositions réductrices :

Le monde omet de mentionner le cout de cette fraude, 80 milliards, et la baisse des fonctionnaires affectés à cette lutte

Le plus comique reste le cas Emmanuel Macron. Lui  qui a affirmé ne rien prévoir de faire en la matière et qui avait défendu le verrou de Bercy lorsqu’il était au ministère des finances se retrouve propulsé en pourfendeur de la fraude. (3) Quant à Marine Le Pen, les trois lignes de son programme sur la question occultent le fait qu’elle ne propose aucune méthode concrète (elle se contente d’une belle intention) et à l’inverse accuse la fraude sociale d’être le vrai problème. Pourtant le comparateur lui permet d’apparaître plus engagée que Mélenchon et Asselineau sur ce thème.

Sur la réforme de l’impot,  même principe. Mélenchon et Hamon proposent d’adopter la réforme de Piketty (dans les grandes lignes), de fusionner IR et CSG et de baisser l’impôt sur une majorité des Français. Et les voilà de nouveau réduits à une triste et unique proposition.

Sur l’ISF, Macron s’en sort à merveille selon Le Monde, il voudrait « le supprimer pour les investissements dans l’économie ». Sauf qu’il ne parle pas de déductions d’ISF pour ceux qui financent des TPE/PME comme Nicolas Dupont-A, non, lui supprime l’ISF pour tous les produits financiers, y compris ceux qui sont purement spéculatifs. Mais ça, le comparateur ne le dit pas :

On voit donc toute la puissance de l’outil qui permet de contredire le projet des candidats par la magie de la simplification des propositions.

Continuons de comparer avec bonheur en abordant le problème de politique étrangère que notre journal russophobe résume en un seul point : « les relations avec la Russie », avant de caricaturer les positions de six candidats. Peu importe que seule Marine Le Pen soit en effet pour un rapprochement, et que les autres parlent simplement de dialogue, avec d’importantes nuances.

La suite devient carrément comique. On apprend que pratiquement tous les candidats sont pour les énergies renouvelables (nous voici rassurés) :

L’euro, ou absolument tout ce qui est écrit est faux (il fallait le faire sur une question aussi cruciale) :

Au total, à première lecture j’ai relevé quinze erreurs, soit en moyenne une erreur par thème avec lesquels je suis très familier (et je ne compte pas les petits candidats).

Alors, certes, un des propriétaires du Monde soutient officiellement Emmanuel Macron, et le journal le fait également de manière officieuse. (4) Mais les nombreuses erreurs ne sont pas nécessairement liées au positionnement du journal, mais plus probablement dues au fait que les malheureux pigistes qui ont fourni ce travail sous la pression des délais ne sont pas exempts de toute faute d’interprétation.

Mais lorsque le quotidien de référence du pays fait autant d’erreurs, on comprend toute la limite de ces comparateurs.

Les biais des comparateurs

Nous venons donc de voir que les comparateurs ne reprennent pas fidèlement les programmes, les caricaturent ou réduisent à de simples propositions des positions parfois riches et complexes. Mais ces problèmes ne constituent que la partie émergée de l’iceberg.

Outre les réponses qu’ils proposent, la façon dont ils amènent les questions tient à la plus élémentaire des manipulations psychologiques. Juste un exemple, l’amalgame entre la Russie et la guerre en Syrie (sur une question aussi complexe, c’est assez fort) :

Et sur la justice des mineurs, après pareil chiffre alarmant (sans aucune contextualisation), on s’étonnera que le lecteur se porte sur les positions les plus à droite :

Les « tests », QCM et questionnaires comme « jevote » sont encore pires. Ils ajoutent aux problèmes mentionnés plus haut tous les biais typiques des enquêtes d’opinion : formulation des questions, choix des thèmes inclus ou exclus et poids accordé à chaque thème, réponses proposées réduites, incorrectes, voire non représentatives des candidats… C’est ludique, mais particulièrement pervers.

Le vrai problème réside dans la nature même de ces comparateurs. En effet, réduire un candidat à une suite de propositions ou de positionnements ne permet pas de mettre en évidence la cohérence (ou absence de cohérence) du projet et incite au contraire au marketing politique. Marine Le Pen est un cas d’école, son programme semble n’avoir été constitué que pour ressortir positivement de ces comparateurs. (5) Les propositions résultant d’analyses de Big data de Macron (6) sont également à regarder avec suspicion.

À l’inverse, lire des longues interviews des candidats et de leurs soutiens permet de se rendre compte du gouffre qui les sépare parfois de leur programme. L’exemple de la lutte contre la fraude fiscale de Macron l’illustre parfaitement, comme le montre cette vidéo efficace.

Conclusion :

Les comparateurs sont, au même titre que les sondages, nuisibles et réducteurs. Au lieu de consacrer du temps à les consulter, à quelques jours du scrutin le mieux reste de lire les programmes à la source et de regarder sur YouTube les derniers meetings des différents candidats. Cela permet de se rendre compte à la fois du contenu, mais également de la sincérité de la personne et de l’attitude de ses soutiens.

Par exemple, la comparaison du meeting de Bercy de Macron avec celui de Hamon qui aura lieu mercredi et celui de Mélenchon à l’aide d’hologrammes Seldoniens se révèlera particulièrement éclairante.

Ensuite, sur les questions précises, il est intéressant d’écouter ce qu’ont à dire les ONG, les chercheurs non alignés ou les journalistes reconnus pour leur objectivité (cela existe encore, en cherchant bien !).

Sources :

  1. Lire ce superbe article très complet et pédagogue publié par le rédacteur adjoint du journal La Tribune.
  2. Lire cet interview/débat publié dans l’Obs. On y apprend que Macron souhaite réformer les retraites pour les adosser aux cours de bourse, entre autres.
  3. Voir cette vidéo et surtout les sources qui y sont attachées.
  4. Lire notre article sur le décodex, le tweet de soutien à monsieur Macron y est également cité.
  5. Lire la critique du programme du FN par le collectif « les économistes atterrés » pour se rendre compte du décalage entre ce que les médias font ressortir et la réalité du programme du FN.
  6. Le monde diplomatique Mars 2017

 


4 réactions au sujet de « Les comparateurs de programmes à la rescousse ? »

  1. Bonjour. Partial je le suis. N’empêche que plusieurs associations et ONG ont retenu le programme de la France Insoumise comme étant le plus réaliste.

  2. Olivier Tonneau (bloggeur sur Media part): a écrit : « Mélenchon, un dictateur? Qui croirez-vous: Libération ou Amnesty?
    Sur l’écologie, croirez-vous Le Monde ou Greenpeace?
    Sur le social: Le Figaro ou Oxfam?
    Sur la santé: BFMTV ou Action Santé Mondiale?
    Sur la solidarité: L’Express ou le Secours Catholique?
    Sur la justice: Le Point ou les avocats au barreau de Paris?
    Sur l’énergie: France 2 ou le National Geographic?
    Sur la santé publique: Challenge ou sept experts indépendants?
    Sur le développement international: Les Echos ou Action Contre la Faim?
    Sur la culture: France Info ou Profession Spectacle?
    Sur la condition animale: RTL ou Ethique Animaux?

    Dans tous ces domaines, je dis bien tous, le programme L’Avenir en Commun est le mieux noté, confortablement. Se fier à l’expertise est louable; encore faut-il savoir qui la possède. »

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