Affaire Benalla: Macron, l’effondrement qui vient ?

Affaire Benalla: Macron, l’effondrement qui vient ?

Emmanuel Macron va devoir jouer serré, très serré. Que le fusible Gérard Collomb tienne ou saute, que le directeur de cabinet présidentiel Patrick Strzoda soit remercié ou non, son quinquennat sera durablement marqué par l’affaire Benalla. Car au-delà des détails accablants, c’est Emmanuel Macron lui-même qui est mis en cause, au point de risquer un véritable effondrement. Voici comment.

1) Watergate à l’Élysée

Tout part des révélations du journal Le Monde. Alexandre Benalla, proche conseiller d’Emmanuel Macron chargé de sa sécurité personnelle, est reconnu sur une vidéo d’une rare violence, où on le voit malmener une jeune femme avant de tabasser un homme à terre. Les faits se passent le 1er mai 2018, en marge de la manifestation. Benalla porte des insignes de police, coordonne l’action des forces de l’ordre, commande aux CRS. Avec lui se trouve Vincent Crase, employé de La République en Marche et chargé de mission à l’Élysée. Les deux hommes sont placés en garde à vue puis mis en examen suite aux révélations de la presse.

On leur reproche les actes de violence et l’usurpation de l’identité d’agent des forces de l’ordre, des délits passibles de trois ans de prison.

Le scandale se transforme rapidement en affaire d’État, car du propre aveu de l’Élysée, les faits étaient connus d’Emmanuel Macron, de son directeur de cabinet, de la préfecture de police et du ministère de l’Intérieur. Et ce, depuis le 2 mai. En violation de l’article 40 du Code pénal, l’exécutif a donc couvert Benalla.

Le proche du président aurait écopé d’une simple mise à pied, et de ce que l’Élysée présente comme une placardisation. Problème, depuis le 1er Mai, Benalla s’est vu confier de nombreuses missions clés, telle que la supervision du rapatriement de l’équipe de France à l’Élysée.

2) Désastre médiatique

Tandis que la presse écrite enchaine les « révélations » et provoque des rebondissements en cascade, les JT du 20 h démontent, images à l’appui, la ligne de défense de l’Élysée. On découvre au fil des heures l’ampleur de la relation particulière qui liait Alexandre Benalla et Emmanuel Macron. Benalla et Macron font du ski, Benalla et Macron font du vélo, Benalla et Macron au tennis, en attendant la plage.

Macron et Benalla au Touquet, juin 2017. photo © Philippe Wojazer/Reuters

Le jeune homme bénéficie d’un pouvoir démesuré et d’avantages impressionnants : appartement et voiture de fonction, promotion injustifiée au grade de lieutenant-colonel de gendarmerie, autorisation de port d’arme, salaire mensuel de dix mille euros hors primes, accès au cœur de l’appareil d’État et de l’Assemblée nationale. Ce serait lui qui aurait fait accélérer le bus des bleus remontant les Champs-Élysées, pour que Macron puisse faire l’ouverture du 20h avec l’équipe de France. Alors que les chaines d’information continue diffusent en boucle les images où Benalla tabasse un jeune manifestant, l’exécutif se mure dans un silence incompréhensible. Pas un seul tweet en trois jours, pas une seule déclaration depuis le mensonge honteux du porte-parole Bruno Roger-Petit.

3) Des barbouzes et une affaire d’État

Le sommet de l’État a couvert les délits de l’affaire Benalla. Dont l’usurpation de l’identité des dépositaires de l’autorité régalienne, ce qui jette un profond discrédit sur l’institution policière.

Celle-ci est furieuse. Plusieurs syndicats portent plainte. Au sommet de la hiérarchie, les langues se délient.

« C’est M. Benalla qui s’amuse à agresser des gens sous la protection d’un casque et d’un brassard de police qu’il n’a pas lieu d’avoir et nous en serions responsables ? (…) Ce n’est pas ça la police. Il a ruiné notre image et c’est assez insupportable », Jean-Paul Megret, secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police, au journal Le Monde

On apprend que Benalla serait un habitué du dépassement du périmètre de ses fonctions, ce qui contredit directement la ligne de défense de l’Élysée. Telle une bombe à fragmentation, l’affaire explose au cœur de l’État.

D’un côté, l’exécutif ment et cherche à étouffer l’affaire sans succès. De l’autre, le pouvoir législatif d’En Marche rame et recule. La majorité parlementaire refuse la mise en place d’une commission d’enquête, puis accepte sous la contrainte, mais cherche à conduire les auditions en huis clos. Sous la pression d’une opposition unie et déterminée, elle autorise finalement les auditions publiques. Celle de Gérard Collomb sera diffusée en live sur Facebook, LCP et BFMTV.

Tandis que l’ affaire Benalla se transforme en affaire d’État, le public découvre un personnage aux allures de barbouze qui semble jouir d’une impunité incompréhensible. Du haut de ses 26 ans, et compte tenu de ses antécédents accablants, sa position au centre du dispositif présidentiel interroge.

Les multiples présences à ses côtés de Vincent Crase, second barbouze, accréditent la thèse d’un service d’ordre parallèle, d’un genre de milice politique qui vient rappeler les pires moments de la cinquième république. Un camouflet pour le jeune président censé mettre un terme aux pratiques politiques du « vieux monde ».

Des éléments troublants concordent. D’abord, le seul poste de dépense administratif ayant bénéficié d’une augmentation du budget en 2018 serait le service de sécurité de l’Élysée. Les trois millions d’euros supplémentaires pouvaient être destinés à la paye de ces barbouzes au nombre indéterminable, car ne figurant pas au Journal officiel ni sur l’organigramme de l’Élysée. Ou bien, cette somme allait servir à la mise en place du nouveau service de sécurité dont la création avait été confiée à Alexandre Benalla, dans le but de remplacer l’actuel GSPR et sa centaine de policiers et gendarmes expérimentés.

Surtout, on ne s’explique toujours pas la présence, sur de nombreuses images et vidéos, du commissaire Mizerski. Supposé encadrer Benalla, le haut gradé responsable de la liaison entre la préfecture de Police et de l’Élysée laisse faire ce dernier. Or, Mizerski a été formellement identifié lors de la marche blanche à la mémoire de Mireille Knoll (le 28 mars 2018) comme un des membres du service d’ordre qui avait contraint la délégation du groupe de députés France Insoumise à quitter la marche sous la pression des nervis de la LDJ. Vincent Crase aurait été également sur place ce jour-là.

(Image : TaranisNews)

On en arrive à présumer d’une action concertée avec l’Élysée, destinée à museler l’opposition par la force, que ce soit pour la discréditer lors de la marche du 28 mars, ou pour envenimer la situation lors des manifestations du 1er mai. Ces informations ne sont pas confirmées, mais face au mur du silence du gouvernement, l’opposition s’en donne à cœur joie.

Quelle était l’étendue des missions de Benalla, lui qui disposait de manière inexplicable d’un badge d’accès à l’hémicycle de l’Assemblée nationale ? Ces pratiques confirment le sentiment de déconnexion de nos élites, et l’inquiétante perméabilité du macronisme avec l’extrême droite. 

4) Face à l’amateurisme de la République en Marche, Emmanuel Macron est nu.

Un événement va contraindre Emmanuel Macron, après 36 heures de silence, à engager le licenciement d’Alexandre Benalla. Ce dernier est placé en garde à vue après avoir été pris en flagrant délit de détournement d’images de vidéo surveillance, qui lui sont remises sur CD-ROM avec la complicité de trois hauts fonctionnaires de police, dont un commissaire en pleine ascension hiérarchique.

Amateurisme total, ou tentative désespérée d’allumer un contre-feu ? Les quatre fusibles désignés (Benalla et les trois hauts cadres de police) ne suffiront pas à éteindre l’incendie, malgré leur mise en examen. La légitimité de Gérard Collomb est atteinte, à tel point que l’opposition ne se donne même pas la peine de réclamer sa démission, estimée acquise.

Car tout le monde a compris que sous le règne de Jupiter, les décisions viennent du mont Olympe. Ce qui faisait la force de Macron, cette verticalité du pouvoir justifiée par la nécessité d’agir avec efficacité et pragmatisme, se transforme en faiblesse. Entre Benalla et le monarque présidentiel, aucun paratonnerre ne semble suffisamment grand pour contenir la foudre. Les députés LREM sont totalement débordés face à l’opposition parlementaire. Les députés automates qui votaient de concert les réformes de Macron comme des robots se sont révélés pathologiquement incapables de défendre l’exécutif. Pire, la plupart ne semblent pas avoir anticipé le problème ni compris a posteriori l’ampleur de la crise. Tétanisée, la République en Marche laisse transparaitre un amateurisme et une inexpérience criants, créant des brèches dans lesquelles une poignée de députés insoumis, communistes et LR se sont engouffrés sans pitié.

Jean-Luc Mélenchon peut ainsi se poser en Homme d’État, garant de l’ordre républicain, tandis que la droite et l’extrême droite se permettent de donner des leçons de probité aux marcheurs sans ciller.

Tout cela peut se résumer en une phrase : le roi Macron est nu. À trop vouloir tendre le pouvoir, il s’est coupé de tout relai et soutien potentiel. La presse s’est spectaculairement retournée. L’appareil médiatique qui l’avait porté au sommet risque fort de le précipiter dans l’abîme.

De même, la police et la gendarmerie semblent particulièrement remontées face au mépris que leur ont témoigné Alexandre Benalla et Emmanuel Macron. Depuis trois jours, les réseaux policiers ne leur font aucun cadeau, et pourraient bien faire ressortir des informations encore plus compromettantes. Sur la nature des ordres que Benalla leur transmettait, par exemple.

5) Une grave crise de légitimité

La crédibilité de la parole présidentielle et de son action est abimée par les largesses qu’il a accordées à son protégé, et les mensonges commis pour le couvrir.

Dans ce contexte, comment poursuivre la réforme constitutionnelle, qui vise à supprimer un tiers des députés et restreindre le pouvoir de l’opposition, lorsque c’est précisément ce contre-pouvoir qui force Gérard Collomb à passer une audition diffusée en direct, et sous serment ? Comment poursuivre sereinement les coupes budgétaires annoncées et la réforme des retraites qui doit supprimer les régimes spéciaux lorsqu’on voit les privilèges accordés à Benalla ?

Emmanuel Macron est coincé. Une prise de parole présidentielle précipitée risque d’être mise à mal par les potentielles révélations futures. Mais chaque jour qui passe entraine son lot de fantasmes sur les raisons du silence, tandis que les JT s’ouvrent systématiquement sur les images du « proche d’Emmanuel Macron » en train de piétiner un homme à terre…

On en vient à se demander comment Emmanuel Macron a pu commettre une telle erreur et confier autant de responsabilités à une jeune barbouze aux antécédents si accablants ? Au-delà du scandale, c’est l’image du président moderne et compétent qui se trouve durement écornée.

Face à l’absence de fusibles suffisamment crédibles, il se pourrait bien qu’Emmanuel Macron soit amené à dissoudre l’assemblée pour asseoir de nouveau sa légitimité.

Un mea culpa à la Steve Jobs serait probablement la meilleure façon de sortir de cette crise, mais Macron en est-il seulement capable ? Les éléments de communication en « off » diffusés dimanche soir par Le Parisien témoignent plutôt d’une forme d’incompréhension et d’incrédulité de la macronie face à l’ampleur de la crise. À moins que cela ne soit qu’une posture stratégique et un élément de langage de plus, qui risque à nouveau d’exploser à la figure du gouvernement.

Stay tune !

 

« Chacun doit comprendre que nous sommes là pour défendre la démocratie, même contre le pouvoir exécutif. » Député La République en Marche Paul Molac, le 22 juillet 2018. 

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Mise à jour: Emmanuel Macron s’est attribué toute la responsabilité, tout en se réfugiant derrière la constitution avant de braver médias et citoyens francais: « qu’ils viennent me chercher ». 

Des armes détenues illégalement ont été trouvée au siège du parti de La République en Marche. La commission parlementaire a implosé suite aux refus de LaRem d’auditionner certaines personnes. L’enquête judiciaire s’est refusé à étendre l’enquête aux complices de Benalla qui lui ont permis de faire le ménage dans son logement avant la perquisition. 

Tout semble portée à croire que l’enquête judiciare sera étouffée, après avoir fait capoter la commission parlementaire. Reste des potentielles révélations futures de la presse, plus la commission d’enquête du Sénat. 

Cet article sera mis à jour au fil des auditions. Sources disponibles par demande en commentaire

 

 


2 réactions au sujet de « Affaire Benalla: Macron, l’effondrement qui vient ? »

  1. Etrangement, la relation entre l’individu auteur de ces violence et le président actuel me rappelle la relation entre les favoris et leur roi. Les favoris avaient une très grande liberté d’action qui les poussaient souvent à commettre de fautes que le roi soutenait jusqu’au jour où la faute devenait trop grave (cf Luynes, Cinq-Mars).
    Je pense que dans un parti politique traditionnel, préféré du président ou pas, cet individu aurait « sauté » beaucoup plus tôt, le président évitant de mettre trop d’œuf dans un même panier.

  2. « « Chacun doit comprendre que nous sommes là pour défendre la démocratie, même contre le pouvoir exécutif. » Paul Molac, député La République en Marche, le 22 juillet 2018.  »

    Oui, c’est ce que nous constatons d’heure en heure depuis le début de cette affaire. La démocratie est bien « défendue », en effet. Défendue d’accès.

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