La France de demain

La France de demain

TRIBUNE – Nos élites savent pertinemment que les choses ne peuvent continuer ainsi. Un chômage de masse persistant, les services publics essentiels qui disparaissent des campagnes, les hôpitaux publics asphyxiés, un taux de pauvreté en hausse, des inégalités sociales qui explosent et le climat qui bascule pendant que le CAC40 verse des dividendes records. Ceux qui doutaient de l’état déplorable du système viennent, en assistant aux scènes de guérilla urbaine dans les beaux quartiers, de subir une douloureuse piqure de rappel. Les rédactions des médias possédés par des milliardaires voient leurs journalistes insultés dans la rue, agressés ou même lynchés par une foule qui ne supporte plus qu’on vomisse sur elle la propagande des élites destinée à masquer la réalité de la société…

La réalité, c’est six mille arrestations de Gilets Jaunes pour quelques centaines de condamnations. De la prison ferme pour jet de rillettes sur les forces de l’ordre ou un simple message posté sur Facebook. Des comparutions immédiates dans des tribunaux engorgés, qui se poursuivent jusqu’à six heures du matin. Dix-sept éborgnés, quatre mains arrachées, cent quatre-vingts blessures à la tête, des milliers de blessés et un ministre de l’Intérieur interdisant, par ses déclarations, de manifester. (1)

Mais la réalité, c’est aussi le suicide massif des infirmières, des policiers, des postiers, des cheminots, des paysans. Les citoyens qui n’ont plus de quoi se chauffer l’hiver, le prix du gaz ayant flambé après la vente du service public GDF à Suez. C’est les cadences infernales dans la distribution, le burn-out des cadres et professions intermédiaires, les décès au travail, les licenciements illégaux dans les call-centers, les blindés dans Paris et les humiliations infligées quotidiennement aux habitants des quartiers par la BAC.

Nous sommes aux portes d’une dystopie.

Les baisses d’impôts sur les entreprises du CAC40, les millionnaires et les milliardaires aggravent les inégalités, tandis que les gouvernants soumis aux intérêts privés bradent les biens publics contre l’intérêt de l’État. Après GDF et le scandale des autoroutes, la supercherie de la vente des aéroports de Toulouse et de Nice, Emmanuel Macron souhaite offrir les aéroports de Paris à Vinci et les barrages hydrauliques, joyaux d’EDF, au plus offrant. Les fleurons industriels privés reçoivent le même traitement. Après les scandales d’Arcelor, d’UraMin et d’Alstom, Technip vient de passer sous contrôle américain. Bientôt, plus aucune politique industrielle nationale ne sera possible. Tous les capitaux et savoir-faire auront déménagé à l’étranger.

S’étant volontairement privé de tout levier, l’État se contente d’imposer la volonté d’une classe de profiteurs qui se payent sur son dos. Les milliardaires qui possèdent la presse tondent la bête jusqu’à la saigner. Le glyphosate ne sera pas plus interdit que les perturbateurs endocriniens, Sanofi n’indemnisera pas les victimes de la Dépakine, les contribuables s’en chargeront. Plutôt que de traiter les déchets nucléaires, on les enfouit contre toute logique scientifique dans des sites naturels comme celui de Bure.

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et de la crise écologique, certains voient l’opportunité de moins et mieux travailler. De mettre en place des programmes d’investissements pourvoyeurs d’emplois dans la transition écologique, le soin aux personnes, l’agriculture biologique et durable, les circuits courts et les low-tech. Mais cela nécessiterait de remettre en cause le système qui engraisse les ultra-riches et les puissants.

Emmanuel Macron incarne une autre option. Pour le système, ça sera la fuite en avant. On négocie des traités de libre-échange en secret et on les fait adopter sans passer par le parlement. On supprime des trains, on subventionne les camions. On coupe les aides à l’agriculture biologique et on soutient l’implantation d’une mine d’or au cœur de l’Amazonie. On instaure une taxe carbone sur les carburants, tout en expliquant par email (révélé par Wikileaks) qu’elle servira à financer la baisse des impôts sur les sociétés. On privatise lentement l’éducation, pour barrer l’accès des classes populaires aux universités grâce à Parcoursup, mettre en concurrence les Lycées entre eux, et les Universités entre elles. Aux riches l’éducation, au peuple la soumission.  

Les élites savent que cette tendance n’est pas soutenable. Elles voient la montée de l’extrême droite partout en Europe, au Brésil, en Turquie, et aux États-Unis. Elles observent le regain d’autoritarisme en Chine, en Russie, en Arabie Saoudite.  Mais plus que l’extrême droite, elles ont peur du peuple et de l’impôt. Pour échapper au second, elles sont prêtes à mutiler le premier.

C’est pourquoi le droit à manifester sera peu à peu supprimé, les dissidents politiques mis en prison ou menacés, la liberté d’expression piétinée, la presse francaise mise sous tutelle et la police rendue libre de déchainer toute la violence nécessaire pour maintenir un semblant d’ordre dans la société.

Les lois antiterroristes, anticasseurs, anti-fake news et pour le secret des affaires, la violence et la répression contre les Gilets Jaunes, les perquisitions spectaculaires contre un parti d’opposition et un journal d’investigation, l’évocation de l’encadrement des médias ou l’arrestation préventive de Julien Coupat ne sont que des prémices du monde qui vient.

Tout ce qui échappe encore au Capital, tout ce qui est capable de susciter de l’altruisme et de la solidarité, sera vendu aux intérêts financiers. Les trois priorités d’Emmanuel Macron ne sont pas la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des inégalités et la défense des libertés individuelles à l’heure des GAFAM et de l’intelligence artificielle. Non, ses trois priorités sont : 1) réformer l’assurance chômage pour « remplacer les chômeurs par des travailleurs pauvres » selon les propres mots de son plus proche conseiller, Alexis Kohler. 2) réformer le système des retraites pour qu’il soit géré par des fonds de pension privés, selon les propres mots de son économiste attitré. Et 3) Privatiser le système de santé pour établir un fonctionnement à deux étages : aux pauvres les besoins de base assurés par l’hôpital public engorgé, aux riches les cliniques privées et les complémentaires santé, selon les révélations de deux journaux soutenant officiellement Emmanuel Macron. 

Au lieu d’alerter sur la direction ou de s’interroger sur les bienfaits de ces choix, les principaux médias saluent l’audace du réformateur. Dans le futur, les groupes de presse détenus par les milliardaires se contenteront de commenter l’actualité en occultant les conséquences des politiques menées. Le débat démocratique sera limité à des émissions de divertissement pilotées par des animateurs condamnés pour homophobie, racisme ou bien les deux. Pour prendre la parole en public, les citoyens devront se soumettre à la volonté de pseudo-journalistes dont la renommée fut acquise à coup de gag consistant à mettre des nouilles dans leur slip.

Les élections seront achetées par de riches contributeurs, l’égalité du temps de parole deviendra une histoire ancienne et les candidats des attrape-mouches fabriqués par la presse people et les groupes de presse détenus par les milliardaires. Voter n’aura plus de sens, le choix se limitant à un parti fasciste qui s’efforce de paraitre présentable et un parti présentable qui s’efforce de voter des lois fascisantes.

Ceux qui redoutaient que le Macronisme ne pave la voie à l’extrême droite sont bien les seuls à ne pas s’être rendu compte que la fusion Macron-Le Pen était déjà consommée. Les lois proposées par le premier sont votées par la seconde (asile immigration, transcription de l’État d’Urgence dans le droit commun, loi anticasseurs, secret des affaires), tandis que Marine Le Pen en arrive à fustiger la hausse du SMIC et proposer la suppression totale de l’ISF, y compris sur l’immobilier.

Les citoyens issus de l’immigration seront de plus en plus parqués dans des ghettos devenus des terrains d’entrainement pour la police militarisée. Après la Seine-Saint-Denis et son taux de chômage de 20 % et la Creuse qui se vide, un nombre de plus en plus important de territoires seront abandonnés par l’État.

Alors que la crise climatique et les guerres facilitées par la vente d’armes françaises aux dictatures du monde entier continueront de jeter des réfugiés sur les routes, la politique migratoire se résumera à dissuader les migrations par la barbarie. Les bateaux des ONG seront interdits de prendre la mer pour sauver les victimes des réseaux de passeurs de la noyade, les enfants demandeurs d’asile seront parqués dans des cages, les migrants cherchant à traverser la Manche harcelés nuit et jour et les tentes de sans-abri lacérées par les forces de police. Notre humanité elle-même sera remise en question par ceux qui sont prêts à tout pour ne pas payer l’impôt.

L’étranger et les Français issus de l’immigration seront jetés en pâture aux classes moyennes comme boucs émissaires idéaux. La peine de mort sera sans cesse rediscutée tandis que pour faire face à la chute de natalité, le droit à l’avortement sera supprimé.

La crise écologique et sociale creusera un fossé toujours plus large entre les possédants vivant au-delà des frontières, ne payant pas l’impôt et exploitant les moindres souffrances de la société pour continuer de s’enrichir, et une masse grandissante de gens survivant dans un paysage de plus en plus dévasté, policé et individualiste.

Un autre futur est possible

Plus nous prétendons qu’une telle dystopie, provoquée par la classe dirigeante et les possédants, n’est pas imminente, plus nous serons affaiblis et pris de court lorsqu’elle arrivera.

Il est urgent de s’organiser. De déconstruire les discours dominants, de cesser d’accepter qu’on éborgne et emprisonne des manifestants au point que la presse anglo-saxonne considère Poutine comme moins répressif que Macron.

S’il y a un espoir, c’est celui offert par le retour du collectif, de l’organisation politique de forces progressistes exigeant un retour de la démocratie, de la souveraineté , de la solidarité, de la justice fiscale. Les Gilets Jaunes représentent les prémices de ce qui est possible, la France Insoumise, avec tous ses défauts, une bouée de secours qui pourrait faire office de tremplin à une vrai force politique démocratique et progressiste, capable de changer de système pour inventer autre chose.

Photo: wikipédia

D’abord, sortir de la sphère privée un maximum de « biens communs » et de « besoins universels » : l’énergie, la santé, les transports, l’éducation, la finance et le crédit bancaire. C’est la socialisation des biens communs qui seront gérés par les premiers concernés. Pour ce faire, on fera entrer la démocratie dans ces institutions, mais également dans l’entreprise. Lorsque le Capital s’échappera à l’étranger, les employés auront le droit de récupérer les moyens de production, qui seront gérés en coopérative démocratiquement grâce à une loi de préemption salariale. Il sera alors possible de décider de ce que l’on produit, et comment (dans le respect de l’environnement et des individus). Démocratiser, socialiser, reprendre le contrôle des moyens de production, voilà un début de projet alternatif. 

Entre la dystopie totalitaire qu’on nous promet, et l’utopie d’une vraie démocratie décentralisée, il est urgent de s’engager dans la voie qui vous séduit le plus. Les ultra-riches, eux, ont déjà fait leur choix. 

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Les sources sont majoritairement insérées en hyperlien dans le texte. Les assertions non documentées peuvent être facilement vérifiées à l’aide d’une simple recherche internet. 

  1. Chiffres Médiapart, voir le bilan actualisé ici : https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/allo-place-beauvau-cest-pour-un-bilan 

 

 


6 réactions au sujet de « La France de demain »

  1. Les ultra riches mais pas que. Les plus dangereux
    parce que plus nombreux sont peut être les analphabètes politiques comme les qualifiaient Bertold Brecht .

  2. Magistrale, votre tribune ! Merci.

    Pas grand-chose à rajouter, si ce n’est le volet logement, dans les besoins de base, un peu oublié ici, et aggravé par la fin programmée du logement social (actuellement déjà réservé en réalité à une classe supérieure), et par la loi ELAN qui criminalise les pauvres.

    Les pauvres, même non racisés seront jetés en pâture avec les autres minorités. On en est là. C’est bien ce qui a créé l’émergence des Gilets Jaunes. Les pauvres ne sont et ne seront plus « minoritaires » : une force.

    Ainsi, de mon point de vue, ce sont les pauvres, par leur mobilisation dans la solidarité qui peuvent sauver l’avenir des (petits) nantis, et de la planète. Qui l’eût cru ?!
    Nous avons besoin les uns des autres, enfin ! C’est d’ailleurs l’objet du dernier ouvrage de Pablo Servigne : « L’entraide, l’autre loi de la jungle ». (Les Liens qui Libèrent, 2017)

  3. Diantre, vous avez raison de vous être expatrié au Texas! En France avec de tels propos vous auriez droit à une garde à vue très prolongée pour avoir posé un fer à béton sur un rail! Gaucho (copyright Bayer AG) va!
    😀

    « Les citoyens qui n’ont plus de quoi se chauffer l’hiver, le prix du gaz ayant flambé après la vente du service public GDF à Suez. »
    C’est donc pour ça qu’ils crament des bagnoles? Pour se réchauffer l’hiver? Je me disais aussi. A quand un test comparatif sur les mérites comparés de la combustion des bagnoles?
    Remarquez, avec les fuites de gaz, y a pas que le prix du gaz qui explose…

  4. Merci pour cette synthèse, mais deux trois observations tout de même.

    Je n’aurai pas écrit « les services publics essentiels qui disparaissent des campagnes » parce que cela ne dit rien de la volonté politique de leur démantèlement.

    Vous incriminez E. Macron et ne dites nulle part qu’il applique en fait les GOPE, les grandes orientations des politiques économiques.
    https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/a84854b0-f7e6-44cb-81b0-3c9652b60054
    N’importe quel Président restant dans l’U€ fera la même politique.

    Pour ce qui est de l’enfouissement des déchets nucléaires vous proposez un lien vers Reporter qui n’est pas une publication scientifique mais n’hésitez pas à faire comme si puisque votre lien est inséré sur ces mots « contre toute logique scientifique »

    1. Bonjour et merci de votre commentaire. Vous l’aurez compris, il s’agit plus d’un exercice de style qu’une démonstration construite. Mais sur les GOPE, il s’agit plutot d’un prétexte pour mener une politique néolibérale (et une stratégie politique pour construire un rapport avec l’Allemagne) plutot que d’une obligation. On pourrait aligner les dizaines (centaines ?) d’exemples où les GOPE ne sont pas appliquées. Et leur recommandation se retrouvent dans le programme de la droite francaise depuis des décennies, que ce soit en matière sociale ou économique. Croire que ce sont les GOPE qui imposent la politique du gouvernement est une erreur de jugement, c’est plutot les politiques néolibérales qui imposent les GOPE.

      Reporterre cite des publications et avis scientifiques.

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