Coupe du monde: La politique du football

Coupe du monde: La politique du football

La France est en finale ! Dimanche soir, des millions de Français vibreront au rythme des relances de Pogba, des dribles de Griezmann, des appels de balle de Mbappé et des interventions de Lloris. Certes, il faudra supporter la transe de Macron après chaque éventuel but français, certes il y avait plus de personnes sur les Champs Elysées pour célébrer la victoire contre la Belgique que pour défendre la sécurité sociale et les droits des salariés.  Mais ne boudons pas notre plaisir, la France est en finale !

Vingt ans après l’image iconique de Didier Deschamps, capitaine de l’équipe de France soulevant la coupe, c’est Deschamps sélectionneur qui pourrait replonger le pays dans un état d’ivresse bienvenu.

Mais comme nous sommes sur un blog politique, pour tuer le temps avant le coup d’envoi de ce France-Croatie, il nous parait intéressant de proposer quelques réflexions sur la dimension politique du football.

1) La géopolitique du ballon rond

Qu’on l’aime, qu’on le déteste où qu’on y soit aussi indifférent qu’à la dernière paire de lunettes de cet exilé fiscale de Florent Pagny, le foot est partout. Il suffit de prendre un taxi aux quatre coins du monde pour entendre le chauffeur citer ses Bleus favoris. Zidane, Benzema, Pogba, Mbappé… Vous serez surpris de constater qu’un Costaricain en connait plus que vous sur la sélection française. Et quand, au beau milieu d’une coupe du monde à laquelle ne participent pas les États-Unis, un collègue texan vous chante l’intégralité de la Marseillaise, vous réalisez à quel point ce sport est puissant.

 

L’équipe de France met le feu au stade du Vélodrome après avoir sortie l’Allemagne 2-0 en demi finale de l’Euro 2016

Le football séduit jusqu’aux monarchies du golfe qui s’arrachent les clubs européens, jusqu’au fin fond de la Chine qui paye des publicités pour une marque de yaourt affichée en caractère chinois sur les bords de touche d’un Mexique-Allemagne, et jusqu’à la bande de Gaza qui crie victoire lorsque la star planétaire Lionel Messi renonce à venir jouer un match de gala à Jérusalem.

Dans son livre « L’Empire Foot – Comment le ballon rond a conquis le monde », le directeur de l’IRIS Pascal Boniface étudie l’influence du sport le plus populaire au monde sur la géopolitique internationale.

Au sommet de ce grand jeu, l’obtention de l’organisation de la coupe du monde fait figure de trophée ultime. Le Qatar s’offre une image de respectabilité et d’ouverture en obtenant l’édition 2022, Poutine triomphe avec celle de 2018, et les États-Unis en arrivent à exercer des menaces bien réelles pour décrocher celle de 2026.

Lors de l’affaire Skripal et des crises diplomatiques entre l’OTAN et la Russie, la coupe du monde était dans toutes les têtes. « Comment imaginer que Poutine commette un tel acte d’agression deux mois avant la coupe du monde ? », balayait le ministre des affaires étrangères russe pour réfuter la responsabilité du Kremlin dans l’empoisonnement de l’ancien agent double du KGB. Au sujet de la reconquête de la ville syrienne de Deraa, Médiapart écrit: écrivait « Ce sont les officiers russes qui ont obtenu la reddition des rebelles. À l’heure de la Coupe du monde de football, les images désastreuses d’un siège de la ville, avec des bombardements intensifs sur les populations (…) auraient fait mauvais effet ».

De même, lorsque Lionel Messi renonce à venir à Jérusalem, la terre entière découvre les massacres commis par Tsahal dans la bande de Gaza. Et Benjamin Netanyahou, triomphant la veille, fulmine. Au point d’appeler le président argentin pour exiger que ce dernier force la star de Barcelone à jouer. En vain.

Oui, le foot ce n’est pas que des courses vertigineuses de Neymar, des passes millimétrées dans la surface de réparation de DeBruyne et des coup francs miraculeux de Christiano Ronaldo. C’est aussi un grand espace d’influence et de « soft power », comme le démontrent les multiples scandales de corruption qui gangrènent la FIFA.

2) Récupération politique sous stéroïdes

Jean-Luc Mélenchon n’avait pour le foot qu’un mépris caractéristique de la gauche intellectuelle. « Du pain et des jeux », « l’opium du peuple ». Ces citations ne sont pas de lui, mais pourraient probablement résumer le fond de sa pensée. Quand on encourage chômeurs et smicards à applaudir des multimillionnaires, pendant qu’on exempte les footballeurs de payer les mêmes taux d’imposition que ceux qui les acclament (et donc, les rémunèrent) afin de préserver l’attractivité de la ligue 1, on ne peut qu’y voir une réminiscence des jeux du cirque romain, symboles du déclin de l’Empire.

Christiano Ronaldo condamné à de la prison ferme pour fraude fiscale, affaire de corruption massive sur le marché des transferts révélée par les footballs leaks de Médiapart, pillage de l’Afrique par les agents de recrutement qui s’empressent d’obtenir des papiers à ces « migrants-là » dans une tragédie humaine bien documentée par le Monde Diplomatique… le foot est sans aucun doute critiquable.

Mais quand on est élu de Marseille et candidat au détrônement d’Emmanuel Macron, on ne peut éternellement s’opposer à la liesse populaire.

Mélenchon aura donc profité d’une invitation au Vélodrome pour se convertir au football. Le temps d’une demi-finale de coupe d’Europe, il aura gouté à l’immense ferveur des supporters de l’OM, à cette communion du peuple qu’il affectionne tant lors de ses gigantesques meetings politiques qui réunissent jusqu’à deux fois la capacité d’accueil du stade marseillais. Il se déclarera conquis et s’en expliquera dans un post de blog où la maladresse du novice se ressent entre les lignes. Encore un peu de progrès à faire avec le toucher de balle, comme se plaisent à le lui rappeler les journalistes qui n’ont de cesse de lui renvoyer à la figure cette admirable citation « ça m’a toujours choqué de voir des Rmistes applaudir des millionnaires ». À croire que la perspective d’une récupération politique réussie terrifie l’éditocratie nationale et le pouvoir en place.

Stade Vélodrome de Marseille, haut lieu du football Francais – photo L’Equipe

Emmanuel Macron venait, quant à lui, de vivre une séquence politique difficile. Entre le « pognon de dingue » et l’humiliation publique infligée au jeune lycéen qui avait commis l’outrance de s’adresser à Sa Majesté comme on interpelle un vulgaire footballeur, « Manu » se voyait accusé de mépriser le peuple et de « ne pas comprendre les petites gens », y compris par le multi milliardaire François Pinault (propriétaire du Stade Rennais).

Heureusement, le plateau de Téléfoot l’accueillait quelques jours plus tard pour lui permettre d’exprimer son soutien à l’équipe de France, et de faire une promesse. Son Altesse sera dans les stades russes si on passe les quarts. Depuis, chaque victoire des Bleus est saluée d’une série de tweets présidentiels, tandis que l’équipe de France a eu la chance de recevoir la bénédiction du président avant le départ pour la Russie. Emmanuel Macron voit en nos joueurs des héros des temps modernes, et le symbole de cette réussite personnelle qu’on peut tous atteindre si on rêve de devenir milliardaire. Récupération politique et idéologique donc.

Hugo Lloris repousse une tête de l’Uruguay en quart de finale de la coupe du monde 2018

Surtout, Emmanuel Macron se rappelle du précédent chiraquien. Bien qu’incapable de prononcer correctement le nom des titulaires d’Aimé Jacquet, le grand Jacques avait bénéficié d’une forte hausse de popularité après la victoire de l’équipe de France. Alors que « Manu » touche le fond des enquêtes d’opinion, dix points de plus au baromètre sondagier lui permettraient d’entamer plus sereinement la seconde mi-temps de son mandat, dont le but n’est autre que de transformer la Constitution française à son avantage et d’enterrer le système des retraites, et avec lui, notre sécurité sociale qu’il avait déjà tentée de rayer de la Constitution à l’aide d’un amendement discret déposé début juillet, en pleine coupe du monde…

3) Les Bleus « black blanc beur » et la limite du politique

L’équipe de France n’est pas seulement une des meilleures équipes du monde depuis 1998 (trois finales et un quart de finale lors des six dernières éditions), c’est aussi une institution capable de jeter des millions de Français dans la rue, d’occuper l’espace médiatique comme personne et de représenter un symbole : celui de la diversité de la France unie sous un même maillot.

Les Champs Elysées le soir de la victoire en demi finale contre la Belgique, juillet 2018

L’équipe 1998-2006 symbolisait mieux que tout notre société « black – blanc – beur ». Elle a cristallisé tous les fantasmes : de l’illusion d’une intégration nationale par le foot jusqu’aux polémiques les plus racistes, dont l’exclusion de Karim Benzema ne serait qu’un des nombreux dégâts collatéraux.

Il faut regarder l’incroyable documentaire « Les Bleus, une autre histoire de la France » pour réaliser à quel point le foot est aussi politique, et jusqu’à quelle mesure nos élus sanctifient un jour ce qu’ils dénigreront le lendemain.

« Une équipe de France qui gagne, c’est black blanc beur.  Une qui perd, c’est des racailles de quartier » résume Éric Cantonna.

Lorsqu’on demande aux bleus de faire plus que du foot, que ce soit redorer la cote de popularité d’un chef d’État ou réconcilier une nation divisée, on finit systématiquement par se planter. Malgré l’euphorie de 1998, Jacques Chirac sera réélu avec toutes les peines du monde et le plus petit score de l’histoire de la cinquième république, tandis que son Premier ministre Lionel Jospin, qui avait bénéficié du même sursaut de popularité, ne passera pas les qualifs. L’épopée de l’Euro 2016 n’aura pas plus profité à Manuel Valls qu’à Francois Hollande, en dépit d’un engouement populaire manifeste.

De même, il ne faudra attendre que quelques années pour que ressurgisse, dans le politique comme dans le foot, le racisme qu’on pensait enterré par Zizou, Thuram et Djorkaeff.

On se souvient des polémiques montées en tête d’épingle sur la viande hallal servie aux joueurs musulmans, dénoncée par la droite comme un scandale d’État. Quand on est Bleu, on mange du porc, ou on subit le sort de Benzema, résumeront des éditorialistes qui célèbrent la tête victorieuse d’Umitti après avoir exigé qu’on empêche l’Aquarius de repartir en mer sauver les migrants d’une mort certaine.

Et que dire de Laurent Blanc et des dirigeants de la fédération de football qui déploraient hier la trop grande présence de joueurs noirs, jugés puissants, mais trop faibles techniquement, et qui s’émerveillent aujourd’hui des passements de jambes et des dribbles de Mbappé ?

Ne pas vendre la coupe du monde avant de l’avoir gagné !

Il reste 90 minutes à jouer pour soulever le trophée tant convoité. Il serait particulièrement aventureux de considérer ce dénouement comme acquis. De même, estimer que la cote de Macron et Phillipe connaitront, en cas de victoire, le même rebond que celle de Chirac et Jospin vingt ans plus tôt, ou qu’elle leur permettra d’enterrer notre modèle social représenterait un pronostic hasardeux.

Une chose est sûre, une fois retombée la liesse populaire, les problèmes que nos Bleus nous auront permis d’oublier un moment ressurgiront de plus belle. En attendant, savourons le présent.

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