R.I.P. Fillon, Hello Hamon

R.I.P. Fillon, Hello Hamon

Le cow-boy Fillon, soi-disant droit dans ses bottes, gît six pieds sous terre. Le scandale déclenché par les révélations du Canard Enchainé aura finalement sa peau. Fillon incarnait la droite décomplexée, un candidat implacable chassant sur les terres du FN pour lui disputer les voix islamophobes et réactionnaires, tout en plaçant la gauche dos au mur avec un programme économique et social radical. Il avait le mérite de proposer un choix politique clair et assumé. Ses prestations aux débats des primaires lui avaient conféré une aura hautement présidentiable. Pourtant, la blitzkrieg qu’il promettait de livrer contre le modèle social français n’aura pas lieu. Sa candidature fut foudroyée en un éclair par la puissance de l’information continue, circulant à toute vitesse dans ce monde qui s’accélère sans cesse.

Photo: NouvelObs

Mettons l’émotion de côté pour revenir rapidement sur les causes et les conséquences de ce développement, ainsi que les autres informations importantes de cette semaine mouvementée.

1) Les faits : pourquoi Fillon est mort politiquement

L’affaire Fillon est extrêmement simple à comprendre. Commençons par les bases.

Tout parlementaire dispose d’un budget annuel pour employer des collaborateurs chargés de l’aider à mener à bien sa fonction. La loi autorise d’embaucher les membres de sa propre famille, et environ dix pour cent des députés le font encore actuellement.

Le Canard Enchainé a révélé que François Fillon (et son suppléant) avait ainsi employé Madame Fillon entre 1998 et 2013 à travers différents contrats successifs en tant qu’attachée parlementaire, pour un montant s’échelonnant entre 4000 et 7900 euros bruts par mois, totalisant près de neuf cent mille euros. Ces chiffres ne sont aucunement démentis par l’équipe Fillon.

Ce premier constat pose certains problèmes d’ordres politiques. Il rappelle aux Français la pratique des cumuls des mandats (dans le temps, et avec les fonctions ministérielles), et démontre la profondeur de la déconnexion entre l’élite politique et le peuple. Que ce soit les montants des salaires, qui vont jusqu’à dépasser les indemnités du député suppléant, ou le recours systématique à ces emplois qui révèlent une volonté claire de tirer un maximum d’avantages du système, ces faits sont on ne peut plus gênants. Pénélope Fillon aura ainsi conservé un emploi sous différentes formes en fonction des postes de son mari, et ce jusqu’à l’application de la loi de transparence de la vie publique (novembre 2013) votée suite à l’affaire Cahuzac. Cette loi oblige les députés à déclarer leurs revenus et ceux de leurs conjoints. En clair, Fillon a profité du système jusqu’au dernier jour possible.

Pire, on apprend que Madame Fillon a perçu cent mille euros pour un travail à la revue des deux mondes, entre 2012 et 2014, dont les seules traces seraient deux notes de lecture. Pour couronner le tout, deux enfants de François Fillon ont été employés par ce dernier alors qu’ils étaient encore étudiants (en droit) pour des sommes allant de 3800 à 5800 euros bruts par mois.

Enfin, il faut mentionner l’existence de la société « 2 F ». Les députés ne sont pas autorisés à créer de société de conseil pendant leur mandat, afin d’éviter les conflits d’intérêts. François Fillon aurait profité d’une période de battement de onze jours entre son poste de premier ministre et son retour à l’Assemblée Nationale pour lancer cette société dont il aurait tiré 750 000 euros de chiffre d’affaire depuis 2012. (1)

Toutes ses pratiques sont en théorie légales, mais politiquement, font l’effet d’une bombe. Surtout lorsqu’on s’apprête à faire campagne sur le thème du sacrifice nécessaire pour relancer l’économie du pays en proposant de lutter contre l’assistanat, de supprimer cinq cent mille fonctionnaires et de rétablir la semaine des 39 heures payées 35.

Devant le tollé provoqué par les révélations du Canard Enchainé, Fillon obtient immédiatement une interview au journal de 20h de TF1. Ce genre de facilités, bien que compréhensibles étant donné l’impact de l’affaire sur la vie démocratique du pays, alimente forcément la rhétorique du FN selon laquelle les élites disposent d’un traitement de faveur.

Au cours de cette intervention, Fillon défend sa femme avec noblesse et fermeté, mais ouvre une nouvelle brèche dans sa défense en émettant trois mensonges avérés. (2).

Tout ça serait gênant pour sa campagne, mais pas disqualifiant. Les électeurs de droite comme les médias auraient pu passer l’éponge rapidement. Seulement voilà, si cette affaire fait autant de bruit, c’est bien entendu à cause des soupçons d’emploi fictif. Or, les preuves sont accablantes.

Premièrement, les rares interviews données par Pénélope Fillon au cours de la carrière de son mari laissent supposer qu’elle n’a jamais participé à la vie politique de ce dernier, de près ou de loin. Dans un entretien au Sunday Telegraph daté du 20 mai 2007, elle explique que « les gens me demandent quel est mon rôle, mais je n’en ai aucun » et lorsqu’on l’interroge sur les raisons de sa reprise d’études : « J’ai réalisé que mes enfants me connaissaient seulement en tant que mère, mais j’ai un diplôme de littérature, j’ai passé l’examen du barreau d’avocat, alors je me suis dit : je ne suis pas idiote, je peux recommencer à travailler et cela me stimulera intellectuellement » (3).

Avant de publier l’affaire, Le Canard Enchainé a ainsi récolté plusieurs témoignages (dont celui de la biographe de Fillon) démontrant que Pénélope n’avait aucune implication connue dans la vie politique de son mari. Les citations à charge de ce genre sont suffisamment nombreuses pour que la justice se saisisse du dossier.

Or, quels sont les premiers éléments révélés par l’enquête ? Pénélope Fillon n’avait pas de boite mail professionnelle, ni de badge pour accéder aux bureaux de l’Assemblée nationale et ne figure sur aucun registre de l’assemblé. Et l’avocat d’expliquer qu’elle travaillait en tant qu’assistante détachée dans la Sarthe. Seulement, François Fillon ne possédait pas de permanence sarthoise. En clair, la défense de Fillon repose sur le fait que sa femme travaillait depuis chez elle, sans boite mail, et simplement à recevoir les gens en son absence. Pendant quinze ans et pour huit cent mille euros. C’est bien trop gros et cela circule bien trop vite sur Internet pour ne pas avoir des effets déterminants (les vidéos détaillant cette affaire totalisent plusieurs millions de vues).

Photo AP/Washington Post

Face à cette vague de « calomnies », la défense de Fillon semble incapable de produire le moindre email, fichier Word ou papier qui permettrait d’éteindre le feu. Seulement quelques témoignages sur le tard pour expliquer que Pénélope a bien travaillé jusqu’en 2013, sans envoyer un simple email. De nos jours, qui peut avaler une couleuvre pareille ?

On comprend bien que si la défense disposait de pièces irréfutables permettant d’étendre l’incendie, elles auraient déjà été produites. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y aura condamnation, car prouver la fraude ne sera pas évident non plus. Mais politiquement, sa position devient intenable. Le reportage d’envoyé spécial diffusé hier soir n’apporte aucune information qui n’était pas déjà disponible, mais risque bien de porter le coup fatal, de par le niveau de sa diffusion.

2) Les conséquences de l’affaire Fillon

Elles sont bien entendu très graves, à de nombreux niveaux.

Le discrédit de la classe politique

Entre les affaires Cahuzac, Lagarde et Serge Dassault, la condamnation de Marine Le Pen à verser 300 000 euros au parlement européen pour détournement d’argent public, l’accusation faite à Emmanuel Macron d’avoir utilisé le budget de Bercy pour faire campagne (120 000 euros de frais de représentation) et le gonflement artificiel des chiffres de participation de la primaire socialiste, le tableau est pratiquement complet.

Le pire dans le cas Fillon, c’est que cette affaire touche un candidat jugé irréprochable, et qui avait fait de cette réputation un atout majeur de sa campagne. Qui pourrait le remplacer ? Son challenger à la primaire, Alain Juppé, condamné à un an d’inéligibilité dans le cadre des emplois fictifs de la mairie de Paris ? Ou Nicolas Sarkozy, actuellement mis en examen dans plusieurs dossiers ? Et pour défendre quel programme ? Le même projet de réduction des dépenses publiques pour financer la suppression de l’ISF et les baisses massives d’impôts sur les sociétés ? Une présidentielle avec un candidat LR aussi affaibli ne peut que nuire à la démocratie. On comprend bien que cette situation, loin de faire sourire, ressemble de plus en plus à de la politique fiction de mauvais goût.

Au-delà des faits eux-mêmes, c’est la négation initiale de leur impact qui témoigne d’un aveuglement total de la classe politique, en particulier à droite. Tous ceux qui défendent Fillon aujourd’hui risquent d’être éclaboussés demain. Quant à la question de l’origine de cette fuite, elle est nulle et non avenue, comme l’ont prouvé les déboires d’Hillary Clinton.

Et comme si cela ne suffisait pas, Fillon accuse le gouvernement de « coup d’État » tandis que les journalistes nous expliquent que Nicolas Sarkozy s’amuse beaucoup de cette histoire…

Espérons simplement que les autres candidats ne nous réservent pas autant de surprises, sinon c’est la république elle-même qui risque l’effondrement.

Discrédit de la presse

Loin de tirer les conséquences de ce coup de tonnerre, la presse en alimente le feuilleton en invitant les acteurs politiques à le commenter, dans une confusion générale qui laisse présager l’imminence d’une catastrophe. Il n’est pourtant pas compliqué de voir à quel point la défense ne repose sur rien de tangible et ne pourra que faire « pschitt ».

La palme revient une fois de plus à nos chers éditorialistes qui nous expliquent que le meeting de Fillon du 29 janvier est une belle opération de communication, voire un succès pour énergiser sa base, tout en fermant les yeux sur les conséquences inévitables de cette affaire.

Renforcement du Front National

Bien entendu, ce discrédit ne profite pas aux seuls candidats épargnés (pour l’instant) par les scandales, Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, nous signalerons simplement que leurs programmes ne font pas l’unanimité de la presse et des faiseurs d’opinions.

Non, c’est bien Marine Le Pen (ou l’abstention, ce qui revient au même) qui récolte les fruits de ces scandales. Parce qu’ils viennent alimenter la rhétorique « tous pourris ». Mais aussi parce que les accusations dans lesquelles baigne le FN sont vécues par son électorat comme une preuve supplémentaire de la corruption du système. Sans parler de la disproportion médiatique accordée à l’affaire Fillon (compréhensible, puisqu’il était encore récemment le favori de la présidentielle), on voit bien que la candidate FN se tire pour l’instant indemne de cette tornade.

Les élections américaines ont démontré l’inefficacité des scandales innombrables et avérés qui mettaient en cause Donald Trump, tandis que les simples soupçons concernant Hillary Clinton lui ont coûté l’élection. Cela s’explique par la position politique des antisystèmes (les vrais), qui peuvent facilement utiliser les accusations comme autant de preuves de la corruption du dit système. Ça, et le fait que l’électeur FN qui serait convaincu de la culpabilité de son candidat n’y verra probablement pas une justification suffisante pour changer son vote.

Hello Hamon

Autre fait remarquable de cette semaine mouvementé, la victoire de Benoit Hamon aux primaires socialistes a jeté un énorme pavé dans la marre. Au PS d’abord, qui ne sait plus où donner de la tête. Entre les Hollandiste qui veulent rejoindre Macron, ceux qui appellent Hamon à reconsidérer son programme jugé trop à gauche et le président de la République lui-même qui n’apporte pas de soutien officiel, on croit rêver.

Photo:libération

Parmi les nombreuses incohérences, la volonté affichée de Benoit Hamon de constituer une majorité avec les députés ayant soutenus la politique du gouvernement qu’il a fustigé semble contradictoire. Au lieu de tourner la page, on prend les mêmes et on recommence ?

Loin d’apporter la clarification recherchée, cette victoire ajoute à la confusion générale. Entre les appels au rassemblement sur la gauche (avec Mélenchon et Jadot) et le soutien à l’investiture des élus de l’aile droite du PS, l’électeur ne sait plus vers où se tourner.

Pour couronner le tout, des sondages très curieux et contestés (4, 5) semblent indiquer qu’Hamon aurait siphonné les voix de Mélenchon, et de Fillon ! Qu’importe qu’un sondé sur deux dise ne pas avoir arrêté son choix, ni que les abstentionnistes représentent 38 % des participants, la presse reprend à l’unisson cette nouvelle suspecte. Hamon aurait doublé ses intentions de vote en trois jours, malgré des taux d’audiences décevant au dernier débat de la primaire et une participation catastrophique (un tiers d’électeurs en moins par rapport à 2011, et moitié moins qu’à la primaire des Républicains).

Certains verront dans ces développements, de l’affaire Fillon à l’inversion des sondages, l’indice de quelques troublantes manipulations. Nous préférons y voir les signes et les conséquences d’une période marquée par la confusion générale.

Espérons que les choses se décantent rapidement, le peuple français mérite mieux que ça.

Références:

  1. http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/trois-questions-sur-2f-la-societe-de-conseil-de-francois-fillon_1874422.html
  2. http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/01/31/francois-fillon-une-semaine-et-trois-mensonges_1545368
  3. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/1552097/Shell-always-have-Paris….html
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l’% C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2017
  5. https://blogs.mediapart.fr/marcopol/blog/310117/manipulation-de-sondage-la-tricherie-ps-continue et https://cocq.wordpress.com/2017/01/30/les-primaires-dans-les-griffes-du-pouvoir-mediatique/

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