Ukraine : les États-Unis, pompiers pyromanes ?
Quand intérêts financiers et politiques colludent avec une idéologie impérialiste, la guerre n’est plus une impossibilité…
Article initialement publié sur LVSL.fr et ma newsletter substack « Old fashioned »
“Si la Russie envahie l’Ukraine, elle aura à rendre des comptes. Ça dépendra de ce qu’elle fera. C’est une chose s’il s’agit d’une incursion mineur… (…) mon sentiment est que Poutine va faire quelque chose”
Ces propos, prononcés le 19 janvier par Joe Biden, ont provoqués un vent de panique à Washington. Pas du fait que le président des États-Unis estimait qu’une attaque Russe était probable, mais parce qu’il indiquait que l’OTAN ne réagirait pas de manière disproportionné face à la seconde puissance nucléaire mondiale. Un aveu dénoncé comme “une carte blanche donnée à Poutine pour envahir l’Ukraine” par le sénateur républicain Ted Cruz, en écho à l’écrasante majorité des observateurs américains.
Immédiatement, les équipes de la Maison-Blanche ont cherché à éteindre le feu en publiant un communiqué affirmant que la moindre incursion russe en Ukraine “provoquerait une réaction immédiate, sévère et unie des États-Unis et de leurs alliés”. Anthony Blinken, le Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères) a renchéri quelques heures plus tard : “Nous allons rendre claire comme du cristal les conséquences d’un tel choix (pour Poutine)”. Le lendemain, le directeur de cabinet de Biden, Ron Klain, en remet une couche à la télévision en contredisant son supérieur hiérarchique: “Le président Poutine ne doit avoir aucun doute sur le fait que le moindre mouvement de troupes russes à travers la frontière ukrainienne constituerait une invasion (…) qui serait une horrible erreur de Poutine. Il n’y a aucune ambiguïté là dessus.”
Les élus des deux bords politiques ont répétés un message équivalent, certains allant jusqu’à accuser les partisans d’une approche plus diplomatique de “prendre le parti de Poutine” et d’être des “victimes de la désinformation russe”. À la Chambre des représentants du Congrès, les démocrates se sont empressés de voter un texte autorisant le déploiement de sanctions économiques drastiques contre la Russie et l’expédition de centaines de millions de dollars d’équipement militaire ultra-moderne, qualifié par la presse avec euphémisme d’aide létale (“lethal aid”).
Si la solution diplomatique avec la Russie, qui a formulé des demandes jugées négociables par Biden, ne semble pas à l’ordre du jour , c’est que de nombreux intérêts et factions sont à l’oeuvre pour pousser à la confrontation.
Washington à l’offensive
En première page de son édition du 3 février, le New York Time s’interroge : ““La stratégie de Biden contre Poutine fonctionne-t-elle, où est-elle en train de pousser la Russie à la guerre ?” Dans cet article éclairant à plus d’un titre, le prestigieux journal chante les louanges du Département d’État pour sa guerre de communication innovante. En déclassifiant et rendant publique les allégations issues du renseignement américain et britannique, l’administration Biden aurait anticipé et exposé les projets de Poutine dans l’espoir de le dissuader d’agir. D’où la rhétorique alarmiste sur l’étendue des forces en présence à la frontière ukrainienne et les intentions belliqueuses de la Russie. Bien entendu, comme le notait discrètement le Times, aucun élément tangible n’a été rendu public pour étayer ces allégations.
À cette guerre de communication s’ajoutent des menaces et manœuvres plus ou moins symboliques, comme les livraisons d’armes à Kiev et le rapatriement des familles de diplomates américains présents en Ukraine, toujours dans le but apparent de couper l’herbe sous les pieds de Poutine. De là à comparer cette approche à un dangereux poker menteur, il n’y a qu’un pas que le Times franchit prudemment.
Cette stratégie serait entrain de produire l’effet inverse recherché, à en croire les sources du journal. Ce que “déplore le président russe” qui estime que “les Américains cherchent à le pousser au conflit”. Côté Ukrainien, le président Zelensky a été encore plus explicite, minimisant le risque d’invasion russe et appelant Washington à “diminuer la rhétorique guerrière” en affirmant que les médias occidentaux “exagéraient la situation” de manière dangereuse et contre productive. Pour Kiev, la stratégie de Washington “est une erreur”. Biden ne semble pourtant pas prêt à changer son fusil d’épaule, puisqu’il vient de déployer 3000 soldats supplémentaires en Pologne et Roumanie.
Les médias américains battent les tambours de guerre
Loin de jouer leur rôle de contre-pouvoir, les médias américains ont, dès le début de la crise, embrassé, voire devancé, la rhétorique belliqueuse provenant de l’administration Biden et du Congrès. Avec un zèle et une absence de distance qui rappellent furieusement la période ayant conduit à l’invasion de l’Irak, les principaux journaux du pays ont ainsi repris les “informations déclassifiées” issues des gouvernements américain et britannique sans exiger le moindre début de preuves. Qu’il s’agisse de l’étendue des forces russes mobilisées à la frontière ukrainienne, de l’existence d’un plan secret pour installer un président pro-poutine à Kiev, d’une mission russe pour fomenter des troubles en Ukraine afin de fournir un prétexte à une invasion ou plus récemment la prétendue existence d’un projet de filmer une fausse agression ukrainienne à la frontière russe pour justifier une invasion, aucune de ces allégations n’a fait l’objet d’une distance critique vis-à-vis des agences de renseignement.
Or, la véracité des informations distillées par ces agences – dont le format se limite à des déclarations publiques – mérite d’être remise en question, comme l’a fait un journaliste de l’Associated Press dans un échange sidérant avec le porte-parole de la diplomatie américaine :
– Matt Lee (journaliste) : Mais où sont les preuves matérielles, où sont les informations que vous venez de déclassifier ?
– Porte-parole du ministère des Affaires étrangères : Les informations déclassifiées, je viens de vous les donner, là en vous parlant.
– ML : Ce ne sont pas des preuves, c’est simplement vous qui me parlez. Vous n’offrez aucun élément tangible pour défendre ce que vous avancez. (…)
– PP : Si vous douter de crédibilité de la parole du gouvernement américain et du gouvernement britannique et trouvez du réconfort dans les informations données par les Russes, c’est votre choix
Comme le rappel le journaliste au cours de l’échange, les gouvernements américains et britanniques ne brillent pas par leur fiabilité. Sans remonter aussi loin que la guerre d’Irak, on a vu encore récemment d’innombrables informations fuiter dans la presse ou revendiquées officiellement être démentis par les faits. Les prétendus contacts étroits et répétés entre les équipes de campagne de Trump et les agents du renseignement russes se sont avérés inexistants; les allégations de primes offertes par la Russie aux talibans pour tuer des soldats américains ont été démenties par l’administration Biden; le mystérieux “syndrome de la havane” dont furent victimes de nombreux diplomates américains n’était pas le fait d’une arme secrète à base d’ultrasons déployée par une puissance étrangère, mais le résultat de simples crises d’angoisses; la frappe d’un drone américain sur une voiture pendant l’évacuation de Kaboul n’a pas tué des terroristes en missions suicide, mais une famille entière de réfugies, etc.
Ici, les raisons de douter des dires des gouvernements américains et britanniques sont encore plus évidentes. Leur alarmisme initial n’était partagé ni par l’Allemagne, ni par la France, ni par l’Ukraine. Lorsque les États-Unis ont décidé d’évacuer les familles de leur personnel d’ambassade, même la Grande-Bretagne n’a pas suivi. Sur le plateau de C dans l’air, le journaliste Jean-Dominique Merchet expliquait ainsi en citant une source issue du renseignement français que les déploiements russes à la frontière ukrainienne ne suggéraient pas d’invasion imminente, car les Russes n’avaient pas déployé les moyens logistiques susceptibles de permettre une telle opération.
Pourtant, l’administration Biden a répété sur tous les tons que l’invasion pouvait se produire de manière imminente et à tout moment, avant de rétropédaler. Un mensonge clair, exposé publiquement.
En Allemagne, où le gouvernement et la presse livrent un son de cloche plus nuancé que ce qui parvient de Washington, un récent sondage montrait que 43% de la population tenait les États-Unis comme principaux responsables de la crise, contre 32% pour la Russie.
Aux États-Unis, les médias ne se contentent pas de tenir le rôle de porte-parole de la diplomatie américaine. Ils devancent bien souvent l’administration Biden dans la demande de surenchère et la dramatisation du conflit. Cette posture va-t-en-guerre s’explique par divers facteurs.
En premier lieu, les fabricants d’armes et membres de ce qu’on appelle fréquemment le “complexe militaro-industriel” fiancent de nombreux titres de presse. Le journal en ligne de centre gauche Politico a ainsi récemment publié un article intitulé “Jen Psaki (la porte-parole du gouvernement) : “une attaque russe peut se produire à tout moment”. Un second article titrant “Est-ce que les États-Unis doivent secouer la cage de Poutine” encourage une posture militariste. Politico nous apprend que ces deux articles sont sponsorisés par… Lockheed Martin, un des principaux fournisseurs de l’armée américaine. Le Washington Post, lui, n’a pas la même courtoisie. L’auteur de la tribune : “Biden doit monter que les États-Unis sont prêts à aider l’Ukraine militairement si nécessaire” Michael Vickers, n’est pas présenté comme un membre du conseil d’administration du fabricant d’armes BAE systems, mais comme un ancien officier de la CIA et haut fonctionnaire au ministère de la Défense. On pourrait multiplier les exemples de conflit d’intérêts entre la presse et l’industrie de l’armement, tout comme nous l’avions fait dans notre livre “Les illusions perdues de l’Amérique démocrate” au sujet des cadres de l’administration Biden vis-à-vis du même secteur.
Un second élément structurel explique la posture guerrière des médias américains. Depuis l’élection de Donald Trump, de nombreux anciens membres du renseignement et de l’administration Bush ont trouvé refuge dans la presse dite “libérale” (pro-démocrate ou centriste). Les chaines de télévision CNN et MSNBC ont recruté une pléthore d’analystes issus du fameux complexe militaro-industriel, ainsi que des figures de proue du mouvement néoconservateur qui avait joué un rôle fondamental dans la promotion de la guerre en Irak sous Bush Junior. Son ancienne plume David Frum est désormais éditorialiste à The Altantic et invité récurrent des chaines d’informations. L’ancienne porte-parole de l’administration Bush, Nicolle Wallace anime son propre JT sur la chaîne pro-démocrate MSNBC. Bill Kristol, un ex-conseiller de Bush, pilote désormais le Lincoln Project, une organisation politique représentants les “républicains pro-Biden”. Tous ce que ces “faucons” de l’ère Bush à qui l’ont doit l’invasion de l’Irak et le programme de torture ont eu à faire pour redevenir présentables a été de se déclarer anti-Trump et de promouvoir la théorie complotiste du “Russiagate” auprès du centre droit démocrate. Ils sont désormais présents quotidiennement sur les chaines d’informations, à l’exception de Fox News, dont certains présentateurs constituent une rare voix “pacifiste” en ces temps explosifs.
Dans un article caricatural, Politco s’en est ainsi pris au plus populaire d’entre eux, le présentateur d’extrême droite Tucker Carlson, dont le journal est le plus regardé du pays. Carlson, qui défend une ligne plus trumpiste, est accusé par un groupe de sénateurs républicains d’être du côté de Poutine et de reprendre ses arguments.
Il s’agit d’une tactique récurrente, qui rappelle une fois de plus les années Bush et la préparation de la guerre en Irak.
La classe politique américaine : conflits d’intérêts majeurs et idéologie impérialiste
En 2012, au cours du débat télévisé pour la campagne présidentielle, Barack Obama avait moqué la position défendue par son adversaire Mitt Romney en matière de géopolitique : “les années 1980 veulent que vous leur rendiez leur politique étrangère”. À l’époque, considérer Moscou comme une menace majeure vous exposait au ridicule.
Depuis, la crise ukrainienne débutée en 2014 et marquée par l’annexion de la Crimée a fait remonter Poutine dans l’échelle des préoccupations de Washington. Bien que les États-Unis aient joué un rôle important dans la révolution de 2014, que d’aucuns qualifieront de coup d’État, Obama avait conservé une position mesurée sur la situation à l’est de l’Europe. En 2016, il expliquait ainsi au journal The Atlantic :
“La réalité, c’est que l’Ukraine, qui n’est pas dans l’OTAN, est vulnérable à une domination militaire par la Russie quoi que l’on fasse. Ma position est réaliste, c’est un exemple d’une situation où l’on doit être claire vis-à-vis de nos intérêts essentiels et ce pourquoi on serait prêt à entrer en guerre”
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2 réactions au sujet de « Ukraine : les États-Unis, pompiers pyromanes ? »
Votre théorie est totalement absurde. L’invasion de l’Ukraine était prévue, organisée et planifiée ; les déploiements de troupes et surtout de très importants moyens logistiques sur les frontières est et nord sont des preuves plus que suffisantes.
Les atermoiements de Biden ont probablement été vues par Poutine comme une garantie supplémentaire, mais les principaux déploiements étaient déjà effectués à ce moment là.
Si vraiment il s’agissait d’un vaste complot du lobby des armements, vous noterez à quel point cette stratégie est un échec total, la guerre en Ukraine ayant bienmontré la vulnérabilité et l’inutilité des blindés lourds face à des moyens légers et peu couteux comme les lances-missiles individuels et les drones .
Un peu trop surréaliste a mon gout.
C’est surestimer les capacités de Biden que de croire qu’il est si puissant qu’il peut forcer Putin a lancer une « operation speciale » en Ukraine.
Les troupes russes étaient deja alignées a la frontière bien avant que Biden ne fasse un discours…
Personne n avait intérêt a avoir une guerre en ce temps et lieu… D’ailleurs de nombreux politiciens russes semblent avoir eu la main forcée par leur chef.
Une explication semble plus plausible:
La Russie (Putin) se sentait invulnerable après avoir commis d’innombrables méfaits resté (quasi-)impunis par UE / USA : violations de droits de l’homme, operations militaires (Tchétchénie, Georgie, Crimée,…), assassinations a l’étranger (novichok, polonium), etc…
Putin avait donc conclu que le risque de vraies répercutions était assez faible pour lui en cas de malversations (au pire, sanctions économiques dont il se moque personnellement). D’ou la decision de continuer sur la meme lancée avec la meme impunité et a plus grande échelle…
A la surprise générale, Zelensky a eu le courage de se battre au lieu de prendre un taxi pour l’UE.
Ceci a forcé le duo UE USA a réagir (pour une fois) et punir les mauvaises actions.
Putin se trouve du coup piégé dans une situation qu’il a lui meme créée.
N’est-ce pas une version plus plausible, POLITICOBOY ?