Législatives 2017: bilan d’un premier tour paradoxal
Le premier tour des législatives 2017 représente à tout égard un séisme politique. Bénéficiant d’une abstention record, le tsunami Macron emporte tout sur son passage. Le parti socialiste s’en trouve laminé, les perspectives d’opposition démocratique au parlement s’amenuisent et le doute quant à la capacité du président à mener les réformes disparaît. Analysons brièvement les enseignements de cette élection paradoxale.
Premier paradoxe: un enjeu historique face à une abstention record.
Emmanuel Macron ne s’en était pas caché. Dès l’annonce de sa candidature, et malgré le flou entretenu jusqu’à la sortie de son programme en mars 2017, ses intentions furent clairement exprimées lors d’interview-fleuves. Plus le futur président montait dans les sondages, plus il se permit de dévoiler non seulement son projet, mais surtout sa méthode. Essentiellement par ordonnance (donc sans passage par le parlement) il compte supprimer le Code du travail pour aller “cinq fois plus loin” que la loi El-Khomri. Mais aussi réformer les retraites pour adopter un système individualiste et capitaliste, privatiser partiellement la santé, assécher les caisses de la sécurité sociale en transférant les cotisations sur la CSG, poursuivre les politiques d’austérité, de libéralisation des services publics et de réduction des fonctionnaires et ratifier les traités de libre-échange. (1)
Ainsi, reconnaissons-lui une certaine honnêteté. Entre les deux tours, plutôt que de chercher à rassembler pour faire barrage au FN (comme le fit Chirac), il a le culot de demander un vote d’adhésion à son programme.
Un programme dont les fuites dans la presse révèlent enfin le contenu précis: la réforme du Code du travail signe la fin des syndicats et remettra tout en cause: le temps de travail, les conditions d’hygiène et de sécurité et même les salaires. Le plafonnement des indemnités de licenciement privera tout employé de capacité de négociation, un manager ou actionnaire pouvant désormais calculer à l’avance le coût d’un licenciement abusif. (2)
Les Français vont ainsi voir remis en cause 150 ans de droits sociaux acquis au prix de la sueur des grévistes et du sang de la résistance.
Ceux qui espèrent déplacer la lutte dans la rue risquent de se fracasser sur le mur de l’état d’urgence. Le journal Le Monde a révélé le projet du gouvernement en la matière: prolonger le régime d’exception pendant trois mois, le temps d’inscrire dans la loi les dispositions qu’il permet de prendre. En particulier, les perquisitions sans mandat, l’assignation à résidence sans justification, l’interdiction de manifester et l’accès immédiat aux données numériques personnelles.
Face à ce projet confirmé par le gouvernement (qui vient d’attaquer en justice trois journaux relais de ces fuites), face à ces dispositions que les candidats LREM, PS et LR disent approuver et soutenir (3), face à cette menace bien réelle, les Français ont choisi de s’abstenir massivement.
Moins d’un inscrit sur deux et d’un français sur trois se sont déplacés pour aller voter. L’abstention atteint 51.3%, un record absolu sous la cinquième république.
Si le paradoxe ne vous saute pas aux yeux, il y a mieux: les abstentionnistes sont majoritairement jeunes, ou issus des catégories les plus modestes. Donc les plus exposés aux conséquences négatives du projet Macron, ceux qui n’ont pas de capital et dépendent entièrement de leur travail pour vivre.
Second paradoxe: Macron en marche vers une majorité absolue, mais peu légitime.
Avec 32% des suffrages exprimés, soit 16% des inscrits et 14% des personnes en âge de voter, En Marche devrait récupérer entre 400 et 455 sièges, soit autour de 75% des députés.
Il faut ajouter à cela les 100 à 130 députés promis à la droite, soutient de LREM sur l’essentiel des questions sociales, économiques et sécuritaires, et les 20 à 40 sièges du PS, lui aussi désireux d’aider le président (en votant les ordonnances et l’état d’urgence permanent notamment).
Le FN ne devrait obtenir que 2 à 4 députés, et la France Insoumise et le PCF devront s’allier pour espérer constituer un groupe parlementaire, malgré les 74 “insoumis” qualifiés au second tour. Il est possible qu’aucun parti politique officiellement opposé à la ligne politique d’Emmanuel Macron ne soit capable de former un groupe à l’assemblée. (4)
L’hégémonie promise à Emmanuel Macron viendra parachever une séquence électorale particulièrement fragile. Au premier tour, le président recueillait 8.6 millions de voix, dont la moitié disaient faire ce choix par vote utile uniquement. Qualifié au second tour avec 12 % des inscrits soutenant son projet, élu parallèlement à un record de vote blanc (4.2 millions) et une abstention historique, voilà le chef de l’état à la tête d’une majorité écrasante, mais ne représentant que 16% des inscrits.
En termes de vote, si l’électorat de Macron est de loin celui qui s’est le plus mobilisé pour les législatives, seuls 7.5 millions d’électeurs ont voté pour les candidats En Marche, contre plus de dix millions pour le PS de François Hollande en 2012. Une véritable claque.
À côté, l’électorat du FN et de la France Insoumise semble avoir abdiqué. L’abstention est particulièrement forte chez ces deux partis, leur électorat plus jeune et issu des classes populaires ayant, selon les Échos, considéré la partie perdue d’avance. (5) Un paradoxe de plus quand on sait, par exemple, que si les 7 millions d’électeurs de Mélenchon s’étaient déplacés, la France Insoumise serait en position de prendre le pouvoir.
On peut y voir un manque de compréhension des enjeux, ce qui serait largement imputable aux médias. À quelques exceptions près, ils se sont révélés incapables d’organiser un débat démocratique, préférant s’extasier devant les premiers pas du nouveau président ou relayer les polémiques les plus absurdes.
À l’inverse, on pourrait y voir le signe du refus des Français de prendre part à une mascarade. Les institutions de la cinquième république privent les électeurs de toute chance de représentation. En particulier lorsque la candidate d’un parti jugé antirépublicain est autorisée à participer à une élection, se voit invitée depuis six mois sur tous les plateaux et parvient à se hisser au second tour, pour qu’ensuite l’ensemble de la presse appelle à faire « front républicain » tout en traitant les abstentionnistes de fascistes et les responsables politiques n’ayant pas cotisé à la caisse Macron de « dictateurs en puissance ». Oui, on pourrait voir dans cette abstention massive une certaine lassitude devant pareille comédie.
La décision de TF1 de lancer la énième rediffusion du film “les bronzés” dès 21h en pleine soirée électorale symbolise parfaitement le mépris de la classe dirigeante. Circulez, bon peuple, il n’y a rien à voir.
Troisième paradoxe: un renouvellement par le haut
Le tsunami En Marche va permettre de renouveler la classe politique. Une classe souvent accusée de corruption, entachée de scandales et perçue comme nombriliste et carriériste.
Mais par qui ? À en croire Médiapart et Marianne, deux types de députés. Les recyclés du PS et de LR qui sont montés à bord du train En Marche en cours de route. Et des personnes de la société civile, dont la catégorie la plus représentée est celle du milieu des affaires (cadres supérieurs, dirigeants d’entreprises, lobbyistes professionnels). (6)
Symbole de ce paradoxe supplémentaire, alors que trois ministres baignent DEJA dans les scandales et les conflits d’intérêts, les voilà tous sur le point d’être reconduit. Le cas de Richard Ferrand, sous la coupe d’une enquête judiciaire pour trafic d’influence, est symptomatique: il arrive largement en tête de sa circonscription avec 32%. A croire que dans la plupart des cas, même une chèvre l’emporterait, pourvu qu’elle soit estampillée En Marche !
Cette large victoire va également permettre au parti du président d’accaparer 75% des financements publics, soit près de 30 millions d’euros par an. En comparaison, le parti le plus riche de France en 2016 (le PS) ne cumulait que 18 millions d’aides, allouées sur la base des résultats aux législatives en termes de voix et de sièges.
Le Parti socialiste à l’agonie
Avec seulement 9% des suffrages et au mieux 50 députés, le parti socialiste subit la plus lourde défaite de son histoire. Les figures emblématiques telles que Benoit Hamon et Cambadélis sont sorties dès le premier tour.
Outre l’ampleur de la débacle, alors que ce parti bénéficiait du plus large budget, du soutien de la presse soit disant de gauche, de 280 députés sortants et du plus grand temps d’antenne alloué par le CSA, ce score catastrophique va mettre à mal les capacités de financement du parti. D’environ 18 millions d’euros d’aides publiques annuelles, le PS devrait tomber à des niveaux de l’ordre de 2 à 3 millions, ce qui sera insuffisant pour faire face à ses frais de fonctionnement (location des locaux, salaires des permanents).
Ses alliés EELV et PCF payent également leur refus d’alliance avec la France insoumise. Pour EELV, on peut parler d’hécatombe, le parti risque de passer de 17 à 1 seul député, qui plus est soutien d’Emmanuel Macron.
Le PCF qualifie seulement 12 candidats, dont sept sont appuyés par la France Insoumise. Le parti n’a aucune chance de constituer un groupe au parlement et réalise un score national historiquement bas (2.7%).
Pourtant, la gauche au sens large (et en y incluant le PS et l’extrême gauche) est loin d’être “morte”. Au premier tour de la présidentielle, elle totalise 27% des suffrages contre 28% aux législatives, malgré l’abstention massive des électeurs de Mélenchon.
Stratégie électorale de second tour pour l’opposition
Si vous ne vous reconnaissez pas dans le projet politique d’Emmanuel Macron, dans la perspective du second tour, deux cas de figure sont possibles.
Lorsque le duel oppose un député soutenant le président de la République (LR, LREM, PS), l’abstention ou le vote blanc semble l’attitude la plus logique. Elle permet de décrédibiliser un peu plus le scrutin et d’affaiblir la légitimité présidentielle.
Lorsqu’un candidat issu des forces d’opposition (LFI, PCF voir dans certains cas EELV) se trouve au second tour, il est par contre important de se mobiliser pour le soutenir. L’enjeu est désormais simple: constituer un groupe parlementaire à l’assemblée. La partie semble particulièrement compliquée, mais l’enjeu démocratique doit interpeller chaque citoyen, de quelque bord politique qu’il soit.
Conclusion:
Symbole d’une époque confuse et d’un système à bout de souffle, l’élection la plus importante de la cinquième république se solde par une abstention record et un raz de marée présidentiel qui va déboucher sur une assemblée nationale de CSP+, symbole du triomphe des catégories sociales les plus favorisées. Les nouveaux députés apparaissent particulièrement exposés à ce qu’ils étaient censés combattre : les conflits d’intérêts et l’élitisme contre l’intérêt général. Coup d’état social, guerre économique, lutte des classes, aucun terme n’est assez fort pour décrire le drame démocratique qui se déroule devant nous. La cinquième république aura vécu.
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Notes et références:
- Lire cet excellent récapitulatif sur Bastamag
- Lire l’article de la rédaction de Médiapart: « Code du travail, ce que prépare le gouvernment »
- En particulier lors du débat annimé par France 3, Myriam El Khomri confirme voter pour le prolongement de l’Etat d’Urgence. le débat (30min) vaut le détour.
- Lire cet analyse de l’Obs sur les chances de vistoire au second tour de la gauche
- Les échos, sur les causes de l’abstention
- Bastamag, Vers une assemblée qui renforce la fermeture sociale
Lire également cette intéressante synthèse: « vers l’assemblée la plus mal élue » Marianne.