Le rouleau compresseur Macron se met en marche
Les derniers sondages et les résultats des élections anticipés dans onze circonscriptions pointent vers la même conclusion. En Marche serait en passe de remporter plus des trois quarts des sièges à l’assemblée dans un raz de marée historique. Selon les révélations du Parisien, cette écrasante majorité s’appliquera ensuite à transformer de fond en comble le modèle social français. Faut-il se réjouir du renouveau de la classe politique à venir et des futures réformes ? Détaillons !
1) Le rouleau compresseur électoral
La composition du gouvernement Macron, véritable chef-d’œuvre de stratégie politique, a permis de porter un coup décisif aux partis historiques de la Ve république.
Les candidats députés LR et PS font très majoritairement campagne « pour une majorité présidentielle », ce qui offre à Emmanuel Macron le luxe de « présenter » jusqu’à trois candidats dans des centaines de circonscriptions.
Il semblerait cependant que les investitures En Marche ! soient sur le point d’écraser leurs concurrents PS et LR dans 70 % des cas de figure. L’IFOP prédit ainsi plus de 400 députés issus du mouvement LREM, auxquels viendront quasi exclusivement s’ajouter des élus PS et LR souhaitant coopérer avec le Président. En clair, on se dirige vers un parlement sans opposition, une première historique qui menace la démocratie.
Cette hégémonie se trouve facilitée par le soutien idyllique des grands médias, vecteurs d’une formidable entreprise de communication. Le voyage à Berlin fut encensé malgré le refus catégorique d’Angela Merkel d’évoquer les Eurobonds. La poignée de main « énergique » avec Donald Trump fit le tour des JT, en dépit du retrait catastrophique des USA de l’accord climatique. L’absence de sanction fut éclipsée par la « formidable réponse » de notre président (hastag #makeourplanetgreatagain).
Macron est incontestablement un excellent communicant, et lorsque l’ensemble de la presse mainstream boit ses paroles et les relaie sans broncher, au point de perdre toute faculté critique, difficile de ne pas échapper à la « Macronmania ». (1)
Nicolas Hulot accepte le poste de ministre à l’Écologie dans un gouvernement profondément hostile à ses concepts, et les éditorialistes y voient la preuve de la conversion du président à la transition énergétique.
François Bayrou propose une loi de moralisation minimaliste, sans aucun volet concernant l’encadrement des médias (sujet pourtant au cœur de son combat politique) et Médiapart la juge « ambitieuse ».
Notre Président surf indéniablement sur la vague de l’enthousiasme post-électoral, ce qui bénéficie mécaniquement aux candidats En Marche !
Le carton plein aux législatives devrait permettre un certain renouvellement de la classe politique. Mais par qui ? Quatre-vingt-dix pour cent des députés investis par le président sont issus des catégories les plus aisées (CSP+), une large proportion sont des anciens élus LR ou PS, tandis que 17 autres exercent le métier de lobbyiste. (2) Médiapart relève la présence de candidats possédant des sociétés dans des paradis fiscaux, ou faisant l’objet de redressement judiciaire ou d’enquêtes pour abus de bien sociaux. La « société civile » ressemble plus à une « société de privilégiés » qui risque de voter les lois en fonction de ses propres intérêts. (3)
Le renouveau consiste essentiellement à remplacer des politiciens de métiers, dépendant de leur action pour poursuivre leurs carrières, par des « opportunistes en puissance ». Ces Marcheurs ont signé une charte les engageant à soutenir unilatéralement le président, et risquent fort d’utiliser leur mandat à des fins personnelles, avant de retourner à la vie civile. Non seulement ces députés seront plus facilement influençables par les lobbies divers, mais ils sont souvent directement issus de ces milieux !
En résumé, en profitant du momentum conféré par sa victoire au second tour et alimenté par une presse largement sous le charme, Emmanuel Macron est sur le point d’imposer un pouvoir législatif totalement subordonné et, par ailleurs, quasi exclusivement représentatif des milieux des affaires et des classes sociales les plus aisées. Une sorte de contre-révolution sociale.
2) Le rouleau compresseur social
Rien ne semble pouvoir empêcher Emmanuel Macron d’obtenir les pleins pouvoirs.
Mais des pleins pouvoirs pour faire quoi ? Les révélations du Parisien et les appels entendus de Mélenchon à sortir du silence antidémocratique dans lequel se muait le gouvernement éclairent enfin le projet présidentiel. (4)
Le recours aux ordonnances, qui permet de contourner le parlement et d’empêcher toute négociation ou amendement du texte de loi, devrait faciliter la mise en place des fameuses réformes structurelles exigées par Bruxelles. Médiapart a pu se procurer le calendrier : tout sera bouclé pendant l’été. (5)
Pas de repos pour l’opposition, pas de vacances pour les manifestants, alors que l’état d’urgence permettra, comme pour la loi El-Khomri, d’encadrer de façon musclée les mouvements sociaux. « Le blocage du pays ne sera pas toléré » prévient le porte-parole du gouvernement. La violence inouïe de la méthode politique n’a d’égal que le contenu du projet.
Commençons par la fameuse loi travail.
Premier objectif : plafonner les indemnisations en cas de licenciement abusif. Cet aspect doit permettre de se séparer d’employés à moindres frais, sans aucun motif. Pour les syndicats, il s’agit d’une ligne rouge à ne pas franchir. Ils y voient le moyen de licencier les responsables syndicaux et de décourager les salariés de rejoindre une organisation de ce type.
Or, les organisations syndicales sont sur le point de devenir indispensables.
En effet, le second volet de la loi vise à remplacer le Code du travail par des négociations par entreprise. Les dispositions qui seront négociables ne sont pas encore claires, mais d’après les déclarations de Macron lui-même, le statut de CDI, le temps de travail, la sécurité au travail et les SALAIRES seraient concernés. (6)
Il ne faut pas perdre de vue la finalité du projet : faciliter les procédures de licenciement pour encourager les entreprises à embaucher et investir, et baisser les salaires (horaires en augmentant le temps de travail hebdomadaire, ou annuel en baissant la paye elle même). (7)
Cela présente deux effets particulièrement pervers.
Le premier est d’introduire un rapport de force défavorable aux employés, du simple fait de la fragilisation des syndicats qui ne seront plus à même de négocier les textes à l’échelle nationale. Posez-vous la question autrement : connaissez-vous beaucoup de collègues syndiqués ?
Le second est d’introduire une compétition à la baisse entre les différentes entreprises. En clair, il deviendra facile pour un employeur d’obtenir un avantage concurrentiel décisif s’il parvient à arracher un accord favorable avec ses salariés (la suppression des RTT par exemple). Cela va pousser les entreprises concurrentes à s’aligner, ce qui sera d’autant plus justifiable auprès des salariés qu’ils auront une raison économique de le faire. Du point de vue du patronat, cela introduit également un manque de visibilité et des difficultés supplémentaires.
En théorie, cette réforme vise à réduire le chômage. Elle repose pourtant sur des postulats absolument faux. À savoir qu’il serait plus difficile de licencier en France qu’à l’étranger, et que le coût du travail français ne serait pas compétitif. Les rapports de l’OCDE démontrent le contraire, comme nous l’expliquions dans un article précédent. (8)
La précarisation accélérée des salariés va s’étendre à tous les métiers et classes sociales, mais devrait être compensée par des mécanismes de sécurité.
En quoi la nouvelle flexisécurité sera-t-elle plus efficace que la protection sociale actuelle ? Il semblerait que les autres réformes prévues par le président pointent vers un scénario catastrophe.
La réforme de la CSG
L’idée de départ nous vient de Jean-Marie Le Pen et a pour elle de prétendre poursuivre un but louable : augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs.
Pour ce faire, Macron propose de supprimer les cotisations sociales destinées à l’assurance chômage et l’assurance maladie (ce qui entraînera un gain brut de 3,15 % de salaire jusqu’à un certain plafond). Ce « cadeau » sera financé par une hausse des impôts via l’augmentation de la CSG. Puisque la CSG touche également les retraites et les revenus du capital, cela permet d’augmenter la CSG de seulement 1,67 %, donc de dégager un gain net pour les salariés de 1,48 %.
Seulement voilà, ce gain est disproportionnellement élevé pour les hauts salaires, et faible pour les petits, puisqu’il s’agit d’une hausse fixe (taux égal pour tous). On comprend que 1,5 % d’un SMIC ne représente pas la même chose que 1,5 % du salaire d’un cadre supérieur. En clair, cette réforme accroît les inégalités. (9) De même, les retraités et les chômeurs ne paient pas de cotisation chômage, mais contribuent à la CSG et vont donc devoir financer un risque qu’ils ne courent pas (le chômage) tout en supportant une baisse nette de revenu.
D’où cette question : si le but est d’augmenter le pouvoir d’achat des actifs, pourquoi ne pas s’épargner cette usine à gaz et simplement revaloriser les salaires ?
D’abord parce que cela augmenterait le coût du travail pour l’employeur (ce qui est contre-productif selon les libéraux), et que cela augmenterait aussi les cotisations sociales pour les retraites, l’assurance maladie et le chômage.
Si on fait l’hypothèse audacieuse que Macron, en bon néolibéral, ne souhaite pas favoriser le salaire socialisé, ni la solidarité et la sécurité sociale publique, alors ce projet prend tout son sens.
Une fois transféré sur l’impôt (controlé par l’État) les cotisations sociales qui étaient gérées par des caisses publiques indépendantes, il devient possible a posteriori de baisser (ou simplement de refuser d’augmenter) les revenus de l’assurance maladie.
Ce qui permet ensuite de dire que la santé « coûte trop cher » et qu’il faut privatiser les hôpitaux et l’assurance santé (deux idées qui font partie du projet présidentiel).
À travers cette réforme, c’est avant tout la fragilisation de la sécurité sociale qui est mise en avant. (10) Notre modèle basé sur la solidarité sera peu à peu transformé en un système « individualisé » de type « américain » dont il n’est pas inutile de rappeler ici l’état désastreux (45 millions d’Américains non couverts pour un coût par assuré 2,5 fois supérieur au coût actuel en France). La réforme des retraites figurant sur l’agenda gouvernemental s’inscrit dans cette même logique. L’héritage de la résistance de 1945 aura vécu.
Transfert de richesse
Le gouvernement Macron vient d’enterrer le projet de loi européen sur la taxe des transactions financières. La suppression de l’ISF pour les placements financiers et les oeuvres d’art s’inscrit dans ce même mouvement : un transfert des richesses depuis les travailleurs (au minimum 90 % des Français) vers les rentiers et les très hauts revenus.
Bien sûr, le but n’est pas d’extorquer les classes moyennes, mais de relancer l’investissement, conformément à la théorie économique néolibérale. Qu’importe le fait que ces mêmes initiatives n’ont eu aucun effet aux USA et au Royaume-Uni, ni en France par le passé. L’idéologie néolibérale survit aux plus solides preuves empiriques, en dépit de tout bon sens. (11)
3) Rouleau compresseur autoritaire
Pour de nombreux électeurs se reconnaissant de gauche ou du centre, Emmanuel Macron représentait une bouffée d’oxygène en termes de politique sécuritaire, identitaire et migratoire.
Pourtant, les premiers pas du Président Macron démontrent une poursuite des mêmes dérives. Sur le plan des libertés civiles, le chef d’État a déjà affirmé vouloir prolonger l’État d’urgence jusqu’en novembre 2017, après l’adoption de la seconde loi travail. Officiellement, il s’agirait de traduire sur le plan du droit commun certains aspects de l’état d’urgence, autrement dit de le rendre permanent. Donc, comme ce fut le cas pendant le mouvement social contre la loi travail, d’inscrire dans le la loi la possibilité d’interdire des manifestations et d’assigner à résidence des syndicalistes et opposants politiques (ces pratiques observés en été 2016 ont débouché sur un rapport alarmant d’Amnesty International). Cette atteinte aux libertés fondamentales officialiserait la victoire idéologique des terroristes. (12)
De façon plus concrète et immédiate, le ministre de l’Intérieur vient de lancer une politique répressive envers les migrants, dont le journal Le Monde démontre l’absurdité et la violence. Les éléments de langage de Gérard Collomb sont identiques à ceux de Marine Le Pen lorsqu’il parle de « tarir les flux ». (13)
Comme quoi, le barrage au Front National se fissure déjà.
Conclusion
Face à l’ampleur de la force du rouleau compresseur, la résignation ou la soumission apparaissent comme des comportements compréhensibles. Pourtant, il n’existe aucune fatalité. Si les partis historiques (PS et LR) se refusent à entrer dans une logique d’opposition, et proposent même désormais de mettre en place un front antidémocratique pour battre la France Insoumise, cette dernière offre une opportunité réelle de stopper net la marche du rouleau compresseur. (14)
Si les 7 millions d’électeurs de Jean Luc Mélenchon se mobilisent pour les législatives, compte tenu du fort taux d’abstention pronostiqué par ailleurs, la France Insoumise peut espérer figurer au second tour dans plus de quatre cents circonscriptions, et remporter une centaine de sièges, voir la majorité. Ce pouvoir de nuisance, capable (en théorie) de ralentir le bulldozer présidentiel, explique le Mélenchon Bashing actuellement observé par les instituts d’analyse marketing. (15)
Autrement, il restera la rue, pour ceux qui n’ont pas peur des grenades lacrymogènes et des tirs tendus de flashballs.
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Notes et références:
- Le cas du journal le monde est particulièrement pathologique. La ligne éditoriale est totalement déconnectée de la réalité, comme le démontre cet article. Mais le plus comique est que le journal se livre à un mea culpa envers ses lecteurs qui l’accusent d’avoir été trop dur avec le ministre Richard Ferrand. Non seulement Le Monde n’est pas capable de critiquer le président, mais lorsqu’il reporte les faits concernant son ministre, il s’en excuse ensuite publiquement.
- Marianne, le 19 Mai.
- Lire l’enquête de Médiapart « LREM, des candidats loin d’être exemplaires » 6 juin 2017
- Lire ce résumé du contenu du projet de loi travail
- https://www.mediapart.fr/journal/france/310517/le-calendrier-ultra-serre-des-ordonnances-sur-le-travail
- Bastamag détaille avec justesse le contenu de la loi Macron en se basant sur ses déclarations. Les axes principaux sont confirmés par Le Parisien et Médiapart.
- Comme l’expliquait Romaric Gaudin dans cet article Médiapart « La magie des réformes structurelles peut-elle fonctionner »
- Voir notre article « l’espoir Macron » et les liens vers les rapports de l’OCDE
- Continuons de citer cet excellent Romaric Gaudin, dans cet article daté du 7 juin 2017 Le transfert des cotisations sociales vers la CSG annonce un changement de logique pour le modèle social français
- Idem 9.
- Par exemple, les baisses d’impôts systématiques appliquées en France, mais aussi aux USA (sous G.W Bush en particulier) n’ont aucunement favorisé l’emploi, au contraire. Pour une vision plus lyrique, Lire Frédéric Lordon « les entreprises ne créent pas l’emploi »
- Lire dans le monde « Macron veut prolonger l’État d’Urgence jusqu’au premier novembre »
- À lire dans Le Monde « Le ministre de l’Intérieur adopte une ligne dure anti-migrant »
- Dans le 18e arrondissement de Paris, Myriam El Khomri et son adversaire LR ont tous deux affirmé être prêts à s’unir pour barrer la route au candidat insoumis
- Lire cet étude s’appuyant sur le chiffrage de Dentsu Consulting du politologue Thomas Guénolé, « oui il y a bien un Mélenchon Bashing » (on pourrait également citer Acrimed et le Monde Diplo ou faire l’inventaire nous même)
2 réactions au sujet de « Le rouleau compresseur Macron se met en marche »
Bonjour et merci pour cet article. Espérons que la Phi fera le meilleur score possible. Dans l’intérêt de tous.
« Posez-vous la question autrement : connaissez-vous beaucoup de collègues syndiqués ? »
Je me demande si le projet de macron ne va pas au final donner plus de pouvoir au syndicat d’entreprise.
On peut se poser la question autrement pourquoi n’y a-t-il pas de plus de collègues syndiqué ?
Ne faut-il pas que le syndicalisme évolue ?