Critique : Sapiens, de Harari ; une fausse histoire de l’humanité

Critique : Sapiens, de Harari ; une fausse histoire de l’humanité

Dans « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », Yuval Harari balaye cent mille ans d’Histoire en cinq cents pages afin d’anticiper notre évolution future et de proposer une théorie systémique permettant d’expliquer comment nous avons évolué « d’animal insignifiant » jusqu’au statut de « demi-dieu ».

Cet ambitieux projet accouche d’un ouvrage dense, rempli d’idées provocatrices et intellectuellement stimulantes qui expliquent certainement le succès commercial de cet objet encensé par les critiques de tout bord. 

Pourtant, l’ouvrage d’Harari regorge d’erreurs factuelles, de contresens logiques et de théories amplement réfutées par la science. Il souffre des biais idéologiques patents de l’auteur qui le poussent à défendre en conclusion un système qu’il a passé cinq cents pages à remettre en question. L’innocuité politique de l’œuvre d’Harari explique certainement pourquoi Mark Zuckerberg, Carlos Ghosn et Bill Gates chantent ses louanges, mais laisse perplexe sur le fait qu’il soit pris au sérieux.

Dans cette « brève critique » de Sapiens, nous allons nous efforcer de mettre en lumière les principaux problèmes de l’ouvrage, avant de proposer des pistes permettant d’apporter des éléments de réponse aux questions qu’il soulève. 

1) Sapiens, de l’animal primitif au demi-dieu : un bref résumé du livre d’Harari

Ceux qui ont lu le livre peuvent sauter ce résumé. 

Pour Harari, trois évènements majeurs ont infléchi notre évolution.

Il y a 70 000 ans environ, la révolution cognitive entraîne une complexification du langage qui permet, à travers la faculté d’abstraction, de raconter des fictions collectives et de développer les commérages essentiels à la cohésion de larges groupes. Ainsi « un grand nombre d’inconnus peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes communs », ce qui augmente la taille critique des tribus d’Homo Sapiens, et expliquerait son expansion fulgurante.

Pour Harari, cette aptitude à se raconter des fictions sans aucun lien avec le réel serait la clé de compréhension de notre Histoire. 

Elle nous aurait permis de construire des villes et des États, de développer les religions et la monnaie, les droits de l’Homme et les entreprises capitalistes et ainsi de conduire l’humanité à disputer aux dieux leur immortalité grâce au transhumanisme et à l’intelligence artificielle. Or pour Harari, ces concepts ne sont que des constructions de l’esprit, des illusions. C’est à travers ce prisme qu’il va nous conter sa brève histoire de l’humanité.

La première partie pourrait se lire comme un plaidoyer en faveur d’un âge d’or préhistorique. Mais Harari prend soin de dénoncer le caractère écocide des chasseurs-cueilleurs auxquels il attribue la disparition de nombreux grands mammifères par simple produit de leur cruauté naturelle, avant de se ranger du côté de la thèse très disputée de l’existence généralisée des guerres dès le paléolithique.

La seconde révolution advint vers -10 000 ans avec l’apparition de l’agriculture, que l’auteur décrit comme la plus grande escroquerie de l’Histoire. Si elle a permis une explosion démographique et l’apparition des premières véritables sociétés, elle a aussi provoqué une profonde dégradation des conditions de vie, comme le démontre l’auteur à grand renfort de données archéologiques tendant à prouver la chute de l’espérance de vie et de la taille moyenne des individus, l’apparition de nombreuses maladies, l’explosion des inégalités sociales et la diminution du temps libre. Ici Harari défend un point de vue de plus en plus partagé par la communauté scientifique, mais propose une explication intéressante pour justifier l’adoption de l’agriculture en dépit de ses défauts évidents. Balayant rapidement l’hypothèse de la modification climatique mise en avant par son mentor Jared Diamond, il évoque la possibilité d’une évolution de la spiritualité nécessitant un sédentarisme accru, avant d’avancer l’idée (qu’on retrouve chez l’anthropologue James Scott, entre autres) que ce n’est pas l’Homme qui a domestiqué les céréales (et les animaux), mais l’inverse. 

Cette idée a le mérite d’expliquer comment l’Homme a progressivement abandonné son mode de vie émancipateur de chasseur-cueilleur pour trimer dans les champs en se plaçant à la merci des caprices de la nature. De la même manière que les smartphones et emails censés nous économiser du temps et de l’énergie nous accaparent de plus en plus, l’Homme aurait commencé à cultiver la terre pour compléter son régime alimentaire, avant de devenir dépendant de ce mode de vie au fil des générations, l’accroissement des populations empêchant tout retour en arrière.  

L’apparition de l’écriture et des mathématiques aurait ensuite permis de mettre en place des systèmes d’échange, de comptabilité et d’impôts, autant de conditions qu’il juge nécessaires à l’apparition des royaumes et empires, constructions sociales optimales reposant sur de nouveaux mythes (religieux, mais également politiques  tels le droit et les institutions).

La troisième partie du livre raconte ainsi comment, grâce à cette autre construction fictive qu’est la monnaie, l’humanité aurait été unifiée sous l’effet des conquêtes commerciales du 16e et 17e siècles entreprises par les Européens. 

La révolution scientifique, débutée à la fin du 15e siècle, expliquerait l’avènement des sciences et le progrès technique qui débouchent sur le capitalisme.

Dans cette quatrième et dernière partie, l’auteur critique pourtant les effets de cette révolution. Le système capitaliste, décrit comme une fiction religieuse, produit un accroissement des inégalités sociales porteuses de multiples souffrances humaines et animales. Harari fustige l’élevage intensif pour son barbarisme atroce et criminel envers les animaux, déplore le coût écologique désastreux du « progrès » et dénonce un consumérisme qui ne permet pas d’augmenter le bonheur ou l’émancipation, au contraire. 

En effet, pour Harari le bonheur dépendrait uniquement de réactions chimiques se produisant dans notre cerveau, via des décharges hormonales activant nos synapses. Nous ne serions donc pas égaux devant l’aptitude au bonheur, qui découlerait de notre ADN.

Deux idées fortes, et apparemment contradictoires, émergent ainsi de Sapiens. 

La première est que tout serait illusion, y compris le libre arbitre (déterminé par notre patrimoine génétique resté à l’âge préhistorique). Mais notre capacité à fabriquer des fictions aurait permis un certain progrès : la construction d’empires qui conduirait inexorablement l’humanité vers la paix mondiale et l’unité politique, et les découvertes scientifiques qui devraient en retour transformer Sapiens en une nouvelle espèce « transhumaine » voire immortelle, mais pas nécessairement plus heureuse ou éclairée.

La seconde idée affirme que tout est matériel, tangible et explicable par les sciences dures et notre biologie innée, y compris le bonheur. Les idées, le poids des structures sociales, l’acquis et le spirituel n’ont aucune place dans Sapiens

La marche de l’Histoire ne serait qu’une fatalité qu’il serait illusoire de remettre en question, puisqu’ancrée dans notre ADN. En clair, après avoir fustigé les conséquences du néolibéralisme « qui n’a pas produit jusqu’ici grand-chose dont nous puissions être fiers », l’auteur nous explique qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme, système qui aurait « réduit la violence humaine et accru la tolérance et la coopération. Mark Zuckerberg a adoré

2) Les principales erreurs factuelles contenues dans Sapiens discréditent le récit d’Harari

Si on reprend le fil de l’histoire contée dans Sapiens, on se rend compte qu’il est jalonné d’erreurs plus ou moins importantes qui discréditent les conclusions de l’auteur. 

Une préhistoire réductrice et erronée

Sa description de la préhistoire, nécessairement périlleuse, car reposant sur des théories scientifiques évoluant au fil des découvertes archéologiques, dresse le portrait d’un “serial killer écologique” à la spiritualité nécessairement animiste, qui aurait fait la guerre depuis la nuit des temps. Trois assertions erronées, mais qui servent son récit.

Comme l’explique Harari, la question de la guerre divise la communauté scientifique. À partir des données archéologiques, il reconnaît qu’il n’existe aucune preuve formelle de l’apparition systématique de la violence intraespèce avant l’arrivée de l’agriculture. Les nombreux vestiges témoignant de l’altruisme de Sapiens (qui soigne ses blessés, maintien en vie des individus handicapés et veille sur ses vieillards) indiqueraient une propension naturelle à l’entraide. Ce que confirment les études sociologiques et psychologiques, qui montrent que l’Homme est naturellement altruiste dès le plus jeune âge, et adopte automatiquement un comportement de coopération en période de crise. [1]

Pourtant, l’auteur se range derrière la thèse de l’existence des guerres depuis la nuit des temps, sur la base de trois sites archéologiques qui témoigneraient de scènes de violence et de massacres. En partant de ces mêmes indices, la directrice du CNRS au département de la préhistoire Marylène Pathou-Mathis conclu à l’exact opposé, tout comme de nombreux anthropologues. Leur thèse de l’exceptionnalité de la violence au paléolithique fait de plus en plus consensus chez les spécialistes. [2]

De même, la responsabilité de l’Homme dans la disparition des grands mammifères a été largement réfutée par des découvertes récentes. Harari explique pourtant que Sapiens s’était livré à de nombreux écocides, car : 

« Après avoir longtemps vécu au milieu de la chaîne alimentaire, nous sommes emplis d’anxiété et de peurs qui nous poussent à la cruauté. De nombreuses guerres et catastrophes écologiques résultent de ce saut précipité au sommet de la chaîne alimentaire ». 

Pour l’anthropologue Christopher Hallpike, cette proposition est absurde. Une espèce ne peut pas avoir de mémoire collective ni d’anxiété liée à une position dans la chaîne alimentaire vieille de dizaines de milliers d’années (de la même façon que nous ne sommes pas victimes aujourd’hui des peurs qui habitaient les Égyptiens de l’antiquité). Surtout, les vestiges archéologiques ne peuvent certainement pas nous permettre de connaître les sentiments qui animaient nos ancêtres ni affirmer quoi que ce soit. [3]

Enfin, lorsque Harari spécule sur la nature de la spiritualité préhistorique, il la réduit à un animisme qui prend source dans une forme de superstition et d’ignorance. Ce faisant, il passe sous silence le fameux « culte de la déesse mère” qu’on retrouve au centre de la plupart des ouvrages traitant des croyances paléolithiques, et qui se justifie par la découverte de milliers de statuettes de vénus de par le monde. 

En clair, Harari cherche à inculquer une vision réductrice de l’Homme préhistorique, dont la nature profonde serait nécessairement violente (envers l’Homme et la nature), en dépit des innombrables faits qui pointent vers l’opposé.  

Une révolution cognitive erronée

La communauté scientifique se divise sur la question de la révolution cognitive. Plutôt que d’être apparue « d’un coup » et seulement chez Sapiens, elle aurait été graduelle et présente chez divers homo, y compris le Néandertal. [4]

La date fournie par Harari est erronée, et l’auteur simplifie à outrance la portée de cette évolution. Par exemple, il écrit que les hommes qui vivaient il y a 50 000 ans avaient les mêmes facultés que nous.

“Nous serions capables de leur expliquer tout ce que nous savons, des aventures d’Alice au pays des merveilles jusqu’à la mécanique quantique – et ils pourraient nous expliquer leur vision du monde” (page 23). 

En réalité, de telles rencontres ont déjà plus ou moins eu lieu, lorsque des anthropologues ont étudié des tribus de chasseurs-cueilleurs contemporaines vivant en isolation. Christopher Hallpike cite la tribu des Piraha (incapable de comprendre la notion de passé ou de futur) et des Taudue (qui ne savaient pas compter). En fait, Harari ignore superbement les connaissances de l’anthropologie basées sur les expériences interculturelles et les apports de la psychologie, qui nous enseignent que les capacités cognitives ne sont pas uniquement innées, mais s’acquièrent par l’expérience, pour appuyer son idée centrale de la toute-puissance de la révolution cognitive qui nous a permis de construire ces fameuses “fictions” au centre de son Histoire.

En évacuant la part de l’acquis dans la construction humaine, il oriente son discours de façon problématique, ne conservant que l’inné, qu’il nous a déjà faussement décrit comme violent et égoïste.

De l’agriculture à une antiquité fantasmée

Harari produit une explication séduisante des mécanismes ayant conduit à cette lente transformation essentiellement néfaste. On reste cependant sur notre faim en ce qui concerne les causes, qu’Harari réduit à un simple accident de l’Histoire. Pourquoi s’est-il produit partout dans le monde, graduellement, et après 60 000 ans de bonheur dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs ? Le fait que la découverte de l’agriculture et sa généralisation soient espacés de près de 6000 ans est un paradoxe au coeur du livre « Against the Grain » de James Scott, mais à peine mentionné par Harari. Sa thèse de l’acquisition progressive et accidentelle ne résiste pas aux données archéologiques qui montrent que nos ancètres ont, en réalité, alterné leurs modes de vie en fonction des conditions environementales, y compris sur un même lieu et au long d’une même génération. L’explication d’Harari est clairement réfutée par les données empiriques, bien que la cause de la généralisation de l’agriculture fasse encore débat. 

Une des premières conséquences de cette révolution serait l’apparition de structures étatiques, dont Harari justifie la nécessité de manière peu convaincante : 

“Le stress lié à l’agriculture (s’inquiéter de la météo, des sécheresses, des inondations, des bandits, de la famine et ainsi de suite) eut d’importantes conséquences. Ce fut la fondation des systèmes politiques à grande échelle. Malheureusement, les braves paysans ne tireraient pratiquement jamais les bénéfices qu’ils espéraient. Partout, des dirigeants et élites allaient se multiplier, vivant des surplus produits par les fermiers”.

Pour Christophe Hallpike toujours, cette vision réductrice des mécanismes produisant les systèmes politiques organisés et les États ignore superbement la recherche anthropologique conduite auprès des sociétés tribales contemporaines. Ce qui explique la structuration politique n’est pas une simple anxiété, mais une soumission (plus ou moins) volontaire à un pouvoir (religieux ou politique) du fait des bénéfices mutuels que cela entraîne (spirituels, économiques, sécuritaires). En d’autres termes, il doit y avoir une relation d’interdépendance. Pour l’anthropologue James Scott, c’est avant tout les conditions climatiques qui ont permis l’émergence des premiers États vers -4000 BC, bien que ces structures représentaient une anomalie et n’encadraient la vie que d’une fraction infime des humains. Leur stabilité dépendait de la capacité du pouvoir central à maintenir dans une semi-captivité les populations dépendantes de l’agriculture et de l’irrigation, pratique elle même rendue attractive par les conditions climatiques. Ce qui explique l’émergence des premiers empires dans des régions fluviales. Ces structures coercitives et autoritaires nécessitaient une part importante d’esclaves pour maintenir leur cohésion politique (au moins un cinquième de la population). On est loin des « fictions collectives » et plus proche des rapports sociaux de domination.

Harari avance ensuite rapidement vers les premiers empires de l’antiquité, dont il attribue l’émergence à l’invention des mathématiques et de l’écriture qui permettent de lever l’impôt, donc d’organiser le fonctionnement d’un État fort. Cette relation de causalité est malheureusement fausse, comme en témoignent les gigantesques empires africains de l’époque précoloniale, ou des rois régnaient sur d’immenses territoires peuplés de plusieurs millions d’individus sans recourir à l’écriture. [5]

Cette simplification outrancière permet à Harari de poursuivre sa narration sur l’effet des fictions, sans élargir son champ de recherche.  

L’auteur glorifie ainsi la notion d’empire, passant sous silence le fait que jusqu’au 16e siècle, la plupart des sociétés humaines ont vécu au dehors de l’État, et qu’au sein même des empires, le contrôle exercé par ces derniers sur les populations demeurait très limité, comme le détail l’anthropologue James C Scott dans “Contre le blé, contre l’État”. Pour ce professeur à Yale, les barbares étaient plus heureux que les populations “civilisées”. [6] Les Empires reposaient sur une abondance d’esclaves qui représentaient jusqu’à un tiers de la population (Rome, Grèce Antique). Aux courtes périodes de stabilité succédaient de nombreuses périodes d’effondrement, ce qui a longtemps fait de la notion d’Empire une exception à l’échelle de l’humanité, plutot que la règle.  

Harari déplore tout de même la hiérarchisation en caste qui sévit dans ces empires, et les rapports de domination qui en résultent. Il les attribue une fois de plus aux constructions fictives que sont les textes de loi, les religions et les mythologies propres à chaque culture. Suivant la logique d’Harari, ces hiérarchies seraient donc nécessairement différentes pour chaque civilisation. Or c’est faux : la division en classes sociales se retrouve dans toutes les civilisations, et selon un schéma pratiquement identique : pouvoir spirituel (clergé), pouvoir politique et militaire (noblesse), artisans et commerçants (la bourgeoisie) et finalement les travailleurs (prolétariat, serfs, esclaves). [7] Ce constat pointe vers l’existence de constantes sociologiques et économiques universelles, que Harari ignore, préférant asséner le fait que “l’Histoire n’est pas juste” et se manifeste ainsi par simple produit de notre biologie innée, placée sous la contrainte des fameuses “fictions” coercitives au rang desquelles on retrouvera les droits de l’Homme et la constitution américaine.    

Une révolution scientifique décrite en ignorant les faits

N’étant pas historien ni anthropologue nous-mêmes, nous ne pouvons relever que quelques-unes des plus grosses contre-vérités contenues dans la dernière partie de Sapiens, qui traite de la révolution scientifique et de ses conséquences.

Elle débuta en Europe de l’Ouest, une vaste péninsule à la pointe de l’ensemble afro-asiatique, qui n’avait jusque là joué aucun rôle historique”, affirme-t-il d’emblée, ignorant curieusement les apports de la Grèce antique, de l’Empire Romain et l’influence de l’Église Catholique sur le Moyen-Orient. 

Pour expliquer ses causes, l’auteur pointe certaines curiosités. La Chine a exploré l’Afrique avant les Européens, et avec des moyens logistiques considérablement plus importants, mais ne l’avait pas colonisée. Elle avait inventé la poudre à canon, mais se contenta d’un usage récréatif pour produire des feux d’artifice.

Comment expliquer que cette civilisation (et tant d’autres, indiennes, arabes, mayas… souvent plus avancées en matière d’astronomie et de mathématiques) n’a pas connu de révolution scientifique ? Harari propose une piste intéressante : ces civilisations étaient dominées par des religions qui offraient des réponses toutes faites aux grands questionnements. Ainsi :

La révolution scientifique n’est pas une révolution du savoir. Ce fut avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui lança la révolution scientifique fut la découverte que les humains ne connaissent pas les réponses aux plus importantes questions

Cette capacité à admettre “qu’on ne sait pas” expliquerait le progrès technique fulgurant de l’occident. 

Pourtant, c’est précisément parce que Christophe Colomb savait que la Terre était ronde qu’il entreprit son voyage vers les Indes. Cet évènement, qui marque le début de la révolution scientifique, résulte d’une telle certitude que Colomb appela les peuples indigènes rencontrés des “Indiens”. 

Inversement, Galilée avait bien été censuré par l’Église Catholique. Et pendant que l’Inquisition faisait rage en Europe, les sciences prospéraient sous une certaine forme en Orient (en particulier la médecine, les techniques agricoles, les mathématiques, l’astronomie et la philosophie). 

Encore une fois, l’explication fournie ne tient pas. Que manque-t-il au prisme de lecture d’Harari pour construire un discours cohérent ? Les deux erreurs suivantes vont nous fournir quelques indices. 

La Révolution française se serait produite du jour au lendemain

Pour notre auteur, la Révolution française s’expliquerait par la fragilité des “fictions collectives” :

« En 1789, la population française changea de croyance presque du jour au lendemain« .

Ah bon ? L’affaiblissement structurel de la noblesse, accéléré par Louis XIV, les écrits des lumières, les mauvaises récoltes et les émeutes paysannes de 1788, l’émergence d’une classe bourgeoise de plus en plus autonome… tout cela n’expliquerait pas ce basculement ? Plutôt que de se produire « du jour au lendemain », elle résulte d’un processus s’étalant sur plusieurs siècles, entretenu par la révolution britannique de 1651 et la déclaration d’indépendance des 13 colonies (1776). Loin d’avoir basculé en 1789, la « croyance » dans la monarchie a longtemps persisté, comme en témoigne les différents courants révolutionnaires (républicains, monarchistes) qui s’affrontent entre 1789 et la fuite de Varenne (1791), la révolte des chouans, puis le Premier Empire, la restauration de la monarchie (1814-1830) et le Second Empire (1852-1870). 

Dans la même veine, Harari nous explique l’abolition de la traite des noirs par simple prise de conscience idéologique. Parce qu’il ne cadre pas avec sa vision, ce sombre épisode du “credo capitaliste” est vite balayé comme une faute morale passagère, ignorant les conditions socio-économiques et politiques sous-jacentes. Or, comme n’importe quel spécialiste de ces questions vous le dira, ce sont bien ces conditions qui ont poussé à l’abolition de l’esclavage. [8] Les USA mirent fin au commerce triangulaire pour limiter la population d’esclave, par crainte d’une perte de contrôle de leur territoire suite à la révolte d’Haïti. De même, la France abolira puis restaurera l’esclavage avant de l’interdire définitivement au gré des contraintes politiques.

L’inévitable unification du monde et les bienfaits de la bombe atomique

Dernière erreur spectaculaire : les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki auraient été effectués pour « sauver des vies ». Même la personne qui autorisa ces bombardements, Harry Truman, écrit dans ses mémoires qu’il s’agissait de faire une démonstration de force pour intimider la Russie. Les livres d’histoire du Lycée et les pages Wikipédia contredisent Harari, comme les déclarations des officiels Américains de l’époque qui révèlent les véritables raisons de l’emploi de la bombe. Seul l’auteur de Sapiens semble ignorer ce secret de polichinelle, et reproduit la propagande américaine avec une naïveté stupéfiante. [9] 

Est-ce parce que Harari considère la bombe atomique comme un facteur de paix ? En bon historien, il devrait pourtant savoir qu’elle n’a pas empêché d’innombrables guerres ayant fait des millions de morts (Corée, Vietnam, Irak, Afghanistan…) ni que seul le hasard le plus complet a évité aux États-Unis de faire exploser leurs propres bombes H au-dessus de leurs propres villes à plusieurs reprises, suite à des incidents techniques. Harari doit également savoir qu’à plusieurs occasions, l’espèce humaine fut uniquement sauvée d’un holocauste nucléaire du fait d’un seul soldat (souvent soviétique) qui a refusé d’obéir aux procédures ou ordres directs, au risque d’être traduit en cour martiale. La crise des missiles de Cuba, l’exercice américain Abel Archer ou récemment le tir d’une fusée civile suédoise au large de la Russie ont failli provoquer la disparition de l’humanité, sauvée dans le premier cas par une décision courageuse d’un simple officier sous-marinier et dans les deux autres cas par le sang froid du Kremlin. La doctrine américaine stipule que les USA peuvent utiliser la bombe atomique en premier lieu, et refuse la logique de dissuasion au profit de celle de la frappe préventive. Difficile d’y voir un facteur de paix. Pourtant, sur ce sujet crucial, l’auteur de Sapiens démontre une fois de plus une stupéfiante ignorance. [10]

Reconnaître ces faits historiques impliquerait de revisiter la vision néolibérale d’Harari, qui défend la notion de fin de l’Histoire et l’inévitable globalisation du monde. Pourtant, depuis la parution de l’ouvrage, les démocraties tombent les unes après les autres dans l’illibéralisme, le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne et les États-Unis entament une nouvelle ère protectionniste en balayant une à une toutes les structures de gouvernance mondiale. 

Les louanges du credo capitaliste et du transhumanisme

Comment expliquer l’avènement du Capitalisme ? Par les fictions bien sûr ! Pour Harari, c’est une confiance dans la croissance économique future (reposant sur les avancées scientifiques) qui expliquerait le déblocage des crédits financiers ayant permis l’essor du colonialisme, puis du capitalisme, autoentretenue par la notion selon laquelle l’offre (de biens et de services) crée sa propre demande (le fameux postulat de Jean Baptiste Say, pourtant maintes fois réfuté par les principaux économistes néolibéraux nobélisés tels que Allais, Lancaster, Arrow, Nash). [11]

En admettant que cette « croyance » ait bel et bien existé, elle ne dit rien des conditions matérielles, sociales et politiques qui lui ont permis de produire des effets ni n’explique pourquoi le capitalisme a émergé en Grande-Bretagne plutôt qu’ailleurs. D’où vient cette spécificité géographique et temporelle ? Harari n’offre, encore une fois, aucune piste. Peut être simplement parce que cela remettrait en cause sa vision du monde en l’obligeant à se pencher sur des choses plus tangibles que la confiance dans la croissance, en étudiant par exemple le régime de propriété privée instauré au Royaume-Uni après 1651 (nous y reviendrons). 

Ignorant les apports de la recherche économique cités plus haut et les enseignements des crises économiques de 1929 et 2008, Harari reproduit l’idéologie libérale la plus primaire pour expliquer les réussites et échecs du capitalisme, sans jamais proposer la moindre critique structurelle. Nous sommes dans un régime capitaliste, car c’est une fiction religieuse qui correspond bien à la nature humaine profonde (égoïste et brutale) inscrite dans notre ADN, voilà tout.  

C’est en produisant une bouillie similaire qu’Harari nous permet d’entrevoir les enjeux de l’intelligence artificielle. Sapiens tombe dans les fantasmes les plus primaires, où des cerveaux téléchargés dans de superordinateurs côtoient des IA toutes-puissantes, au point de rendre les transhumains immortels. Les vrais enjeux du pouvoir de suggestion et de contrôle qu’exerceront des algorithmes nourris au big-data dans le but d’accélérer la privatisation du monde ( jusqu’à l’intime et la sphère privée) afin d’assouvir l’insatiable quête du profit qui sert de moteur au capitalisme ne seront pas traités. 

 

3) Une brève critique de la logique contradictoire de Sapiens

Avant d’apporter quelques réponses aux questions soulevées par Sapiens, nous devons nous arrêter sur la curieuse logique qui nourrit cet ouvrage.

Harari croit dur comme fer en la Science, au point d’en devenir comique : 

Des percées dans la neurobiologie nous permettront-elles d’expliquer le communisme et les Croisades en termes strictement biochimiques”. 

Mais si l’Histoire n’est que le produit de fictions collectives, si tout n’est qu’illusion, qu’en est-il des mathématiques ? Quid des nombres négatifs et imaginaires sur lesquels repose la technologie moderne ? En quoi la science n’est pas, elle aussi, une illusion ? Et si tel est le cas, son livre ne serait-il pas une fiction de plus, dénuée du moindre intérêt ?

Harari pourrait objecter qu’il faut séparer le réel intangible (une racine carrée ou une dérivée de fonction qui tend vers l’infini, par exemple) des croyances pures et non vérifiables (les esprits et les fantômes, la magie et les extraterrestres). 

Seulement, Harari refuse cette différenciation. Il confond des conventions sociales (le statut juridique de Peugeot, la fonction de Premier ministre, la monnaie) avec des symboles (inscrit sur le totem d’une tribu de chasseurs-cueilleurs) et des croyances mystiques.  Page 31, il écrit :

Les gens comprennent facilement que les “primitifs” cimentent leur société en croyant à des fantômes et des esprits, et en se rassemblant les soirs de pleine lune pour danser ensemble autour du feu. Mais ce qu’on a du mal à réaliser c’est que nos institutions modernes fonctionnent sur le même principe. Par exemple, dans le monde de l’entreprise, les commerciaux et avocats sont de puissants sorciers”. 

Pourtant, les “primitifs” ne se sont probablement pas assis autour du feu pour décider de croire dans certains esprits par convention, alors que le code du commerce est le fruit d’une délibération collective (et d’un rapport de force social). 

À l’échelle individuelle (la seule qui semble compter pour Harari, conformément à l’idéologie libérale qu’il défend bec et ongles dans son dernier ouvrage), nous ne serions que le produit de notre biologie, de notre génome. Mais quel mécanisme nous fait penser, active nos synapses ? Comment nous racontons-nous ces fameuses fictions collectives, si tout n’est que matière et phénomènes physiques, produits par notre seule biochimie ? 

4) Une brève réponse aux erreurs et contradictions d’Harari 

Harari nie en bloc deux choses qui pourraient lui fournir d’autres clés de compréhension. La première est la notion de transcendance et d’universalisme. Nous ne traiterons pas de ces questions métaphysiques ici, par manque de compétences sur le sujet. Mais notons qu’Harari semble révulsé par toutes ces notions, là encore de manière contradictoire puisqu’il reconnaît être un adepte de la médiation Vipassana et livre une présentation intéressante et très détaillée (bien qu’incomplète) du bouddhisme.  

La seconde est la sociologie et le matérialisme historique hérité du marxisme. Ici, l’opposition idéologique viscérale qui semble animer Harari se retrouve de manière bien plus claire tout au long de ses écrits. Dommage pour un homme revendiquant une approche scientifique et objective, mais passons.

De la préhistoire à l’agriculture, par le matérialisme 

Par manque de données historiques, nous ne pouvons que supputer des théories, bien que les indices fournis par les tribus contemporaines de chasseurs-cueilleurs, l’anthropologie, la neurobiologie et la psychologie laissent penser que :

  • L’Homme est naturellement coopératif et altruiste, ce sont les conditions sociales et économiques particulières qui peuvent le pousser à devenir égoïste et violent. [12]
  • L’acquis, produit par les conditions sociologiques, joue un rôle non négligeable, voire parfois supérieur à l’inné, dans les comportements et capacités. Par exemple, il fut impossible aux anthropologues d’apprendre les mathématiques à nos contemporains adultes de la tribu des Piraha, mais leurs enfants le pouvaient tout à fait.

On peut donc estimer qu’au-delà des mécanismes décrits par Harari, les conditions socio-économiques (y compris climatiques) expliquent elles aussi le changement de comportement de l’Homme qui a commencé à pratiquer l’agriculture, avant de s’y soumettre totalement. C’est exactement la thèse défendue par James Scott dans son ouvrage « Against the Grain ». Elle a le mérite de lever le paradoxe qui veut que l’agriculture ait été découverte vers -10 000 BC mais adoptée comme principale mode de vie qu’à partir de -4000 BC et dans des régions et unités politiques spécifiques (Mésopotamie, par exemple). 

La révolution technologique comme produit de la lutte des classes ?

Harari pointe du doigt un paradoxe : les autres civilisations humaines avaient un niveau de connaissance comparable ou supérieur à l’occident, et pourtant, c’est en Europe qu’a eu lieu la révolution scientifique. Il évoque même le rôle des religions dans la censure du progrès technique, sans parvenir à nommer  l’essentiel : la lutte des classes. 

Comme nous l’avons évoqué, toutes les anciennes civilisations se divisent en trois ou quatre classes, avec au sommet de la hiérarchie un pouvoir spirituel encadrant le pouvoir politique. En Europe, ce pouvoir s’est trouvé  structurellement affaibli, car peu centralisé. Différents royaumes se disputaient le continent. L’émergence du protestantisme et la conversion d’Henri VIII contribuent à la remise en cause de l’autorité papale. 

Le schisme de l’Église et la perte d’influence du clergé au profit de la noblesse, conséquence d’un processus de lutte des classes, expliquent que le pouvoir spirituel se soit affaissé, permettant une plus grande liberté et autonomie des royaumes, mais également des  universités, de la recherche scientifique et des entreprises marchandes.

En orient, l’autorité spirituelle exerça plus longtemps son pouvoir sur la société, limitant d’autant sa volonté de rompre avec ses dogmes. Dans son livre « Le Premier âge du capitalisme 1415-1763« , le sociologue Alain Bihr se pose la question suivante : pourquoi le capitalisme n’a pas émergé en Chine ? L’universitaire identifie trois causes principales : l’absence d’un régime de propriété privé (le capital et la terre appartient à l’Empereur), le Confucianisme (pouvoir spirituel) qui s’oppose au commerce et à la liberté d’entreprendre, et la politique effective du régime impérial qui interdit et combat pro-activement toute accumulation de richesse. En clair, il faut chercher la réponse du côté des rapports sociaux, et non pas dans les sciences. [12-bis]  

En niant les dynamiques sociologiques, Harari se trouve contraint de produire une réponse fausse : l’homme occidental ne s’est pas subitement dit “qu’il ne savait pas”. Christophe Collomb savait trop bien où il allait. 

Le capitalisme, bien plus qu’une fiction religieuse

Avec ses dogmes (la croissance, la concurrence), ses prêtres (les banquiers centraux, économistes) et ses temples (la bourse ?), le capitalisme pourrait être vu comme une forme de religion. Mais il est avant tout un rapport social asymétrique entre une classe possédant des capitaux, et une autre qui n’a de richesse que son temps libre (son travail). Pour qu’il y ait « capitalisme », il faut donc une accumulation de capitaux, et une masse de travailleurs permettant de les valoriser. 

La monnaie, la finance et le marché existaient avant le capitalisme. Par contre, les rapports sociaux et le régime de production étaient régis par un autre système, dit « féodal ». 

Sous ce régime, les fermiers exploitaient les terres appartenant à la noblesse contre un impôt prélevé sur leurs excédants de production. De plus, de nombreuses ressources (eau, forêts, gibier) étaient gérées sous le mode des communs, et leur accès majoritairement gratuit. Ce système d’agriculture vivrière n’encourageait pas la spécialisation ni la surproduction, et limitait de facto la capacité d’accumulation du capital. [13] Les abus des propriétaires terriens débouchaient souvent sur des révoltes paysanes

Les rapports entre noblesse et fermiers variaient selon les pays (du servage brutal en Europe de l’Est jusqu’à la quasi-autonomie en France), mais reposaient sur un principe comparable.

C’est en Grande-Bretagne et à partir du 17e siècle que ce rapport va basculer. Un système de privatisation de la terre est progressivement mis en place par les Lords anglais. Sous ce régime, le paysan paye un droit d’exploitation fixe à l’année, et peut conserver la totalité de ses excédants de production. L’incitation à produire plus et à se spécialiser dans la monoculture va provoquer une hausse spectaculaire de la productivité, tout en accouchant d’un marché des parcelles agricoles. Les terrains les plus productifs sont loués plus cher, et ce mécanisme de marché va contraindre de manière particulièrement efficace les fermiers à produire davantage, quitte à employer des paysans sans terre en renfort. Les gains de production vont permettre d’enrichir les « Lords » et engendrer une explosion démographique qui va grossir les rangs de la future classe ouvrière. [14]

Cette transition ne s’est pas faite sans heurt. Face à la résistance du monde paysan, la monarchie constitutionnelle anglaise met en place des lois interdisant le braconnage, la pêche, la cueillette et la chasse, avant de privatiser les communs. En 1744, le Vagrancy act criminalise le fait de “refuser de travailler pour les salaires d’usage”. [15]

Bien que les autres nations européennes emboîtent progressivement le pas à l’Angleterre, cette dernière conservera longtemps un avantage certain. A la fin du 17e siècle, elle produit dix fois plus de charbon que la France, et moins d’un Britannique sur deux travaille dans l’agriculture (contre 8 sur dix en France). [16]

Le renversement effectif de la noblesse par la classe bourgeoise entérine ce basculement. En France, via la révolution de 1789, en Angleterre de façon plus progressive après la révolution de 1651. Avec la fin des privilèges, la valeur économique ne sera plus déterminée par ce qui profite à la noblesse, mais par ce qui valorise le capital. 

Pour la classe capitaliste, maintenir un taux de profit qui compense la dépréciation naturelle du capital va devenir un impératif. Et ce maintien ne peut se faire que par deux procédés : l’augmentation de la part de valeur ajoutée allouée à la rémunération du Capital (par la hausse de productivité inhérente au progrès technique, combinée à un rapport de forces permettant de comprimer les salaires) et par l’ouverture de nouveaux marchés, c’est-à-dire la privatisation de ce qui était gratuit. 

Ainsi, la destruction de la nature et la privatisation de choses aussi intimes que notre attention et notre libre arbitre (via le big-data et les algorithmes) ne sont que des conséquences logiques du capitalisme qui permet d’expliquer les phénomènes que déplore Harari (élevage intensif, destruction des écosystèmes, invasion de la sphère privée par l’intelligence artificielle chargée de nous suggérer des produits collants à nos désirs, quête de l’immortalité) sans tout ramener aux “fictions collectives” et à notre “ADN d’homme des cavernes”. 

Conclusion

Sapiens a le mérite d’inviter le lecteur à la réflexion. Mais il souffre de nombreuses erreurs factuelles et historiques, et repose sur une logique contradictoire qui ne peut s’expliquer que par le biais idéologique de l’auteur. Harari refuse de considérer les conditions sociales et l’approche matérialiste, préférant se réfugier dans ce qu’il nomme les fictions et une foi absolue dans la biologie, au point d’ignorer les découvertes anthropologiques et psychologiques récentes. Sa conception de la révolution cognitive est réfutée par de nombreux spécialistes, comme celle de la révolution scientifique, qui ne résiste pas à un examen basique des faits empiriques. Son discours est jalonné d’assertions invraisemblables et d’erreurs factuelles qui nuisent à la crédibilité de l’ensemble.

On aboutit ainsi à un étonnant paradoxe : tout en se revendiquant d’une approche purement scientifique, Harari fait preuve d’un dogmatisme si manifeste qu’il en devient comique. 

Le résultat est une bouillie incohérente, mais divertissante, qui reflète bien les dérives intellectuelles de notre époque.  

  ***

Notes et références :

Les citations proviennent généralement de la version anglaise du livre, traduites par mes soins.

Plusieurs articles ont inspiré cette critique, en particulier :

Cette critique publiée dans Le Monde diplomatique

Cette réponse de Christopher Hallpike à Harari

Cet article du quotidien israélien Haaretz, qui dénonce le biais idéologique d’Harari.

Cette réfutation d’Harari, par Angustin Fuentes:  « Get the Science right« . 

Notons également que produire une critique exhaustive du livre d’Harari est un travail quasi insurmontable pour plusieurs raisons. Le livre lui-même défend de nombreux points de vue contradictoires (ou évoque différentes thèses), il regorge de centaines d’assertions outrageuses ou questionnables qui nécessiteraient des milliers de pages de réfutation, et traite d’innombrables domaines de compétences et périodes historiques qui demanderaient de mobiliser les spécialistes pour être examinés.

Sources :

  1. Lire entre autres : Why we cooperate, Michael Tomasello, 2009 et L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, 2017, ainsi que « Compassion, our first instinct« , par la professeur Emma Sepapala (directrice de recherche à Standford, professeur à Yale)
  2. Lire Wired « Human nature is not so war like after all” et Le Monde diplomatique : “Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre » ainsi que cette étude publiée dans le journal Science.
  3. Lire la critique de Sapiens par l’anthropologue Christopher Hallpike.
  4. https://en.wikipedia.org/wiki/Cognitive_revolution et cet article de l’anthropologue Augustin Fuentes parurent dans Psychology Today, qui ridiculisent Harari.
  5. Idem 3.
  6. https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/160119/contre-le-ble-contre-l-etat?onglet=full
  7. Christophe Hallpike, cf 3.
  8. Edward E. Baptist, The half has never been told, slavery and the making of American capitalism, Basic Books, 2016.
  9. Lire le monde diplomatique, les véritables raisons de la destruction d’Hiroshima et https://www.jacobinmag.com/2015/08/hiroshima-nagasaki-atomic-bomb-guide-unnecessary
  10. Lire notre article sur le risque nucléaire, cet article du Guardian, où encore ces débats ici et sur les bénéfices supposés de l’arme nucléaire. La doctrine américaine a encore été confirmée lors du dernier débat présidentiel (résumé de l’échange ici).
  11. Lire cet argumentaire ici, ainsi que cet article du Monde diplomatique
  12. Idem 1.
  13. Le Monde diplomatique : pourquoi le capitalisme n’est-il pas né en Chine: https://www.monde-diplomatique.fr/2019/11/BIHR/60915
  14. Lire « The socialist manifesto, Baskhar Sunkara » et Romaric Godin « Le capitalisme comme construction historique« , Médiapart.
  15. Lire Ellen Meiksins Wood, The origin of capitalism A longer view (London, 2003).
  16. Idem

8 réactions au sujet de « Critique : Sapiens, de Harari ; une fausse histoire de l’humanité »

  1. « Malheureusement, les braves paysans ne tireraient pratiquement jamais les bénéfices qu’ils espéraient »
    Quand un type qui prétend être scientifique et historien utilise un mot comme « brave », ça ne sent pas bon. Pareil s’il avait employé les mots « vil » « méchant » « gentil ».
    Les arguments avancés doivent être suffisamment convaincants pour convaincre le lecteur que le paysan est « brave ». Si ce n’est pas le cas, c’est que le texte est mal argumenté. Et si c’est le cas et que l’auteur ajoute quand même le mot « brave », c’est qu’il me prend pour un imbécile.

    Encore un ouvrage soit disant historique qui s’avère être un roman raté. A mettre à la poubelle (déchets recyclables).

    PS: au vu des erreurs que vous mentionnez, j’ai vu des devoirs de lycéen mieux construits.

  2. bonjour
    au détour de cette remarquable note de lecture (merci) je découvre les crises atomiques que vous citez et dont j’ignorais tout (notamment les réactions individuelles ayant bloqué les ordre de tir, ou les bêtises états uniennes au dessus de leur villes)
    Pourriez vous expliciter un peu
    MERCI

  3. Son analyse critique, sociale, voire de gauche, est solide.

    Comment peut-on inférer du gène Périclès, Louis IX, Napoléon ou Poutine ?

    Sur la guerre et son apparition, j’ai cherché ce que pouvait en dire la biologie (entités portant l’agressivité). Néant. Elle ne peut rien en dire sur l’Histoire.

    Un bon historien raconte sans expliquer.
    Il narre des événements, ne juge pas et laisse le lecteur trouver sens à ce qu’il lit.

    Il laisse à d’autres la tâche, impossible, à trouver le fil conducteur, la trame, le registre indépassable, la clé ou la volonté (divine ou matérielle) de la nature, de l’enchaînement et de la fin (voire finalité) des événements.

    Deux modèles paradigmatiques: Hérodote et Thucydide, en moult variantes.

    Jacques Légaré, né 1948
    Maître en Histoire et ph.d. en Philosophie.

  4. Bravo pour votre analyse percutante et précise: ma fille m’avait mis en garde et je dois avouer qu’à le lecture, j’ai été d’abord perplexe, puis dubitatif, puis franchement outré !… Ce qui m’a amené à activer le lien vers votre site, et de nombreux autres que vous suggérez. Tant qu’il restera des investigateurs soucieux de sources et de références fiables, nous pourrons peut-être repousser l’apocalypse à « Deux Heures moins le quart avant Jésus-Christ « , sans Jean Yanne, malheureusement…

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