L’art de la guerre – l’enjeu de la loi travail

L’art de la guerre – l’enjeu de la loi travail

À en juger par l’énergie déployée par le gouvernement et le pouvoir médiatique, le bras de fer pour imposer les ordonnances de la loi travail serait la mère de toutes les batailles. La contestation sociale aurait-elle une chance de faire plier Emmanuel Macron ? Oui, à condition de jouer sa partition à la perfection et de relire un traité de philosophie chinoise vieux de 2700 ans… l’art de la guerre.

1)  Connaître son adversaire 

Emmanuel Macron incarne un système politique clair et cohérent. Les ordonnances de la loi travail doivent permettre d’abolir le CDI, de baisser les salaires et de précariser l’emploi pour, en conjonction avec les réformes à venir sur l’assurance chômage et les retraites, imposer une transformation profonde de la société française. Ce projet s’inspire du modèle allemand, dépeint par les syndicats d’outre-Rhin comme un « enfer » qui a conduit à la baisse de la productivité et la création d’une classe de travailleurs pauvres comptant 12 millions de citoyens, dont 4,5 millions vivent avec moins de 450 euros par mois.

Pour imposer cette aberration économique aux Français, Emmanuel Macron déploie une stratégie remarquable. Le recours aux ordonnances en plein mois de juillet permet de réduire au minimum le débat parlementaire et le dépôt d’amendements. Pour minimiser la contestation, la loi est élaborée dans le plus grand secret. Une première fuite dans la presse le 5 juin donnait un avant-goût du contenu, mais le texte final ne fut dévoilé que le 31 août, en plein retour de vacances et préparation de rentrée scolaire. La plupart des étudiants ne reprennent les cours que le 25 septembre, après la présentation de la loi au conseil des ministres. Macron bénéficie de l’initiative et choisit son terrain. Il agit vite, avec détermination et toutes les forces dont il dispose.

“Ne laissez jamais vos adversaires s’unir”

Après avoir dynamité les partis politiques libéraux historiques (LR et PS), il s’applique à semer la discorde dans la gauche contestataire. En invitant les syndicats CFDT et FO à la table de consultation, il provoque la division des partenaires sociaux. Les médias ont ensuite repris à leur compte ses déclarations qui mettaient dos à dos les deux opposants encore debout, la CGT et LFI, fabriquant de toute pièce une opposition fictive entre la France Insoumise de Mélenchon et la CGT de Martinez.

Quant aux insultes proférées depuis l’étranger, elles poursuivent un but précis : diviser l’opinion publique. D’un côté les feignants et extrémistes qui vont manifester et faire grève, de l’autre les braves gens qui sont prêts à se sacrifier pour réformer le pays.

Voici le blitzkrieg promis par François Fillon ; il se déroule là, sous vos yeux. Non seulement l’opposition est prise de vitesse, mais elle est divisée. La France Insoumise au niveau politique et la CGT au niveau syndical apparaissent bien seules pour faire front face à la destruction du modèle social français. Car Emmanuel Macron l’a expliqué à longueur d’interview, il s’agit de transformer de fond en comble la sécurité sociale, l’assurance maladie et les retraites. La loi travail doit ouvrir une brèche à la destruction du système français.

Sans le soutien majoritaire de l’appareil médiatique, dont toute personne pourra vérifier l’état de fait en écoutant les prises de paroles des journalistes interrogeant les représentants des forces contestataires, cette stratégie se heurterait au mur de la réalité.

2) Jouer sur les faiblesses de l’adversaire

Emmanuel Macron a un défaut, sa déconnexion de la réalité. Il apparaît comme une véritable caricature de la classe sociale qu’il incarne, croisement du monde des affaires et des hauts fonctionnaires. Malgré lui sans doute, il ne peut s’empêcher d’afficher un réel mépris de classe, que cela soit à travers ses discours ou dans ses propos improvisés au contact des Français.

Évoluant dans une bulle, il applique son programme sans se soucier de son impact, expliquant à des cheminots avec le sourire et à grand coup d’une novlangue qu’il maitrise parfaitement qu’il s’apprête à leur supprimer leurs acquis sociaux. Le TGV Macron semble inarrêtable.

Pourtant, ses excès de confiance et ses dérapages non contrôlés peuvent mobiliser le peuple contre son projet. Mais comme l’expliquait le politologue Thomas Guénolé, les manifestations ne suffiront pas pour faire reculer le gouvernement. Seul le blocage de l’économie le pourra. Pour faire plier un banquier, attaquez son portefeuille.

3) Rassembler ses forces

Le potentiel de révolte est là. Les ultras riches, l’oligarchie et les journalistes qui composent la classe dirigeante l’ont bien compris. Les forains répondent à l’appel de leur « roi » Marcel Campion. Les routiers se mettent en mouvement, les cheminots menacent de faire de même. Le potentiel de blocage de l’économie française est réel et la colère bien présente.

Face à ce risque, les journalistes se démènent pour que les forces ne s’additionnent pas. Sur France Inter, Piketty (soutient de Hamon aux présidentielles) et Besancenot (LCR) se retrouvent, probablement malgré eux, à dire tout le mal qu’ils pensent de Jean Luc Mélenchon. Le secrétaire général de FO méprise la CGT et ses propres troupes contestataires. Les forains ne manifesteraient pas contre la loi travail (dixit Le Monde), mais par pur égoïsme. Les routiers pourraient faire grève, mais seulement pour protéger leur bifteck (BFMTV). Le front national dénonce la réforme, mais surtout la « récupération politique » de la France Insoumise. Le PS, au service de l’oligarchie, approuve les manifestations, mais n’appelle pas à manifester et critique les Insoumis. Depuis que Hamon a annoncé descendre dans la rue, l’ensemble de la presse cherche à le monter contre Mélenchon.

Ce dernier est constamment pointé du doigt, traité d’ogre et de vampire par Christophe Barbier qui l’accuse de se nourrir du sang des syndicalistes.

À la mesure de la violence et de la détermination de la classe politico médiatique dominante, on comprend toute l’importance de l’enjeu.

4)  Conservez le but à l’esprit

On l’aura compris, la réforme du travail ne permettra pas de créer des emplois. Mais en cas de victoire politique, elle ouvre une brèche pour toutes les autres réformes mentionnées par Emmanuel Macron. La baisse du SMIC, la réforme de l’assurance chômage, la privatisation du système des retraites et surtout, de l’assurance santé. En clair, la fin de la sécurité sociale et du fameux « modèle français ».

À l’inverse, si Emmanuel Macron échoue à imposer sa cure libérale, le « système » perd pied, pour une raison simple, le pays sera officiellement « non réformable ». Le discours qu’on entend depuis trente ans, la volonté de réforme perpétuelle, toute cette rhétorique s’effondrera devant le mur de la réalité. Si Macron échoue, ce projet politique sera décrédibilisé et seules les alternatives écologistes, sociales et solidaires de partage des richesses demeureront audibles.

L’enjeu dépasse donc largement le Code du travail, il s’agit d’un choix de société. Est-ce que l’on cède aux puissances de l’argent sur tous les sujets, des perturbateurs endocriniens aux pesticides, des saumons transgéniques bientôt imposés par le CETA à la lutte contre le réchauffement climatique qui passera toujours après les intérêts financiers ? Ou bien décidons-nous de changer de modèle, de substituer aux fermes de 1000 vaches une agriculture biologique et locale.

Cet enjeu, la classe des ultras riches l’a bien intégré. Voilà pourquoi les ordonnances, qui signent déjà la fin du CDI et des 35 heures, sont défendues becs et ongles par nos éditorialistes et journalistes de plateaux audiovisuels. Les milliardaires qui les emploient tremblent, car la contestation peut mettre un coup d’arrêt à leurs projets d’accumulation infinie de richesses.

Ainsi, la victoire face au président de la République devrait apparaître comme un impératif. Elle peut prendre la forme d’un recul partiel, d’un large retrait, voire de la chute pure et simple du gouvernement, via des élections législatives anticipées. Mais il faut être clair sur la portée du combat, car in fine c’est rien de moins que la survie de la planète dont il est question.

5)  Établir une stratégie et mettre ses forces en mouvement.

Pour l’emporter, la contestation sociale doit parvenir à mettre en place une séquence de mobilisation qui débouchera sur le blocage économique du pays. Les syndicats le savent, le gouvernement le sait.

À ce titre, la mobilisation du 12 septembre est particulièrement encourageante. Malgré la date défavorable, malgré la désunion des syndicats (FO, CFDT et CGE-CFC n’ont pas appelés à la mobilisation), les organisateurs ont réussi à mobiliser autant de personnes que lors de la première manifestation contre la loi El-Khomri, du propre aveu du ministère de l’Intérieur.

Ce signe positif va donner espoir aux syndicats pour démarrer des grèves et mobiliser davantage le 21 septembre (et le 23). D’autant plus que les manifestations se sont passées sans violence policière notable. La journée du 21 sera particulièrement déterminante pour la suite, elle permettra de juger de la dynamique et potentiellement du futur vainqueur. 

La mobilisation est un phénomène qui s’auto entretient, plus le soutien populaire grandit, plus les grévistes se sentent légitimes dans leurs opérations de blocage. Si la mayonnaise prend, le blocage total du pays est envisageable. Le gouvernement sera alors contraint de céder devant l’impact économique, lui qui est obsédé par le déficit budgétaire. C’est là tout l’enjeu de la contestation, et la raison qui légitime les manifestations.

L’ennemi ne recule devant rien et ses arguments sont bien rodés. Les grévistes qui sacrifient des jours de paye dans un élan de solidarité admirable seront repeints en preneurs d’otages (Ingrid Bettancourt appréciera). La contestation sera jugée illégitime, oubliant qu’Emmanuel Macron a été élu contre le FN et dans une caricature d’élection où seuls 11 % des Français ont soutenu le projet Macron au premier tour. Un projet qui ne contenait ni la fin du CDI, ni la fin des 35 heures, ni la baisse généralisée des salaires.

 

Conclusion

Dans cette bataille, la solidarité sera la clé. Convergence des luttes, union des revendications, solidarité entre citoyens.

La classe des riches est unie, elle. Journalistes d’opinion, éditorialistes et soi-disant experts des plateaux, tous font bloc derrière le gouvernement. Plus la contestation montera, plus leur détermination grandira en proportion, ainsi que leur mauvaise foi. Elle repeint déjà l’opposition de la France Insoumise en une tentative de coup d’État.

Le gouvernement accédera peut-être aux demandes des forains, maintiendra un régime d’exception pour les transporteurs routiers, lâchera du lest face aux cheminots. Tous les moyens seront bons. Macron ira jusqu’au bout de sa logique extrémiste : à nous de faire en sorte qu’elle l’entraine à sa propre perte.

Dans cette lutte qui s’engage, le vainqueur sera celui qui restera debout à la fin. Soit l’écologie et le partage des richesses. Soit le libéralisme, la destruction de la planète et l’explosion des inégalités. Il n’y aura pas de demi-mesure ou de compromis. Choisissez votre camp et engagez-vous dès maintenant.

Manifestation du G20 à Hambourg. Photo: Lundi AM.

 

 

Sources:

Vous pouvez retrouver toutes les sources des chiffres et affirmations dans nos trois articles précédents.

En particulier, sur le contenu et l’inefficacité de la loi travail, lisez « de l’absurdité de la loi travail » (sources en bas de page).

Sur les effets de la loi travail, le projet d’Emmanuel Macron, sa défense des intérêts de classe et les réformes à venir, ainsi que pour retrouver les sources de la critique de la politique écologique, se référer à notre article « Le système Macron – les connexions se font« 

A propos des 11% d’électeurs, ce chiffre est obtenu en multipliant son score au premier tour (24%) par la participation (80%) et le nombre de sondés ayant répondu aux Echos avoir voté « par vote utile » (55%). Vous pouvez retrouver notre analyse de la légitimité du gouvernement en première partie de cet article « et maintenant« 

 


6 réactions au sujet de « L’art de la guerre – l’enjeu de la loi travail »

  1. Un bonheur de lire vos chroniques que je partage sans modération.
    La journée du 21 a connu une participation plus faible que le 12. Mais ce n’est pas grave car l’intérêt est d’occuper la place et l’agenda. La manifestation du 23 à Bastille sera probablement importante. Les retraités aussi suivront le 28 et j’espère que la grève de la fonction publique le 10 octobre sera importante. Après, il ne faudrait pas trop tarder pour engager le blocage du pays car les 4 mois de manifs et de jours de grève contre la loi El Khomri pour ne rien obtenir ont laissé des traces. Les drapeaux et les banderoles dans la rue ne feront reculer personne.

    1. Merci !

      Oui dans un premier temps j’étais décu du niveau de mobilisation, je m’attendais à un doublement du nombre de personnes. Mais selon la CGT le mouvement prend de l’ampleur, en se basant sur le nombre de préavis de grève, le nombre de centrales syndicales mobilisées etc. Dans les manifestations le « joyeux bordel » rend la répression policière impossible, le black bloc semblant se confondre avec le cortège de tête plutot que de faire « bloc ».

      Tout cela constitue des bons signaux pour la suite.

  2. Merci encore pour cet excellent déroulé !
    Je ne peux m’empêcher d’y apporter mon écot.

    Macron joue sur deux tableaux. D’abord, comme vous l’avez précisé, il y a les gentils raisonnables qui admettent le besoin de réforme, contre les « fainéants extrémistes » qui la refusent par principe.

    Mais en même temps, il provoque directement Mélenchon parce qu’il a « le sang chaud » et la métaphore assassine, parfois borderline ou incompris. Il veut le pousser à la faute – bien aidé en cela par les médias, comme vous l’avez souligné.
    Or, ce dernier l’interprète comme un besoin de joute personnelle, établissant même des parallèles entre leurs deux personnalités. Erreur d’analyse. Monsieur Macron est au-dessus de tous, il n’a d’ennemi que sa propre infatuation sans limite : il est (presque) le seul à ne pas avoir compris à quel point il n’est qu’une marionnette, sélectionnée lors d’un dîner de C. – nards orchestré par l’Oligarchie. Il a en effet une bonne tête de gagnant : il ne reculera jamais ! C’est pourquoi il est dangereux.

    J’ai en tête le lien inquiétant à faire avec la Loi sécurité (passée d’autant plus facilement qu’au cœur d’un nouvel attentat…), assortie des moyens coercitifs prévus en cas de « débordements » dans la rue.
    Macron a anticipé, comme vous l’avez rappelé il y a peu, en renouvelant et intensifiant le stock de matériel, pour une somme totalement disproportionnée en regard des économies qu’il prône. Or, ce n’est pas approprié pour lutter contre le terrorisme, en l’occurrence… Il espère bien avoir à s’en servir pour la « bonne Cause », et surtout pour l’exemple. N’oublions pas que c’est un homme qui manage par la terreur, et il est vrai qu’il n’a que ce choix pour tenter d’endiguer le flot de contestation inévitable, malgré ses soi-disant précautions (les « fuites » dans la presse, ses « dérapages » plus ou moins contrôlés où il insulte systématiquement les Français, de plus, à l’étranger, fomentent la haine en plus de ses mesures iniques. Ce n’est pas un hasard.)

    Enfin, toujours à la solde du gouvernement, ces derniers temps les médias s’efforcent d’opposer Ruffin à Mélenchon, ayant entrepris de simuler prématurément, pour l’impulser plus tard une « guerre des chefs ». Combien de temps faudra-t-il attendre pour en mesurer les effets ?…

    Une bonne nouvelle cependant : un véritable Front Social est enfin en mouvement, à l’initiative de syndicats, qui a pris la mesure de l’urgence et de la nécessité de faire converger les luttes, et ce, pour bloquer le pays par des grèves généralisées, comme vous le préconisez. Il n’y a réellement pas de chef. Même les associations se regroupent, et se rattachent au mouvement : ça bouge dans le bon sens ! C’est heureux, car je sens la FI isolée en perte de vitesse, pour les raisons précitées, avec de plus ses propositions de « casserolades » totalement décalées qui n’ont (évidemment) pas fait d’émules, les Insoumis étant par nature, justement, des insoumis !

    1. Bonjour !

      Oui, en effet, la stratégie de communication de Mélenchon et de LFI en général semble montrer ses limites. Les polémiques dans lesquelles ils s’enfoncent ou se font enfoncer par les médias les desservent (semble-t-il). Au moins, les querelles que semblent vouloir créer certains médias semble apparaitre pour ce qu’elle sont, des constructions médiatiques. Le fait le plus marquant à mon sens tient dans la nature de la critique, qui se situe toujours dans la forme et la polémique et jamais dans le fond ou le « politique ».

      Il est important que d’autres organisations relaient la la lutte, et la nouvelle de la formation d’un front social, bien que tardive, est un progrès important. L’union fait la force comme on dit, ce qui explique les tentatives incessantes de division.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *