Dernière ligne droite pour les midterms : pronostics et analyses
Plus que 4 jours avant les midterms américaines, potentiellement le scrutin le plus important de l’histoire du pays. À l’échelle nationale, les démocrates partent favoris. Mais la structure des institutions américaines donne aux républicains des raisons d’espérer réaliser un holdup électoral qui viendrait confirmer Donald Trump dans sa stratégie et renforcer son emprise sur le système politique américain.
Le milliardaire nous livre un avant-gout de ce que sera la campagne présidentielle de 2020. Instrumentalisation de la peur de l’immigré, propositions démagogiques, violences politiques et outrances sur fond d’un formidable déploiement d’énergie : le président effectuera jusqu’à trois meetings par jour au cours de la dernière semaine, à travers les principaux États clés. Alors que l’Amérique retient son souffle, voici un dernier aperçu des rapports de force.
Les démocrates favoris à l’échelle nationale
Comme nous l’avons expliqué en détail dans un article précédent, les midterms (élections de mi-mandat) constituent un ensemble de scrutins locaux et nationaux. Prévoir les résultats en s’appuyant sur les sondages tient du casse-tête, ce qui explique l’existence de sites internet et médias spécialisés dans ces analyses., et d’une incertitude importante sur l’issue.
Au niveau national, le parti démocrate fait figure de grand favori. Les sondages agrégés et pondérés par les analystes donnent un écart moyen de 8 %, à comparer à la victoire d’Obama par 5 points en 2008, déjà qualifiés à l’époque de « raz-de-marée ».
Donald Trump bénéficie de 41 % d’opinion favorable, ce qui est à la fois beaucoup et très peu. Pour certains, cela reste un score incroyablement élevé compte tenu des multiples affaires, du style présidentiel et de ses nombreuses outrances, maladresses et contradictions du personnage. Mais pour un président à mi-mandat bénéficiant d’une économie florissante, d’un taux de chômage historiquement bas et ayant réussi à faire passer ses principales réformes (baisse des impôts sur les riches, suppression partielle de l’assurance maladie publique, mise en place d’un protectionnisme économique, renégociation des traités de libre-échange, validation d’une interdiction d’entrée sur le territoire ciblé sur des pays musulmans et confirmation à la Cour Suprême de deux juges ultraconservateurs), c’est une cote de popularité particulièrement basse. Au même moment dans son mandat, Obama disposait d’un niveau de soutien équivalent malgré un taux de chômage record (9,5 %).
Une opinion publique majoritairement défavorable et un écart de 8 points dans les sondages devraient nécessairement provoquer une vague démocrate aux midterms. D’autant plus que ces derniers ont réussi à collecter bien plus de financements que le parti républicain, signe que le pays dans son ensemble (y compris une partie des riches donateurs) souhaite la victoire de l’opposition. Mais les démocrates partent avec de sévères handicaps structurels.
Le Sénat devrait rester sous contrôle républicain
Pour le Sénat (un tiers des sièges en jeu), le Parti démocrate doit défendre 24 sièges, dont un nombre important dans des États ayant plébiscité Donald Trump en 2016, tandis que les républicains n’ont que 8 sièges à défendre, dont seulement trois réellement disputés (les autres proviennent d’États largement acquis aux conservateurs). Les projections des modèles les plus fiables donnent seulement 1 chance sur 7 au parti démocrate de remporter une majorité au Sénat (qui est pour le moment dominé par les républicains 51 sièges à 49).
Le scénario le plus vraisemblable serait que les républicains engrangent des gains modestes, de 1 à 3 sièges, ce qui les placeraient en situation confortable pour défendre leur majorité en 2020.
De nombreux États, comme le Texas, ont une faible chance de basculer côté démocrate. Mais une surprise positive dans un scrutin donné risque d’être compensée par une défaite sur le fil ailleurs.
La chambre des représentants, principal enjeu des midterms
La chambre des représentants au Congrès remet en jeux tous ses sièges (435). Parce que les républicains disposaient d’une large majorité (+23 élus) et, grâce au découpage partisan des circonscriptions (gerrymandering), ils partent avec un large avantage structurel. Les modèles statistiques évoquent le chiffre de 5 % de l’électorat au niveau national. Dit autrement, avec 4,9% de votes supplémentaire (un écart déjà significatif), les démocrates seraient assurés de perdre la chambre. Dans la configuration actuelle, seule une vague progressiste peut leur permettre de remporter le scrutin, et c’est précisément ce que les 8 % d’écart dans les sondages nationaux laissent pressentir.
Comme pour le sénat, de nombreux sièges ne sont pas disputés, car provenant de circonscriptions très marquées à droite ou à gauche. Il existe ainsi des classements entre « acquis », « très probable », « probable » et « 50-50 ». Selon le site Fivethirtyeight (qui était de loin le plus performant pour prédire l’élection de 2016), les démocrates peuvent compter sur 191 sièges qui leur sont « acquis », 18 « très probables », 8 « probables » et 18 « 50-50 ». Ils peuvent également espérer gagner des sièges parmi les 18 « probables » républicains. Le parti républicain n’a que 132 sièges « acquis » et 50 « très probables ». Il faut 218 sièges pour obtenir la majorité, ce qui signifie que les démocrates partent avec l’avantage de 199 sièges acquis ou très probables contre seulement 182 pour les républicains.
Les conservateurs ont donc plus de territoire à défendre. Le modèle analytique estime que les démocrates devraient remporter entre 55 et 23 sièges avec 85 % de chances. En clair, si on devait jouer cette élection 7 fois, dans 6 cas sur 7 les démocrates gagneraient le contrôle de la chambre des représentants. Ce qui priverait Donald Trump de majorité au Congrès, et permettrait aux démocrates de déclencher des dizaines d’enquêtes parlementaires le visant. (1)
Le « Cook political report » et la « Center of politics, University of Virginia », deux autres sites proposant des modélisations analytiques détaillés se situent dans le même ordre de grandeur, estimant que les démocrates devraient remporter une courte majorité avec un gain net d’une trentaine de sièges (sur les 23 nécessaires).
Il existe cependant un scénario « catastrophe » pour les démocrates : si un grand nombre de scrutins « 50-50″ tombent en faveur des républicains, et que ceux-ci parviennent à remporter tous leurs sièges « probables », les démocrates pourraient gagner un nombre de sièges insuffisant pour obtenir la majorité.
Gouverneurs des États et parlements locaux.
Le dernier enjeu des élections de midterms provient des scrutins strictement locaux : 36 postes de gouverneurs des États et l’ensemble des 6073 sièges des parlements locaux sont remis en jeu. Pour l’instant, le parti républicain domine largement, avec 33 gouverneurs sur 50 et 4134 sièges dans les parlements, ce qui lui confère une majorité absolue dans 14 États.
En plus d’orienter les politiques locales (dont les fameuses lois visant à restreindre le droit de vote des minorités mises en place dans 14 États par le parti républicain), ces scrutins détermineront qui aura le contrôle du redécoupage des circonscriptions pour la chambre des représentants en 2022. Il s’agit donc d’une élection déterminante.
Pour les gouverneurs, les démocrates devraient réaliser des gains significatifs. Le modèle de fivethirtyeight prévoit un gain net de 7 mandats, soit 24 états gouvernés par les démocrates. Deux candidats afro-américains et progressistes (plus proches de la ligne Bernie Sanders que de la ligne centriste officielle du parti) ont des sérieuses chances de l’emporter en Floride et une chance sur deux en Géorgie. Dans les deux cas, cela représenterait des victoires déterminantes pour remobiliser l’électorat afro-américain en vue de 2020, et modifier le système judiciaire pour le rendre moins raciste.
Enfin, si les républicains devraient conserver la gouvernance d’une majorité des États, ceux-si seraient essentiellement des « petits États ». 60 % des Américains devraient en effet être gouvernés par des démocrates à l’issue de cette élection.
Pour les parlements locaux, très peu de données sont disponibles. Les démocrates devraient réaliser des gains importants, mais le parti républicain a dépensé jusqu’à deux fois plus que son rival dans ces scrutins. Signe qu’en matière de stratégie globale, les conservateurs ne perdent pas le nord.
Vers un effet Trump aux midterms ?
En théorie, le parti démocrate devrait donc infliger une sévère défaite à Donald Trump, remportant une majorité à la chambre des représentants, limitant la casse au Sénat, et réalisant des gains importants à l’échelle locale. Le tout dans un plébiscite national malgré la santé spectaculaire de l’économie américaine sous Donald Trump.
Cela ne vous rappelle rien ?
Ces prédictions enthousiasmantes ont de faux airs d’automne 2016, lorsque Hillary Clinton faisait figure d’archi favorite. Si elle a effectivement remporté le vote national, une successions de courtes défaites (pour un total de 75 000 votes) lui ont fait perdre trois États désindustrialisés du Midwest, et l’élection.
Déterminé à renouveler l’exploit, Donald Trump jette toutes ses forces dans la bataille. Alors que le parti démocrate apparait divisé entre candidats progressistes et centristes, entre un message de campagne « anti-Trump » et « pro- assurance maladie universelle », le président martèle une idée simple « on ne peut pas retourner deux ans en arrière ». Il le fait en sillonnant l’Amérique profonde, organisant jusqu’à trois meetings par jour dans la dernière semaine de campagne. Et il continue de manipuler les médias à son avantage.
Une colonne de réfugiés, forte de quatre milles individus en provenance de l’Amérique Centrale, remonte actuellement le Mexique. Elle ne n’atteindra la frontière américaine que bien après les élections, et obéira aux lois en vigueur en se présentant au check point afin de déposer les demandes d’asile. Mais Trump et ses alliés, Fox News en tête, instrumentalisent cette colonne de réfugiés, supposant qu’ils viendraient illégalement et que des terroristes et des trafiquants de drogues se glisseront parmi eux. Trump souhaite déployer 15 000 militaires à la frontière, autant qu’en Afghanistan, pour les « empêcher de passer ». Vous avez dit démagogie ?
Trump attise la peur et verse dans la provocation. Son dernier effet d’annonce vise à supprimer le droit du sol (un enfant né aux USA obtenant jusqu’à présent la nationalité américaine sans condition). Cette proposition contredit la constitution et devra échoir devant la Cour Suprême après plusieurs mois de procédures, mais permet de cristalliser le débat médiatique aujourd’hui. Comme en 2016, les grands groupes de presse sont tous tombés dans le panneau et débatent en boucle de cette « proposition ».
Conclusion
Si les midterms devraient, en théorie, apporter une bouffée d’oxygène à la majorité des Américains et installer un garde-fou au Congrès face à Donald Trump, le scénario d’une victoire inattendue du milliardaire n’est pas à exclure. Elle aurait des conséquences profondes aux États-Unis, mais également dans le reste du monde, agissant comme un encouragement supplémentaire à l’adresse des extrêmes droites et autocrates les plus divers.
Cet article s’inscrit dans notre série consacrée aux élections de mi-mandat américaines (midterms). Vous pouvez-nous soutenir en nous suivant sur Facebook et Twitter.
Notes:
On vous encourage vivement à explorer le site fivethirtyeight et leurs superbes graphiques.
(1): voir notre article sur les enjeux du contrôle de la chambre des représentants