Trump est-il victime d’un complot judiciaire ?

Trump est-il victime d’un complot judiciaire ?

L’ancien président vient d’être inculpé par le ministère de la Justice au titre de l’Espionnage act et risque des dizaines d’années de prison. Pour tout comprendre à cette saga judiciaire, c’est par ici. 

Cet article est initialement parut sur ma newsletter « Substack » où vous trouverez une version optimisée avec photos et mise en page. Pour y accéder, cliquez ici.

Donald Trump vient d’être inculpé par le ministère de la Justice. Trente-sept chefs d’accusation sont retenus contre lui, dont trente et un pour usage, détention ou transmission illégale de documents classés «secret défense» en violation de l’Espionage act, et six pour divers types d’entraves à la justice, dont conspiration pour faire obstruction à une enquête fédérale et fausses déclarations. Il a plaidé non coupable et risque des dizaines d’années de prison ferme. Bien qu’il soit, comme tout justiciable, présumé innocent, les preuves sont accablantes et les faits potentiellement graves, compte tenu de la sensibilité des documents qu’il avait conservés. Si Trump avait déjà été inculpé par un procureur de l’État de New York pour malversations financières dans le cadre de l’affaire «Stormy Daniels», c’est la première fois qu’un ancien président est inquiété par la justice fédérale. Trump affirme qu’il est «un homme innocent» victime d’une chasse aux sorcières commanditée par les démocrates pour affaiblir ses chances d’élection en 2024. Mais comme souvent avec l’ancien président, il ne peut s’en vouloir qu’à lui-même.

Ce que le procureur reproche à Donald Trump

Aux États-Unis, la possession non autorisée de documents classifiés, leur diffusion ou leur destruction, tombent sous le coup de l’Espionage act. De nombreux lanceurs d’alertes et sources journalistiques ont écopé de lourdes peines de prison pour l’avoir enfreint.

Trump tomberait sous le coup de cette loi pour avoir conservé, après avoir quitté ses fonctions, des centaines de documents classés secret-défense. Contacté par les Archives nationales, une branche du gouvernement chargée de l’archivage de ce type de documents, il a d’abord refusé de les rendre avant d’y être contraint par une assignation en justice. Malgré la déclaration des avocats de Trump assurant que la totalité des pièces avait été restituée, les autorités fédérales ont constaté qu’il manquait de nombreux documents. Face à l’absence de coopération de Donald Trump et après avoir épuisé les recours judiciaires, le FBI a procédé à une perquisition de sa résidence principale, le club privé de Mar-a-Lago à Palm Beach (Floride). 

Les enquêteurs y ont saisi de nombreux documents classés secret-défense. L’Attorney General Meryl Garland (équivalent du ministre de la Justice) a alors décidé de saisir un «special counsel» (procureur spécial) pour conduire une enquête indépendante. Paul Smith, connu pour son intransigeance, a mené son investigation pendant près de neuf mois. Il vient d’obtenir l’inculpation de Donald Trump, dont l’acte a été rendu public.

Trump est accusé de deux types de crime : usage non autorisé de documents secret-défense et obstruction à la justice. Sur le premier point, l’acte évoque plusieurs documents potentiellement ultra-sensibles : 

  • Un rapport sur les vulnérabilités militaires des États-Unis et de ses alliés
  • Deux documents sur le programme nucléaire américain
  • Plusieurs rapports sur les capacités militaires des États-Unis et de pays alliés
  • Divers plans militaires de réponse à des attaques de pays hostiles.

Du fait de la nature de ce type d’informations, leurs contenus et leurs importances ne sont pas toujours précisés. Par exemple, les deux documents portant sur le programme nucléaire militaire pourraient être périmés ou relativement triviaux. D’autant plus que l’administration américaine est connue pour sa tendance à classifier la moindre information. 

Mais ils pourraient tout aussi bien porter sur des questions particulièrement sensibles. Au minimum, on sait (via un enregistrement vidéo) que Trump a partagé avec des journalistes non accrédités le plan d’attaque de l’Iran réalisé par le Pentagone à la demande du ministère de la Défense de Donald Trump. Pour Téhéran, mettre la main sur ces informations aurait une valeur inestimable. Or, le FBI n’est pas parvenu à récupérer ce document au cours de sa perquisition. 

Le second volet de l’acte d’accusation porte sur les multiples agissements de Donald Trump (et de son employé Walt Nauta) pour entraver l’enquête et empêcher la restitution des documents. Entre autres, Trump a demandé à Nauta de cacher et déplacer les boites contenant les documents pour éviter que ses avocats les examinent et restituent les dossiers confidentiels qu’elles contenaient. Il a également produit de fausses déclarations aux enquêteurs et suggéré à ses avocats de mentir aux enquêteurs et de cacher ou détruire les documents.

Des preuves accablantes renforcent un dossier d’accusation solide

L’inculpation a été obtenue par un procureur indépendant et validée par un juge fédéral après avoir été requise par un «grand jury». Constitué de quinze citoyens tirés au sort, ce système opère sur le même principe qu’un jury et nécessite le vote favorable de douze membres minimum pour obtenir l’inculpation. Le procureur Smith ayant choisi de dépayser l’affaire depuis Washington vers la Floride, état plus favorable à Donald Trump, on peut difficilement parler d’instrumentalisation de la justice. 

Trump reconnaît avoir été en possession de documents ultra-confidentiels. Depuis la perquisition, sa ligne de défense consistait à affirmer qu’ils étaient conservés en sécurité et sous haute surveillance, qu’il les avait déclassifiés lorsqu’il était encore président et qu’il avait le droit de les conserver. 

a shadow of a person behind bars in a jail cell
Photo by Ye Jinghan on Unsplash

L’enquête de Smith apporte des preuves accablantes que ce n’était pas le cas. En termes de sécurité, Smith a obtenu des photos des boites contenant les documents stockées dans une salle de réception de Mar-a-Lago, des toilettes, une douche et la chambre de Donald Trump. La publication de ces photos fait partie des choses les plus embarrassantes contenues dans l’acte d’accusation. Sur l’une d’entre elles, certaines boites sont ouvertes et leur contenu (dont un document classé top secret) est répandu sur le sol. La photo, prise par Walt Nauta, est accompagnée de son SMS à un autre employé de Trump :

Nauta : «Je viens d’ouvrir la porte et je suis tombé sur ça»

Employée 2 : «oh non, oh non!

Trump n’a pas été en mesure de fournir le moindre élément attestant de la déclassification des documents. Il avait dit, lors d’une interview, qu’il pouvait les déclassifier «par la pensée» en tant que président. Le procureur a découvert deux instances où Trump invaliderait cette théorie.

Dans le premier cas, Trump aurait présenté une carte classée secret défense au représentant de son comité de campagne électorale. Selon l’acte d’inculpation «Trump lui a indiqué qu’il n’était pas censé lui montrer ce document et de ne pas s’approcher trop près». 

Le second cas concerne une interview filmée avec l’accord de Trump dans sa propriété de Bedminster. Le milliardaire s’entretient avec un auteur et son éditeur dans le cadre d’un projet de livre portant sur sa présidence. Pour réfuter le fait qu’il voulait attaquer l’Iran — ce qu’avait affirmé un général le critiquant — Trump montre le plan d’attaque que lui aurait spontanément concocté le Pentagone :

Trump : «Ils m’ont présenté ça. C’est en off, hein, mais vous voyez, ils me l’ont proposé (…) ça prouve que j’ai raison. Mais ça relève de la plus haute confidentialité. C’est top secret.»

Secrétaire de Trump : «oui»

Trump : «Vous voyez en tant que président j’aurais pu le déclassifier. Désormais je ne peux pas, c’est toujours secret.» 

Autrement dit, Trump était conscient que les documents étaient toujours classifiés et qu’il n’avait pas l’autorisation de les partager.

De la même manière, les accusations d’obstruction à la justice et de conspiration pour entraver l’enquête reposent sur des SMS obtenus par les enquêteurs à partir de l’exploitation des téléphones des avocats et employés de Donald Trump.

Seul un mobile clairement établi manque au dossier. Les défenseurs de Trump estiment qu’il est un «collectionneur», tout en insistant sur le fait que son statut d’ancien président lui confère des droits particuliers sur ces documents. En réalité, il s’agit de documents du gouvernement fédéral qui appartiennent aux archives nationales. Pour les critiques de Trump, le fait que le procureur Smith ait obtenu les preuves de deux occurrences où les documents ont été partagés avec des individus non autorisés indique que ces incidents doivent être beaucoup plus fréquents. Outre le fait qu’ils soient stockés de manière très peu sécurisée (le Club de Mar-a-lago est un nid d’espions, fréquenté par les milliers d’adhérents qui y viennent côtoyer Trump), leur divulgation peut théoriquement mettre en péril la vie de certaines sources ayant contribué à recueillir les informations. Trump ne semble pas vouloir les conserver pour s’en servir de monnaie d’échange. Comme le reconnait la meilleure spécialiste de l’ancien président, la journaliste du New York Times Maggie Habberman, le fait que Trump refuse de restituer les documents s’accorde avec les traits du personnage : sa conviction que les règles ne s’appliquent pas à lui, sa nature possessive et son ego qui se nourrissent de la possession de ces documents qu’il peut produire devant certains invités pour se mettre en avant. L’absence de mobile plus sérieux n’affaiblit pas le dossier judiciaire pour autant.

William Barr, ministre de la Justice de Trump entre 2018 et 2020, jugeait sur FoxNews que «si la moitié de ces informations sont correctes, Trump est cuit (…) c’est un dossier accablant. (…) l’idée que Trump serait victime d’une chasse aux sorcières est complètement risible (…) le président se retrouve dans cette situation à cause de son comportement irresponsable». Barr s’était pourtant illustré pour sa bienveillance envers Trump, le défendant férocement dans l’affaire du Russiagate avant de se plier à ses nombreuses requêtes pour contester le résultat des élections de 2020. 

Un coup judiciaire contre Trump?

Dans cette affaire, Trump n’a guère laissé le choix au procureur de faire autre chose que de demander son inculpation. Il a refusé toutes les mains tendues et portes de sortie, s’accrochant coute que coute à ces documents. Il n’est pas mis en cause pour ceux qu’il avait restitués, mais seulement pour ceux qu’il a refusé de rendre.

Pour convaincre l’opinion qu’il est victime d’un coup judiciaire, Donald Trump et ses partisans peuvent invoquer deux arguments. 

Le premier consiste à souligner le fait que Trump n’est pas le seul à avoir conservé des documents sensibles. Historiquement, des figures comme Lydon Johnson ou Dick Chenney sont connues pour avoir enfreint les secrets de l’État. De même, Hillary Clinton avait pris le risque de commettre un acte similaire en utilisant un serveur privé pour traiter ses courriels du temps où elle était ministre des Affaires étrangères. L’enquête du FBI avait estimé qu’elle avait fait preuve «d’un manque de discernement invraisemblable» sans engager de poursuites. Du reste, les enfants de Trump avaient eux-mêmes utilisé des téléphones personnels pour traiter des affaires de la Maison-Blanche, sans que cela ne provoque l’ouverture d’une enquête. 

Plus récemment, le FBI a saisi des documents classifiés au domicile de Joe Biden et de Mike Pence (le vice-président de Trump). Mais à la différence de ce dernier, Biden et Pence ont étroitement collaboré avec le FBI, restitué les documents et reconnu leurs torts en plaidant la négligence et l’étourderie. La différence semble également tenir à la nature et la quantité de documents concernés.

Le second argument reposerait sur l’idée que l’Espionnage act est une loi autoritaire qui enfreint le premier amendement de la constitution portant sur la liberté d’expression, comme l’estiment de nombreux défenseurs des libertés individuelles. Historiquement, il a d’abord été utilisé pour persécuter les socialistes au début du xxe siècle et emprisonner des milliers d’opposants à la conscription pendant la première guerre mondiale, sur la simple base de leur discours jugés contraire aux intérêts vitaux de la nation. Plus récemment, l’Espionage act a été utilisé contre les sources journalistiques et les lanceurs d’alertes.

Trump est lui-même un adepte de cette loi. Pendant la campagne de 2016, il avait multiplié les déclarations fracassantes sur l’importance de punir ceux qui faisaient preuve de négligence envers les secrets de l’état et promis de renforcer la législation. Une fois à la Maison-Blanche, son gouvernement a utilisé l’espionnage act pour poursuivre Assange, condamner la lanceuse d’alerte Reality Winner à une lourde peine de prison et refuser de gracier Snowden. Au cours de son mandat, sept militaires et contractuels ont été condamnés à des peines de prison ferme allant de 2 à 9 ans pour possession illégale ou gestion maladroite de documents confidentiels qu’ils utilisaient dans le cadre de leur mission. À chaque fois, ils avaient coopéré avec le FBI et la Justice. Faire passer Trump pour un absolutiste des libertés individuelles et du droit à l’information apparait donc compliqué. 

Ce que risque Donald Trump

Les peines encourues pour chaque chef d’accusation ne s’additionnent pas nécessairement et il est improbable que le juge applique les sanctions maximales. Trump risque néanmoins plusieurs années de prison ferme, si le procureur obtient sa condamnation.

Paul Smith a décidé de porter son dossier dans la juridiction de Miami en Floride, plutôt que Washington DC. Ce choix entraîne de nombreuses répercussions. Il empêche Trump de gagner du temps en demandant le transfert du dossier dans une autre juridiction au motif que celle retenue par le DOJ (Department of Justice) lui serait défavorable. En effet, Trump est domicilié en Floride, État qui a majoritairement voté pour lui et est gouverné par le Parti républicain. Les chances que les membres du jury aient un à priori défavorable à l’encontre du milliardaire sont bien plus faibles que si le procès s’était tenu à Washington DC. 

Il pourrait débuter — voire se conclure — avant l’élection présidentielle. Mais rien ne permet de garantir que le verdict sera défavorable à l’ancien Président. Outre le fait que le procureur va devoir convaincre les jurés de condamner un ancien président, le procès sera conduit par un juge nommé par ce dernier : Aileen Cannon. Cette magistrate s’était illustrée au cours de l’enquête en bloquant l’instruction suite à une requête des avocats de Trump en invoquant un prétexte douteux. Cette décision très critiquée avait été cassée par une cour d’appel constituée de magistrats eux aussi conservateurs. Le fait qu’elle ait refusé de se déporter, malgré son implication dans l’enquête, laisse entendre qu’elle continuera à favoriser l’ancien président. Pour ce faire, elle dispose de nombreux moyens. 

Si le procès se déroule de manière trop biaisée en faveur de l’ancien président, le procureur Smith pourrait décider d’inculper Trump une seconde fois, dans le New Jersey. Il y avait divulgué un document secret défense dans sa propriété de Bedminster et ce crime potentiel ne figure pas dans l’acte d’inculpation présenté en Floride. Autrement dit, Smith conserve une seconde carte dans sa manche, en plus de l’instruction en cours sur le rôle joué par Donald Trump dans l’attaque du 6 janvier contre le Capitole.

Enfin, si la juge Aileen innocentait Trump contre l’avis du jury, le DOJ pourrait faire appel. 

Pour toutes ces raisons, de nombreux alliés de Trump estiment qu’il se trouve en réelle difficulté. C’est probablement pour cela qu’autant de républicains se sont lancés dans la primaire pour la présidentielle, malgré les sondages extrêmement favorables à Donald Trump et le risque de se mettre la base du Parti à dos.

Premières répercussions politiques 

Trump a magistralement instrumentalisé son «arrestation» et sa présentation devant le juge pour relancer sa campagne électorale. Il a fourni des heures d’images aux chaînes d’informations en prenant un bain de foule dans un quartier de Miami, avant d’organiser une réception à sa propriété et de tenir un discours de campagne électorale dans le New Jersey. 

Dans l’immédiat, ses adversaires républicains ont fait bloc pour le soutenir tandis que les démocrates ont majoritairement refusé de commenter l’affaire au nom de l’indépendance de la Justice. Joe Biden, en particulier, tient à maintenir ses distances. 

Sur le moyen terme, cette affaire va probablement renforcer l’image de Trump auprès de la base militante du Parti, mais l’affaiblir auprès des électeurs indépendants et démocrates qu’il va devoir séduire en vue de la présidentielle. Pour Biden, un duel contre Trump constitue une situation idéale. 

Si le procès débute pendant la campagne, y compris pendant les primaires républicaines, Trump pourrait être limité dans sa capacité à faire campagne par les jours qu’il devra passer au tribunal. S’il semble ragaillardi par cette inculpation qu’il compte instrumentaliser, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’une aubaine. Au contraire, compte tenu de la solidité du dossier d’accusation, il pourrait s’agir du début de la fin pour Trump.

D’autant plus que son inculpation n’a pas provoqué d’acte violent ou de manifestations significatives de la part de ses électeurs. Ce fait risque d’encourager la justice à l’inculper dans les deux dernières enquêtes d’envergure encore en cours : celle du «Special Counsel» Paul Smith sur son rôle dans l’insurrection du 6 janvier 2021 et celle de l’État de Géorgie pour sa tentative de manipulation du résultat de l’élection. Une chose est sure : le feuilleton ne fait que commencer. Trump pourrait même se présenter depuis la prison. Il existe un précédent : en 1920, le socialiste Eugene Debs avait candidaté depuis sa cellule. Il avait été condamné en 1918 pour avoir tenu un discours anti-guerre, au titre de l’Espionnage act…


Article initialement publié sur ma newsletter Substack.


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