Bernie Sanders: medicare for all sinon rien

Bernie Sanders: medicare for all sinon rien

Le mercredi 13 septembre 2017, Bernie Sanders introduisait son projet de réforme du système de santé devant le congrès. Baptisé « medicare for all », ce texte vise à mettre en place une assurance maladie publique et universelle. Le soutien de seize sénateurs démocrates cosignataire du texte marque un tournant idéologique majeur dans la politique américaine, bien que l’initiative ait peu de chance d’aboutir face à la majorité conservatrice. En parallèle, deux sénateurs républicains ont créé la surprise en lançant une ultime tentative d’abrogation d’Obamacare. De la méthode au contenu, tout oppose les deux projets.

1) Medicaire for all : Bernie Sanders et la percée du socialisme aux États-Unis.

Pour la quatrième fois de sa longue carrière, Bernie Sanders repart à l’assaut du système de santé américain. Si l’initiative a peu de chance d’aboutir, elle marque un tournant dans la pensée progressiste aux États-Unis. Pour la première fois, des soutiens politiques de poids rejoignent son effort de transformation d’un système privé élitiste vers un dispositif universel, public et géré par l’État. Au point d’inquiéter Donald Trump et de faire trembler l’industrie pharmaceutique.

Le sénateur du Vermont s’appuie sur deux arguments massue : la santé est un droit, pas un privilège, et les États-Unis restent le seul pays développé à ne pas garantir l’accès aux soins. Pour remédier à cette situation, il propose d’étendre à toute la population le régime d’assurance publique spécifique Medicare, actuellement réservé aux Américains de plus de 65 ans et aux handicapés.

Ce coup de génie politique consiste à s’appuyer sur la simplicité et la popularité du système « Medicare » dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Bernie Sanders détaille un projet d’élargissement méticuleusement pensé, depuis son financement jusqu’à son calendrier d’application. L’âge d’éligibilité serait progressivement abaissé pour englober l’ensemble de la population au bout de quatre ans. Au total, les ménages et employeurs verront leur budget santé diminuer, ce qu’ils payaient aux compagnies d’assurances et en franchises médicales sera transféré en impôt, avec un gain net obtenu grâce aux économies de fonctionnement. Enfin, en reprenant la main, l’État pourra contrôler les hausses de tarification et négocier de meilleurs prix pour les médicaments.

Les USA dépensent dix mille dollars par an et par assuré, soit plus du double de la France, du Canada ou de l’Angleterre. La santé absorbe 17% du PIB, un record absolu. Or les résultats sont désastreux.  Malgré le succès d’Obamacare, 27 millions d’Américains sont toujours dépourvus de couverture maladie, et les USA présentent la plus basse espérance de vie des pays développés. (1) Une aberration pour la nation la plus riche au monde, selon Bernie Sanders.

Cette facture astronomique s’explique avant tout par la privatisation de l’ensemble du secteur. Les médicaments coûtent entre deux et quatre fois plus cher qu’en Europe, la consultation chez le généraliste se facture plus de cent dollars et les différentes compagnies d’assurances génèrent des surcoûts de fonctionnement importants. Ironiquement, elles imposent aux Américains leurs médecins et hôpitaux du fait de leur fonctionnement par réseaux, ce qui contredit la notion de liberté de choix généralement associée avec un système privé.

Fort de ces arguments, Bernie Sanders espère faire bouger les lignes. Et contrairement à ses coups d’essai précédents, les circonstances jouent en sa faveur.

Le fiasco de Donald Trump et du parti républicain dans leur tentative d’abrogation d’Obamacare a sensibilisé les américains. 62% d’entre eux se disent désormais favorables à un système centralisé à l’européenne (single payer). Chez les électeurs démocrates, ce taux passe à 75%. (2) Les responsables du parti semblent avoir pris la mesure de ce changement, et seize sénateurs sur quarante-huit se sont portés garants de la réforme présentée par Mr Sanders. Signe que le vent tourne, au soutien politique non négligeable s’ajoute l’appui de nombreux syndicats, dont le plus important du pays, celui des infirmier.e.s et aides-soignants.

Pourtant, les obstacles restent nombreux. En premier lieu, le projet ne fait pas l’unanimité au sein du parti démocrate, et encore moins chez les républicains majoritaires dans les deux chambres du congrès. Donald Trump s’est déjà dit déterminé à opposer son véto, et l’opinion publique pourrait lentement se retourner en cas de campagne médiatique intense.

Bernie Sanders en meeting durant la campagne 2016

En effet, le manque à gagner pour les industriels de la santé serait considérable et justifierait le déclenchement d’une intense campagne de lobbying.

Bernie Sanders en a conscience et l’explique dans un interview donné à The Nation: « Ne vous faites aucune illusion, le parti républicain, les laboratoires pharmaceutiques et les compagnies d’assurances vont dépenser des fortunes pour semer la confusion dans l’esprit des Américains » (3)

De la même façon, sa tribune publiée dans le New York Time met en garde ses partisans « Il est inutile de préciser qu’il y aura une opposition massive à cette proposition de loi de la part des puissants intérêts financiers qui profitent du gaspillage du système actuel. Les compagnies d’assurances, les compagnies pharmaceutiques et Wall Street vont dévouer énormément d’argent pour faire du lobbying, financer les opposants politiques et diffuser des publicités télévisées pour vaincre cette proposition. » (4)

Le PDG du géant pharmaceutique Allergan lui donne raison. Cet été, au cours d’une intervention au forum de l’industrie pharmaceutique organisé par la banque d’affaires WellFargo, il s’inquiète de la montée en puissance des idées progressistes et du risque « qu’un jour proche, un résident de la maison blanche dise « enough is enough » (trop c’est trop) et réforme en profondeur le système de santé ». De manière un peu candide, ce PDG explique aux investisseurs que son industrie souffre d’une image déplorable, “systématiquement pire que l’industrie pétrolière et du tabac, selon les enquêtes d’opinion”. A l’entendre, la possibilité d’une réforme de type Medicare for All serait un risque à prendre au sérieux.

Dans l’immédiat, le projet de Bernie Sanders semble voué à l’échec. Mais il poursuit d’autres objectifs au-delà de la réforme du système de santé. Il s’agit de faire bouger les lignes idéologiques, en premier lieu au sein du parti démocrate actuellement traversé par une crise identitaire. Si certains cadres prônent une stratégie politique de centre droit conforme à la ligne défendue par Barack Obama et Hillary Clinton, d’autres sont tentés d’embrasser la ligne populiste et progressiste de Bernie Sanders. Selon les dernières enquêtes, il serait de loin l’homme politique le plus apprécié des électeurs démocrates, et sa proposition de réforme gagne chaque jour en popularité.

Seulement, pendant que Bernie Sanders incarnait le fer de lance de l’offensive progressiste, deux sénateurs républicains mettaient sur pied une ultime tentative d’abrogation de l’Obamacare. Cet assaut désespéré force les démocrates à se regrouper pour défendre une fois de plus les acquis du passé.

2) Graham-Cassidy, la droite réactionnaire et l’abrogation de l’assurance maladie

Nous avions livré en détail le récit de la bataille pour Obamacare, véritable feuilleton aux allures de tragédie grecque.

Compte tenu de sa faible majorité au sénat, le parti républicain avait eu recours à des voies législatives spécifiques s’appuyant sur les règles budgétaires pour tenter d’abroger la réforme d’Obama. Cette facilité parlementaire expire le 30 septembre, fin de l’année fiscale en cours.

Déterminé à essayer une dernière fois de profiter de cette fenêtre de tir, le parti conservateur se lance dans un ultime assaut.

Tandis que Bernie Sanders capitalisait sur l’échec des républicains pour promouvoir sa propre réforme, menant débats publics et consultations avec les partenaires sociaux, messieurs Graham & Cassidy préparaient discrètement un nouveau texte de loi. Comme nous allons le voir, la brutalité de l’initiative bat de nouveaux records.

En termes de contenu, leur projet vise à décentraliser la gestion du système de santé en transférant une partie importante du budget et des compétences aux États. Problème, le texte prévoit également de supprimer les deux piliers de l’Obamacare, le « mandat » qui encadre le marché assurantiel et la réglementation spécifique qui interdit de discriminer les individus en fonctions de leurs antécédents médicaux et prédispositions génétiques. Le texte réduit également fortement les subventions publiques au système Medicare.

Résultat, les compagnies d’assurances vont pouvoir fixer leurs prix en fonction des antécédents médicaux (la grossesse, l’asthme et le diabète en font partie), ce qui devrait à terme priver entre quinze et vingt millions d’Américains d’assurance maladie. Les malades actuels vont rapidement faire faillite avant de décéder par manque de soin (les estimations parlent de dix mille décès par an). Enfin, les coupes budgétaires appliquées au programme « Medicaid » devraient priver dix millions d’Américains supplémentaires de couverture santé. (6)

Mais ce n’est pas tout, la réforme pousse la perversion jusqu’à traiter différemment les États sous contrôle démocrate (en particularité la Californie et l’État de New York) qui verront leur nouveau budget sévèrement amputé, alors que les financements des États conservateurs sont maintenus.

Au-delà de la violence inouïe de ce texte, la méthode elle-même révèle la dérive totalitaire du parti républicain.

Du fait du calendrier serré, ce dernier devrait organiser le vote du texte sans le moindre débat parlementaire, audition, ni commission et sans que l’impact budgétaire soit quantifié par le CBO (l’équivalent de notre Cour des comptes). L’absence de chiffrage du CBO, instance pourtant présidée par un républicain, serait une première dans l’histoire du pays. Or la réforme affecte un quart du budget fédéral et 17% du PIB.

Signe de l’enjeu idéologique et de l’hypocrisie ambiante, certains sénateurs républicains s’inquiètent publiquement du transfert d’autorité, argumentant que cela risque de pousser les États démocrates à mettre en place un système public sur le modèle proposé par Bernie Sanders. D’autres reconnaissent ne pas avoir lu le texte dans son ensemble ni étudié dans les détails son impact. Pourtant, ils affirment être prêts à le voter.

En clair, le GOP cherche par tous les moyens à remporter une victoire politique et détruire l’héritage d’Obama, quelles qu’en soient les conséquences économiques et sociales.

Or, seuls 18% de la population appuyait la tentative d’abrogation précédente. Cette fois, l’opinion est prise de court tandis que les médias se focalisent sur le bras de fer entre Donald Trump et la Corée du Nord. L’actualité reste également dominée par les conséquences des trois ouragans (le dernier en date ayant dévasté le protectorat de Puerto Rico) et les progrès de l’enquête parlementaire visant à déterminer l’implication de la Russie dans l’élection de Donald Trump.

Pour autant, un groupe de douze gouverneurs d’États incluant cinq républicains a signé une lettre officielle demandant le retrait du projet de loi. En plus des syndicats et ONG habituels, les lobbies représentant les compagnies d’assurances et certains laboratoires pharmaceutiques s’opposent publiquement au projet, preuve de sa toxicité, y compris pour les principaux intérêts financiers impliqués.

Mais les financements du parti républicain proviennent de plus en plus d’une poignée de milliardaires idéologues, comme les Koch Brother, proche de l’extrême droite et déterminée à supprimer toute intervention de l’État dans les affaires privées conformément à l’idéologie libérale.

L’issue reste donc incertaine. Le parti républicain dispose de 52 sénateurs et peut se permettre de perdre le soutien de deux d’entre eux, pas un de plus. John MacCain vient de nouveau de doucher les espoirs de son parti en retirant son soutien, à l’heure où nous terminons d’écrire ces lignes. Tous les efforts du parti républicain se concentrent désormais sur les deux sénateurs de l’Alaska, à qui l’on promet de débloquer des budgets pour des grands travaux d’infrastructures afin d’acheter leurs suffrages.

Le vote est prévu pour la fin de semaine. Si le texte passe le sénat, il restera un dernier recours possible à la chambre des représentants. Et compte tenu de son contenu explosif, rien ne garantit le succès de la réforme.

Conclusion

Une bataille idéologique se joue entre deux « extrêmes ». D’un côté l’assurance maladie pour tous et quel que soit le niveau de revenus, contre les intérêts financiers privés et pour réaliser des économies globales dans l’intérêt général. De l’autre, l’assurance santé sous condition de ressources, de patrimoine génétique et de bonne fortune.

D’un bord, on a une démarche transparente, démocratique, argumentée et introduite pas à pas. De l’autre, une démarche idéologique, obscure, menée à toute vitesse et défendue à grand renfort de mensonges cinglants.

L’humoriste Jimmy Kimmel a profité de son talkshow pour dire tout le mal qu’il pensait de cette réforme qui priverait d’assurance maladie son jeune fils atteint de déficience cardiaque. Dans un monologue de cinq minutes, il a dénoncé les mensonges du sénateur Cassidy, en diffusant des extraits vidéos où ce dernier affirmait qu’il ne toucherait pas aux lois encadrant les antécédents médicaux.

Quoi qu’il advienne de la tentative de messieurs Graham et Cassidy, le projet de Bernie Sanders devrait gagner en popularité. Reste à savoir si trente millions d’Américains seront sacrifiés par le parti républicain d’ici à ce que les États-Unis s’offrent un système de santé digne de ce nom.

***

Sources:

  1. Les chiffres sur le système de santé américain sont issus de Wikipédia (en anglais) et mentionnés en détail dans notre article précédent sur la réforme du système de santé américain.
  2. Enquête d’opinion Pew Research
  3. The nation : Interview de Bernie Sanders septembre 2017
  4. New York Time, 12 septembre 2017
  5. L’article de The Intercept reprend les déclarations du PDG d’Allergan https://theintercept.com/2017/09/13/pharma-ceo-worries-americans-will-say-enough-is-enough-and-embrace-bernie-sanders-single-payer-plan/
  6. Estimations données par le New York Times en se basant sur les calculs fournis par le CBO (congress budget office) et leurs rapports rédigés pour les propositions de loi présentées en juillet qui reprennent les mêmes éléments.

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