En direct de l’ouragan Harvey
L’ouragan Harvey a frappé les côtes texanes dans la nuit du 25 au 26 août, avec des vents atteignant les 215 km/h. Perdant vitesse et énergie, le cyclone ralentit rapidement sa progression pour finalement reculer vers la mer. Conséquence inattendue de cette trajectoire atypique, plus de soixante-dix centimètres de précipitations se sont abattus en quelques heures sur la région de Houston, quatrième zone urbaine américaine avec ses six millions d’habitants. La pluie continue de tomber sur la ville tandis qu’Harvey semble faire du sur-place. Les inondations causées par ces précipitations record transforment Houston en archipel et poussent près d’un demi-million de personnes à quitter leur maison, dans ce qui constitue la pire catastrophe naturelle de l’histoire de l’État.
Bloqué en transit à Atlanta puis San Francisco et dans l’incapacité de rejoindre ses proches, votre correspondant vous propose quelques éléments de réflexions et perspectives sur ce drame.
Perspectives météorologiques
C’est donc un paradoxe qui est à l’origine de la pire catastrophe naturelle de l’histoire du Texas. Au lieu de s’enfoncer dans les terres et perdre rapidement son énergie et son eau, l’ouragan a entrepris un surprenant demi-tour. Tandis que l’œil du cyclone fait du sur place au-dessus de la mer, la périphérie de la tempête déverse des quantités d’eau phénoménales sur la région de Houston (plus d’un mètre cinquante est attendu dans certaines zones). La nature marécageuse et plate du terrain combiné au bétonnage à outrance rend l’évacuation de l’eau difficile. Une fois les voies naturelles saturées et les réservoirs artificiels remplis, on assiste, impuissant, à la création d’un archipel d’ilots au milieu de la ville.
Lundi, Houston était une ville fantôme. À l’exception des secours qui parcourent la métropole pour sortir les gens en détresse de leurs maisons inondées et les mouvements des habitants fuyants les zones dévastées par la montée des eaux, personne ne bouge. Les magasins sont fermés, après avoir été vidés de toute denrée alimentaire, piles électriques et eau minérale la semaine dernière. La majorité des houstoniens sont calfeutrés chez eux, assis sur les stocks de provisions qu’ils ont constitués dans les jours précédant l’impact. Ceux qui tentent de prendre la route pour rejoindre des proches sont souvent coincés, doivent faire demi-tour ou être secourus après avoir vu leur véhicule immobilisé par les inondations. D’autres possèdent des bateaux et embarcations qu’ils déploient spontanément pour venir en aide aux sinistrés.
Perspectives économiques
Houston et sa région abritent six millions de personnes et constituent le centre névralgique du second état le plus riche et dynamique des États-Unis. Capitale mondiale de l’industrie pétrochimique et gigantesque port donnant sur le golfe du Mexique, Houston brille également par son multiculturalisme qui fait d’elle la première ville américaine en termes de diversité.
Nul doute que l’ouragan Harvey va considérablement affecter l’économie locale et avoir des répercussions sur l’ensemble du pays. En termes de dégâts, les premières estimations évoquent une facture dépassant largement le coût de Katrina qui s’élevait déjà à cent milliards de dollars.
Perspectives environnementales.
Les gigantesques complexes pétrochimiques de l’Est de Houston sont essentiellement à l’arrêt ou tournent au ralenti, mais les fuites de produits et vapeurs toxiques (délibérées ou fortuites) ont relâché de larges quantités de polluants dans l’atmosphère. Les populations les plus proches de ces zones industrielles, majoritairement pauvres et de couleurs, se plaignent des odeurs et sont littéralement en train de se faire « gazer » sans possibilité de quitter les zones affectés, selon le JT de democracynow.org.
Plus généralement, les dégâts sur les infrastructures sont considérables et encore difficiles à estimer. Le retour à une situation normale devrait prendre plusieurs semaines, voire des mois.
Perspectives sociales
Comme souvent dans ces conditions, le degré d’exposition des populations varie fortement en fonction de leur niveau de revenu. Les ingénieurs de la NASA et les cadres de l’industrie pétrochimique vivent essentiellement dans des zones non inondables. S’ils sont, comme tout le monde, bloqués chez eux, ils n’ont généralement pas grand-chose à craindre de la monté des eaux. Inversement, les personnes âgées peu mobiles et les populations modestes, souvent d’origine afro-Américaine ou latinos, subissent plus sévèrement les conséquences de l’ouragan. Certains ont tout perdu en quelques heures, d’autres n’ont même pas d’assurance maladie pour les prendre en charge.
Mais ce sont les immigrants qui payent le plus lourd tribut. Alors que l’État du Texas vient de voter une loi particulièrement xénophobe qui promeut le contrôle au faciès pour identifier les sans-papiers dans le but de les déporter quelle que soit leur situation familiale, les immigrants vivent dans la peur. La plupart d’entre eux hésitent à monter dans les bateaux des secouristes ou à rejoindre les centres d’accueil.
Le maire démocrate de Houston a garanti qu’il n’y aurait pas de contrôle d’identité, tout comme le gouverneur républicain de l’État. Mais dans le climat actuel et alors que Donald Trump affirme vouloir mettre un terme au programme d’aide aux enfants des sans-papiers (le DACA, dont Houston abrite 80 000 bénéficiaires), le contexte politique ne rassure guère les illégaux qui se retrouvent particulièrement exposés aux conséquences des inondations.
Perspectives médiatiques
Les médias nous abreuvent de photos apocalyptiques, mais il ne faut pas oublier que si la plupart des habitants sont coincés chez eux, voire contraint à abandonner leurs maisons dans un repli catastrophique, certains quartiers continuent de vivre « presque » normalement.
Perspectives politiques
Harvey pourrait permettre de réunifier un pays largement divisé par les évènements de Charlottesville et l’attitude d’un président particulièrement clivant. Sa gestion de la crise sera déterminante pour sa survie politique. Si on peut compter sur son cynisme pour exploiter la catastrophe, le manque d’empathie dont il a mainte fois fait la démonstration et son amateurisme risquent de le pousser au faux pas. Ainsi, il vient d’offrir le pardon présidentiel au Shérif Joe Arpaio, jugé coupable de discrimination pour avoir parqué provisoirement dans ce qu’il appelait « mes propres camps de concentration » des latinos suspectés d’immigration illégale. Cette décision, qui divise jusqu’au cœur du parti républicain pour son caractère raciste et anticonstitutionnel, fut discrètement décrétée alors qu’Harvey atteignait les cotes Texanes.
Si Houston est une ville majoritairement démocrate ayant successivement élu une maire lesbienne et un maire Afro-Américain, la bourgeoisie locale et les classes supérieures ont massivement voté pour Donald Trump, par pur intérêt de classe, et bien qu’elles ne partagent pas les valeurs racistes de ce dernier. Contrairement aux idées reçues, ce ne serait pas la classe ouvrière blanche, mais bien les classes supérieures qui auraient permis à Donald Trump de remporter la Maison Blanche. Mes collègues m’en offrent la confirmation jour après jour, bien qu’une partie d’entre eux semblent désormais regretter leur choix.
Feront-ils le lien qui s’impose entre les causes de cette crise et les conséquences ? Rien n’est moins sur.
Tout d’abord, on citera l’ironie du sort qui veut qu’un cataclysme naturel frappe la capitale mondiale de l’industrie pétrogazière. Si la corrélation entre le réchauffement climatique et Harvey est difficile à établir, personne ne peut nier que le réchauffement des eaux du golf du Mexique et leur élévation accroit les conséquences d’un évènement de ce type. Or Harvey s’abat sur la seule mégalopole américaine n’ayant pas adopté de plan d’urbanisme. Abandonnée aux lois du capitalisme sauvage, la construction à outrance de zones résidentielles étendues dans l’espace et le bétonnage toujours croissant des campagnes s’effectuent sans prendre en compte les contraintes environnementales. Cela ne pouvait que mener à ce genre de catastrophe.
À cela s’ajoute la décision des sénateurs conservateurs Ted Cruz et John Coryn de refuser, par pure idéologie, le plan d’aide fédérale proposée suite à l’ouragan Allison en 2013. Non content de se priver de subventions, l’État du Texas a tendance à pratiquer l’austérité budgétaire et la réduction des services publics au profit des baisses d’impôts pour les corporations et les riches individus au nom de l’attractivité économique, dans une logique similaire à ce que se propose de faire Emmanuel Macron en France.
Dans la même veine, l’effort de Donald Trump pour réduire les budgets des différentes administrations fédérales en lien avec l’environnement, en particulier le FEMA (Agence Fédérale responsable de la gestion des catastrophes naturelles) apparait comme une décision inconsidérée et anachronique.
Les houstoniens iront-ils jusqu’à remettre en cause leur mode de vie basé sur la surconsommation énergétique, eux qui climatisent à outrance dix mois par ans leurs gigantesques pavillons de banlieue situés à des dizaines de kilomètres de leurs lieux de travail, distance qu’ils effectuent majoritairement à l’aide de gigantesques 4×4 et pick up truck ? L’ironie de la décision de Donald Trump de lever l’obligation décrétée par Obama de prendre en compte les projections des montées du niveau de la mer dans les décisions industrielles et les plans d’urbanisme marquera-t-elle les esprits ?
Une chose est certaine, l’heure n’est pas à la récupération politique. En témoigne la multiplication de l’entraide spontanée comme le dévouement de la « Cajun Army », un groupe de citoyen de la Louisiane rurale s’étant mobilisé dès vendredi pour venir porter secours aux sinistrés à l’aide de leurs 4×4 tirant leurs bateaux et aéroglisseurs. Voir ces red necks remplir le vide laissé par le manque de moyen des secouristes résume à lui seul le paradoxe de l’Amérique. Face à l’adversité, la nation s’unit et redécouvre la solidarité.
Conclusion
Sur le retour de vacances, me voilà bloqué à San Francisco pour une durée indéterminée, incapable comme beaucoup de rejoindre mes proches. Si les nouvelles sont rassurantes, les perspectives globales pour la région dans les semaines qui viennent restent préoccupantes.
D’un point de vue plus philosophique, je ne peux m’empêcher d’être saisi par l’ironie de la situation. Voir les climatosceptiques et champions du monde du rejet de C02 par habitant subir de plein fouet les affres de dame nature semblerait un juste retour de bâton. Mais il ne faudrait pas oublier que, comme toujours, ce sont les plus pauvres et les plus défavorisés qui payent le principal tribut, tandis que les riches restent confortablement installés dans leurs salons et leurs certitudes.
Ici, l’élan de solidarité qui traverse la ville et le pays contribue à nuancer mon appréciation d’une Amérique qui m’apparaissait de plus en plus cruelle et égoïste.
Reste à voir comment évoluera la situation. Terminons en notant que pendant que l’Occident a les yeux rivés sur le Texas, les pluies diluviennes qui s’abattent sur le Bangladesh, le Népal et l’Inde ont déjà fait 1200 morts et privé de toit des centaines de milliers d’individus.