L’homme politique le plus influent du 21e siècle se prénomme « Mitch »

L’homme politique le plus influent du 21e siècle se prénomme « Mitch »

Inconnu hors des États-Unis,  impopulaire dans son propre camp, bête noire d’Obama, ennemi juré des causes progressistes, adepte des tactiques les plus antidémocratiques qui soient, quintessence du cynisme, celui qui règne sur le Sénat républicain depuis 2009 restera dans l’histoire comme l’homme politique le plus influent et terriblement efficace de ce début de siècle. Derrière le chamboulement de l’élection présidentielle de 2020 suite au décès de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg plane encore l’ombre de Mitch McConnell. Donald Trump lui doit tout, pendant que nous assistons, impuissants, à l’érosion de tout espoir d’échapper à la catastrophe climatique et la restauration des valeurs démocratiques. 

Mise à jour de notre portrait publié le 2019 pour prendre en compte les derniers évènements. 


Mitch McConnell, l’homme politique le plus influent du 21e siècle ?

Vous ne connaissez probablement pas Mitch McConnell, discret sénateur du Kentucky depuis 1985, leader de l’opposition au Sénat entre 2007-2014 puis de la majorité parlementaire depuis 2015. Mais votre vie et votre destin seront sans doute profondément influencés par son empreinte. Depuis l’élection de Barack Obama, il est sans conteste l’homme politique le plus influent de la planète. Particulièrement impopulaire auprès des électeurs, y compris républicains, dénué de tout charisme, il incarne à la perfection la figure de l’homme politique sans scrupule, cynique, hypocrite et opportuniste, mais terriblement efficace.

Véritable maitre stratège dont les victoires feraient passer Frank Underwood, l’antihéros d’House of Cards, pour un amateur, Mitch McConnell avance dans l’ombre. Exploitant toutes les failles et les vices du système politique américain, il impose au monde entier l’agenda conservateur des intérêts financiers et des puissants, après avoir tenu en échec huit ans de présidence Obama.

La lenteur de la reprise économique et la dérégulation de Wall Street après la crise financière, c’est lui. Les gigantesques réductions d’impôts pour les milliardaires et multinationales, toujours lui. Les douze ans de retard dans la lutte contre le réchauffement climatique, le retrait des USA de l’accord sur le climat et sur le nucléaire iranien, encore Mitch. La victoire de Donald Trump et son maintien à la Maison-Blanche, l’abrogation probable du droit à l’avortement aux USA et la poursuite de l’impérialisme militaire américain, encore et toujours du McConnell.

Ne pas se fier aux apparences. Photo officielle de Mitch McConnell au Sénat, 2017. Wikimedia commons.

Comment un personnage si méconnu du grand public a-t-il pu exercer autant d’influence sur la société américaine, sur le début du 21e siècle et le destin de la planète ? Quelques explications s’imposent !

2007 : la crise du néolibéralisme et des valeurs conservatrices

Contextualisons l’arrivée au pouvoir de Mitch McConnell. En 2007, Barack Obama devient le premier président noir de l’histoire des États-Unis. Une crise financière d’une ampleur historique secoue la planète. Tandis que les valeurs progressistes s’imposent de plus en plus à la société américaine et au monde en général, le néolibéralisme traverse une crise de légitimité sans précédent. Le système financier, sauvé de justesse par les États, précipite la pire crise économique depuis 1929. À cela s’ajoute le fiasco de la guerre en Irak, l’usage de la torture par l’armée américaine et le scandale de Guantanamo Bay. Georges W. Bush est le président sortant le plus impopulaire de l’histoire.

Pour les conservateurs et les intérêts financiers qu’ils défendent, l’heure est grave. Comment justifier la poursuite de la libéralisation des marchés et du financement du gigantesque complexe militaro-industriel dans pareil contexte ? Aux inquiétudes des puissants industriels américains s’ajoute la défaite historique des valeurs conservatrices. L’arrivée d’Obama, un noir, à la Maison-Blanche, symbolise la perte d’influence de l’homme blanc américain. Les femmes, les homosexuels et les minorités ethniques obtiennent de plus en plus de droits et d’influence dans la société, et la possibilité d’un retour aux valeurs conservatrices de l’Amérique, en particulier la remise en cause du droit à l’avortement, la défense du port d’armes et de l’institution du mariage semble s’effondrer sous les pieds des conservateurs. Arrive Mitch.  

Si vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement des institutions américaines, nous vous recommandons de lire la première partie de cet article pour un rapide tour d’horizon.

McConnell, pur produit de l’establishment républicain

Après avoir travaillé dans le cabinet d’un sénateur républicain, puis en tant que haut magistrat, McConnell se présente à l’élection sénatoriale du Kentucky. Il détrône de justesse le démocrate sortant, avec seulement 5200 voix d’avance (0,04 %). Sa campagne repose sur de courts spots télévisuels diffusés sur les chaines locales, maniant l’humour avec deux slogans simples :  Where is Dee ? (où est Dee – pour se moquer de son adversaire Walter Dee, peu présent sur les bancs du sénat ni dans sa circonscription) et « Switch to Mitch ! » (changez pour Mitch). Tout au long de sa carrière, Mitch aura ainsi pour principale marque de fabrique d’éviter les débats de fond, d’attaquer l’adversaire au lieu de promouvoir ses idées (fluctuantes au gré des nécessitées) et de dépolitiser la politique pour la réduire à sa  plus sombre dimension politicienne. 

McConnell doit surtout son premier succès électoral à l’engouement pour Ronald Reagan, qui remporte une large victoire à la présidentielle et entraine avec lui de nombreuses victoires aux législatives (les Américains votant pour les deux scrutins le même jour).  

McConnell en 1992. Photo : wikimedia commons

Les États du Midwest tels que le Kentucky vont progressivement basculer dans le camp conservateur, et Mitch McConnell sera systématiquement réélu avec une marge importante. Il est désormais confortablement installé à son poste jusqu’en 2020.

Au sénat, il va peu à peu gagner de l’influence, gravissant les échelons patiemment. Président du comité électoral puis majority whip (responsable de la discipline de vote pour la majorité parlementaire républicaine), il obtient le poste de chef du groupe parlementaire en 2007. Les démocrates ayant la majorité au sénat, il sera logiquement « minority leader » ou en français « chef de l’opposition au parlement ».

Les années Obama : la fin justifie les moyens

La victoire de Barack Obama fait l’effet d’une bombe pour le camp républicain. Déjà en minorité parlementaire lors des deux dernières années de George W. Bush, ils perdent huit nouveaux sièges au sénat, offrant aux démocrates les 60 voix nécessaires pour une majorité absolue au 2/3. À la chambre des représentants, le déficit de sièges passe de 14 à 35. Quant à l’échelle locale, le parti démocrate gagne la gouvernance d’un État supplémentaire (passant à 29) et devient majoritaire dans les parlements de 27 États sur 50. Seule la Cour suprême est encore sous contrôle des conservateurs (6-3). Autrement dit, le Parti républicain se trouve en grande position de faiblesse.

Dans ce contexte, les politologues estiment que Barack Obama va pouvoir gouverner avec aisance, sa majorité absolue au Congrès lui permettant de faire passer tous les textes qu’il souhaite. Cela devrait logiquement inciter les élus républicains représentant des territoires ayant voté pour Obama à chercher à faire des « deals » et à pratiquer le bipartisme sur lequel le fonctionnement des institutions américaines repose. Le consensus à Washington prédit une présidence forte pour Obama, qui sera capable de faire passer des lois bipartisanes avec l’appui des républicains modérés, et ainsi remettre en selle le pays et rentrer dans l’histoire non seulement comme le premier président noir, mais comme un grand réformateur digne de Roosevelt, porté par un enthousiasme mondial.  

Opposition frontale

Cette vision va se fracasser contre le réalisme implacable de Mitch McConnell. Ce dernier met rapidement en place une discipline de fer dans ses rangs divisés afin d’adopter une stratégie d’opposition frontale, qui va ouvrir une nouvelle ère politique et permettre au parti républicain de construire les bases de ses victoires futures.

Notre principal objectif est que Barack Obama ne soit pas réélu. Mitch McConnell, en 2010.

Refusant le moindre compromis, Mitch va faire payer le prix politique le plus élevé possible à chaque décision d’Obama. Son opposition va d’abord se faire contre le plan de relance de l’économie, qui passera in-extrémiste au Congrès (61 voix sur les 60 requises) après avoir fait de nombreuses concessions qui auront pour effet de réaffecter plusieurs dizaines de milliards de dollars destinés à l’investissement public vers des baisses d’impôt pour les classes aisées. Le but était d’empêcher la reprise économique pour affaiblir Barack Obama, quitte à faire payer le prix fort à des millions d’Américains parmi les plus démunis, cœur de l’électorat démocrate.

Le GOP (Great Old Party, surnom du Parti républicain) va poursuivre cette stratégie d’opposition contre le plan de sauvetage de l’industrie automobile américaine (sans succès) puis contre la réforme de la santé (parvenant à en faire un enjeu majeur du débat public). La bataille pour cette loi, pilier du programme électoral d’Obama, va coûter très cher au parti démocrate. Les républicains refusent toute coopération, qualifiant un texte pourtant issu de leurs propres think tanks de projet socialiste liberticide.

Cette rhétorique, couplée à l’argument sur la nécessité du contrôle des déficits publics, va permettre de mobiliser un électorat conservateur derrière les bannières du Tea Party, sur fond de ressentiment raciste envers le premier président noir des USA.

President Barack Obama meets with Senate Minority Leader Sen. Mitch McConnell, R-Ky., in the Oval Office, Aug. 4, 2010. (Official White House Photo by Pete Souza) – Wikicommons. 

 

Mitch McConnell va remporter les fruits de cette stratégie plus tôt que prévu. Dès l’hiver 2009, l’élection anticipée du sénateur du Massachusetts est perdue par le parti démocrate, donnant aux républicains un pouvoir de blocage au sénat (41 sièges contre 59). Ceci oblige Obama à passer en force pour faire voter la réforme de la santé, à l’aide de la règle d’exception budgétaire qui permet de briser la minorité de blocage sous certaines conditions.

Les républicains font campagne aux élections de mi-mandat contre la réforme de la santé, dépeinte comme un coup d’état socialiste, et remportent une très large victoire. La chambre des représentants repasse sous leur contrôle (+63 sièges), la majorité démocrate au sénat est affaiblie (51-49 suite à la perte nette de huit sièges sur 37 mis en jeu) et 8 États passent sous contrôle républicain.

Cette vague conservatrice va jeter la base de la reconquête du pouvoir par le parti républicain, qui va faire voter des lois cherchant à restreindre l’accès au vote des minorités ethniques et des classes populaires, visant en particulier l’électorat noir « avec une précision chirurgicale ». Le redécoupage des circonscriptions électorales (qui a lieu tous les dix ans) sera également effectué pour donner un très net avantage au GOP.

Cohabitation avec Obama

Disposant désormais d’une capacité de blocage totale au Congrès, McConnell va débuter une stratégie d’obstruction parlementaire systématique. En plus du véto apposé aux efforts législatifs d’Obama et aux nominations de nombreux juges fédéraux, Mitch va utiliser les votes annuels sur le budget pour exercer un chantage sans limites, allant jusqu’à bloquer des textes issus de son propre parti pour forcer des concessions. Il ira jusqu’à provoquer le « shut down » du gouvernement, les fonctionnaires cessant d’être payés pendant trois semaines, le temps que le budget soit finalement voté.

McConnell va ainsi sauver les baisses d’impôts temporels sur les 1 % les plus riches mises en place par Georges W. Bush, et empêcher la fermeture de Guantanamo Bay. Obama sera contraint d’adopter les lois les plus restrictives de l’histoire moderne du pays en termes d’immigration, de déporter 2,5 millions de sans-papiers au cours de son double mandat, et de renoncer à toutes ses grandes promesses de campagne, y compris en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Obama remporte la présidentielle de 2012, mais le Congrès reste dominé par le parti républicain grâce à une minorité de blocage au sénat (47 républicains contre 53 sénateurs démocrates) et une majorité nette à la chambre des représentants.

Nous sommes face à un président avec 70 % d’opinion favorable. On ne l’attaque pas frontalement. On trouve des problématiques où nous pouvons gagner, et on commence à le battre, une problématique à la fois. On génère un inventaire de défaites, de sorte que le récit devienne « Obama a perdu sur ceci, Obama a perdu sur cela ». Mitch McConnell, en 2008. 

Le second mandat d’Obama va démarrer dans les mêmes conditions de cohabitation. McConnell continue de bloquer toutes les initiatives issues de la Maison-Blanche, forçant Obama à gouverner de plus en plus par décret présidentiel, ce qui renforce son image de président illégitime auprès de l’électorat républicain.

L’opposition féroce de McConnell va avoir un second effet redoutable : elle va démoraliser et démobiliser l’électorat démocrate, infligeant à Obama une défaite d’ampleur historique lors des législatives de mi-mandat de 2014. Le taux d’abstention record (65 %) et les dispositifs de restriction de vote et de gerrymandering mis en place dans les États contrôlés par les républicains vont accentuer le désavantage des démocrates. En dépit d’une opinion favorable, Obama va réussir le triste exploit de perdre sa majorité au Sénat et d’affaiblir considérablement le parti démocrate, pavant la voie à la victoire de Donald Trump en 2016.

McConnell devient « Majority leader », chef de la majorité parlementaire. Il va utiliser cette fonction pour polariser à l’extrême chaque prise de position d’Obama, y compris sur des sujets aussi consensuels que l’accord sur le nucléaire iranien, la détente avec Cuba et les accords de Paris sur le climat. Trois traités que Trump s’empressera de déchirer dans les premiers mois de sa présidence, avec le soutien de l’électorat républicain et la bénédiction de McConnell.

L’élection de Donald Trump et le coup de maitre de la Cour Suprême

En 2016, le juge à la Cour suprême Anthony Scalia, un conservateur nommé sous Georges W. Bush, décède. Le nouveau siège doit être attribué au candidat nommé par Obama, qui choisit un magistrat susceptible de recueillir un certain consensus. Le Sénat doit conduire une série d’auditions avant de voter la confirmation ou non de ce juge, ce qui doit offrir l’opportunité aux sénateurs républicains élus dans des États disputés de faire un compromis.

C’est sans compter sur Mitch McConnell, qui décide d’inventer une nouvelle règle sortie de nulle part : puisque 2016 est une année d’élection, il conviendrait d’attendre l’issue de la présidentielle. Sur cette base, il refuse d’auditionner le candidat nommé par Obama, bloquant la Cour suprême pendant huit longs mois.

La nomination du juge par le futur président va devenir un enjeu majeur de l’élection présidentielle, car la plus puissante institution américaine est susceptible de basculer d’une majorité démocrate (5 juges à 4) vers une large majorité (6-3) ou une minorité (4-5) en fonction des élections de 2016.

Cet enjeu crucial, mieux compris de l’électorat traditionnel et conservateur américain (plus âgé et politisé), va permettre de mobiliser les républicains modérés derrière Donald Trump, ainsi que la puissance de feu des milieux religieux et fondamentalistes évangélistes. La question de la suppression du droit à l’avortement sera au cœur du troisième débat présidentiel, et Donald Trump marquera des points cruciaux face à Hillary Clinton.

Une fois de plus, Mitch voit juste. Trump remporte la Maison-Blanche, le GOP obtient une courte majorité au Sénat (52-48) et une très large majorité à la chambre des représentants (+35 sièges, dont 20 à 30 gagnés par le simple jeu du découpage arbitraire des circonscriptions fait en 2010). Près de deux millions d’électeurs n’auraient pas pu voter du fait des lois restreignant l’accès au vote mises en place par le GOP dans 14 États.

Une fois à la Maison-Blanche, Trump va pouvoir nommer à la Cour suprême un juge ultraconservateur et particulièrement jeune qui assure une voix à la droite extrême américaine pour les trente prochaines années. Devant le refus catégorique des démocrates de fournir les 60 votes nécessaires à sa confirmation (les républicains ne disposent que de 52 sièges), McConnell fait passer une loi (nommé « option nucléaire » par Donald Trump) modifiant le critère de confirmation d’un juge, qui passe de 60 à 51 voix.

Neil Gorush devient ainsi juge à la Cour suprême, et autorise la loi anti-musulmans (travel ban) de Donald Trump dans les mois qui suivent. 

Mitch McConnell et les années Donald Trump

Au début de sa carrière, Mitch McConnell passait pour un modéré de centre droit. Il se range désormais aux positions d’extrême droite de Donald Trump après avoir embrassé les points de vue ultras réactionnaires du Tea Party. Mitch se moque de sa cote de popularité ou des combats idéologiques. Ce qui l’intéresse, c’est l’efficacité. Opportuniste, cynique, calculateur, mais visionnaire, McConnell restera dans les annales comme un redoutable homme de parti et un stratège hors pair. Sa fidélité va à sa formation politique et ses donateurs, principalement les institutions financières de Wall Street, les grandes industries et les riches milliardaires et hommes d’affaires. Surnommé « Terminator » par certains commentateurs influents dans les milieux conservateurs, Mitch impose sa volonté à la façon d’une machine.

Mitch McConnell à un congrès de la NRA, le lobby des armes à feu. Photo Wikimedia commons.

Ainsi, il préfère ne pas prendre parti pour les candidats républicains lors de la primaire présidentielle, juge sévèrement les propos les plus choquants de Donald Trump tout en soutenant sa candidature sur le principe du respect des électeurs. Comme beaucoup, il n’imaginait pas que Trump pourrait gagner la présidentielle. Mais il a su remarquablement bien tirer profit de cette victoire.

Loin de s’opposer frontalement au président ou de chercher à le contenir, il a signé un accord tacite qui pourrait se résumer facilement par « tant que Trump ne s’oppose pas frontalement aux intérêts de mes donateurs, je m’accommoderai de sa présidence ». Autrement dit, McConnell couvre les multiples affaires de corruption et de conflits d’intérêts qui touchent la Maison-Blanche, protège Trump d’une destitution ou d’enquêtes parlementaires et judiciaires, et lui pardonne toutes ses frasques. C’est le prix à payer, estime-t-il, pour continuer de faire avancer l’agenda néoconservateur.

En deux ans, Mitch McConnel a ainsi pu défaire les principales régulations bancaires mises en place par Obama, affaiblir considérablement la réforme de santé Obamacare, garnir la Cour suprême de justice et de nombreuses Cours fédérales de magistrats ultras conservateurs à une vitesse remarquable, poursuivre l’effort du parti républicain de réduire le droit de vote des minorités ethniques et des classes populaires, affaiblir considérablement les syndicats, supprimer les régulations protégeant l’environnement, supprimer la neutralité d’internet et faire voter la plus spectaculaire hausse du budget militaire américain.

Sa plus belle victoire demeure cependant la mise en place des plus grosses baisses d’impôts (2500 milliards sur dix ans) jamais concédées aux 1 % les plus riches et aux multinationales. Un roman en soi, dont le point crucial demeure l’impressionnante hypocrisie de McConnell : après avoir bloqué pendant six ans la moindre réforme d’Obama en se réclamant du principe du contrôle des déficits publics, Mitch a décidé depuis l’arrivée de Trump que finalement les déficits ne sont pas un problème. Les baisses d’impôt de 2017 creusent la dette américaine de 1500 milliards supplémentaires, et il balaye cela d’un haussement d’épaules pendant que les démocrates, si scrupuleux dans le respect des règles budgétaires que leur impose Mitch depuis dix ans, hurlent au scandale.

Bis repetita à la Cour Suprême

La démission du juge Ted Kennedy (aucun lien avec le président) un républicain de centre droit, offre à Donald Trump l’opportunité de renforcer l’emprise du parti républicain sur la Cour Suprême pour les vingt prochaines années. Après avoir émis des réserves quant au candidat retenu par le président, McConnell s’est exécuté. Faisant fi de sa propre règle, il précipite le processus de nomination de Brett Kavanaugh, qui devrait être confirmé quatre semaines avant les élections des midterms.

Les protestations des démocrates n’ont reçu comme seule réponse qu’un haussement d’épaules et un sourire en coin. Mitch a bloqué (à l’initiative de la Maison-Blanche) la diffusion de cent mille pages de documents retraçant l’historique professionnel de Kavanaugh dans le but d’empêcher les démocrates de déterrer des informations susceptibles de disqualifier cet extrémiste. La veille des auditions, 40 000 pages de documents ont finalement été transmises aux sénateurs démocrates.

Les audiences ont confirmé les pires craintes du camp progressiste : Brett Kavanaugh devrait permettre aux conservateurs d’abolir le droit à l’avortement dans les douze prochains mois, de s’attaquer à la contraception et de faire reculer le droit de vote des noirs à l’âge de Martin Luther King. Les récentes accusations d’agression sexuelle dont est la cible Brett Kavanaugh ne semblent pas en mesure de stopper Mitch « terminator » McConnell, bien décidé à confirmer la nomination du juge avant les élections de mi-mandats. Il y parviendra de justesse, malgré une oposition inédite de la rue et des milieux activistes.

Rest In Peace, RBG…

Mais c’est en 2020, avec le décès de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, que la stratégie de Mitch McConnell va démontrer l’étendue de son cynisme. Là où les démocrates tendent à hésiter, à s’interroger sur leurs principes, à s’inquiéter de la perception par le public et la sphère médiatique conservatrice de leurs actions, Mitch ne pense qu’à une chose : conserver le pouvoir. Tous les moyens sont bons, et quatre heures après le décès de « RBG », icône populaire, il déclare déjà que la personne nommée par Trump pour la remplacer à la Cour suprême « recevra un vote du Sénat ». La règle inventée en 2016 est définitivement enterrée. L’enjeu de ce siège à la Cour Suprême devient le sujet majeur de la campagne présidentielle, reléguant les faillites de Trump dans sa gestion du Covid19, de l’économie et des tensions raciales aux oubliettes. 

Avec la prise de contrôle de la Cour suprême pour les trentes prochaines années, le parti républicain achèvera sa spectaculaire reconquête du pouvoir entamé en 2007, à la prise de fonction de Mitch McConnell à la tête du Sénat.

Conclusion

Après avoir tenu en échec le premier président noir de l’histoire de l’Amérique et bloqué tout projet progressiste, Mitch McConnell a mis en place l’essentiel de l’agenda politique conservateur, en dépit de sa profonde impopularité. Aux baisses d’impôts sans précédent offertes aux 1 % les plus riches et aux multinationales s’ajoutent l’augmentation perpétuelle du budget militaire américain, le recul stupéfiant des droits civiques, et la destruction des principales régulations financières et environnementales. S’il parvient à confirmer le successeur de RBG à  la Cour Suprême, son triomphe sera complet.

Tout cela, Mitch McConnell semble l’avoir accompli à rebours de l’Histoire, alors que les idées progressistes sont désormais largement majoritaires aux USA. 

Il serait tentant d’essentialiser le rôle de Mitch, de faire de ce curieux personnage au charisme d’huitre le parfait symbole de l’antihéros. Mais McConnell n’agit pas seul, et une analyse marxiste de l’Histoire permet de mieux expliquer son insolente réussite. Dans un monde qui concentre de plus en plus les richesses, la classe dominante accapare toujours plus de pouvoir, et s’allie mécaniquement aux forces ultra-réactionnaires pour maintenir un semblant de cohésion sociale.

Le succès de Mitch McConnell révèle la nature profondément antidémocratique des institutions américaines (et nous pourrions faire ici un parallèle avec la situation de l’Union européenne). Il démontre aussi l’importance d’exercer le peu de pouvoir que nous avons en votant systématiquement à chaque élection. Si l’électorat d’Obama n’avait pas boudé les midterms, nous vivrions dans un monde très différent, au lieu de subir une politique relevant du crime contre l’humanité. 

On notera, pour finir, que la stratégie de Mitch McConnell risque tôt ou tard de coûter cher au camp républicain. Le GOP s’est durablement compromis en maintenant Donald Trump à la Maison-Blanche et en bafouant aussi ouvertement la démocratie. Si Mitch McConnell a  contribué à diviser les  Américains tout en affaiblissant leur confiance dans les institutions, il vient nous rappeler que la politique n’est ni un dîner de gala ni une histoire de « pragmatisme » et de « compromis ».  Elle est faite de conflictualité et de combats. 

Reste à savoir si les forces progressistes seront capables de monter sur le ring avant qu’il ne soit trop tard. 

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Sources principales pour cet article:


4 réactions au sujet de « L’homme politique le plus influent du 21e siècle se prénomme « Mitch » »

  1. Et si les démocrates faisaient pareil que lui (s’opposer systématiquement à un président républicain même si la loi est dans leur intérêt), il se passerait quoi?

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