Qui affrontera Trump en 2020 : comprendre les primaires démocrates
Prendre la Maison-Blanche à un candidat sortant n’a jamais été chose facile, et l’histoire récente montre que les occupants du bureau ovale restent généralement huit ans. Mais Donald Trump n’est pas n’importe quel président. Impopulaire malgré une économie au beau fixe, il représente aussi, selon le philosophe Noam Chomsky, un danger existentiel pour l’humanité.
Le premier débat des primaires du parti démocrate devrait permettre de se faire une meilleure idée de la personnalité à qui sera confiée la lourde tâche de barrer la route à quatre années supplémentaires de dérives autoritaires, xénophobes, écocides et ultra conservatrices incarnées par Donald Trump. Une élection impossible à perdre sur le papier, à condition de sélectionner le bon candidat. Pour tout comprendre aux primaires du parti démocrate, suivez le guide.
1) Un enjeu capital
Si Donald Trump n’est que le symptôme d’un problème plus profond aux causes multiples, il n’en demeure pas moins un dangereux facteur d’aggravation de la triple crise qui affecte le globe : démocratique, sociale et écologique.
En matière d’environnement, son action ne se contente pas de nier le réchauffement climatique et de saborder les accords internationaux. Il participe activement, par voie de décrets, à la dérégulation de l’industrie américaine, à l’aggravation des rejets de gaz à effet de serre et au subventionnement des industries les plus polluantes. À titre d’exemple, son administration vient, à la demande des raffineurs américains, de supprimer la réglementation sur la consommation des véhicules à essence mise en place par Obama. L’impact de cette décision se chiffre à 120 millions de tonnes de C02 supplémentaires rejetés dans l’atmosphère d’ici à 2035, soit l’équivalent, en ordre de grandeur, du remplacement du parc de production d’électricité nucléaire française par des centrales à charbon. (1)
Sur le plan de la démocratie ensuite, Trump érode durablement les institutions américaines par ses multiples entreprises de corruption, ses attaques contre la presse, contre l’opposition citoyenne et les contre-pouvoirs. Pour de nombreux universitaires spécialistes de ces questions, Trump se comporte comme un dirigeant fasciste, faisant appel aux mêmes signifiants et tactiques. Dans ses meetings, les journalistes sont souvent physiquement menacés et les foules encouragées à scander des slogans fascisants. (2)
Ce comportement n’encourage pas seulement les violences racistes aux USA, il favorise la prise de pouvoir de dirigeants « Trumpiens » dans d’autres démocraties, comme le Brésil et le Royaume-Uni.
Au-delà des postures et des mots, il y a les actions judiciaires entreprises par son administration contre les journalistes, qui menacent le 1er amendement, les procédures visant à limiter le droit de vote des personnes de couleurs et des étudiants, et la nomination à vie d’une centaine de juges fédéraux aux positions extrémistes. En d’autres termes, quatre années supplémentaires de Trump feraient durablement basculer à l’extrême droite la plus puissante institution des États-Unis, à savoir la justice.
Sa politique économique et sociale, enfin, aggrave les inégalités et cible les plus démunis, aux États-Unis comme à l’international. Ses sanctions économiques contre l’Iran provoquent un effondrement du pays, alors qu’elles auraient déjà couté la vie à plus de 40 000 Vénézuéliens, selon une étude publiée par un think tank américain.
Si on ajoute les multiples violations des droits de l’homme perpétrées contre les migrants à la frontière, la séparation volontaire et permanente des mères d’avec leurs enfants, les conditions de détention proches d’un univers concentrationnaire, les attaques contre les minorités sur le sol américain et une politique étrangère confiée aux pires néoconservateurs de l’ère Bush qui nous rapproche chaque jour un peu plus près d’un cataclysme nucléaire du fait de la dénonciation des traités de non-prolifération, on comprend que la réélection de Donald Trump aurait des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la planète, quoi qu’on pense par ailleurs de certaines de ses initiatives politiques où prises de position.
2) Une mission difficile, mais largement à portée du parti démocrate
Avec un taux de chômage historiquement bas, une économie en pleine forme et l’absence de conflit militaire majeur, la réélection de Donald Trump devrait être une simple formalité.
Depuis Jimmy Carter, un seul président américain n’a pas été réélu : Georges Bush père. Sa défaite faisait suite à une récession économique, douze ans de présidence conservatrice et s’explique surtout par la candidature dissidente d’un second postulant issu de la droite, qui a divisé son électorat (William Clinton ne l’emportant qu’avec 43% des suffrages).
En théorie, Trump sera réélu.
En pratique, l’économie ne profite pas à tout le monde. L’espérance de vie baisse, les salaires stagnent, le taux de suicide atteint des records absolu et près d’un Américain sur deux n’a pas de quoi faire face à une dépense surprise de plus de 350 euros. Surtout, le milliardaire reste largement impopulaire, avec un taux d’opinions favorables qui oscille entre 37 et 43% et semble s’être stabilisé à 42%. Soit entre 6 et 20 points de moins que ses trois prédécesseurs au même moment de leur premier mandat. Il vient également de subir une très large défaite aux élections de mi-mandat, reculant dans toutes les zones géographiques et catégories socioprofessionnelles.
Surtout, ce que de nombreux observateurs, en particulier dans les médias français, ne semblent pas comprendre, c’est que l’élection présidentielle ne se joue pas au niveau national, mais dans une poignée d’États clés.
En 2016, Trump est élu sur le fil grâce à 77 494 voix d’écart réparties sur trois États : le Wisconsin (0.7 % d’écart et 22 748 voix), le Michigan (0.2 % d’écart et 10 704 voix) et la Pennsylvanie (0.7 % et 44 292). [3]
Or sa popularité dans ces trois anciens bastions démocrates s’est effondrée. Lors des élections de mi-mandat, les candidats démocrates ont obtenu de larges victoires, par dix points d’écart sur leurs opposants soutenus par Donald Trump.
Confirmant cette logique, les derniers sondages publiés par Fox News montrent un président en difficulté dans ces États, où il accuse 12 points de retard en moyenne, mais également dans des bastions républicains comme le Texas, où il serait au coude à coude avec les deux principaux candidats démocrates (Joe Biden et Bernie Sanders). En clair, si Trump conserve un socle électoral très solide à l’échelle du pays, sa base s’effondre dans plusieurs États clés qu’il avait remportés en 2016.
Trump pourra néamoins compter sur le soutien indéfectible du parti républicain et du gigantesque appareil médiatique conservateur, FoxNews en tête, pour propulser sa campagne et attaquer son adversaire. Cependant, si l’élection devait avoir lieu aujourd’hui, il subirait une défaite d’ampleur historique.
C’est pour ces raisons qu’il a choisi de lancer sa campagne en Floride, devant une immense foule de partisans électrisés. Son discours s’est orienté sur deux axes : l’excellente santé de l’économie liée à ses promesses tenues qui signe « le retour du rêve américain », et la stigmatisation de l’idéologie démocrate qui lui fait dire «nos opposants sont radicaux, ils sont motivés par la haine, les préjugés et leur rage, ils veulent vous détruire, et ils veulent détruire notre pays tel que nous le connaissons ». D’où son nouveau slogan « Keep America Great » et la multiplication de ses attaques contre ce qui menace ses électeurs : les immigrés, les démocrates et gauchistes « hors de contrôle », les médias « fake news » et l’État profond, incarné par le FBI et l’enquête du procureur Muller dans le cadre du « RussiaGate ». Il dépeint cette dernière comme une tentative de coup d’État médiatico-judiciaire dirigé avant tout contre ses électeurs dans le but d’annuler leur vote (on serait tenté de lui donner raison sur ce point).
Le choix du candidat démocrate pour contrer cette rhétorique bien huilée, à laquelle il doit son élection de 2016, sera donc crucial.
3) Les primaires démocrates : comprendre le fonctionnement
Avant de parler des candidats, il semble important de comprendre les grands principes du mode de désignation du futur champion.
La campagne des primaires a débuté très tôt, avec les premières annonces de candidatures effectuées dès février 2019. Elle va s’accélérer à partir du 26 juin, date du premier des douze débats télévisés prévus d’ici avril 2020.
Les élections elles-mêmes ne débuteront qu’en février 2020, et s’effectueront État par État, jusqu’au mois de juin. La convention du parti démocrate, prévue à la fin de ce calendrier, permettra de désigner le vainqueur. En clair, dans exactement un an jour pour jour, nous connaîtrons l’identité de l’adversaire de Donald Trump.
Comment sera-t-il désigné ? Il faut s’accrocher un peu pour comprendre.
A priori, les règles sont simples : pour l’emporter, il suffit d’obtenir une majorité de « délégués » parmi les 3 768 qui sont attribués État par État, en fonction du poids démographique (la Californie étant celle qui en met le plus en jeu, et le Wyoming le moins).
Les règles d’attribution des délégués (et de participation aux primaires) varient quelque peu selon les États. En général, les délégués sont intronisés à la proportionnelle, mais il existe un seuil relativement élevé (typiquement 15% des votes) pour obtenir les premiers délégués.
Par exemple, le Texas donne 228 délégués. Si Joe Biden et Elizabeth Warren sont les deux seuls candidats à obtenir plus de 15% des voix, et finissent tous les deux avec 30%, ils obtiendront 114 délégués chacun.
La « course » aux primaires prend donc la forme d’un marathon dont le but est d’accumuler une majorité de délégués. Cette fois-ci, elle débute par le caucus de l’Iowa (le 3 février), puis la primaire du New Hampshire (le 11), le caucus du Nevada (le 22) et la primaire de Caroline du Sud (le 28) avant le « super tuesday » du 3 Mars où une quinzaine d’États, dont la Californie et le Texas, organisent le même jour leurs primaires, mettant en jeu près de la moitié des délégués.
Le calendrier est important, car il permet de construire rapidement, dès les primaires de l’Iowa et du New Hampshire, une dynamique, qui se confirme ensuite avec le super tuesday. En clair, on pourrait connaître le nom du vainqueur dès la mi-mars, ou du moins le trio de tête.
Cette notion de « dynamique » donne un poids très important aux deux premières primaires des petits États de l’Iowa et du New Hampshire, car ils permettent de traduire dans les urnes les prédictions des sondages, de dessiner un rapport de force et d’orienter considérablement le jeu des votes utiles ainsi que la couverture médiatique des favoris.
Notons enfin que toutes les élections ne sont pas égales. l’Iowa et le Nevada procèdent sur le mode du « caucus », c’est-à-dire une assemblée d’électeurs réunis par bureaux de vote, et qui débattent du candidat à soutenir avant de voter individuellement. Plus contraignants, les caucus mobilisent surtout les cercles militants.
Les candidats vont ainsi concentrer leurs efforts sur ces premiers États afin de construire une dynamique favorable avant le super tuesday. Les primaires seront rythmées par les débats, les sondages dans les différents États, puis les résultats de chaque primaire. De nombreux candidats jetteront l’éponge avant le caucus de l’Iowa (si les sondages sont trop mauvais et les frais de campagnes trop élevés pour eux), soit après les premières primaires.
4) Qui sont les candidats et les favoris à la primaire démocrate ?
La course pourrait se résumer à un favori des sondages, Joe Biden, et trois à quatre outsiders allant du plus connu (Bernie Sanders) au plus jeune (Pete Buttigieg phénomène médiatique comparable à Emmanuel Macron) et deux sénatrices, Elizabeth Warren et Kamala Harris. La couverture médiatique reflète cette séparation :
Mais au total, ce sont pas moins de 24 candidats officiels, dont 20 remplissent les critères de sélection pour participer au premier débat télévisé, qui vont se disputer l’investiture. C’est sept de plus que les 17 candidats du parti républicain en 2016 et le quadruple des précédentes primaires démocrates.
En tête du peloton : cinq noms qui devraient se disputer l’élection
À en croire les sondages, les financements collectés par leurs campagnes respectives et la couverture médiatique, cinq candidats sortent clairement du lot. De droite à gauche en termes de positionnement politique, on trouve :
Joe Biden, grand favori des sondages et ancien vice-président de Barack Obama
Aux USA plus qu’ailleurs, le « name recognition » ou « électabilité » joue pour beaucoup, et Joe Biden bénéficie certainement de l’image positive associée à Barack Obama, dont il fut pendant huit ans le vice-président.
Particulièrement populaire auprès des plus de 50 ans, qui votent dans des proportions plus grandes que la moyenne, et des Afro-Américains, électorat clé du parti démocrate, « Uncle Joe » capitalise sur la nostalgie de l’ère Obama.
Sa célébrité lui permet d’apparaître plus « présidentiable » que la moyenne et, par ce simple fait, plus susceptible de battre Trump, qualité première recherchée par les électeurs avant de s’intéresser au positionnement politique, selon de nombreuses enquêtes d’opinions.
Pourtant, son bagage politique et son positionnement ont de quoi inquiéter au plus haut point. [4] Parfait avatar d’Hillary Clinton, avec quelques casseroles en moins, il représente cette aile conservatrice du parti démocrate qui avait été massivement rejetée en 2016. Biden a énergiquement défendu et voté pour la guerre en Irak. En tant que sénateur, il a accompagné la signature des traités de libre-échange sous Bill Clinton, et fut un des principaux instigateurs de la politique d’incarcération de masse des Afro-Américains dans les années 90. On pourrait également lui reprocher son soutien indéfectible au secteur bancaire, ses positions contre le droit à l’avortement (désormais sérieusement menacé par Donald Trump) et une certaine légèreté avec les femmes, problématique à l’ère du #metoo. Un candidat anachronique, en quelque sorte.
Joe Biden semble déterminé à jouer la carte de l’apaisement, promettant de travailler avec le parti républicain une fois élu, et balayant la victoire de Trump comme un simple accident. Biden, c’est la promesse du retour à la normale, au statu quo de l’ère Obama, au compromis.
Devant un parterre de riches donateurs, il a récemment déclaré qu’avec lui « votre niveau de vie ne changera pas, rien de fondamental ne changera » avant d’ajouter « j’ai vraiment besoin de votre soutien, si je gagne, je ne vous décevrais pas ». Du Clinton tout craché.
Si sa ligne conciliante a le mérite de chercher à apaiser un pays profondément divisé. Si elle peut séduire quelques électeurs républicains modérés, elle ignore superbement les causes qui expliquent la victoire de Trump, et ne semble tirer aucune leçon de l’échec de la culture du compromis qui avait empêché Obama de gouverner avec un parti républicain radicalisé.
Autrement dit, il semblerait suicidaire de confier à ce néolibéral et conservateur âgé de 75 ans la tache de battre Trump, alors qu’il incarne le même positionnement politique qu’Hillary Clinton, courtise les financiers comme elle et semble prisonnier d’un prisme de lecture issue des années Bill Clinton. Surtout, l’idée de rassembler le centre et les modérés face à Trump a déjà échoué en 2016, et ne résiste pas à l’analyse des sondages qui donnent Bernie Sanders et Joe Biden avec le même écart favorable (plus dix points) face à Trump.
Essayer sans cesse des choses qui ont déjà échoué, n’est-ce pas là la définition de la folie ?
Trump ne s’y trompe pas, et semble avoir jeté son dévolu sur Biden, qu’il espère affronter en 2020. Le considérant comme la version masculine d’Hillary Clinton, il espère pouvoir mener contre lui le même type de campagne où il incarnerait de nouveau le candidat antisystème contre un vieux politicard corrompu par la finance.
Pete Buttigieg, le macronisme à l’américaine
Le maire de la ville de South Bend, en Indiana, est jeune, intelligent, parle huit langues (dont le Norvégien), affiche ouvertement son homosexualité et séduit par une rhétorique maîtrisée.
Mais derrière les phrases policées et les sourires charmants, le vide idéologique perdure. Comme un certain président français, il se félicitait de ne pas avoir de programme, alors que ses prises de position le classent clairement à la droite de son parti, libéral sur les questions de société, mais pro-business et néolibéral sur le plan économique.
En tant que maire homosexuel d’une ville de taille moyenne située au coeur de l’État conservateur dont provient l’évangéliste intégriste et vice-président de Donald Trump, Mike Pence, Pete Buttigieg dénote. Ayant fait Harvard, la guerre en Afghanistan, passé par le cabinet d’étude McKinley et affichant fièrement son origine rurale, il a rapidement suscité la curiosité et l’engouement des médias. Son sens de la répartie et son éloquence politicienne on fait le reste.
Pourtant, sa politique du logement impressionne moins. Pour attirer la bourgeoisie locale et moderniser le centre-ville, il n’a pas hésité à détruire des logements sociaux, pousser les classes populaires hors du centre-ville et fait la chasse aux sans-abri dans une logique de gentrification poussée à l’extrême. [5]
Pour 2020, il promet de réformer les institutions et les règles démocratiques pour mettre fin aux pratiques abusives qui offrent un avantage certain au parti républicain, mais refuse de suivre le mouvement de son propre parti en évitant soigneusement de soutenir la fameuse réforme de la santé universelle (Medicare for All) et le « green new deal » dans sa version ambitieuse.
Entretenant le flou, il se positionne comme l’idéal candidat de rechange pour l’establishment du parti démocrate, si Joe Biden venait à s’effondrer. Le New York Times a ainsi révélé qu’il avait participé, avec d’autres cadres du parti, à des soirées de levée de fond avec de riches donateurs dont le thème central était « comment stopper Bernie Sanders ».
Kamala Harris : de gauche, mais pas trop
Sur le papier, la sénatrice de la Californie a tout pour plaire. Femme métissée, relativement jeune, de père Jamaïcain et de mère Indienne, elle semble en phase avec le revirement à gauche du parti entamé depuis 2016 et la campagne de Bernie Sanders.
En tant qu’ancienne Procureur générale de la Californie, elle bénéficie d’une aura de sérieux et a plusieurs fois brillé en menant des auditions pugnaces au Sénat. Son aisance oratoire renforce cette impression de grande maitrise des sujets, mais la substance des réponses qu’elle donne laisse souvent entrevoir une langue de bois qui rappelle Hillary Clinton.
En réalité, si ses prises de positions et votes au Sénat lui confèrent une position à la gauche du parti, son passé de procureur général en Califronie témoigne plutôt d’un conservatisme problématique et d’une compromission avec le statu quo qui lui ont valu des articles acerbes. Si elle défend l’assurance maladie universelle et le green new deal en public, en privé elle se veut plus modérée et soucieuse de rassurer les assurances privées et les intérêts financiers, Wall Street compris.
Comme nombres d’autres candidats derrière elle dans les enquêtes d’opinions et bénéficiant d’une moins grande couverture médiatique, Harris rejoint la catégorie de politiciens « de gauche en public, de droite en privé », comme su le faire Barack Obama en son temps. Sa popularité en Californie, État qui offre le plus grand nombre de délégués, lui assure de solides chances de figurer en outsider sérieux, voire en favori potentiel de l’establishment démocrate si Joe Biden venait à s’effondrer.
Elizabeth Warren, la candidate qui a un plan pour dompter le capitalisme
La Sénatrice du Massachusetts a un atout considérable : son histoire personnelle. Ancienne membre du parti républicain ayant grandi dans une famille conservatrice, elle obtient un doctorat en droit des affaires et se spécialise dans les questions de faillites, sujet qu’elle enseigne à la prestigieuse université d’Harvard.
C’est en se confrontant à ces questions qu’elle réalise peu à peu que le système capitaliste néolibéral est biaisé en faveur des puissants et « ne fonctionne plus ». En 1996, elle rejoint le parti démocrate, puis sera sollicitée par Barack Obama en 2009 pour travailler sur la régulation bancaire. Trop à gauche pour ce dernier, partisane de la séparation des banques d’affaires et de dépôts (le fameux Glass Steagal act), elle sera finalement écartée de son rôle dans l’administration Obama, mais sera élue en 2012 au Sénat, où elle défendra une ligne politique « progressiste » qui la rapproche de Bernie Sanders.
Elle se définit comme une « capitaliste jusqu’à l’os » et affirme « croire au marché », mais à condition qu’il soit lourdement régulé. Depuis l’annonce de sa candidature, elle multiplie les propositions audacieuses, très détaillées, et toujours financées. « J’ai un plan pour cela » est rapidement devenu son slogan officieux. Elle souhaite ainsi mettre en place un impôt sur la fortune américain (dont elle a détaillé les modalités avec l’aide des économistes français Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez), démanteler les GAFAMS, mettre en place un impôt sur les bénéfices des multinationales à la source, imposer la présence de 40% de délégués syndicaux dans les conseils d’administration, veut annuler les deux tiers des dettes étudiantes, soutien le « green new deal » et veut en finir avec les prisons privées et l’influence de l’argent en politique. Elle défend le doublement du salaire minimum fédéral à 15 dollars de l’heure et dénonce activement la politique étrangère de l’administration Trump.
Bien qu’elle soit plus modérée que Bernie Sanders, un fossé la sépare du reste des principaux candidats démocrates et cadres du parti, comme le rappelle la journaliste Naomi Klein, qui appelle la gauche américaine à considérer les candidatures de Sanders (qui a sa préférence) et Warren comme complémentaires et capables d’élargir la base progressiste, plutôt que concurrentes.
Néanmoins, Elizabeth Warren a su se positionner de manière stratégique, évitant de s’en prendre ouvertement aux compagnies d’assurance maladie privées et refusant de détailler son projet pour l’assurance maladie universelle, laissant entendre qu’elle a « un plan pour tout, sauf pour la santé », principale question qui touche les Américains. Sa tournée des bases militaires rassure également le tout puissant complexe militaro-industriel, et inquiète la gauche radicale. [6]
Ces choix lui permettent de jouir, selon une enquête du journal Politico, d’une bonne image auprès de l’establishment démocrate qui serait prêt à s’accommoder de Warren pour s’éviter Bernie Sanders. Pourtant, son récent discours sur sa vision « de nationalisme économique » reprenait furieusement la rhétorique anti-élite de Sanders, et anti-libre échange de Donald Trump, au point de séduire la star de Fox News Tucker Carlson. Pour Jacobin, revue socialiste influente, la multiplication des propositions détaillées de Warren cache une autre faiblesse : son incapacité à articuler une politique de classe qui serait indispensable pour appliquer un programme si ambitieux. Warren serait trop technocrate, pas assez marxiste. [7]
On notera, cependant, qu’elle a aussi un plan détaillé pour faire passer ses propositions au Sénat : elle n’hésite pas à proposer de profondes réformes institutionnelles en supprimant la règle de majorité qualifiée au Sénat, en usant des décrets présidentiels et en faisant voter une loi anticorruption ambitieuse.
Reste une question évidente : peut-on faire confiance à Elizabeth Warren pour mener à bien ce projet radical ? Son histoire personnelle nous montre sa force et ses faiblesses. Après avoir dédié sa vie à réguler le capitalisme et s’être battu pour la classe moyenne, on peut être certain qu’elle fera tout ce qui est en son possible pour mener ses réformes. Mais parce qu’elle ne vient pas d’une tradition marxiste, elle risque d’oublier le seul ingrédient qui n’ait jamais permis de réformer une nation et d’obtenir du progrès social : le mouvement ouvrier.
Bernie Sanders : une révolution citoyenne par le mouvement ouvrier
Bernie Sanders a bouleversé la scène politique américaine en confrontant Hillary Clinton lors des primaires de 2016, recueillant 45% des votes et 13 millions de suffrages. Les principales propositions « radicales » qui avaient fait sa popularité ont été adoptées par la plupart des candidats à la présidentielle de 2020 : une réforme de la santé « medicare for all », la gratuité de l’enseignement supérieur, le doublement du salaire minimum, l’abolition du financement privé de la vie politique et un plan ambitieux pour le climat.
Bernie Sanders se présentait alors comme un social-démocrate exigeant des réformes «de bon sens », inspirées du modèle scandinave et du New Deal de Roosevelt. C’est plus ou moins la position adoptée par Elizabeth Warren en 2020. Bernie, lui, va plus loin. Il se revendique Démocrate Socialiste, et veut faire des droits économiques des droits de l’Homme à part entière. « Il n’y a pas de liberté sans liberté économique » affirme-t-il depuis son discours magistral prononcé à l’université Georges Washington pour définir ce qu’il entend par « Democrat socilalism ».
Là où Warren veut réguler le capitalisme pour revenir au modèle fordien que Ronald Reagan et les néolibéraux ont démantelé, Sanders cherche à en finir avec ce système responsable d’inégalités records, d’une crise écologique existentielle et de la montée du racisme et de l’extrême droite partout dans le monde, et aux USA en particulier.
Pour lui, cette dernière se nourrit de la misère causée par l’extrême inégalité et les catastrophes climatiques pour désigner des boucs émissaires (les immigrants, les nations étrangères et les minorités sociales) au lieu de s’en prendre à la racine du problème : le système capitaliste. Il ne sert à rien de chercher à le réguler, il faut s’en libérer.
Son discours s’attache à identifier les coupables (la classe des milliardaires et multimillionnaires, les multinationales et les 1%) et la solution : un mouvement citoyen de masse, issu de la classe des travailleurs. Sans ce soutien, il sera impossible d’en finir avec la domination de Wall Street, des multinationales, des compagnies d’assurance maladie privée et du complexe militaro-industriel qui pousse à toujours plus de guerres inutiles.
Concrètement, les propositions de Bernie Sanders présentent une radicalité, dans le bon sens du terme, qui reste souvent absente des ambitieux projets défendus par Elizabeth Warren. Il ne veut pas annuler les ⅔ des 1600 milliards de dettes étudiantes qui mine le pays, mais la totalité (tout en rendant les universités publiques gratuites). Comment ? En imposant une taxe sur les transactions financières qui devrait rapporter 2200 milliards sur dix ans, selon certains économistes, et rogner les profits de Wall Street.
« On a dépensé 1600 milliards pour sauver les banques, il est tant qu’elles nous renvoient l’ascenseur ». À ceux qui lui répliquent qu’effacer la dette étudiante des enfants de millionnaires n’est pas la priorité, son équipe argumente : « les enfants de Trump n’ont pas de prêt étudiant » et « pour qu’un programme perdure, il faut qu’il soit universel. S’il ne bénéficie qu’aux pauvres, comme Obamacare, les riches feront tout pour le démanteler ».
Même principe pour son projet d’assurance maladie universelle « Medicare for All », qui remplacera toutes les assurances privées.
Certains pensent que Sanders est trop radical pour pouvoir battre Trump, et donc gagner la primaire démocrate. En réalité, les sondages le donnent favori contre Trump (au même niveau que Biden), et sa popularité est particulièrement grande dans les fameux États clés de la « rust belt » qui avaient fait basculer l’élection en faveur du milliardaire. Surtout, la rhétorique de Trump contre l’establishment n’aurait aucune prise sur Sanders, qu’il sera condamné à attaquer pour son socialisme, alors que ses propositions de loi séduisent une majorité d’Américains. En citant Martin Luther King, Bernie Sanders pense avoir trouvé la parade : « ce pays adopte le socialisme pour les riches, et l’individualisme brutal pour les pauvres ». Une phrase qui décrit parfaitement la présidence de Donald Trump, marquée par les baisses d’impôts records pour les grandes fortunes, dont le cout est supporté par les plus pauvres.
En politique étrangère, Bernie Sanders sort du lot en étant le seul candidat capable d’articuler une vision globale. Non seulement il fustige l’approche néoconservatrice de Bush et Trump, mais il critique également à l’interventionnisme d’Obama, sans le nommer. Surtout, il englobe dans sa vision l’urgence climatique, la lutte contre les paradis fiscaux et les inégalités. Tout est lié, de la « guerre contre le terrorisme » qu’il déplore aux traitements des migrants à la frontière mexicaine qu’il dénonce. Dans la revue Foreign Affairs, il résumait ainsi sa pensée :
« La puissance des États-Unis ne devrait pas être mesurée par notre capacité à détruire des choses, mais notre habileté à bâtir à partir de notre humanité commune, de récolter les fruits de notre technologie et de notre gigantesque richesse afin de créer une vie meilleure pour tous les peuples » Bernie Sanders, pour Foreign Affairs
Sanders a démontré, en forçant Amazon et Walt Disney à adopter une hausse du salaire minimum et le parti démocrate son projet politique, qu’il peut produire des résultats. Il a également réussi à faire voter l’interdiction de ventes d’armes à l’Arabie Saoudite par un Congrès controlé par les conservateurs.
Mais sera-t-il capable de toucher les électeurs comme en 2016 ? S’il a lui aussi « une histoire » à raconter, celle d’un fils d’immigrant issu de la classe ouvrière, militant des droits civiques aux côtés de Martin Luther King et socialiste défendant les mêmes idées depuis quarante ans, encore faut-il qu’il puisse faire passer ce message auprès d’un électorat en quête de renouveau, soucieux de battre Trump avant tout, et ayant désormais l’embarras du choix. Sans compter le poids des médias et des cadres du parti, qui semblent toujours aussi décidés à lui barrer la route. [8]
5) Un florilège d’Outsider plus ou moins intéressant
Proches de Kamala Harris par le positionnement politique, les sénateurs Cory Booker (New Jersey) et Kristin Gillibrand (New York) furent longtemps considérés comme des pointures à surveiller. Leur campagne semble avoir des difficultés à décoller. De même, Amy Klobuchar (Minnesota) a su s’imposer en terre conservatrice grâce à une ligne politique de centre droit, mais à du mal à convaincre l’électorat démocrate national, de plus en plus à gauche.
Parmi les autres noms à surveiller, on ajoutera :
Beto O’Rourke, candidat malheureux au poste de sénateur du Texas (que nous avions rencontré), semble avoir été victime de sa propre hubris. Sa campagne contre Ted Cruz en 2018 avait suscité un élan d’espoir à travers tout le pays, tant le Texas est considéré comme un bastion conservateur imprenable. Se filmant en permanence sur les réseaux sociaux, menant une campagne de terrain en visitant les innombrables comtés de l’État à bord d’une camionnette inspiré de ses années punk/rock, adoptant des positions résolument progressistes pour le Texas, il a échoué de très peu (2% des voix) à créer la surprise. Mais au lieu de tenter une seconde fois l’aventure en 2020 pour l’autre poste de sénateur de l’État (dont le candidat sortant n’a pas l’aura nationale de Ted Cruz), il a choisi de surfer sur sa toute nouvelle popularité pour se lancer dans la présidentielle, affirmant « être né pour ça » (« I was born to be in it »).
Premier problème, son positionnement progressiste pour le Texas est banalement centriste sur l’échiquier national, le plaçant entre Harris et Buttigieg. Second accroc : Beto s’est fait voler la vedette et la prime à la jeunesse par le maire gay de South Bend. Après un départ convaincant, sa campagne bat de l’aile.
Andrew Yang pourrait rapidement se hisser parmi les outsiders de premier plan. Cet entrepreneur New Yorkais fait campagne sur une proposition de Revenu universel, et donne des réponses très convaincantes et argumentées à qui veut bien l’interviewer. Arborant une casquette où l’on peut lire MATH pour détourner le célèbre « MAGA » de Donald Trump (pour Make America Great Again), il défend des positions qui le classe résolument à gauche, bien que sa lecture des causes de la crise actuelle s’ancre plus dans une vision technocentrée que marxiste. Pour lui, c’est l’automation des emplois industriels qui a créé la crise sociale ayant nourri le vote Trump , plus que les excès d’un capitalisme dérégulé. Si la pertinence de son diagnostic reste limitée, il a le mérite de proposer un spectre de solutions intéressantes qui le rapprochent du duo Sanders/Warren du point de vue programmatique.
Tulsi Gabbard reste une figure controversée. Représentante d’Hawaï au Congrès, elle porte le discours le plus anti-impérialiste des candidats démocrates, et fustige avec une redoutable efficacité le consensus de Washington en matière de politique étrangère. Mais cela a pu la conduire à certains excès inverses, allant jusque défendre Bachar al-Assad et les positions diplomatiques russes par le passé. Proche de Sanders sur les questions sociales, elle aura du mal à émerger, mais devrait, par son franc-parler, animer les débats et porter une critique salutaire de l’impérialisme américain.
Enfin, on mentionnera la candidature curieuse de l’impopulaire maire de New York Bill de Blasio et celle du progressiste maire hispanique de San Antonio, Julian Castro.
Mais le dernier nom à retenir est celui du gouverneur de l’État de Washington Jay Inslee, un centriste très engagé sur les questions climatiques, qui a proposé ce qui se fait de plus ambitieux et détaillé en termes de plan pour le climat.
6) Prochaine étape : les débats
Le premier débat aura lieu en deux soirées, le 26 et 27 juin, avec dix candidats par volet. Ils ont été tirés au sort en deux paniers, les « favoris » et « outsiders », afin d’équilibrer l’attrait pour les audiences.
Elizabeth Warren ouvrira le bal avec Cory Booker, Beto O’Rourke, Julian Castro et Tulsi Gabbard. Les autres pointures débattront le lendemain (Biden, Sanders, Harris, Buttigieg, Klobuchar, Yang). Si Warren est un peu seule de sa pointure, cela lui permettra peut-être de s’imposer lors de la première soirée.
Il faudra ensuite attendre la mi-juillet pour la seconde passe d’armes. Nous couvrirons peu à peu les principaux candidats qui émergent ou confirment leur succès, ainsi que leurs propositions phares. Stay tuned !
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Notes et références :
- Lire entre autre : New York Times : « 88 régulations environnementales annulées par Donald Trump » https://www.nytimes.com/interactive/2019/climate/trump-environment-rollbacks.html
- Lire cette analyse publié par the Intercept : https://theintercept.com/2018/10/31/donald-trump-fascism-and-the-doctrine-of-american-mythology/
- https://www.thenation.com/article/wisconsin-michigan-pennsylvania-ohio-midterms-trump-democrats/
- Lire son portrait par Mathieu Magnaudeiux, sur Médiapart. https://www.mediapart.fr/journal/international/250419/joe-biden-candidat-anachronique
- https://jacobinmag.com/2019/06/mayor-petes-war-on-the-homeless
- https://jacobinmag.com/2019/06/elizabeth-warren-medicare-for-all-health-care-policy
- https://www.jacobinmag.com/2019/04/elizabeth-warren-policy-bernie-sanders-presidential-primary
- Lire les révélations du New York Times sur les conspirations des cadres démocrates pour empêcher Bernie Sanders de remporter la primaire
4 réactions au sujet de « Qui affrontera Trump en 2020 : comprendre les primaires démocrates »
Je suis perplexe en lisant votre article.
On dirait qu’il hésite entre son but affiché (qui est capable de gagner contre Trump en 2020) et une analyse des candidats en fonction de leur « gauchitude ».
Je connais mal sa situation US mais je pense comprendre assez bien la française pour extrapoler un peu.
Par exemple, pour le candidat « macron-like », rien ne dit que comme son homologue français, il ne gagnera pas. Macron a été élu pour éviter « l’autre ».
Les US ont justement fait le choix de « l’autre ». Qu’est-ce qui fait la qualité de « l’autre »? Un mélange destiné tant à satisfaire les friqués que les fauchés. Dire aux « fauchés » qu’ils vont cesser d’être tout en disant aux friqués qu’ils vont le rester. Mettre un peu de xénophobie, ce qui marche, car même l’émigré qui a obtenu normalement sa carte verte sera jaloux de celui qui a passé la frontière en douce. Et puis ça désigne un ennemi extérieur, donc qui ne vote pas. Bref, ça fédère.
Les partis politiques français sont « morts » car ils s’adressaient l’un aux fauchés, l’autre aux friqués. En essayant à chaque fois de tenter un peu ceux du camp d’en face vu que pour être élu il faut 50% plus quelque chose.
Je pense que face à un Trump il faudrait un batteur de foire, un type avec une gueule aussi grande que la sienne. Qui n’ait pas trop de passif politique sur lequel Trump pourrait arroser de fake news « sonnant vrai » mais qui soit capable d’emmêler vérités et demi-mensonges pour enfoncer Trump. Qui n’ait aucun scrupule. Et qui pire, puisse sembler une alternative intéressante aux reps embarrassés par Trump.
« Mais Donald Trump n’est pas n’importe quel président. Impopulaire malgré une économie au beau fixe, il représente aussi, selon le philosophe Noam Chomsky, un danger existentiel pour l’humanité. »
Peut-être, Noam. Mais l’Humanité ne possède pas de drones contrairement aux USA et Trump n’est pas encore reconnu comme « terroriste ».
Condoléances à Mme Humanité.
Bonjour,
Chomsky parle ainsi en s’appuyant sur la revue « bulletin of atomic scientist » qui analyse les risques d’extinctions de l’espèce, au départ simplement via le prisme du risque nucléaire, et depuis peu en ajoutant le risque climatique. Pour cette prestigieuse publication, fondée par les pères (reprentis) de la bombe atomique, le risque n’a jamais été aussi élevé du fait de la violation des nombreux traités de non-prolifération hérité de la guerre froide, et du risque climatique. Trump aggrave ces deux aspects, ce qui explique le qualificatif de Chomsky.
Je pense que Jacques voulait dire que le risque Trump est inévitable car il ne peut pas simplement être mis « hors d’état de nuire » comme un « simple terroriste ».
Même si son pouvoir de nuisance est plus important.