Le second débat de la primaire démocrate renforce Donald Trump
Les 30 et 31 juillet, les vingt candidats à la primaire démocrate s’affrontaient par groupe de dix pour la seconde fois de la campagne, dans des débats riches en rebondissements et enseignements, mais dont la tournure aura produit l’effet inverse escompté : au lieu de renforcer le parti démocrate en vue de la présidentielle, c’est Donald Trump qui tire le plus de bénéfices de cette double soirée, sans avoir besoin d’y participer. Explications !
1) Comment perdre un débat avant qu’il ne commence : le problème du parti démocrate
En 2016, le parti républicain avait organisé pas moins de douze débats et ouvert sa primaire au maximum de candidats, dans le but d’étendre son électorat.
Inspiré par le succès républicain, le DNC (Democratic party National Committee – comité électoral démocrate) a choisi une approche similaire pour 2020, afin de maximiser l’exposition médiatique de ses idées. Mais en mettant en place des seuils de qualification extrêmement bas (65 000 donateurs uniques ou au moins deux sondages nationaux donnant le candidat à au moins 1 % d’intention de vote), il s’est tiré une balle dans le pied. Avec 20 candidats qualifiés, la nécessité de diviser les débats en deux soirées s’imposait de fait.
Face à cette difficulté, le parti républicain avait classé les candidats par intention de vote et regroupé les petits en seconde partie de soirée. À l’inverse, en optant pour un tirage au sort, les dirigeants démocrates espéraient rendre les deux débats attractifs.
Cela a produit un cocktail indigeste et souvent absurde, le téléspectateur devant subir les « lorsque je serais président » d’une douzaine de candidats sans aucune envergure ni chance de remporter la nomination, souvent réduis (et encouragés par les modérateurs) à attaquer les candidats sérieux pour se démarquer.
Au lieu d’aider le parti démocrate à imposer ses idées, les petits candidats (essentiellement des centristes issus d’États ruraux) ont passé leur temps à mettre en doute le programme des principaux favoris à l’aide d’arguments empruntés au parti républicain et d’éléments de langage issus de Fox News.
Surtout, ce format empêche les quatre grands favoris de débattre entre eux (lors du premier débat, Elizabeth Warren s’était retrouvée seule face à 7 quasi-inconnus et deux outsiders, cette fois elle et Bernie Sanders ont débattu sans Biden et Harris, programmés le second soir).
L’ultime problème vient du fait que ce sont les journalistes de chaînes de télévision privés qui modèrent le débat et posent les questions (NBC et MSNBC en juin, CNN en juillet). Obsédés par le respect de la minute de temps de parole, ils ont souvent coupé les candidats dans leurs élans, les empêchant de dire des choses importantes. Pire, pour faire de l’audience, les questions étaient destinées à provoquer du clash, en plus d’être formulées du point de vue réactionnaire et conservateur propre au parti républicain.
Ainsi, l’immigration était nécessairement un problème, la santé un luxe que l’État ne peut financer sans écraser la classe moyenne sous les taxes, la lutte contre le réchauffement climatique une menace pour les emplois ouvriers…
Ceci accouche d’un spectacle politique qui privilégie le théâtre à la substance, entrecoupé de pages de publicité où les lobbies pharmaceutiques diffusent des spots destinés à critiquer les propositions de loi débattues. (sic) [1]
L’ensemble du parti démocrate en sort affaibli. Seuls deux « gros » candidats semblent avoir tiré leur épingle du jeu, alors que de nombreux « petits » ont renvoyé une piètre image d’eux-mêmes, au risque de compromettre leur chance de réélection dans leurs mandats respectifs.
On est en droit de se demander sérieusement pourquoi le parti démocrate choisit de confier l’organisation de ses débats à des chaînes privées, et comment un pays comme les USA peut produire autant de candidats médiocres, alors qu’ils occupent pourtant de très hautes fonctions d’élus (sénateur, gouverneur, représentants au congrès). Et surtout, ce qui justifie leur participation : comme nous le détaillons lors d’un premier article, seule une petite dizaine de candidats apportent une réelle différence au débat (du fait de leur positionnement politique et de leur thème de prédilection). Une dizaine d’hommes issus d’États du Midwest ne semblent être là que pour se ridiculiser et affaiblir les chances du parti démocrate en reprenant les arguments républicains.
Cela étant dit, les deux soirées furent riches en évènements. Voici ce qu’on en retiendra.
2) Premier soir : Bernie Sanders et Elizabeth Warren remportent un débat construit pour les détruire.
La première soirée opposait les numéros deux et trois des sondages (Bernie Sanders, 16 % et Elizabeth Warren 14 %) au numéro 5 et 6 (Piet Buttigieg – 6 % et Beto O’Rourke 3 %) et à une pléthore d’inconnu, tous positionnés sur la même ligne que Joe Biden, au centre droit.
Sanders et Warren allaient-ils s’entre-déchirer pour le titre de meilleur représentant de l’aile gauche du parti ? Ou bien faire front commun contre les huit autres « modérés » ? Les commentateurs ont longuement débattu de ces deux possibilités, avant que le cadrage du débat retenu par CNN pousse les deux candidats vers la seconde option, certainement la plus habile.
Pendant près de deux heures trente, ils ont distribué les « punchlines », paré les attaques et argumenté de manière combative en faveur d’un programme audacieux et radicalement ancré à gauche. Et ce ne fut pas chose facile.
Le choix de la formulation des questions avait pour but de briser l’élan de la gauche américaine. On peut y voir une opération commanditée (CNN dépend de ses annonceurs, est une chaîne privée, idéologiquement proche du centre droit et de la direction du parti démocrate), ou la simple expression d’un biais idéologique manifeste chez les journalistes stars de cette chaîne.
Il est vrai que dans la communauté des experts et commentateurs, l’idée selon laquelle la gauchisation du parti démocrate réduirait les chances de battre Trump s’est peu à peu imposée.
À lire le New York Times et à écouter CNN, les propositions phares de Bernie Sanders, en particulier l’idée de remplacer le système d’assurance maladie privée par un système 100 % public (Medicare for all) serait une pure folie. Qu’importe que l’approche modérée ait échoué en 2016 (avec Clinton), que le parti démocrate ait remporté les midterms de 2018 en faisant campagne sur la santé, que les propositions de Sanders soient extrêmement populaires dans les enquêtes d’opinion, et qu’il soit largement devant Trump dans les sondages !
S’assurer que la gauche démocrate perdre les primaires semblait déterminant pour CNN et la dizaine de candidats parfaitement inconnus, mais « modérés » qui se sont lancés dans la course. Sont-ils sincères, ou payés par les intérêts financiers qu’ils défendent ? Probablement les deux.
Toujours est-il que cela a produit des échanges tendus s’insérant dans un formidable archétype du débat « embuscade ».
Une embuscade savamment orchestrée
La première question est adressée à Bernie Sanders, et joliment formulée : « Sénateur Sanders, vous êtes pour « Medicare for all« , un projet qui supprimerait l’assurance santé privée de 150 millions d’Américains, pour la remplacer par une assurance publique fournie par le gouvernement. Monsieur Delaney (obscur ex-représentant démocrate du Maryland au Congrès et multi millionnaire pointant à 0,5 % dans les sondages – NDLR) a récemment qualifié cette proposition de “suicide politique qui assurera la réélection de Donald Trump”. Qu’avez-vous à lui répondre ? »
Il s’ensuit une demi-heure de débat, où Sanders et Warren vont devoir répondre tour à tour aux attaques de Delaney, qui accuse ses adversaires de vouloir « supprimer l’assurance santé des Américains », « rendre les assurances privées illégales » et « augmenter les impôts de la classe moyenne ».
Sanders réplique (justement) que « les Américains qui sont assurés par le privé perdent leur assurance à chaque fois qu’ils changent d’emplois où que leur employeur renégocie les termes du contrat ».
Puis Warren ajoute : « soyons clair, nous sommes le parti démocrate, nous n’allons pas supprimer l’assurance maladie des gens, ça, c’est ce qu’essaye de faire le parti républicain, arrêter de reprendre les arguments républicains ! ».
Le modérateur insiste « êtes-vous d’accord avec Sanders, vous allez augmenter les impôts des Américains ? » Avant de répéter la question au principal intéressé « Sénateur Sanders, en quinze secondes, pouvez-vous confirmer que votre hausse d’impôt sera compensée par la baisse du prix de l’assurance maladie pour les Américains » ?
Bernie Sanders dénoncera lui aussi la formulation des questions du journaliste comme étant des « talking points » républicains, avant d’alerter le public : « ce soir, pendant les pauses publicitaires, les compagnies d’assurances vont diffuser des clips reprenant ces arguments républicains ». Le journaliste s’empressera de lui couper le micro.
https://twitter.com/DemSocialists/status/1156365654351421440?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1156365654351421440&ref_url=https%3A%2F%2Ftheintercept.com%2F2019%2F07%2F30%2Felizabeth-warren-bernie-sanders-dominate-democratic-debate%2F
CNN se tourne ensuite vers Tim Ryan, obscur représentant de l’Ohio, qui reproche à Sanders de s’en prendre aux ouvriers syndiqués qui ont négocié de meilleures assurances privées que la moyenne des Américains. Un argument classique de la droite, que Sanders qualifie de pur mensonge. « Je sais de quoi je parle, j’ai écrit cette sacrée proposition de loi » dit-il, provoquant les applaudissements du public (« I wrote the damn bill »).
Excédés par les attaques constantes de ces francs-tireurs, Warren remporte la palme de la meilleure « punchline » de la soirée sous un torrent d’applaudissement : « Je ne comprends pas pourquoi certains, ici, se donnent autant de mal à briguer la présidence des USA, pour passer leur temps à parler de ce qu’on ne peut pas faire, et des idées qui ne valent pas le coup d’être défendues ».
Plus tard, ce sera au tour de l’auteur à succès Marianne Williamson de s’interroger : « à entendre de nombreux candidats ce soir, je me demande si vous êtes vraiment démocrates ».
L’assurance maladie n’était pas le seul sujet retenu pour attaquer l’axe Warren/Sanders. Sollicitantes Piete Buttigieg, le modérateur demande « est-ce que les électeurs doivent s’inquiéter de l’âge des candidats ? » avant que la caméra recule pour faire entrer Sanders (76 ans) dans le cadre :
Piete Buttigieg (37 ans) a l’élégance de refuser la perche qui lui est tendue : « l’âge n’a aucune importance, seule la vision que l’on porte compte ».
Plus tôt, il avait balayé la crainte principale qui semble animer la direction du parti démocrate :
« Il faut cesser de s’inquiéter de ce que vont dire les républicains. Si on adopte un programme trop à gauche, les républicains vont nous taxer de « dangereux socialistes ». Et si on adopte un programme très à droite, vous savez ce que les républicains vont dire ? Qu’on est de dangereux socialistes ! Alors, battons-nous pour les bonnes idées, et défendons-les ».
La presse a salué les prestations d’Elizabeth Warren et Bernie Sanders, les décrétant vainqueurs de cette première soirée. Outre leur combativité, ce sont les idées qu’ils défendent qui s’imposent de manière impressionnante dans le débat public, malgré l’adversité.
« Je suis un peu fatigué par les démocrates qui ont peur des grandes idées. Les républicains ne sont pas effrayés par les grandes idées, ils ont offert 1000 milliards de réduction d’impôts aux milliardaires et multinationales. Ils ont renfloué les corrompus de Wall Street. » – Bernie Sanders
Warren a superbement résumé l’enjeu :
« Je comprends. L’enjeu (de cette élection) est décisif, et les gens ont peur. Mais on ne peut pas choisir un candidat qui ne nous enchante pas, simplement par manque d’audace. Et on ne peut pas demander aux gens de voter pour un candidat qui ne nous inspire pas. Les démocrates gagnent lorsqu’on identifie ce qui est juste, et qu’on se bat pour ses idées. Je n’ai pas peur, et pour que les démocrates l’emportent, vous ne pouvez pas avoir peur non plus. »
Piete Buttigieg a également délivré une prestation solide. Marianne Williamson, malgré son excentricité et le fait qu’elle ait changé d’avis sur l’assurance maladie en plein débat, a produit des sorties efficaces pour dénoncer le racisme institutionnel et la main mise des puissances financières sur la démocratie américaine. Les autres candidats ressortent affaiblis de ce débat.
John Delaney, le franc-tireur choisi par CNN pour attaquer Sanders et Warren, a décidé d’aller sur Fox News le lendemain pour exprimer sa frustration. Beto O’Rourke, tout juste moyen, confirme une fois de plus qu’il a placé son énergie au mauvais endroit : au lieu de continuer de disputer le Texas au parti républicain, il perd de sa superbe en livrant des prestations peu convaincantes sur la scène nationale. Une étoile montante du parti qui s’éteint petit à petit, à vouloir jouer trop tôt dans la cour des grands.
3) Deuxième soirée : un débat brutal qui affaiblit la plupart des candidats, et Kamala Harris en particulier
Le second débat opposait le grand favori des sondages Joe Biden (vice-président d’Obama – 32 % d’intentions de vote) à sa némésis Kamala Harris (4e des sondages à 12 %). En arbitre du match de boxe que les médias annonçaient, Cory Booker (sénateur du New Jersey) était le seul autre candidat déjà qualifié pour le débat de septembre.
Le reste du plateau incluait quelques personnalités hautes en couleur : Tulsi Gabbard, connue pour son opposition à l’interventionnisme militaire ; Andrew Yang, entrepreneur faisant campagne pour un revenu universel ; Julian Castro, le maire de San Antonio porteur d’une politique d’immigration très progressiste et Jay Inslee, gouverneur de l’État de Washington et candidat sur un programme très ambitieux pour le climat.
Comme lors du premier soir, CNN a cherché à encourager la confrontation, posant la plupart des questions sur le mode « Monsieur X, le candidat Y a dit dans les médias que votre position à propos de Z était, je cite »… », qu’avez-vous à lui répondre ? ». Au lieu de refuser ce cadrage, les principaux protagonistes sont tombés à pieds joints dans le piège. À la fin de la soirée, on avait l’impression de sortir d’un spectacle de catch ou tous les participants auraient pris des coups au visage.
Que faut-il en retenir ?
Jay Inslee a su s’élever au-dessus des tensions et mettre en avant son programme ambitieux pour lutter contre le réchauffement climatique, mais à 1 % dans les sondages, il s’agissait probablement de son dernier débat.
Tulsi Gabbard, particulièrement éloquente, a brillé de mille feux en articulant clairement son message antimilitariste et progressiste sur les questions sociales. Elle a également délivré une attaque terrifiante contre Kamala Harris (nous y reviendrons). Pour la seconde fois, elle fait forte impression et devient la candidate la plus recherchée sur google pendant le débat, signe qu’elle sucite un véritable intérêt.
Cory Booker est, de l’avis des experts, celui qui s’en est le mieux sorti. Articulant un message positif, à l’aise dans l’exercice, il serait un candidat très sérieux si son positionnement politique n’était pas aussi similaire que celui de Kamala Harris, Piete Buttigieg et Beto O’Rourke. Il a également dominé Joe Biden dans une suite d’échanges animés, renvoyant le vice-président d’Obama dans les cordes en lui reprochant d’avoir mis en place la politique d’incarcération de masse des Afro-Américains dans les années 90.
Le maire de New York Bill de Blasio a défendu avec panache les positions les plus à gauche, mais ses attaques incessantes contre Joe Biden finissent par le desservir.
Kirsten Gillibrand, la sénatrice de New York qui veut porter un message féministe, a essayé de renouer l’exploit de Kamala Harris en s’en prenant directement à Joe Biden, mais de manière bien trop télescopée. Son agressivité lui revient à la figure, et de manière générale sa prestation nous laisse dubitatifs : l’intérêt de sa candidature reste à démontrer, et vu ses difficultés, elle risque fort de ne pas se qualifier pour le prochain débat (qui nécessite 150 000 donateurs uniques et trois sondages à 2 % ou plus).
Andrew Yang a brillé par son originalité, cherchant à élever le débat à maintes reprises. Mais l’évocation systématique de sa proposition de revenu universel finit par produire une caricature de lui même.
Juan Castro, enfin, a livré une prestation honnête, limitant ses attaques à une pique contre Joe Biden.
Voilà pour les outsiders. Passons aux favoris :
Joe Biden, amoché, mais toujours debout
Pour de nombreux observateurs, Joe Biden demeure le grand vainqueur de la soirée. Attaqué de toutes parts pour ses anciennes prises de positions conservatrices (sur l’immigration, le crime et le racisme, la guerre en Irak, le droit à l’avortement et le libre échange) et critiqué pour le manque d’ambition de son plan pour l’assurance maladie, il faisait de nouveau figure de punching-ball. Mais tous les coups n’ont pas atteint leur cible, et Biden avait parfois du répondant à offrir.
Le fait qu’il ait été moins mauvais qu’en juin, et toujours debout à la fin de la soirée suffit à de nombreux experts pour le déclarer vainqueur.
À titre personnel, mes amis et moi avons été effarés par sa médiocrité. Biden n’arrive pas à « contrôler » le plateau, ses réponses sont souvent floues, à aucun moment il n’a contesté l’ordre des modérateurs de laisser la parole, et à plusieurs reprises il s’est autocensuré, ne semblant pas capable de terminer sa phrase ou son intervention. Pour un favori des sondages chargé de battre Donald Trump, c’est inquiétant. Et c’est certainement en partie parce qu’il fait la course en tête et semble fragile qu’il s’attire autant d’attaques de la part de ses collègues.
Lors du premier débat, Kamala Harris l’avait envoyé au tapis dans un échange mémorable, ce qui avait coûté dix points d’intentions de vote à Joe Biden, perdus au bénéfice de Harris. Mais le temps aidant, Biden a récupéré la majeure partie de ce déficit.
On s’attendait à ce que la sénatrice de Californie en remette une couche. Après avoir magistralement dominé le premier débat, elle venait de révéler son plan de réforme de l’assurance maladie à deux jours de ce second round, indiquant qu’elle souhaitait imposer le thème de la soirée.
Pourtant, c’est elle qui est rapidement apparue à la peine.
La mauvaise soirée de Kamala Harris
La sénatrice de Californie nous avait fait une forte impression lors du premier débat. Outre la qualité de sa prestation oratoire, son positionnement politique semblait capable de faire le pont entre les centristes et l’aile gauche du parti.
Mais cette fois, Kamala Harris n’avait pas le mordant et la maîtrise affichée lors du premier débat. D’entrée, elle s’est montrée incapable de défendre son plan santé, qui a comme principal inconvénient de cumuler les défauts des deux versions de la réforme proposée par les diverses factions du parti démocrate.
Comme Joe Biden et Piete Buttigieg, son projet de loi épargne les assurances maladies privées, les laissant coexister au côté de l’option publique « medicare for all », alors que dans le système actuel (Medicare est réservé aux plus de 65 ans), cette concurrence abaisse le niveau de prestation de l’option publique, augmente son cout, et produit de nombreux abus du côté des complémentaires privées.
Et tout comme l’option « medicare for all » de Sanders et Warren, le plan de Harris force les Américains à abandonner leur assurance privée actuelle (pour opter pour l’option publique ou la nouvelle alternative privée sous régulation de l’État qu’elle veut mettre en place).
Enfin, l’implémentation de son plan prendra dix ans (contre quatre pour celui de Bernie Sanders, qui abaisse progressivement l’âge d’éligibilité à Medicare de 65 à 55 puis 45, 35 et 18). Autrement dit, même si elle effectuait un double mandat, Harris ne verrait pas la fin de sa réforme ! Et entre temps, le parti républicain aura eu tout le loisir de la vider de sa substance.
Comment Kamala Harris, si habile dans la construction de sa campagne jusqu’à présent, a pu adopter un projet aussi bancal ? La réponse se trouve certainement du côté des donateurs qui financent sa campagne, car ce plan a pour principal avantage de ne pas menacer le profit des assurances privées, du moins sur le court et moyen terme. [2]
Après avoir été malmenée sur la santé par les deux ailes du parti (Bill de Blasio l’attaquant sur sa soumission aux assureurs privés, Tulsi Gabbard pointant le fait que son plan santé a été rédigée par une lobyiste de l’industrie pharmaceutique), elle a gouté à son tour aux joies d’être l’objet d’une attaque ciblée, construite avec autant de brio que celle qu’elle avait assenée à Joe Biden en juin.
Tulsi Gabbard l’interpelle en exprimant « ses inquiétudes » concernant le bilan de Kamala Harris du temps où elle était procureur générale de la Californie. Elle lui reproche d’avoir emprisonné plus de 1500 personnes pour possession de Marijuana, d’avoir défendu le système de liberté sous caution financière et d’avoir bloqué la publication de preuves pouvant disculper un condamné à mort. Pour ceux qui ne connaissent pas le contexte, la tirade est violente. Elle a le mérite de remettre en cause le récit médiatique de Harris, qui se présente comme une ancienne procureur progressite prette à faire le procès de Donald Trump.
Visiblement désarçonnée, Harris a eu du mal à se remettre de cet uppercut, et termine le débat de façon moins affirmée, sa voix apparaissant parfois chancelante.
Kamala Harris reste une prétendante sérieuse, mais comparée au premier débat, elle passe complètement à côté de cette soirée.
Conclusion
Les débats télévisés influencent-ils les élections ? Rien n’est moins sur, mais si on part du principe que oui, alors Biden devrait reculer peu à peu dans les sondages, au profit de Warren et Sanders.
Avec le durcissement des règles de qualifications annoncées pour les prochains rendez-vous, le débat devrait se resserrer autour de huit à dix candidats. Si les démocrates continuent de s’entre-déchirer, comme lors de la seconde soirée, il se peut que le vainqueur ultime arrive affaibli face à Trump.
Inversement, si les démocrates font davantage front commun, comme Sanders et Warren au cours de la première soirée, ils pourront imposer des idées populaires et donner aux Américains une raison d’aller voter pour quelque chose, et pas simplement contre Trump.
Mais tant que ce seront les puissances financières qui imposent leur cadre aux démocrates, dans le format des débats et le détail des propositions de loi, Donald Trump pourra compter sur ses meilleurs alliés : les néolibéraux.
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Notes et références :
- https://www.commondreams.org/news/2019/07/31/healthcare-industry-will-be-advertising-tonight-sanders-calls-out-cnn-airing-pharma
- https://www.jacobinmag.com/2019/07/kamala-harris-medicare-for-all-policy
Pour aller plus loin :
Liens vers la première soirée de ce second débat (30 juillet 2019) ici
Lien vers la seconde soirée (31 juillet 2019) là.
Notre article sur le principe des primaires démocrate ici.
Notre article sur les chances de réelection de Donald Trump ici.
Notre analyse du premier débat des primaires (Juin 2019) ici.