Faut-il croire au revenu universel ?

Faut-il croire au revenu universel ?

Un revenu universel versé à vie, à tous les citoyens, et sans aucune contrepartie. Voici une proposition qui apparaitra à certains comme absurde et immorale, à d’autres comme innovante et radicalement progressiste.

Cette idée s’impose peu à peu dans le débat public et séduit les ultralibéraux comme les sociaux-démocrates. À tel point que son adoption future semble inéluctable.

Mais son application est-elle réaliste ? Et surtout, doit-elle être défendue par les forces politiques se réclamant « progressistes », « humanistes » ou « de gauche » ? Tâchons d’y voir plus clair.

1) Les bases du revenu universel

Le revenu de base, ou universel, consiste à verser à l’ensemble des citoyens un revenu mensuel fixe et incompressible, sous aucune condition, et pour une période recouvrant la totalité de la vie adulte.

L’innovation principale réside dans sa nature cumulable (il vient s’ajouter à tout salaire éventuel sans être lui-même réduit), individuelle (il ne dépend pas du niveau de vie du conjoint ou parents) et son automatisme : il est touché mensuellement sans avoir à en faire la demande ni produire le moindre justificatif, de la majorité au décès.

Il en existe de nombreuses versions, que ce soit en termes de mécanisme de financement ou de montant distribué.

On peut cependant diviser le revenu universel en deux catégories : la version « néolibérale » qui propose un montant correspondant aux minimas sociaux et qui vient s’y substituer, et une version « progressiste » dont le montant doit suffire à assurer un niveau de vie égal ou supérieur au seuil de pauvreté. (1)

2) Les limites de la version « néolibérale » à 530 euros par mois 

Pour les libéraux, le principal avantage d’un revenu de base équivalent au RSA (530 euros/mois) serait d’éradiquer l’extrême pauvreté tout en permettant une grande simplification administrative, puisque ce revenu viendrait se substituer aux minimas sociaux (RSA, bourse étudiante, minimum vieillesse). (2)

Avec comme avantages :

  • L’impossibilité de la fraude sociale (le versement est automatique, et le montant fixe et incompressible)
  • La lutte contre l’assistanat et ses « effets de seuil » puisque le RU s’ajoute à tout salaire éventuel
  • Son caractère égalitaire et « responsabilisant ».

On remarquera que les principaux arguments avancés (mettre fin à la fraude sociale et à l’assistanat) reposent sur des préjugés contestables. La fraude aux aides sociales ne représente que 275 millions d’euros, un chiffre dérisoire comparé aux 80 milliards de l’évasion fiscale. Quant à « l’assistanat », il concernerait au mieux 2% des chômeurs, et doit être replacé face à l’assistanat des entreprises (40 milliards par an de CICE et baisses de cotisations) et des très hauts revenus (9 milliards d’euros par an de cadeaux fiscaux supplémentaires en 2018).

Dessin: Lelombrik.net

Au rang des inconvénients, on trouve son cout élevé (dix fois plus que les dispositifs qu’il remplacerait), son faible montant qui ne permet pas de sortir de la pauvreté (dont le seuil se situe entre 850 et 1000 euros/mois, selon les définitions), mais surtout le risque d’effets pervers sur le marché de l’emploi.

En clair, si la Silicon Valley s’enthousiasme pour le revenu universel, c’est qu’il permettrait de pallier à l’ubérisation de la société. Plus besoin de fournir des emplois stables et bien rémunérés puisque le revenu de base agit comme un matelas.

Le RU ouvrirait donc la porte à une précarisation accrue, une pression à la baisse sur les salaires et une généralisation du temps partiel. Une intuition confirmée par plusieurs études économiques qui ont démontré qu’un faible revenu universel tendait à accroitre la pauvreté. (3)

3) Les promesses d’une version « progressiste » à 1000 euros/mois

Les progressistes répondent aux limitations de la version « libérale » du RU par l’augmentation de son montant. Soit un revenu de base situé au niveau du seuil de pauvreté (entre 850 et 1000 euros /mois).

L’avantage d’une telle proposition est d’en finir avec la pauvreté et toutes ses conséquences néfastes dans des domaines aussi larges que la sécurité, la santé, l’égalité homme-femme, l’exclusion… Mais ce n’est pas le seul.

Au niveau du SMIC (1150 euros/mois), le revenu universel permettra de « déconnecter le salaire de l’emploi » comme nous l’expliquions dans un article précédent. En rebattant profondément le rapport de force capital/travail, on se dirigerait vers une véritable émancipation des individus qui pourraient refuser les emplois mal payés ou dégradants.

Mais pour que cette utopie fonctionne, le revenu universel doit s’ajouter à la protection sociale actuelle. En particulier, il ne doit pas remettre en question la gratuité de l’éducation et des soins. Car s’il est théoriquement possible de vivre dignement avec un revenu supérieur au seuil de pauvreté (par définition), c’est à condition que le système de redistribution sociale soit maintenu.  

Ce qui nous conduit au problème du financement.

4) Combien coute un revenu universel « progressiste » ?

Première bonne nouvelle, calculer le cout d’un RU est à la portée de tous. On commence par déterminer le nombre de bénéficiaires, soit (approximativement) :

  • 52 millions si on l’applique à tous les citoyens majeurs
  • 57 millions si on l’applique à tous les citoyens majeurs ET verse un demi RU aux mineurs

Il nous reste à multiplier ce chiffre par 12 (puisqu’on parle d’un revenu mensuel) et par le montant du revenu. Pour obtenir des milliards d’euros, on divisera ensuite le total par 1000. Soit :

  • 52 x 12 x 530 /1000 = 331 milliards d’euros pour un RU au RSA
  • 52 x 12 x 1000 /1000 = 624 milliards d’euros pour un RU au seuil de pauvreté
  • 52 x 12 x 1150/1000 = 718 milliards d’euros pour un RU au SMIC

On peut ensuite déduire du cout brut les aides qu’il va remplacer :

  • 10 milliards pour le RSA
  • 2 milliards pour les bourses étudiantes
  • 3 milliards pour le minimum vieillesse

Total : 15 milliards.

Le reste des prestations faisant essentiellement l’objet de cotisation, il faudrait les traiter au cas par cas. Par exemple, on peut supprimer l’assurance chômage (40 milliards), mais les individus ayant cotisé et ayant le droit au plafond maximal (6000 euros par mois pendant deux ans) risquent de grincer des dents, comme tous les employés gagnant un montant supérieur au SMIC.

De même, supprimer les retraites semble particulièrement compliqué, car des millions de retraités perdraient une grosse partie de leur pension. Et comme les actifs cotisent depuis des années, il serait tout aussi compliqué de leur supprimer leur future retraite déjà financée.

Les aides aux logements (8 milliards) et les allocations familiales (18 milliards) seraient probablement réduites ou remplacées (car distribuées sous condition de ressources), mais même leur suppression totale ne ferait économiser qu’un faible montant.    

Au vu de toutes ces considérations, retenons pour le moment un cout net de 600 milliards d’euros, pour un RU proche du seuil de pauvreté. 

5) L’impossible équation du financement du revenu universel

Les pistes de financement sont multiples : impôt sur le revenu, taxes sur les machines et algorithmes, impôt sur les revenus du capital, hausse de la TVA, taxes sur les transactions financières…

Quelle que soit l’option retenue, il faut bien comprendre que le financement sera nécessairement prélevé des 2200 milliards d’euros de PIB (c’est-à-dire de la richesse produite par l’économie française).

Pour avoir une idée des ordres de grandeur, rappelons que le budget de l’État est de 385 milliards, auquel il faut ajouter la sécurité sociale (assurance maladie, retraites, allocations familiales, prestations sociales) soit environ 550 milliards. Le total de la dépense publique (en incluant les collectivités locales) représente 55% du PIB, soit environ 1200 milliards.

Au sens purement théorique, financer un revenu de base progressiste semble donc possible. Mais cela porterait la part de la dépense publique à 1800 milliards, ou 82% du PIB. Ce qui nous place au niveau d’une économie communiste. On imagine l’épidémie de burn-out à BFMTV et la crise cardiaque de Dominque Seux sur France Inter, en plein milieu de son édito éco.

Outre l’aspect purement théorique du calcul, il faudra se poser la question du réalisme d’un projet qui viserait à augmenter aussi sèchement la dépense publique dans un contexte politique où on nous demande sans cesse de la réduire. D’autant plus que le but serait, pour caricaturer, de payer des chômeurs à ne rien faire. Une autre notion difficile à imposer quand le mot d’ordre actuel est la lutte contre « l’assistanat ».

Le risque de l’introduction d’un revenu universel « progressiste » dans le débat public est donc d’accoucher d’une loi contre-productive : soit une simple augmentation des aides sociales (proposition de campagne de Benoit Hamon, honteusement déguisée en revenu universel), soit un revenu universel d’inspiration néolibérale et de faible montant, qui aura pour effet d’augmenter la pauvreté, la précarité et la dépendance au marché de l’emploi.

Benoit Hamon, 2016. Photo:libération

En 2016, la fondation Jean-Jaurès (groupe de réflexion affilié au parti socialiste) a rendu un rapport passionnant sur le revenu universel. (4) Ses conclusions sont dramatiques : pour financer un RU à 750 euros, la fondation préconise une augmentation de 2% de la TVA, la mise en place d’une taxe carbone censée rapporter 18 milliards et la suppression de l’intégralité de la sécurité sociale. En clair, on vous donne 750 euros et vous devez assumer les couts de santé (environ 250 euros par mois hors complémentaire) et votre retraite. Cette proposition « intermédiaire » équivaut en réalité à la proposition néolibérale, qui elle ne touche pas à la sécurité sociale, mais ne verse que 500 euros.

La fondation Jean-Jaurès détaille un second scénario à 1000 euros / mois, qu’elle finance par la suppression de l’ensemble de la protection sociale et une hausse d’impôt de 150 milliards d’euros (7% du PIB, ce qui porterait la dépense publique à 66% du PIB). Le revenu net (750 euros / mois une fois déduit les dépenses d’assurance santé) serait toujours en dessous du seuil de pauvreté.

On arrive ainsi au paradoxe du revenu de base : un revenu universel « progressiste » n’est pas finançable, et un RU finançable n’est ni universel ni progressiste.  

6) Un revenu universel progressiste finançable serait-il souhaitable ?

Nous venons de voir la quasi-impossibilité de financer un revenu universel véritablement émancipateur. Mais admettons que, suite à l’établissement d’un véritable rapport de force, les Français parviennent à faire adopter ce projet en dépit de son cout faramineux. Après tout, la politique doit savoir être utopique et proposer des choses désirables. Faut-il donc se battre pour cette revendication ?

La faible efficacité du revenu universel

Si le but est d’éradiquer la pauvreté et le chômage, pas besoin de dépenser six cents milliards par an. Sortir les 9 millions de pauvres que compte le pays de leur condition couterait beaucoup moins cher (1% du PIB en moyenne dans les pays de l’OCDE, selon l’étude de l’American prospect). De même, fournir à tous les chômeurs un emploi public rémunéré au SMIC ne représenterait qu’une dépense de 40 à 80 milliards par an (soit plus ou moins la somme dépensée en aides aux entreprises et cadeaux fiscaux aux hauts revenus par Emmanuel Macron). (5)

Second point, un vrai projet émancipateur et progressiste doit chercher à soustraire un maximum de domaines économiques de la loi du marché. Or le revenu universel subventionne d’une façon ou d’un autre l’économie de marché (et ce qui va avec : compétitivité, concurrence, pression sur les salaires, dégâts environnementaux…). Soit en subventionnant indirectement les entreprises, soit en poussant les bénéficiaires de ce nouveau pouvoir d’achat à la consommation de masse.

Ce qui nous amène à la question écologique. Il serait plus utile que ce revenu soit ciblé sur ceux qui en ont besoin, et distribué en contrepartie d’une activité contribuant au « bien commun ». Dit autrement, si vous obteniez une enveloppe d’argent public de 600 milliards par an, votre premier réflexe serait-il de la distribuer aveuglément à l’ensemble de la population ?

Enfin, il faut se poser la question philosophique de notre rapport au travail. S’il semble acquis qu’une personne bénéficiant d’un revenu universel tend à augmenter son activité (d’après les expériences socio-économiques et études diverses), l’argument principal des promoteurs du revenu de base (type Benoit Hamon) reste la disparition du travail par la généralisation des machines et algorithmes. Ce qui revient à dire qu’on souhaite subventionner le chômage. Mais est-on certain que l’écrasante majorité des gens ne souhaite pas travailler ? Le cadre offert par un véritable emploi (reconnaissance sociale, interaction avec les collègues, clients, etc.) reste une source d’émancipation, d’accomplissement. Ce n’est pas la seule, mais il est plus facile pour un jeune diplômé appartenant à la classe moyenne de rêver d’un revenu universel lui permettant de monter sa start up et de faire le tour du monde que pour le Français moyen issu des classes populaires. Lui aura tendance à ressentir le RU comme de la solidarité culpabilisante qui pousse à l’oisiveté. (6)

Ce qui conduit à se poser la question de la division du travail. Et, une fois de plus, le fait « d’arroser » l’ensemble de la population d’un revenu proche du SMIC ne garantit pas une répartition harmonieuse des tâches absolument nécessaires au bon fonctionnement de la société. Car le marché du travail, comme l’expliquait Keynes, n’existe pas. Si une infirmière décide que tout l’argent du monde ne justifie plus les gardes de nuit et décide de vivre de son RU, ce n’est pas l’ancien caissier de carrefour licencié qui va pouvoir la remplacer du jour au lendemain.  

Les effets pervers du revenu universel

De par son essence, le revenu universel casse les mécanismes de solidarité et de coopération pour individualiser les comportements, conduisant à une société plus égoïste. Puisque chacun reçoit son revenu individuellement, sans avoir à contribuer à la société en échange, chaque citoyen est encouragé à adopter des comportements opportunistes. À faire sans cesse des arbitrages entre l’intérêt personnel à travailler et celui de se mettre au chômage pour mener à bien ses propres projets. Au moindre problème collectif (au sein d’une entreprise, d’une association ou d’une administration publique), l’employé pourra décider de claquer la porte, laissant ses anciens collègues gérer la situation. La seule façon d’empêcher ce comportement de passager clandestin consiste à diminuer le revenu universel, ou augmenter fortement les salaires dans une logique consumériste (l’appât du gain financier additionnel justifiant alors les comportements altruistes). Pire, le revenu universel risque de créer une démarcation entre ceux qui s’en contentent ou démissionnent au moindre problème, et ceux qui continuent de travailler et de poursuivre les revendications salariales pour plus de justice sociale. Ceci rendra virtuellement impossible la constitution d’une conscience de classe de travailleurs pour établir un rapport de force avec la classe dirigeante, les multinationales ou plus simplement le Capital. Diviser pour mieux régner, c’est le rêve de tout dirigeant, et cela constitue une perspective terrifiante pour toute personne aspirant au progrès écologique et social.

Cela amène à se poser la question de la pérennité d’un revenu universel émancipateur. Car au même titre que le SMIC, la question de sa revalorisation reviendra chaque année. Et au même titre que le Code du travail, la protection sociale ou les retraites, il y aura des gouvernements pour faire pression sur le montant du RU (au prétexte de la compétitivité, de la soutenabilité de la dette, de la lutte contre l’immigration, ou les trois à la fois !). Or, il sera d’autant plus facile de faire voter une baisse du RU que ses bénéficiaires seront divisés, entre ceux qui en profitent pour travailler moins ou pas du tout (et qui seront montrés du doigt par les médias et politiques avec une violence ô combien plus intense que celle dirigée ces jours-ci contre les chômeurs) et ceux qui continuent de travailler (infirmiers, aides sociales, fonctionnaires, éboueurs…). Si le système de retraite français par répartition et l’assurance maladie par cotisation sont les deux principaux acquis sociaux encore debout soixante-dix ans après leur mise en place, c’est bien parce qu’ils bénéficient à l’écrasante majorité des Français. Un revenu universel décent pourra difficilement fédérer au-delà de ceux qui en ont besoin pour vivre.

Autrement dit, lorsqu’on prend en compte la réalité des rapports de force politiques, on arrive systématiquement à la conclusion suivante : tout projet de revenu universel progressiste finira par aboutir à un revenu universel libéral qui aggrave la pauvreté et les inégalités.  

L’illusion de la fin du travail

Benoit Hamon justifiait son projet par l’inéluctable disparition du travail.  Si le progrès technologique va rendre de nombreux emplois obsolètes, il reste difficile de chiffrer la perte nette une fois ajoutés les nouveaux types d’emplois créés, et d’estimer la vitesse de cette transition. Les machines et algorithmes nécessitent de formidables quantités de matière première et métaux rares, dont le stock est fini et le cout en hausse constante. Difficile d’imaginer qu’à performance égale, un robot coutera un jour moins cher qu’un plombier ou une aide-soignante. Il suffit de voir le retard considérable qu’a pris Tesla, l’entreprise phare d’Elon Musk, dans son projet de révolution industrielle. Tandis que les voitures en autopilote n’en finissent pas de se crasher en tuant leurs passagers, la production du modèle 3 ne décolle pas.  La raison évoquée (le recours trop important à l’automatisation de la chaine de production) et le prix de vente actuellement constaté (pratiquement deux fois le prix annoncé) montrent bien que la disparition du travail n’est pas pour demain. (7)

« Il y a plus de Tesla dans l’espace que de Tesla vendues au prix promis ». Image: SpaceX/ Tesla

Mais surtout, si on peut considérer qu’il manque de nombreux emplois en France, on ne peut pas dire qu’il manque du travail. Le travail est le reflet du désir humain, et la disparition du premier nécessite la disparition du second, ce qui semble philosophiquement impossible.

La transition énergétique, la mutation vers une agriculture biologique et locale, le soin aux personnes, l’accompagnement de fin de vie, la santé, les infrastructures, le recyclage des déchets, le nettoyage des lieux publics, la préservation des espaces naturels, la valorisation des patrimoines culturels et des paysages… la liste de tâches valorisantes et utiles est infinie.

Plutôt que de distribuer du pouvoir d’achat, il serait donc bien plus ambitieux et bien moins couteux de distribuer de l’emploi subventionné dont le contenu serait d’utilité publique. L’effet émancipateur du RU serait ainsi en partie assuré, pour un cout divisé par dix, et avec des retombées vertueuses bien plus certaines et contrôlables. 

C’est la notion d’emploi garanti, sur laquelle nous reviendrons prochainement !

Conclusion

Du point de vue progressiste, le revenu universel est au mieux une utopie peu efficace, au pire une aberration. Non seulement un revenu universel réellement émancipateur serait impossible à financer, mais quand bien même, on ouvrirait alors la porte vers les pires dérives possibles, qui produiront l’exact opposé des objectifs recherchés. En particulier en termes de bien-être social et d’impact écologique.

À l’inverse, un revenu universel libéral reste réalisable (de par son faible montant) et présente un attrait indéniable pour la classe dirigeante. Il permettrait d’acheter une certaine paix sociale tout en subventionnant la précarisation accrue des classes moyennes et populaires. Parce qu’il pourrait être vendu aux électeurs sous un faux habillage « progressiste », et avec la promesse de la future augmentation de son montant, il s’agit d’une proposition dangereuse pour le camp humaniste. Il ne serait pas surprenant qu’Emmanuel Macron le propose en 2022 pour couper l’herbe sous le pied de la gauche, si les circonstances électorales l’exigent.

Ceux qui cherchent un projet émancipateur, humaniste et progressiste devront regarder vers la proposition d’emploi universel garantie, qui fournit une porte d’entrée plus réaliste et désirable vers la notion de salaire à vie défendue par Bernard Friot.

***

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Notes et références:

Deux articles reprennent en partie les arguments développés ici, celui (en Anglais) de Jacobinmag (qui avait inspiré le début de rédaction de cet article), et celui du site LeVentSeLève. La critique du revenu universel par Bernard Friot fut également un élément moteur de notre réflexion. Notre propre article initial sur le Revenu universel se voulait plus conciliant avec cette idée.

  1. Lire notre article qui détaille ces deux versions, ainsi que le salaire à vie de Bernard Friot.
  2. Idem 1. Voir en particulier le détail de la proposition du think tank libéral Génération Libre.
  3. Les études du think tank britannique Compass, qui analyse les effets d’un revenu universel en Grande-Bretagne à 390 euros/mois, concluent à une hausse de la pauvreté et de la précarité. De même, de nombreux auteurs libéraux qui promeuvent le revenu universel admettent (ou revendiquent) le fait que cela va permettre aux travailleurs d’accepter des emplois sous-payés ou précaires.
  4.  https://jean-jaures.org/sites/default/files/notefjj-revenubase.pdf
  5. Estimation rapportée par Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/190118/et-si-l-etat-creait-lui-meme-les-emplois-pour-combattre-le-chomage?onglet=full
  6. À ce propos, lire cette excellente analyse de Lenny Barbara pour Le Vent Se Lève.
  7. Sur les malheurs de Tesla et Elon Musk, lire cet excellent résumé de Vox.

9 réactions au sujet de « Faut-il croire au revenu universel ? »

  1. Vous citez Bernard Friot et la notion de salaire à vie en fin d’article.
    Bel effort, quand dans le corps de l’article vous déclarez comme une évidence
    « les actifs cotisent depuis des années, il serait tout aussi compliqué de leur supprimer leur future retraite déjà financée »
    Avez-vous enterré précocement la retraite par répartition ?
    et
    « il faut se poser la question philosophique de notre rapport au travail. »
    Travail et emploi serait-il synonyme ?
    Que faites vous de l’analyse de Bernard Friot sur cette question ?

    1. Bonjour, et merci pour ces deux questions pertinentes ! Sur les retraites, je voulais simplement indiquer aux promoteurs du revenu universel qu’il ne serait pas simple de le financer en le substituant aux retraites (cela me parait difficilement justifiable vis à vis et des retraités qui touchent une pension supérieure au montant du RU, et des actifs ayant déjà cotisés – dans les deux cas cela ferait de nombreux « perdants » sur le plan financier).
      Sur le travail, ce que je cherche à souligner c’est avant tout l’idée que le travail reste une valeur importante pour de nombreux citoyens, et que renoncer à cette valeur semble problématique pour une force politique se revendiquant « progressiste ». Autrement dit, Benoit Hamon se coupe de sa base sociale en proposant de renoncer au travail.
      Si vous lisez mon article sur Bernard Friot, vous verrez que je présente avec bien plus d’enthousiasme ses propositions. En particulier, le fait de revaloriser le travail et de le déconnecter de la notion d’emploi me semble bien plus pertinent (et + réaliste) que le RU. De même, je présente sa conception « communiste » des retraites comme étant supérieur à celle néolibérale de Benoit Hamon/ Emmanuel Macron. Mais tous ces thèmes sont complexes et difficiles à traiter en un seul article sans faire des raccourcis 😉

  2. Sujet éminemment politique, et qui méritait un bon déminage tout en nuances éclairantes, merci ! Mais qui pose avant tout des questions philosophiques sur les notions même de travail, d’emploi, de pauvreté, de dignité… dans le contexte actuel. Quelques réflexions.

    Dans toute compétence à l’œuvre, il y a de l’acquis, certes, mais aussi de l’inné ; de l’intellect, de l’affect, de l’organique (sueur etc.), et même chez certains, de l’âme. Il y a donc du « vivant », du « sujet » par essence indivisible : de l’intégrité.

    Et c’est pourtant cela qu’il nous est demandé de monnayer dans ce système marchand : des « choses » qui n’ont pas été conçues pour l’être, et qui n’en sont pas. Le découpage simpliste, de plus illusoire vie privée/vie professionnelle ne saurait résoudre cette complexité. Il ne peut donc pas y avoir de solution satisfaisante dans un système où nous sommes obligatoirement découpés et vendus en « tranches fines ».

    Et si certains pensent y trouver leur compte, cette dissociation, ce morcellement de soi est « impossible », aggravé par le fait que nous sommes chacun unique, et que nous ne pouvons pas être théorisés comme des clones. Rentrer « à tout prix », c’est le cas de le dire dans ces cases préétablies de l’emploi, c’est donc déjà de l’oppression, et le fait de l’ignorer (son propre) ne l’empêche nullement d’opérer ses ravages souterrains. C’est même une des causes premières de la violence sociale.

    Alors, dans ce système plus déloyalement concurrentiel que jamais, absurde qui fabrique et vend de l’inutile et du nocif, on n’a pas fini de s’interroger, ni de souffrir… Car c’est sans issue : « L’incompétence est une menace pour soi-même, la compétence, une menace pour les autres ». * Et c’est la « peine » qui « mérite » salaire, comme le travail relève de la « torture », ne l’oublions pas. Or, on ne compte plus les malades et les morts du travail… tandis qu’on les reconnait de moins en moins.

    Ne devrions-nous pas au contraire chercher à alléger la « peine » inévitable en lui donnant en effet un sens plus noble, et/ou une marge de liberté ? Mais proposer en parallèle indissociable un plancher REALISTE, et non celui fantasmé par des bureaucrates « hors sol** » de la notion à géométrie variable mais tout aussi étriquée du « niveau minimum de vie digne » ? (Quand on pense que des salariés à plein temps dorment dans leur voiture, nous abreuver de telles fadaises, c’est inqualifiable !)

    Mais ce serait LAISSER AFFLEURER à la conscience du peuple que le SMIC est lui-même bien en-deçà du « seuil réel de pauvreté », a fortiori pour une personne seule, parfaitement indécent. (Il n’y a qu’à voir comment nos « élites » nous méprisent de nous contenter de si peu au moment où elles se préparent encore plus cyniquement à le faire disparaître…)

    Alors, non, en effet, RU, RB, libéral ou progressif, c’est RN*** pour moi !

    Il est vraiment urgent d’en sortir.

    * Cf. « Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien », Marie-France Hirigoyen – Joel Cariou « Celui qui a osé dire non »
    ** emprunté à Politicoboy parce que ça me plaît
    ***Revenu Niet

  3. J’ai apprécié votre analyse du revenu universel. Vous m’avez convaincu, bien que l’idée ne m’attirait guère avant de cette réflection soutenue.

    Il me semble plus efficace d’avoir l’état offrir un emploi au chômeur. De préférence temporaire, mais j’attends votre prochain article. Cette solution ajoute un esprit et une pratique républicaine.

    Pourtant, toute question du montant de salaire ou de revenu universel doit être liée au problème du logement, parmi autre dépenses de base. La seule flèche d’une subvention de l’état ne suffira pas. Y a t’il un moyen de fixer le loyer à 25% du salaire maximum et de tout déterminer par un calcul relationnel, au lieu d’un smic moyen et vague ?

    Le revenu universel m’apparaît comme contrepartie du « flat tax ». Rhétorique égalitaire mais effet contraire.

    Pardonnez moi les fautes de langue.

    1. Merci ! Votre français vous honore, et les approximations linguistiques ne nuisent pas à la compréhension. La question du loyer et du cout du logement mérite en effet d’être posé. Je n’ai pas de réponses claires pour le moment, mais on voit bien qu’en Californie comme à Paris, cela devient un enjeu majeur.

  4. Pour éviter le TL;DR, je vais essayer de faire court.
    530 euros/mois (RSA), j’ai testé, ça vous permet de survivre. Ca ne paie pas l’essence si les frais de voiture (si vous n’avez pas de transport en commun), ça ne vous permet pas de payer vos soins, ça vous permet de payer le loyer et la bouffe. Et hygiène minimum (savon de ménage). Avec une variation suivant la taille des villes. Ca permet à peine de chercher un emploi.
    La santé gratuite (quitte à la payer par les impôts) est utile dans un régime communiste comme capitaliste. Dans le régime communiste, c’est un principe. Dans un régime capitaliste elle évite que les pauvres deviennent des « réservoirs » de maladie (terme épidémique du terme) et leur permet d’être pleinement productifs.
    Dernière remarque, un individu pauvre est plus bénéfique pour la croissance qu’un individu riche. Car un individu pauvre va dépenser tout son revenu en bien de consommation et minimiser l’épargne.

  5. Sur la question du logement, actuellement, il faut gagner minimum 3 fois le montant du loyer pour y avoir accès. C’est là qu’un déséquilibre apparaît et pose déjà la question de la possibilité de les gagner en fonction du type d’emploi, de qualification, du marché etc., mais aussi celle de la nécessité réelle ou pas de cette possibilité pour le locataire.

    Ce qui est injuste ici, voire absurde, c’est finalement de nous obliger à un niveau de rémunération théorique arbitraire sans commune mesure avec notre réel niveau de vie. C’est un postulat établi en fonction d’un standard tout à fait discutable voire obsolète, tant à la baisse qu’à la hausse, d’ailleurs, en fonction des personnes et de leur style de vie.

    Tout cela, uniquement pour rassurer le propriétaire. Or, ce n’est pas le niveau de rémunération le plus élevé qui est la garantie d’être payé, mais l’honnêteté, qui n’est pas l’apanage d’une classe sociale.

    À mon avis, c’est là-dessus qu’il faudrait travailler : sur la notion d’équité. Car la vraie égalité, pour moi, c’est l’équité. Et au contraire le principe d’égalité à tout crin produit de l’inégalité, et dans ce cas, de l’exclusion.

  6. J’ai un peu de mal à comprendre la rapidité, et je pense, le manque de sérieux avec lequel vous balayez de la table la version « libérale » du revenu universel, à partir de ce qui sont, au mieux, des spéculationes (il appauvrit et rend égoïste).
    A la base, ce n’est d’abord qu’une manière plus simple et plus inclusive de distribuer le RSA: tout le monde le touchera, et non seulement les 70% qui font les démarches. Ensuite, c’est une manière plus souple de gérer une sorte de prime d’emploi, sans effet de seuil, sans delai. Enfin, le différentiel entre la flat tax et le ru crée une sorte de progressivité qui profite d’abord aux bas et moyens salaires (qui du fait seront moins imposés), et aux familles, où des allocations familiales plus généreuses remplaceront le quotient familial. Enfin, la parfaite simplicité du dispositif devrait permettre d’économiser une grande quantité de travail administratif parfaitement inutile, mais coûteux (aux services des impôts, à la CAF, au ministre de la finance). Sans parler qu’il s’autofinance… what’s not to like?

    Je ne vois pas ce qui justifierait l’hypothèse que ce type de RU créerait de l’appauvrissement et de l’égoïsme. Si tel était le cas, il faudrait alors dire la même chose du RSA et de la prime d’emploi.

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