Ce qu’on retiendra des élections allemandes et italiennes

Ce qu’on retiendra des élections allemandes et italiennes

Deux résultats électoraux diamétralement opposés viennent dessiner une nouvelle fracture politique au sein de l’UE. En Allemagne, Angela Merkel sort victorieuse d’un long processus de négociation. Pour la majorité des observateurs hexagonaux, cette conclusion valide la ligne politique du président français.

À l’inverse, la spectaculaire progression des forces eurosceptiques, xénophobes et populistes observée suite aux élections italiennes se traduit par une claque électorale pour le centre droit de Matteo Renzi, et la ligne ordo-libérale chère à monsieur Macron.

L’Europe serait-elle ainsi fracturée entre le modèle allemand et la dérive populiste italienne ? En réalité, les deux résultats électoraux sont intimement liés, et l’espoir ne vient pas nécessairement de là où l’on croit.

1) Les élections allemandes : Angela Merkel confirmée à la tête de l’Europe

Le pays le plus riche d’Europe, principal gagnant de la mondialisation et leader incontesté de l’UE, vient de s’extirper d’un blocage politique de six mois.

L’Allemagne dirige l’Europe de deux façons. (1) Les traités européens successifs lui ont permis d’imposer sa conception monétaire et sa politique budgétaire, en particulier depuis la signature du TSCG par François Hollande. Elle a piloté d’une main de fer la crise des dettes souveraines, et imposé à tous les pays son modèle de contraction de la dépense publique, d’austérité budgétaire et de réformes structurelles. (2)

Pour l’Allemagne, ce schéma économique semble fonctionner. Les déficits budgétaires sont inexistants, l’économie connait le plein emploi et les excédents commerciaux sont les plus importants du monde. Selon les libéraux, cela serait dû aux réformes Schröder, qui ont permis de gagner en compétitivité grâce à la réforme du Code du travail (baisse des salaires, partage du temps de travail via le recours massif au temps partiel et flexibilisation du marché de l’emploi).

Ce modèle fut exporté de force par la Commission européenne (via ses Grandes Orientations de Politiques Economiques) aux pays en difficulté financière, en particulier la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, la France et … l’Italie.

En toute logique, ces succès allemands devaient déboucher sur une victoire d’Angela Merkel et une poursuite de sa ligne politique, ce qui vient d’être acté par la ratification de l’accord de gouvernement et la reconduite de la « GroKo ».  Or, cet accord entre la droite conservatrice de Merkel (CDU-CSU) et le parti social-démocrate (SPD) de Martin Schultz constituait un enjeu majeur pour le projet de réforme de l’Union européenne porté par Emmanuel Macron. (3)

En surface, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

2) L’avertissement des élections allemandes 

Si le résultat final des négociations allemandes semble réconfortant, il cache de nombreux problèmes.

La répartition du vote des législatives, d’abord, se traduit par un score décevant pour Angela Merkel (-7%), qui se trouve débordée sur sa droite par deux mouvements ultraconservateurs : le parti libéral (FDP), qui défend une ligne européenne encore plus austéritaire et implacable que celle d’Angela Merkel, et le parti néonazi AFD (Alternative fur Deutschland), qui s’oppose catégoriquement au moindre assouplissement des règles économiques européennes. En additionnant les voix,  58% de l’électorat est hostile au projet d’Emmanuel Macron.

Second choc, pour la première fois depuis 1945, l’extrême droite va bénéficier d’une représentation au Bundestag. Le parti xénophobe passe de zéro à 93 députés et de 4 à 13.5% des suffrages. En six mois, il est devenu (selon les sondages) la seconde force politique du pays, et le principal parti d’opposition. Dans la nation la plus riche d’Europe, et en dépit d’un lourd passé qui avait tenu à l’écart l’extrême droite pendant des décennies, les néonazis constituent désormais la seconde force politique du pays. (4)

Troisième enseignement, le SPD a subi sa plus grosse défaite depuis la réunification.

Source: Bundestag.de/fr

Pour éviter une impasse qui aurait nécessité de nouvelles élections, Angela Merkel a essayé de former une coalition « Jamaïque » avec les écologistes et les jaunes du FDP, mais les divergences de ces deux courants firent échouer les négociations. L’unique alternative consistait à reproduire la GroKo qui gouverne depuis 2013, une alliance entre les conservateurs de la CDU-CSU et les sociaux-démocrates du SPD. Il faudra six mois pour faire aboutir ce projet, tant le parti socialiste allemand estimait que sa survie de long terme passait par un séjour dans l’opposition. Son refus aurait conduit à une nouvelle élection, dont les sondages prédisaient une claque encore plus sévère pour le SPD, et une nouvelle progression de l’extrême droite. (5)

Le SPD a donc finalement accepté de rejoindre la grande coalition. Outre des engagements pour des mesures sociales qui font office de rustines, il obtient la garantie d’une ouverture vis-à-vis du projet européen d’Emmanuel Macron. Les règles budgétaires et monétaires (les deux piliers de la politique ordo-libérale) sont pourtant exclues du champ des futures négociations avec l’Elysée.

En d’autres termes, la GroKo n’est qu’un prolongement du statu quo qui ferme la porte à l’Europe sociale et solidaire.

Les causes du chamboulement allemand :

La montée spectaculaire de l’extrême droite et l’effondrement de la gauche allemande s’expliquent par plusieurs facteurs. Le premier est l’essoufflement d’une fausse alternance gauche-droite. C’est bien le SPD de Gerhard Schröder qui a massacré le droit du travail allemand et créé 7 millions de travailleurs pauvres. Dans ce contexte, on comprend que les 13 millions d’Allemands vivant sous le seuil de pauvreté se détournent des socialistes au profit d’un populisme d’extrême droite.

L’autre explication provient de la décision contestée d’Angela Merkel d’accueillir près d’un million de réfugiés en deux ans, dont certaines conséquences ont été instrumentalisées par la droite et l’extrême droite.

Le plus inquiétant dans la dynamique politique allemande, c’est l’absence de perspectives optimistes. Le SPD devrait ressortir encore plus affaibli de cette coalition forcée, tandis que le rapport de force politique est très largement favorable aux conservateurs, aux tenants de l’austérité et à l’extrême droite.

Plutôt qu’un assouplissement des pressions allemandes pour supprimer les acquis sociaux des autres pays membres, nous devons nous attendre à une prolongation de l’austérité et de la libéralisation des marchés. Enfin, le SPD a démontré sa profonde incapacité à imposer des réformes européennes sur le terrain écologique : que cela soit pour le Glyphosate ou l’autorisation ad vitam aeternam des perturbateurs endocriniens, la droite allemande impose ses priorités contre l’avis du parlement européen.  

3) Elections italiennes : une catastrophe porteuse d’espoir

L’Italie compte parmi les principales victimes de l’obsession monétaire et budgétaire allemande. Les fondamentaux de l’économie et l’histoire sociale du pays ont bien entendu leur rôle à jouer, mais l’austérité et les réformes structurelles qui ont généralisé la précarisation et contracté l’activité sont pour beaucoup dans la situation actuelle. (6)

Évolution du PIB par habitant en euros constants, depuis 1999, en Italie (bleu), France (rouge) et Allemagne (vert). © FRED, Réserve fédérale de Saint-Louis – via Médiapart

Après s’être débarrassée de Silvio Berlusconi, condamné à sept ans d’inéligibilité, l’Italie a connu son lot de « GroKo » entre le centre droit (Forza Italia) et le centre « gauche » (PD), aboutissant à des gouvernements technocratiques (Prodi et Monti). L’arrivée en 2014 de Matteo Renzi, le « Macron italien », devait permettre de sortir le pays de l’immobilisme. Son « Job act« , une réforme spectaculaire du marché du travail, ressemble à s’y méprendre au contenu des ordonnances Macron. (7)

Cette politique libérale a été sanctionnée une première fois lors du référendum de 2016 (portant sur une réforme constitutionnelle qui visait à concentrer le pouvoir exécutif) avant de conduire à la démission de Renzi suite à la claque électorale de 2018.

Résultats des élections italiennes de 2018. Source: lifegate.com (résultats approximatifs)

Le grand vainqueur du scrutin n’est autre que le Mouvement 5 étoiles (32%), formation populiste en forme de papier tue-mouche, dont le programme semble destiné à attraper un maximum d’électeurs en perdition. En seconde position, le parti d’extrême droite néofasciste (Lega) réalise une percée historique avec 18% des votes. Il devance les autres membres de sa coalition de droite dure (qui totalise 37% des votes) dont Forza Italia, une liste emmenée par… un Silvio Berlusconi encore inéligible pour un an.

Matteo Renzi subit un véritable camouflet, sa liste « centre gauche » pointant à 18%. Comme le SPD en Allemagne et le PS en France, la social-démocratie s’effondre, au profit des forces populistes.

Plus inquiétant, la campagne italienne a été dominée par les thèmes de lutte contre l’immigration et l’euroscepticisme. Si aucun parti n’ose proposer de sortir de l’Europe (à part la gauche radicale de Potere al Popolo et ses 1.5%), seul le PD se prononce en faveur du projet européiste d’Emmanuel Macron.

La gauche italienne en charpie

Une lecture simplifiée de ces deux élections permet de dégager une tendance claire : la politique allemande fait monter l’extrême droite partout en Europe, y compris chez elle. Les fausses alternances (SPD-CDU, LR-PS, PD-Forza Italia…) qui gouvernent les trois pays les plus riches d’Europe depuis trente ans débouchent sur un effondrement de la social-démocratie, victime de sa duplicité avec l’oligarchie.

C’est donc l’absence d’alternative aux politiques néolibérales et les dégâts que celles-ci provoquent qui poussent de plus en plus de pays à basculer vers l’extrême droite, le tout renforcé par l’instrumentalisation de la crise  migratoire.

Des mouvements comme Podemos et La France Insoumise sont parvenus à imposer une alternative crédible. En Allemagne, Die Linke n’a pas su saisir cette opportunité, tandis qu’en Italie, la gauche radicale semble inexistante.

C’est d’autant plus triste que cette dernière a longtemps été la plus dynamique d’Europe, et le parti communiste italien une véritable institution à l’histoire particulièrement riche.(8) Désormais dépourvue de bases sociale et idéologique solides, la gauche italienne peine à se reconstruire. L’autre cause découle de l’émergence du Mouvement Cinq Étoiles…

L’espoir du Mouvement Cinq Étoiles

Nos principaux médias ont été prompts à qualifier les élections italiennes et la victoire du M5S de catastrophe, et à réduire ce mouvement populiste à un parti d’extrême droite. En réalité, le M5S constitue une force anti-néolibérale qui mérite d’être considérée soigneusement.

Image: Les Echos

Le mouvement issu de la rencontre entre l’humoriste Beppe Grillo et le spécialiste du marketing web G. Casaleggio se définit par cinq étoiles qui correspondent à cinq revendications : l’accès à l’eau comme bien commun, l’accès aux transports, le développement durable, le droit d’accès à Internet et une politique écologique sur le modèle de la décroissance. Au cœur du mouvement, on retrouve une obsession pour la démocratie directe (facilitée par Internet) et la lutte contre la corruption et la mafia, dont l’activité représente plus de 10% du PIB italien.

Le mouvement se revendique populiste, au sens défini par Laclau et Mouffe, et repris par Bernie Sanders, Podemos et LFI. Il défend un programme social qui doit servir « le peuple », avec notamment le versement d’un revenu de base de 750 euros sur conditions de ressources (qui couterait 30 milliards par an), une baisse des impôts concentrée sur les couches populaires et le PME-TPE, financée par un plan drastique de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale. Il milite également pour une approche écologique basée sur une logique de décroissance et de soutenabilité, avec un vaste plan de recyclage des déchets et d’économies d’énergie. Il cherche enfin à démocratiser les médias en limitant la mainmise des intérêts financiers sur les grands groupes de presse. (9)

Son électorat (et ses cadres) provient majoritairement des déçus de la gauche, des abstentionnistes situés dans les régions les plus pauvres d’Italie (le Sud et les périphéries urbaines).

Son positionnement anti-européen et son discours musclé contre les migrants ne doivent pas faire oublier qu’il est le seul parti (avec les deux formations d’extrême gauche) à proposer d’établir des couloirs humanitaires en méditerranée pour éviter les drames humains. (10)

Mais le M5S reste un mouvement opportuniste, qui a abandonné son projet de sortie de l’UE et musclé son discours sur l’immigration afin d’attraper un maximum d’électeurs, que ce soit les déçus de Renzi ou les couches populaires les plus exposées au discours d’extrême droite.

Le fondateur du M5S, Beppe Grillo, flanqué du président du mouvement Luigi Di Maio, et de Virginia Raggi, maire M5S de Rome – photo l’Express

Si le M5S empêche l’émergence d’une vraie force de gauche à l’idéologie solidement ancrée dans une tradition marxiste de défense des travailleurs et de remise en cause du capital, il permet également de contenir l’extrême droite.

Ses limites tiennent à la fragilité de sa base idéologique, qui risquerait, s’il arrivait au pouvoir, de le pousser dans des directions contradictoires, ou de décevoir une large partie de son électorat.

Néanmoins, compte tenu du rapport de force actuel en Italie et des efforts exceptionnels perpétués par le pouvoir italien (médias, politique, financier, mafia) pour lui barrer la route, sa percée peut constituer une bonne nouvelle porteuse d’espoir.

Partout dans le monde, les vieux pouvoirs en place souffrent de cette fameuse vague de dégagisme. L’avenir appartient au populisme, et la victoire en forme de hold-up d’Emmanuel Macron (seulement 23% des voix et le plus faible taux d’adhésion à son programme) ne doit pas faire oublier la réalité politique conflictuelle  de l’Union Européenne et les menaces qui pèsent sur sa cohésion.

 

Conclusion

La montée de l’extrême droite et l’effondrement du « centre gauche » s’expliquent par l’échec des politiques néolibérales, y compris dans le pays le plus riche d’Europe. Les conséquences sont particulièrement visibles en Italie, où l’euroscepticisme et le populisme représentent plus de 50% de l’électorat. Mais en Allemagne également, la majorité des électeurs se prononce contre une Europe plus solidaire, ce qui constitue une autre forme d’euroscepticisme.

Face à la colère et au désenchantement des peuples, la lutte entre les forces populistes progressistes et l’extrême droite risque de définir l’avenir de l’Union européenne, à moins que la classe dirigeante ne corrige rapidement la trajectoire de sa politique.

Cette troisième voie reste peu probable, comme le montre l’accord de gouvernement allemand qui prolonge le statu quo. Reste à savoir qui, des populismes progressistes ou des néofascistes, sauront s’imposer face aux néolibéraux.

 

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Notes et références:

  1. Pour comprendre comment l’Allemagne dirige l’UE, lire notre résumé du livre de Frédéric Lordon, ici.
  2. Lire notre résumé du livre de Yanis Varoufakis, « La bombe grecque« .
  3. Lire Romaric Godin, La Tribune: La stratégie européenne d’Emmanuel Macron est elle la bonne ? 
  4. Médiapart, Angela Merkel peut (encore) rempiler
  5. Idem 4
  6. Médiapart: Italie: une économie malade, Romaric Godin
  7. Le Monde Diplomatique: Job act, le grand bluff de Matteo Renzi
  8. Lire en anglais cet article de Jacobinmag « Italy past glories« 
  9. Médiapart: Le mouvement 5 étoiles est anti-néolibéral
  10. Idem 9

Une réaction au sujet de « Ce qu’on retiendra des élections allemandes et italiennes »

  1. Bonjour,
    Vous parlez d’échec des politiques néo-libérales. Il me semblent au contraire qu’elles font merveille en Europe: la richesse est de plus en plus concentrée.

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