La France se soumet

La France se soumet

Le soulagement légitime d’avoir temporairement écarté l’extrême droite ne doit pas masquer l’enseignement principal de cette élection présidentielle: en portant Emmanuel Macron au pouvoir, le peuple français vient de poser un acte de soumission historique. Retour sur un scrutin particulier.

La France apaisée en colère

Jusqu’au bout, Marine le Pen aura parfaitement rempli son rôle d’épouvantail . Le slogan « La France apaisée » ne collait décidément pas au personnage agressif qui s’en est pris avec véhémence à Emmanuel Macron dans un débat d’entre deux tours de piètre niveau. Prise dans la contradiction profonde de sa candidature qui cherche à tenir un discours de gauche à un électorat historiquement ancré à droite, la candidate frontiste était mécaniquement condamnée à tenir le rôle de roue de secours du système qu’elle prétendait vouloir combattre.

La claque électorale du second tour montre toute la limite de ce mouvement de contestation.

La colère, elle, est bien réelle. Elle s’exprime avant tout par l’abstention et le vote blanc et nul, qui totalise plus de seize millions des suffrages, largement devant le Front National.

Dans les campagnes, Marine le Pen fait par contre carton plein. La rage au ventre, de nombreux Français ne s’arrêtent plus au côté fasciste et xénophobe du Front National et votent sans états d’âme. Là où Jean Marie Le Pen rassemblait 18% et cinq millions et demi d’électeurs, Madame Le Pen progresse de cinq millions de voix, trois millions et demi de plus qu’au premier tour.

Prêt à tout pour étouffer la contestation de gauche, les grands médias accordent déjà au FN le statut de première force d’opposition de France. On croit rêver.

La France se soumet

Avait-elle le choix ? Face à l’extrême droite, mis à part le risque mesuré du vote blanc ou de l’abstention, difficile de faire autrement que de se plier au geste républicain.

Paradoxalement, si le Front National est un parti antirépublicain, par définition il devrait être interdit.  Précisément ce que demandait une certaine partie de la gauche en 1999, dont un sénateur PS nommé Jean-Luc Mélenchon

Mais surtout, la victoire de Macron ne constituait en rien une évidence. Certes, les circonstances exceptionnelles, entre les affaires de Fillon et la défaite de Valls aux primaires du PS, lui ont offert un boulevard. Mais pour autant, rien n’obligeait les Français, en particulier les 60% qui se sont portés sur lui dès le premier tour par vote utile, à effectuer à un tel geste de soumission. (1)

Soumission à l’Allemagne

Avant de se présenter devant les Français, notre nouveau président avait pris soin de se faire adouber par Angela Merkel et son ministre des finances, l’ultra-conservateur Wolfgang Schäuble . Macron affirmait  haut et fort la volonté de suivre scrupuleusement les règles budgétaires et de prolonger l’austérité, tout en réformant en profondeur le pays pour gagner la confiance du gouvernement allemand. Cette stratégie est jugée absurde et irréaliste par le rédacteur en chef de La Tribune, spécialiste des questions européennes. Il pointait l’incohérence profonde de la démarche, en s’appuyant sur les exemples de l’Italie et du Portugal pour démontrer la déconnexion complète d’Emmanuel Macron d’avec le fameux « reel ». (2)

Cette stratégie de « soumission » visant à susciter à posteriori la clémence du partenaire allemand constitue un renoncement historique à la souveraineté de la France. Symbole de cette décision, l’hymne non officiel de l’Union Européenne résonnait en lieu et place de la marseillaise pour clôturer le discours de victoire d’Emmanuel Macron.

Soumission aux marchés

Le 30 avril 2017, l’économiste en charge de la campagne En Marche affirmait sans détour qu’il fallait  « réduire la dépense publique » par « les coupes d’abord dans le social », « sur l’assurance-maladie », « la tarification à l’acte », « l’assurance-chômage » et « les collectivités locales ». (3)

Emmanuel Macron tenait le même discours bien avant le premier tour. On peut au minimum lui reconnaitre l’honnêteté et la clarté du projet qu’il incarne.  Contrairement à son prédécesseur, point de discours populiste ou démagogique de type « Mon ennemi c’est la finance ».

Comme Macron ne pouvait pas aller jusqu’à déclarer « mon ami c’est les marchés », ses discours de campagne tournaient creux, collectionnaient les sophismes et les tautologies. « Le futur c’est demain » et « l’avenir est devant nous ». (4)

Pourtant, Emmanuel Macron est le président de la répulique le plus à droite jamais élu. Il prévoit de déréguler les banques et d’exonérer le capital mobilier de l’ISF. Le propriétaire d’un manoir sur l’île de Ré continuera de payer l’impôt sur le capital, mais les amis du président pourront investir dans les oeuvres d’art et les produits financiers en toute liberté, pendant que les classes moyennes continueront de voir les services publics disparaitre, les entreprises nationales privatisées et le nombre de fonctionnaires des hôpitaux et des collectivités territoriales diminuer pour ramener le déficit à un niveau acceptable aux yeux des « marchés financiers ».

Soumission au Médef

Devant le patron des patrons, Emmanuel Macron déclarait vouloir supprimer le terme pénibilité du compte pénibilité de la loi travail, car « il induit que le travail est une douleur ». Et oui, petit salarié, il faut se tuer à la tâche avec le sourire. (5)

Après avoir offert quarante milliards par ans aux entreprises sans contrepartie, instauré le travail le dimanche et enterré les 35 heures, notre nouveau président promet d’aller plus loin dans les baisses de charge et la réforme du Code du travail. Le tout par ordonnance et avec l’approbation des Français qui ne demandent qu’à se faire ubériser au nom de la « société de clients » rêvée par Jean Marc Daniel, économiste en chef de l’équipe de campagne. En 2016, les dividendes reversés aux actionnaires du CAC40 battent de nouveau tous les records. Le pays dans son ensemble n’a jamais produit autant de richesse, mais l’important est de poursuivre l’accumulation par le haut ! (6)

Soumission aux lobbies

Au diable les 50 000 morts par an causés par la pollution atmosphérique ; au diable l’espérance de vie qui recule et les problèmes des perturbateurs endocriniens ; au diable le réchauffement climatique et l’agriculture bio en circuit court. Emmanuel Macron se plie volontiers au pouvoir des lobbies, déterminé à ne pas remettre en cause la tarification du diesel ou les décisions de la commission européenne qui vient d’autoriser le déploiement du Rondup de Monsanto, jugé cancérigène par l’OMS et Monsanto lui-même (dans un document révélé par Wikileaks). (7)

Soumission au TAFTA et CETA enfin, ces deux accords de libre-échange négociés dans la plus grande opacité par les multinationales et qui permettent dès à présent à ces dernières de poursuivre en justice les Etats Européens et collectivités territoriales, y compris pour concurrencer les services publics voués à disparaitre.

Soumission au chantage de la classe politique

Le parti socialiste vient de rayer de son programme des législatives les deux propositions phares de Benoit Hamon. Exit le revenu universel, exit la reconnaissance du Burn out. En réalité, à quelques détails près, le PS fait campagne sur le programme d’En Marche, se soumettant ainsi à la volonté du président élu, au mépris des deux millions d’électeurs ayant participé à la primaire socialiste.

Benoit Hamon n’aura tenu qu’un seul rôle, celui de garde-fou face à Jean Luc Mélenchon. Un fusible destiné à éviter que les idées de gauche arrivent au pouvoir. Le formidable tour de passe-passe du président Hollande pour installer son poulain à l’Elysé à de quoi faire haluciner.

La droite n’est pas en reste. Il fallait voir l’aspect comique d’un François Baroin se disputer avec François Bayrou sur les points de CSG et de TVA à baisser ou augmenter sur le plateau de France 2, ce dimanche sept mai, à vingt heures trente-deux.

Quel splendide renouveau de la classe politique, lorsqu’aux côtés du maire PS de Lyon se trouvaient Ségolène Royal, Dominique de Villepin et François Bayrou pour nous expliquer que la victoire d’Emmanuel Macron incarnait le changement dont la France avait besoin !

Soumission au pouvoir médiatique

Les grands médias se sont très vite épris du ministre des Finances de François Hollande, et l’auront accompagné jusqu’au bout dans sa conquête de l’Élysée. (8)

Présents pour favoriser la montée du FN, à travers un traitement anxiogène de l’actualité, en attisant la peur de l’Islam et en servant la soupe à Marine Le Pen à chacune de ses interventions télévisées. Au point de faire passer son programme pour socialiste.

Présents pour démonter le programme « irréaliste » de Benoit Hamon avant de diviser la gauche à coup d’appels incohérents à l’union des candidatures. Ces mêmes voix se sont immédiatement tues lorsque Jean-Luc Mélenchon dépassa Benoît Hamon dans les sondages.

Présents pour empêcher coûte que coûte que le porte-parole de la France Insoumise prive le Front National de second tour. Tout y passa, des amalgames les plus malhonnêtes aux accusations d’antisémitisme et aux « fake news » dignes de l’extrême droite. Le parti socialiste, à quelques heures de la fin de la campagne, se fend d’un communiqué appelant ses électeurs à se méfier du danger Mélenchon, plutôt que d’attaquer la droite ou l’extrême droite. Si on ajoute l’intervention du chef de l’Etat et les prises de position la veille du premier tour des journaux Le Monde, Alternatives Économiques et Libération, il apparaît clairement que l’enjeu n’était pas de faire barrage au FN, mais bien de s’assurer de sa présence au second tour. (9)

Présents pour invectiver les Français à aller se soumettre au « front républicain » en votant Macron envers et contre tout. Aucune critique des électeurs du FN eux-mêmes ou des 3 millions de Fillonistes se reportant sur Marine le Pen. Ce sont en premier lieu les « irresponsables » abstentionnistes, et en second lieu les « insoumis » qui refusaient de se soumettre à l’exercice de la consigne de vote qui furent fustigés à longueur d’éditoriaux, d’interviews, de micros-trottoirs et de reportages. Il fallait s’assurer que le peuple obéisse, et que la gauche alternative se trouve clouée au mur de la honte pour avoir osé respecter la volonté des abstentionnistes.

Une de Libération le Samedi 6 Mai.

Présents enfin pour mettre la pression jusqu’au bout aux électeurs hésitants entre le bulletin blanc et le vote Macron en ce dimanche 7 Mai. Les titres ridicules du style « à midi abstention en hausse à 72,7% comparé à 72,5% le 23 avril » devaient entretenir l’incertitude et motiver les moutons récalcitrants à s’obliger de voter contre le FN.

Et bientôt présents pour nous expliquer qu’il faut nécessairement donner au président élu par 10% des Français la majorité absolue à l’Assemblée…

Dans les colonnes du Guardian, un journaliste d’un grand journal de centre gauche reconnaissait sous couvert d’anonymat avoir travaillé, avec l’ensemble de la presse parisienne, à organiser le second tour Macron – Le Pen depuis près d’un an. Au cas où vous auriez peur d’être victime de paranoïa, cet aveu a le mérite de clarifier les choses une bonne fois pour toutes. Vous aviez dit démocratie ?

Soumission aux sondages

En 2007, le débat présidentiel se cristallisait autour du chômage et du pouvoir d’achat: travailler plus pour gagner plus (Sarkozy) ou travailler moins pour partager le temps de travail (Royal). Les deux options offraient un choix de société autant qu’une conception radicalement opposée de l’économie (politique de l’offre ou de la demande). Cinq ans plus tard, derrière le référendum pour ou contre Nicolas Sarkozy se dessinait un véritable débat démocratique sur la sortie de crise : pour ou contre l’austérité budgétaire et la fiscalité progressive, pour ou contre la sortie du Nucléaire.

Cette fois-ci, les journalistes et faiseurs d’opinions prirent soin d’organiser l’absence de débat. Derrière des faux affrontements télévisés où les candidats devaient se soumettre aux questions des journalistes en une minute trente, c’est le commentaire sportif, la stratégie électorale et la discussion prenant exclusivement appui sur les sondages qui furent de mise.

Relance de l’économie pour la transition écologique ou austérité et réduction du nombre de fonctionnaires ? Alignement sur la politique étrangère de Donald Trump ou indépendance ? Refonte des institutions ou centralisation des pouvoirs présidentiels ? Plus d’Europe néolibérale ou remise en cause des traités ? Aucune de ces questions majeures ne fut réellement discutée, occultée par les affaires, les feuilletons de ralliements et trahisons commentés en boucle.

Les deux dernières semaines de campagne auraient pu être l’occasion de débats interposés, mais non, il ne fut question que d’attaques et de labels calomnieux « Poutinisme», « Chavisme », « Castrisme », « communisme », « libéralisme » et autres mots en isme.

Résultat : un président n’ayant jamais réellement détaillé son projet,  élu par 40% des électeurs inscrits, dont les deux tiers disent être opposés au programme. Le vote utile comme sanction ultime d’une démocratie en péril. (10)

Soumission à l’oligarchie

Jacques Chirac se revendiquait de la droite capitaliste et servait les intérêts des puissants, mais il restait proche des gens. Il incarnait une certaine idée de la France. Il se montrait capable de faire campagne dans le monde rural, de serrer des centaines de mains par minutes dans de grands bains de foule, de menacer les dirigeants d’Israël de rentrer en France sur-le-champ dans des actions déclats, d’incarner un certain gaullisme, de défier l’Amérique en s’opposant à la guerre en Irak.

Malgré tous ces défauts, Nicolas Sarkozy conservait un côté populaire. Il incarnait la valeur de l’effort à travers son « travailler plus pour gagner plus ».

François Hollande s’était donné la peine de faire semblant d’être de gauche en dénonçant le monde de la finance et en promettant de renégocier les traités européens.

Emmanuel Macron ne juge pas nécessaire de porter un masque. Du haut de son sourire narquois, il annonce la couleur sans ciller: il sera le président des puissants. Aucun droit nouveau pour les travailleurs, pas un mot pour l’écologie, pas l’ombre d’une réforme fiscale pour répartir l’effort. Pas la moindre intention de modifier la politique étrangère calée sur celle de Donald Trump non plus. Plus grave, malgré le poids international que lui donne cette victoire basée sur une vision résolument européiste, Emmanuel Macron ne propose pas le moindre changement de cap européen.

Jamais dans l’histoire de la république francaise le président élu n’avait à ce point porté les intérêts de la classe dirigeante sans s’en cacher. Cela frise l’indécence et transpire le mépris.

Après s’être opposé avec force à la régulation bancaire, avoir empêché la séparation des banques d’investissement qui spéculent sur les marchés des banques de détails qui financent l’activité réelle, après avoir combattu la lutte contre la fraude fiscale et laisser filer le banditisme en col blanc, le voilà résolu à détricoter les quelques régulations encadrant encore la spéculation financière, tout en promettant de nouvelles baisses de charges historiques aux entreprises du CAC40. (11)

Les Français, tremblants de peur devant le risque Fillon et le danger de l’extrême droite l’ont porté au second tour avant de lui offrir vingt millions de voix. Cet acte de soumission aux puissances de l’argent, sans précédent historique, a de quoi inquiéter pour la suite.

Toute la gaule est occupée. Toute ? Non !

Un village d’irréductibles résiste encore et toujours aux puissances de l’argent roi.

Seize millions de Français ont refusé de se soumettre au choix qui leur était proposé. Les législatives seront un premier test pour le camp des vainqueurs. En théorie, les divergences artificielles entre la droite républicaine néolibérale et le parti socialiste droitisé devraient permettre d’offrir à Emmanuel Macron la plus grande majorité élargie jamais rassemblée.

A moins que la gauche ne parvienne à s’unir derrière une bannière commune. Compte tenu des forces en présence, et n’en déplaise à Benoit Hamon lâché par son propre parti, ce ralliement n’aura de sens que derrière la France Insoumise.

Contrairement à la France apaisée de Marine Le Pen, elle a bien choisi son nom.

 

Notes et références:

  1. D’après les Echos , 60% des électeurs de Macron auraient voté pour sans croire à son projet et 55% par simple vote utile. 55% de 24% avec 20% d’abstention donne 10% de convaincus.
  2. Lire « La stratégie européenne d’Emmanuel Macron est-elle la bonne« , La Tribune. 
  3. Francois Ruffin, dans Le Monde, 5 Mai 2017.
  4. Lire « Les médias ne sont que très accessoirement facteurs d’utilité publique » entretien avec le chercheur Alain Acardo publié dans Vice. 
  5. Lire cet article du nouvel Obs retraçant l’échange. 
  6. Voir l’analyse, et en particulier les sources, de ce travail du collectif Osons Causer.
  7. Les sources de ce paragraphe sont disponibles dans nos articles précédents, ici et
  8. Idem 4. Article à lire absolument !
  9. Difficile de choisir une source en particulier, alors pourquoi pas cette vidéo ludique et parfaitement sourcée.
  10. Lire cet article de France Info : quatre chiffres qui nuancent la victoire d’Emmanuel Macron
  11. Idem 6.

3 réactions au sujet de « La France se soumet »

  1. Bonjour,
    Les législatives devraient aussi avoir quelque chose d’épique : le PC tire la couverture à lui en présentant ses propres candidats face à ceux investis par la France Insoumise. Son programme: la France en commun ! Ils ont commencé avant le 1er tour de la présidentielle à promouvoir leurs candidats en utilisant l’étiquette « front de gauche » et l’image de Jean-Luc Mélenchon.

    1. Bonjour !

      Oui en effet, et bien entendu dans la presse c’est Mélenchon qui est victime de son égo et veut faire cavalier seul…

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